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Thomas Piketty : «Chaque société invente un récit idéologique pour justifier ses inégalités»

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Sonya Faure, Photos Rémy Artiges 

Comment écrire la suite d’un best-seller sur l’explosion des inégalités sociales vendu à 2,5 millions d’exemplaires dans le monde entier ? Après le succès du Capital au XXIe siècle (Le Seuil) paru en 2013 et des conférences données à travers la planète, Thomas Piketty est retourné dans son étroit bureau de l’Ecole d’économie de Paris pour écrire de mai 2018 à mai 2019, 1 200 pages sur la façon dont les idéologies justifient au fil de l’histoire ces inégalités.
Paris, le 11 septembre 2019 Thomas Piketty, rédacteur en chef du journal Libération.
Thomas Piketty est un homme de chiffres qui croit puissammentà l’impact des idées. Un économiste qui travaille à partir de l’histoire. Avec Capital et idéologie (Le Seuil) qui sort ce jeudi en librairie, il veut montrer que les régimes inégalitaires, tel celui dans lequel nous vivons, ne sont pas irréversibles, et que les inégalités sociales, loin d’être naturelles, sont construites au XXIe siècle par un «récit propriétariste, entrepreneurial et méritocratique». Pourquoi ne alors changer de récit, renverser ces valeurs ? C’est ce que propose l’économiste dans la dernière partie très programmatique de son ouvrage. Ne pas s’arrêter à Trump ou aux brexiters, ne pas se contenter de dénoncer les dérives populistes qui menaceraient la social-démocratie, mais reprendre la construction d’une société plus juste en sortant de la «sacralisation quasi religieuse de la propriété» qui anime nos sociétés. Il invite tous ceux qui le lisent à croire à nouveau à l’utopie socialiste. Plausible ? Optimisme chevillé au corps, lui y croit en livrant à la sagacité des citoyens la somme d’un travail colossal sur le fondement idéologique des inégalités.
Vous publiez un livre-enquête de 1 200 pages sur les inégalités sociales que vous résumez en une phrase (!) dans votre introduction : l’inégalité n’est pas économique ou technologique, elle est idéologique et politique. Qu’entendez-vous par là ?
J’essaie de montrer dans le livre que l’inégalité est toujours une construction politique et idéologique, et que les constructions du présent sont aussi fragiles que celles du passé. Nous vivons aujourd’hui avec l’idée selon laquelle les inégalités d’autrefois étaient despotiques, arbitraires et que nous serions dans un monde beaucoup plus mobile et démocratique, où celles-ci sont devenues justes et justifiées. Mais cette vision ne tient pas la route, elle est le fait d’élites qui affirment que les inégalités sont naturelles et ne peuvent pas être changées, sinon au prix d’immenses catastrophes. En réalité, chaque société humaine doit inventer un récit idéologique pour justifier ses inégalités, qui ne sont jamais naturelles. Ce discours, aujourd’hui, est propriétariste, entrepreneurial et méritocratique. L’inégalité moderne serait juste car chacun aurait en théorie les mêmes chances d’accéder au marché et à la propriété. Problème, il apparaît de plus en plus fragile, avec la montée des inégalités socio-économiques dans presque toutes les régions du monde depuis les années 80-90.
Une des pierres angulaires de ce récit hyperinégalitaire est la sacralisation de la propriété, selon vous…
On observe des formes de sacralisation de la propriété, qui rappellent parfois les inégalités très choquantes des siècles passés. Au XIXe par exemple, quand on abolit l’esclavage, on est persuadé, tel Tocqueville, qu’il faut indemniser les propriétaires, mais pas les esclaves qui ont travaillé pendant des siècles sans être payés ! L’argument est imparable : s’il n’y a pas de compensation, comment expliquer à une personne qu’elle doit rendre le patrimoine qu’elle avait acquis de manière légale à l’époque ? Que fait-on d’une personne qui a vendu ses esclaves il y a quelques années et qui possède maintenant des actifs immobiliers ou financiers ? Cette sacralisation quasi religieuse de la propriété, cette peur du vide dès lors qu’on commence à remettre en cause les principes de la propriété faisait qu’on était prêt à justifier n’importe quel droit de propriété issu du passé comme fondamentalement juste et impossible à remettre en cause. On la retrouve actuellement avec la question des supermilliardaires, quel que soit le nombre de zéros. Les fortunes individuelles pouvaient atteindre 10 milliards d’euros il y a quinze ans, désormais, c’est 100 milliards…
Nous sommes donc dans la sacralisation de la propriété…
Cette peur peut nous empêcher de résoudre des problèmes extrêmement graves, comme le réchauffement climatique, et plus largement d’avoir un système économique qui soit acceptable pour le plus grand nombre. Cette espèce de fixation, de sacralisation de la propriété comme indépassable, est un danger pour les sociétés humaines. En France comme au Royaume-Uni, dans les années 80, on a basculé directement d’un système qui misait sur les nationalisations et la propriété étatique comme unique mode de dépassement du capitalisme, à… rien du tout ! Cette bascule soudaine dans la libéralisation totale des flux de capitaux, couplée à la chute du mur de Berlin et la fin du communisme a enterré les tentatives pour repenser la propriété.
L’histoire des inégalités que vous retracez dans votre livre montre pourtant qu’à certaines périodes, on n’a pas hésité à remettre en cause les principes de la propriété…
L’histoire montre que les idéologies en place finissent toujours par être questionnées, remplacées. Dans le passé, on a su dépasser cette sacralisation. Après la Seconde Guerre mondiale, on a eu besoin d’investir dans les infrastructures. Des pays comme l’Allemagne et le Japon ont mis en place des systèmes d’impôt progressifs sur la propriété, favorisant la réduction de façon très rapide de l’endettement public et la répartition économique. Ces expériences réussies, qui permettent la croissance d’après-guerre, prouvent que c’est plus par l’égalité et l’investissement éducatif qu’on obtient la prospérité collective que dans la sacralisation de la propriété et de l’inégalité. Malheureusement, ces expériences ont été oubliées. Il n’y a pas de fatalité dans les régimes inégalitaires. Je veux croire qu’un dépassement de la propriété et du capitalisme est en cours depuis la fin du XIXe siècle. Il a connu des périodes d’accélération, de pause, voire de régression depuis les années 80-90. Mais on peut reprendre le fil de cette histoire. Rien n’est déterminé, chacun, aujourd’hui, peut s’approprier ces enjeux. Le dépassement de la propriété privée n’a rien d’utopique et s’inscrit dans la suite logique de la construction d’une société plus juste.
Paris, le 11 septembre 2019 Thomas Piketty, rédacteur en chef du journal Libération.
Mais l’idéologie propriétariste est très forte ! Qui va lâcher ses biens ? Personne, même le plus modeste des propriétaires !
Je défends l’idée qu’on peut dépasser la propriété privée en instaurant une autre forme de propriété, sociale et temporaire. Tout bien, entreprise ou immeuble réunit de nombreuses parties prenantes. Les salariés ou les occupants doivent participer à sa gestion autant que ses propriétaires. C’est d’ailleurs ce qui est fait depuis longtemps en Allemagne, où la moitié des voix dans les conseils d’administration vont aux représentants de salariés. Mais il faut aller plus loin en imaginant des systèmes de plafonnement des droits de vote des actionnaires individuels dans les grandes entreprises. Autant il est normal que la personne qui a apporté le capital d’une société de 10 salariés ait plus de pouvoir que l’employé recruté la veille et qui partira peut-être monter son propre projet dans quelque temps, autant pour une entreprise de plus de 100 salariés, on pourrait imaginer de plafonner à 10 % les droits de vote de tout actionnaire individuel. Cela obligerait à une plus grande délibération, une plus grande circulation du pouvoir, des idées.
Et ça, ce n’est pas de l’expropriation ?
La propriété est toujours sociale dans ses origines. C’est le droit des propriétaires et parfois des Constitutions qui l’a souvent sacralisée. Mais il n’y a pas de fatalité à cela. L’Allemagne, que ce soit dans la Constitution de Weimar en 1919 ou dans celle de 1949, a pris soin de définir la propriété de façon sociale : elle y est formulée comme devant d’abord être au service de l’intérêt général. On se laisse donc la possibilité, si nécessaire, de partager le pouvoir dans les entreprises, de mener des réformes agraires, de répartir les logements en fonction des besoins…
Mais comment empêcher que le capital reste toujours dans les mêmes mains ?
Il faut rendre la propriété temporaire : les mêmes personnes ne doivent pas concentrer le capital éternellement. Je propose qu’au-delà d’un certain seuil, chacun redonne à la collectivité une partie de ce qu’il détient. J’imagine un impôt très progressif sur la propriété : il serait très faible (mettons 0,1 %) pour les personnes qui possèdent 100 000 ou 200 000 euros (trois fois moins que l’actuelle taxe foncière), mais pourrait monter jusqu’à 90 % pour ceux ayant au-delà de 10 000 fois le patrimoine moyen, c’est-à-dire plus de 2 milliards d’euros. Dans un tel système, les milliardaires disparaîtraient, de fait. Mais la petite propriété privée, elle, aurait toute sa place, tout comme l’entreprenariat. Car l’idée qu’il est tout à fait naturel que les entrepreneurs soient milliardaires est un mythe absurde, sur lequel repose en partie notre culte de la propriété privée : en réalité, les entrepreneurs qui ont des idées ne gagnent bien souvent pas des fortunes, et le dynamisme économique se nourrit justement de ces petits succès, de ces petites entreprises. L’hyperconcentration du capital entre les mains de quelques personnes n’est pas un modèle efficace ni indépassable.
Prendre beaucoup aux plus riches, l’idée n’est pas nouvelle…
Le tout est de la réaliser avec méthode ! Cet impôt progressif, qui drainerait une recette de l’ordre de 5 % du PIB, bien plus élevée que la taxe foncière (2 %), permettrait le versement d’une dotation universelle : en France par exemple, tous les jeunes de 25 ans recevraient 120 000 euros, ce qui représente tout de même 60 % du patrimoine moyen par adulte. On permettrait là une vraie circulation de capital.
Paris, le 11 septembre 2019 Thomas Piketty, rédacteur en chef du journal Libération.
On abandonne l’idée de revenu universel ?
Non, on va au-delà. Le revenu universel, ou de base, est très utile, j’y suis favorable. Mais si on veut dépasser la question de la propriété et du capitalisme, il faut aller au-delà de la question du revenu. La propriété, c’est le pouvoir économique. C’est le fait de pouvoir participer à la gouvernance des entreprises, d’investir dans les médias pour certains, c’est le fait de ne pas passer sa vie à payer des loyers à des enfants de propriétaires parce qu’on est né enfant de locataires… Le revenu est important bien sûr, mais en rester à ce dernier serait une vision au rabais de la justice sociale. L’idée d’une dotation de capital se situe d’ailleurs dans une très longue histoire. Je n’invente rien, j’essaie de remettre des mouvements d’idées dans une perspective plus longue. Lors de la Révolution française, Thomas Paine proposait de verser les recettes d’un nouvel impôt sur les successions sous forme de dotations agraires à chacun. L’économiste anglais Anthony B. Atkinson avançait lui aussi, il y a quelques années, une dotation universelle à l’âge de 25 ans. Je propose quelque chose de plus ambitieux, alimenté à la fois par l’impôt sur les successions, par un impôt annuel sur la propriété, ce qui permettrait d’atteindre des niveaux bien plus importants. Concrètement, là où Atkinson évoquait une dotation de 10 000 euros par jeunes adultes, on irait avec ce système jusqu’à 120 000 euros. En fait, ce que je propose, c’est une forme d’«héritage pour tous».
Un «héritage pour tous», un peu démagogique, non ?
L’égalité face à l’héritage n’a rien de démagogique, pas plus que l’égalité éducative. Nous vivons dans une société où 50 % de la population n’hérite de rien, ou presque : la moitié la plus pauvre reçoit 5 000 ou 10 000 euros, et souvent très tard dans sa vie. C’est la grande limite de toutes les social-démocraties jusqu’à aujourd’hui : dans notre système, les 50 % les plus pauvres ne possèdent rien, et ce dans toutes les tranches d’âges, et depuis toujours. Jamais dans l’histoire les 50 % les plus défavorisés n’ont détenu plus de 10 % du capital. Je propose de socialiser l’héritage pour que tout le monde en bénéficie à 25 ans plutôt qu’à 50. Ce qui permet au passage de rajeunir le patrimoine, et donc le pouvoir qui va avec. Aujourd’hui, le patrimoine est très vieux et quand un gouvernement réduit l’ISF, il fait un cadeau fiscal aux septuagénaires aisés… C’est tout de même un choix politique étonnant. L’instauration d’une propriété sociale et temporaire permettrait de dépasser le système hyperpropriétariste actuel : il ne s’agit pas de supprimer toute forme de propriété - on ne touche pas à la petite propriété privée, il y aura même toujours des fortunes de quelques millions d’euros - mais de rester dans des formes de propriétés raisonnables, dans le respect de l’intérêt général.
Mais faire accepter ces réformes supposerait un nouveau récit, une transformation politico-idéologique d’ampleur !
C’est ce qui s’est toujours passé dans l’histoire ! D’ailleurs, ce nouveau récit existe déjà en partie, il n’est pas entièrement à inventer, c’est ce que je tente de montrer en m’appuyant sur des expériences qui ont eu lieu dans le passé et en les portant plus loin. Si on arrivait à tous se mettre d’accord sur ce que j’appelle le «socialisme participatif», ce serait une réelle avancée. Je vois plusieurs éléments qui vont dans cette direction, y compris en France : après tout, on a introduit en 2013 un siège pour les salariés dans les conseils d’administration ! Cela reste certes dérisoire quand on sait que l’Allemagne leur a donné 50 % des sièges il y a cinquante ans…
Pourquoi cette longue réticence dans notre pays ?
En partie parce que l’on prête trop peu d’intérêt à ces sujets. Dans les années 70, on parlait d’autogestion mais sans l’incarner dans des mesures, des projets précis. Finalement, quand la gauche est revenue au pouvoir, elle a opté pour une vieille solution : les nationalisations. Il n’y a pas eu de remise en cause radicale de la notion «une action = une voix». La relation entre pouvoir et propriété n’a pas vraiment été creusée. Il va pourtant falloir qu’on en parle si on veut dépasser la propriété privée et le capitalisme. Et proposer un nouvel horizon égalitaire à visée universelle, une idéologie de la propriété sociale, de l’éducation, du partage des savoirs… Ces nouveaux récits devront être plus convaincants que les précédents, car mieux ancrés dans les leçons de l’histoire.
Mais ça ne s’est jamais vu de remettre en question la propriété comme vous le suggérez…
Je ne suis pas d’accord. Au XXe siècle, de nombreux pays ont adopté des impôts progressifs dépassant 70 % des revenus ou des successions. Aux Etats-Unis, par exemple, les taux d’imposition sur les revenus des plus riches ont pu atteindre les 80 %, et même 90 %, sans que cela n’ait empêché un développement économique et social du pays. Il faut reprendre ce chemin dont une partie du monde s’est détournée au début des années 80, notamment au moment de la chute du communisme. On n’a pas su passer à l’étape suivante, avec les nouveaux défis de la tertiarisation éducative, par exemple. Une autre nouveauté est que, pour la première fois et depuis peu, nous avons dans des communautés politiques des groupes humains issus de traditions religieuses différentes qui se retrouvent sur la base d’un principe d’égalité à vivre ensemble. Et cela ne s’était jamais vu jusqu’aux années 60-70. Avant cela, les seules relations qui se faisaient avec le reste du monde étaient basées sur des relations coloniales. En Algérie, jusqu’aux années 50, c’est 90 % du budget de l’éducation qui profite aux seuls colons qui ne représentent que 10 % de la population. Et l’Algérie est alors l’un des pays les plus inégalitaires au monde, avec l’Afrique du Sud.
Paris, le 11 septembre 2019 Thomas Piketty, rédacteur en chef du journal Libération.
Face à ce nouveau monde post-communiste et hypercapitaliste, vous voyez aussi l’échec de la social-démocratie qui n’a pas su proposer un nouveau récit égalitaire…
Entre 1950 et 1980, on a cru sauver le projet social-démocrate parce qu’on avait limité les flux de capitaux et qu’on avait pu bâtir l’Etat social dans le cadre strict de l’Etat-nation. Mais à partir du moment où on s’est de nouveau mis dans les années 90 à libéraliser les flux de capitaux sans contrôle, sans savoir qui possède quoi, on s’est retrouvé dans une situation un peu similaire à celles des sociaux-démocrates de l’entre-deux-guerres : on n’avait plus les moyens de réguler le capitalisme-monde parce qu’on ne se les était pas donnés. Dans les Origines du totalitarisme, Hannah Arendt estime que la plus grande faiblesse des sociaux-démocrates allemands, français, britanniques de l’entre-deux-guerres, c’est d’avoir été des internationalistes de façade. Ils n’avaient pas compris que pour réguler l’économie de l’Etat-monde et le déchaînement du capitalisme mondial, les pays avaient besoin de formes politiques transnationales nouvelles. Ils n’avaient pas de vrai projet de dépassement de l’Etat-nation alors que face à eux, l’Union soviétique forgeait le projet d’un communisme mondial, ou du moins eurasiatique, l’idéologie nazie se proposait de dépasser les frontières de l’Allemagne, sans compter que les projets coloniaux ou néocoloniaux européens et états-uniens avaient eux aussi une dimension mondiale. Les sociaux-démocrates étaient les seuls à ne pas prendre au sérieux le fait qu’un capitalisme monde demande une politique monde. Ce reproche de Hannah Arendt aux sociaux-démocrates pourrait fonctionner en 2019. Défis posés par la remontée historique des inégalités, rejet de la mondialisation, repli identitaire… Le modèle social-démocrate actuel n’a pas su penser le dépassement de l’Etat-nation par des formes transnationales ; il n’a su concevoir le dépassement du régime de propriété, de la propriété privée et actionnariale - l’expérience communiste a gelé la réflexion sur ce point. Il s’est montré incapable de penser et organiser la redistribution et la progressivité fiscale à l’échelle transnationale.
Vous soutenez ainsi que nous sommes à nouveau dans un mythe égalitaire aujourd’hui, particulièrement en France…
C’est un discours convenu des élites. Au XIXe siècle, déjà, elles instrumentalisaient le mythe égalitaire de la Révolution. Or la France est le dernier pays en 1914 à adopter l’impôt progressif sur le revenu, déjà en place aux Etats-Unis, au Japon et dans de nombreux Etats européens. Contrairement aux promesses du discours méritocratique, notre système éducatif est profondément inégalitaire. On met trois fois plus de moyens sur les enfants qui font des grandes écoles ou des prépas que sur le reste des étudiants qui sont bien plus nombreux. A ce constat, on nous rétorque : mais ils ont été sélectionnés sur les règles de la méritocratie et non pas sur des privilèges de classes. C’est une réponse biaisée. Chaque pays s’invente des croyances dans sa propre exceptionnalité. La question de la méritocratie va prendre une dimension nouvelle avec la montée des effectifs dans l’enseignement supérieur car les gagnants du système éducatif ont développé une idéologie de leur propre mérite qui consiste à stigmatiser les perdants de ce système dans des proportions qu’on n’avait pas dans les régimes inégalitaires précédents. Finalement, on explique aux classes perdantes que ce sont elles qui sont responsables de leur situation.
Comme pendant les années 30, le capitalisme a bien failli s’effondrer en 2008. Or on ne peut pas dire qu’il ait été remis en question à la suite cette crise financière mondiale…
Sans doute parce qu’il n’y a pas eu le travail intellectuel permettant de se poser la question de la reconstruction du capitalisme. La crise a servi à parer au plus pressé. Peut-être étions-nous encore trop proches de la chute du communisme et de l’idée selon laquelle le capitalisme est un horizon indépassable. Je crois que la question d’un socialisme participatif et du social-fédéralisme se pose plus que jamais. D’autres trajectoires sont malheureusement possibles, à commencer par le repli identitaire, qui se nourrit du fatalisme face à toute perspective d’une économie juste. En être conscient, c’est justement une motivation de plus pour proposer de nouvelles formes d’organisations égalitaires et internationalistes. J’essaie d’y contribuer.
Sonya Faure Photos Rémy Artiges pour Libération , Cécile Daumas , Vittorio De Filippis
Thomas Piketty Capital et idéologie Seuil, 1 248 pp., 25 €.


Dernier entretien en terre d'Occident -- Alexandre ZINOVIEV

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Alexandre ZINOVIEV

Philosophe, logicien, sociologue, et écrivain dissident soviétique.
Entretien réalisé par Victor Loupan à Munich, en juin 1999, quelques jours avant le retour définitif d’Alexandre Zinoviev en Russie ; extrait de "La grande rupture", aux éditions l’Âge d’Homme.
Victor Loupan : Avec quels sentiments rentrez-vous après un exil aussi long ?
Alexandre Zinoviev : Avec celui d’avoir quitté une puissance respectée, forte, crainte même, et de retrouver un pays vaincu, en ruines. Contrairement à d’autres, je n’aurais jamais quitté l’URSS, si on m’avait laissé le choix. L’émigration a été une vraie punition pour moi.
V. L. : On vous a pourtant reçu à bras ouverts !
A. Z. : C’est vrai. Mais malgré l’accueil triomphal et le succès mondial de mes livres, je me suis toujours senti étranger ici.
V. L. : Depuis la chute du communisme, c’est le système occidental qui est devenu votre principal objet d’étude et de critique. Pourquoi ?
A. Z. : Parce que ce que j’avais dit est arrivé : la chute du communisme s’est transformée en chute de la Russie. La Russie et le communisme étaient devenus une seule et même chose.
V. L. : La lutte contre le communisme aurait donc masqué une volonté d’élimination de la Russie ?
A. Z. : Absolument. La catastrophe russe a été voulue et programmée ici, en Occident. Je le dis, car j’ai été, à une certaine époque, un initié. J’ai lu des documents, participé à des études qui, sous prétexte de combattre une idéologie, préparaient la mort de la Russie. Et cela m’est devenu insupportable au point où je ne peux plus vivre dans le camp de ceux qui détruisent mon pays et mon peuple. L’Occident n’est pas une chose étrangère pour moi, mais c’est une puissance ennemie.
V. L. : Seriez-vous devenu un patriote ?
A. Z. : Le patriotisme, ce n’est pas mon problème. J’ai reçu une éducation internationaliste et je lui reste fidèle. Je ne peux d’ailleurs pas dire si j’aime ou non la Russie et les Russes. Mais j’appartiens à ce peuple et à ce pays. J’en fais partie. Les malheurs actuels de mon peuple sont tels, que je ne peux continuer à les contempler de loin. La brutalité de la mondialisation met en évidence des choses inacceptables.
V. L. : Les dissidents soviétiques parlaient pourtant comme si leur patrie était la démocratie et leur peuple les droits de l’homme. Maintenant que cette manière de voir est dominante en Occident, vous semblez la combattre. N’est-ce pas contradictoire ?
A. Z. : Pendant la guerre froide, la démocratie était une arme dirigée contre le totalitarisme communiste, mais elle avait l’avantage d’exister. On voit d’ailleurs aujourd’hui que l’époque de la guerre froide a été un point culminant de l’histoire de l’Occident. Un bien être sans pareil, de vraies libertés, un extraordinaire progrès social, d’énormes découvertes scientifiques et techniques, tout y était ! Mais, l’Occident se modifiait aussi presqu’imperceptiblement. L’intégration timide des pays développés, commencée alors, constituait en fait les prémices de la mondialisation de l’économie et de la globalisation du pouvoir auxquels nous assistons aujourd’hui. Une intégration peut être généreuse et positive si elle répond, par exemple, au désir légitime des nations-soeurs de s’unir. Mais celle-ci a, dès le départ, été pensée en termes de structures verticales, dominées par un pouvoir supranational. Sans le succès de la contre-révolution russe, il n’aurait pu se lancer dans la mondialisation.
V. L. : Le rôle de Gorbatchev n’a donc pas été positif ?
A. Z. : Je ne pense pas en ces termes-là. Contrairement à l’idée communément admise, le communisme soviétique ne s’est pas effondré pour des raisons internes. Sa chute est la plus grande victoire de l’histoire de l’Occident ! Victoire colossale qui, je le répète, permet l’instauration d’un pouvoir planétaire. Mais la fin du communisme a aussi marqué la fin de la démocratie. Notre époque n’est pas que post-communiste, elle est aussi post-démocratique. Nous assistons aujourd’hui à l’instauration du totalitarisme démocratique ou, si vous préférez, de la démocratie totalitaire.
V. L. : N’est-ce pas un peu absurde ?
A. Z. : Pas du tout. La démocratie sous-entend le pluralisme. Et le pluralisme suppose l’opposition d’au moins deux forces plus ou moins égale ; forces qui se combattent et s’influencent en même temps. Il y avait, à l’époque de la guerre froide, une démocratie mondiale, un pluralisme global au sein duquel coexistaient le système capitaliste, le système communiste et même une structure plus vague mais néanmoins vivante, les non-alignés. Le totalitarisme soviétique était sensible aux critiques venant de l’Occident. L’Occident subissait lui aussi l’influence de l’URSS, par l’intermédiaire notamment de ses propres partis communistes. Aujourd’hui, nous vivons dans un monde dominé par une force unique, par une idéologie unique, par un parti unique mondialiste. La constitution de ce dernier a débuté, elle aussi, à l’époque de la guerre froide, quand des superstructures transnationales ont progressivement commencé à se constituer sous les formes les plus diverses : sociétés commerciales, bancaires, politiques, médiatiques. Malgré leurs différents secteurs d’activités, ces forces étaient unies par leur nature supranationale. Avec la chute du communisme, elles se sont retrouvées aux commandes du monde. Les pays occidentaux sont donc dominateurs, mais aussi dominés, puisqu’ils perdent progressivement leur souveraineté au profit de ce que j’appelle la "suprasociété". Suprasociété planétaire, constituée d’entreprises commerciales et d’organismes non-commerciaux, dont les zones d’influence dépassent les nations. Les pays occidentaux sont soumis, comme les autres, au contrôle de ces structures supranationales. Or, la souveraineté des nations était, elle aussi, une partie constituante du pluralisme et donc de la démocratie, à l’échelle de la planète. Le pouvoir dominant actuel écrase les états souverains. L’intégration de l’Europe qui se déroule sous nos yeux, provoque elle aussi la disparition du pluralisme au sein de ce nouveau conglomérat, au profit d’un pouvoir supranational.
V. L. : Mais ne pensez-vous pas que la France ou l’Allemagne continuent à être des pays démocratiques ?
A. Z. : Les pays occidentaux ont connu une vraie démocratie à l’époque de la guerre froide. Les partis politiques avaient de vraies divergences idéologiques et des programmes politiques différents. Les organes de presse avaient des différences marquées, eux aussi. Tout cela influençait la vie des gens, contribuait à leur bien-être. C’est bien fini. Parce que le capitalisme démocratique et prospère, celui des lois sociales et des garanties d’emploi devait beaucoup à l’épouvantail communiste. L’attaque massive contre les droits sociaux à l’Ouest a commencé avec la chute du communisme à l’Est. Aujourd’hui, les socialistes au pouvoir dans la plupart des pays d’Europe, mènent une politique de démantèlement social qui détruit tout ce qu’il y avait de socialiste justement dans les pays capitalistes. Il n’existe plus, en Occident, de force politique capable de défendre les humbles. L’existence des partis politiques est purement formelle. Leurs différences s’estompent chaque jour davantage. La guerre des Balkans était tout sauf démocratique. Elle a pourtant été menée par des socialistes, historiquement opposés à ce genre d’aventures. Les écologistes, eux aussi au pouvoir dans plusieurs pays, ont applaudi au désastre écologique provoqué par les bombardements de l’OTAN. Ils ont même osé affirmer que les bombes à uranium appauvri n’étaient pas dangereuses alors que les soldats qui les chargent portent des combinaisons spéciales. La démocratie tend donc aussi à disparaître de l’organisation sociale occidentale. Le totalitarisme financier a soumis les pouvoirs politiques. Le totalitarisme financier est froid. Il ne connaît ni la pitié ni les sentiments. Les dictatures politiques sont pitoyables en comparaison avec la dictature financière. Une certaine résistance était possible au sein des dictatures les plus dures. Aucune révolte n’est possible contre la banque.
V. L. : Et la révolution ?
A. Z. : Le totalitarisme démocratique et la dictature financière excluent la révolution sociale.
V. L. : Pourquoi ?
A. Z. : Parce qu’ils combinent la brutalité militaire toute puissante et l’étranglement financier planétaire. Toutes les révolutions ont bénéficié de soutien venu de l’étranger. C’est désormais impossible, par absence de pays souverains. De plus, la classe ouvrière a été remplacée au bas de l’échelle sociale, par la classe des chômeurs. Or que veulent les chômeurs ? Un emploi. Ils sont donc, contrairement à la classe ouvrière du passé, dans une situation de faiblesse.
V. L. : Les systèmes totalitaires avaient tous une idéologie. Quelle est celle de cette nouvelle société que vous appelez post-démocratique ?
A. Z. : Les théoriciens et les politiciens occidentaux les plus influents considèrent que nous sommes entrés dans une époque post-idéologique. Parce qu’ils sous-entendent par "idéologie" le communisme, le fascisme, le nazisme, etc. En réalité, l’idéologie, la supraidéologie du monde occidental, développée au cours des cinquante dernières années, est bien plus forte que le communisme ou le national-socialisme. Le citoyen occidental en est bien plus abruti que ne l’était le soviétique moyen par la propagande communiste. Dans le domaine idéologique, l’idée importe moins que les mécanismes de sa diffusion. Or la puissance des médias occidentaux est, par exemple, incomparablement plus grande que celle, énorme pourtant, du Vatican au sommet de son pouvoir. Et ce n’est pas tout : le cinéma, la littérature, la philosophie, tous les moyens d’influence et de diffusion de la culture au sens large vont dans le même sens. A la moindre impulsion, ceux qui travaillent dans ces domaines réagissent avec un unanimisme qui laisse penser à des ordres venant d’une source de pouvoir unique. Il suffit que la décision de stigmatiser un Karadzic, un Milosevic ou un autre soit prise pour qu’une machine de propagande planétaire se mette en branle contre ces gens, sans grande importance. Et alors qu’il faudrait juger les politiciens et les généraux de l’OTAN parce qu’ils ont enfreint toutes les lois existantes, l’écrasante majorité des citoyens occidentaux est persuadée que la guerre contre la Serbie était juste et bonne. L’idéologie occidentale combine et fait converger les idées en fonction des besoins. L’une d’entre elles est que les valeurs et le mode de vie occidentaux sont supérieurs à d’autres. Alors que pour la plupart des peuples de la planète ces valeurs sont mortelles. Essayez donc de convaincre les Américains que la Russie en meurt. Vous n’y arriverez jamais. Ils continueront à affirmer que les valeurs occidentales sont universelles, appliquant ainsi l’un des principes fondamentaux du dogmatisme idéologique. Les théoriciens, les médias et les politiciens occidentaux sont absolument persuadés de la supériorité de leur système. C’est cela qui leur permet de l’imposer au monde avec bonne conscience. L’homme occidental, porteur de ces valeurs supérieures est donc un nouveau surhomme. Le terme est tabou, mais cela revient au même. Tout cela mériterait d’être étudié scientifiquement. Mais la recherche scientifique dans certains domaines sociologiques et historiques est devenue difficile. Un scientifique qui voudrait se pencher sur les mécanismes du totalitarisme démocratique aurait à faire face aux plus grandes difficultés. On en ferait d’ailleurs un paria. Par contre, ceux dont le travail sert l’idéologie dominante, croulent sous les dotations et les éditeurs comme les médias se les disputent. Je l’ai observé en tant que chercheur et professeur des universités.
V. L. : Mais cette "supraidéologie" ne propage-t-elle pas aussi la tolérance et le respect ?
A. Z. : Quand vous écoutez les élites occidentales, tout est pur, généreux, respectueux de la personne humaine. Ce faisant, elles appliquent une règle classique de la propagande : masquer la réalité par le discours. Car il suffit d’allumer la télévision, d’aller au cinéma, d’ouvrir les livres à succès, d’écouter la musique la plus diffusée, pour se rendre compte que ce qui est propagé en réalité c’est le culte du sexe, de la violence et de l’argent. Le discours noble et généreux est donc destiné à masquer ces trois piliers - il y en a d’autres - de la démocratie totalitaire.
V. L. : Mais que faites-vous des droits de l’homme ? Ne sont-ils pas respectés en Occident bien plus qu’ailleurs ?
A. Z. : L’idée des droits de l’homme est désormais soumise elle aussi à une pression croissante. L’idée, purement idéologique, selon laquelle ils seraient innés et inaltérables ne résisterait même pas à un début d’examen rigoureux. Je suis prêt à soumettre l’idéologie occidentale à l’analyse scientifique, exactement comme je l’ai fait pour le communisme. Ce sera peut-être un peu long pour un entretien.
V. L. : N’a-t-elle pas une idée maîtresse ?
A. Z. : C’est le mondialisme, la globalisation. Autrement dit : la domination mondiale. Et comme cette idée est assez antipathique, on la masque sous le discours plus vague et généreux d’unification planétaire, de transformation du monde en un tout intégré. C’est le vieux masque idéologique soviétique ; celui de l’amitié entre les peuples, "amitié" destinée à couvrir l’expansionnisme. En réalité, l’Occident procède actuellement à un changement de structure à l’échelle planétaire. D’un côté, la société occidentale domine le monde de la tête et des épaules et de l’autre, elle s’organise elle-même verticalement, avec le pouvoir supranational au sommet de la pyramide.
V. L. : Un gouvernement mondial ?
A. Z. : Si vous voulez.
V. L. : Croire cela n’est-ce-pas être un peu victime du fantasme du complot ?
A. Z. : Quel complot ? Il n’y a aucun complot. Le gouvernement mondial est dirigé par les gouverneurs des structures supranationales commerciales, financières et politiques connues de tous. Selon mes calculs, une cinquantaine de millions de personnes fait déjà partie de cette suprasociété qui dirige le monde. Les États-Unis en sont la métropole. Les pays d’Europe occidentale et certains anciens "dragons" asiatiques, la base. Les autres sont dominés suivant une dure gradation économico-financière. Ça, c’est la réalité. La propagande, elle, prétend qu’un gouvernement mondial contrôlé par un parlement mondial serait souhaitable, car le monde est une vaste fraternité. Ce ne sont là que des balivernes destinées aux populations.
V. L. : Le Parlement européen aussi ?
A. Z. : Non, car le Parlement européen existe. Mais il serait naïf de croire que l’union de l’Europe s’est faite parce que les gouvernements des pays concernés l’ont décidé gentiment. L’Union européenne est un instrument de destruction des souverainetés nationales. Elle fait partie des projets élaborés par les organismes supranationaux.
V. L. : La Communauté européenne a changé de nom après la destruction de l’Union soviétique. Elle s’est appelée Union européenne, comme pour la remplacer. Après tout, il y avait d’autres noms possibles. Aussi, ses dirigeants s’appellent-ils "commissaires", comme les Bolcheviks. Ils sont à la tête d’une "Commission", comme les Bolcheviks. Le dernier président a été "élu" tout en étant candidat unique.
A. Z. : Il ne faut pas oublier que des lois régissent l’organisation sociale. Organiser un million d’hommes c’est une chose, dix millions c’en est une autre, cent millions, c’est bien plus compliqué encore. Organiser cinq cent millions est une tâche immense. Il faut créer de nouveaux organismes de direction, former des gens qui vont les administrer, les faire fonctionner. C’est indispensable. Or l’Union soviétique est, en effet, un exemple classique de conglomérat multinational coiffé d’une structure dirigeante supranationale. L’Union européenne veut faire mieux que l’Union soviétique ! C’est légitime. J’ai déjà été frappé, il y a vingt ans, de voir à quel point les soi-disant tares du système soviétique étaient amplifiées en Occident.
V. L. : Par exemple ?
A. Z. : La planification ! L’économie occidentale est infiniment plus planifiée que ne l’a jamais été l’économie soviétique. La bureaucratie ! En Union Soviétique 10 % à 12 % de la population active travaillaient dans la direction et l’administration du pays. Aux États Unis, ils sont entre 16 % et 20 %. C’est pourtant l’URSS qui était critiquée pour son économie planifiée et la lourdeur de son appareil bureaucratique ! Le Comité central du PCUS employait deux mille personnes. L’ensemble de l’appareil du Parti communiste soviétique était constitué de 150000 salariés. Vous trouverez aujourd’hui même, en Occident, des dizaines voire des centaines d’entreprises bancaires et industrielles qui emploient un nombre bien plus élevé de gens. L’appareil bureaucratique du Parti communiste soviétique était pitoyable en comparaison avec ceux des grandes multinationales. L’URSS était en réalité un pays sous-administré. Les fonctionnaires de l’administration auraient dû être deux à trois fois plus nombreux. L’Union européenne le sait, et en tient compte. L’intégration est impossible sans la création d’un très important appareil administratif.
V. L. : Ce que vous dites est contraire aux idées libérales, affichées par les dirigeants européens. Pensez-vous que leur libéralisme est de façade ?
A. Z. : L’administration a tendance à croître énormément. Cette croissance est dangereuse, pour elle-même. Elle le sait. Comme tout organisme, elle trouve ses propres antidotes pour continuer à prospérer. L’initiative privée en est un. La morale publique et privée, un autre. Ce faisant, le pouvoir lutte en quelque sorte contre ses tendances à l’auto-déstabilisation. Il a donc inventé le libéralisme pour contrebalancer ses propres lourdeurs. Et le libéralisme a joué, en effet, un rôle historique considérable. Mais il serait absurde d’être libéral aujourd’hui. La société libérale n’existe plus. Sa doctrine est totalement dépassée à une époque de concentrations capitalistiques sans pareil dans l’histoire. Les mouvements d’énormes masses financières ne tiennent compte ni des intérêts des États ni de ceux des peuples, peuples composés d’individus. Le libéralisme sous-entend l’initiative personnelle et le risque financier personnel. Or, rien ne se fait aujourd’hui sans l’argent des banques. Ces banques, de moins en moins nombreuses d’ailleurs, mènent une politique dictatoriale, dirigiste par nature. Les propriétaires sont à leur merci, puisque tout est soumis au crédit et donc au contrôle des puissances financières. L’importance des individus, fondement du libéralisme, se réduit de jour en jour. Peu importe aujourd’hui qui dirige telle ou telle entreprise ; ou tel ou tel pays d’ailleurs. Bush ou Clinton, Kohl ou Schröder, Chirac ou Jospin, quelle importance ? Ils mènent et mèneront la même politique.
V. L. : Les totalitarismes du XXe siècle ont été extrêmement violents. On ne peut dire la même chose de la démocratie occidentale.
A. Z. : Ce ne sont pas les méthodes, ce sont les résultats qui importent. Un exemple ? L’URSS a perdu vingt million d’hommes et subi des destructions considérables, en combattant l’Allemagne nazie. Pendant la guerre froide, guerre sans bombes ni canons pourtant, ses pertes, sur tous les plans, ont été bien plus considérables ! La durée de vie des Russes a chuté de dix ans dans les dix dernières années. La mortalité dépasse la natalité de manière catastrophique. Deux millions d’enfants ne dorment pas à la maison. Cinq millions d’enfants en âge d’étudier ne vont pas à l’école. Il y a douze millions de drogués recensés. L’alcoolisme s’est généralisé. 70 % des jeunes ne sont pas aptes au service militaire à cause de leur état physique. Ce sont là des conséquences directes de la défaite dans la guerre froide, défaite suivie par l’occidentalisation. Si cela continue, la population du pays descendra rapidement de cent-cinquante à cent, puis à cinquante millions d’habitants. Le totalitarisme démocratique surpassera tous ceux qui l’ont précédé.
V. L. : En violence ?
A. Z. : La drogue, la malnutrition, le sida sont plus efficaces que la violence guerrière. Quoique, après la guerre froide dont la force de destruction a été colossale, l’Occident vient d’inventer la "guerre pacifique". L’Irak et la Yougoslavie sont deux exemples de réponse disproportionnée et de punition collective, que l’appareil de propagande se charge d’habiller en "juste cause" ou en "guerre humanitaire". L’exercice de la violence par les victimes contre elles-mêmes est une autre technique prisée. La contre-révolution russe de 1985 en est un exemple. Mais en faisant la guerre à la Yougoslavie, les pays d’Europe occidentale l’ont faite aussi à eux-mêmes.
V. L. : Selon vous, la guerre contre la Serbie était aussi une guerre contre l’Europe ?
A. Z. : Absolument. Il existe, au sein de l’Europe, des forces capables de lui imposer d’agir contre elle-même. La Serbie a été choisie, parce qu’elle résistait au rouleau compresseur mondialiste. La Russie pourrait être la prochaine sur la liste. Avant la Chine.
V. L. : Malgré son arsenal nucléaire ?
A. Z. : L’arsenal nucléaire russe est énorme mais dépassé. De plus, les Russes sont moralement prêts à être conquis. A l’instar de leurs aïeux qui se rendaient par millions dans l’espoir de vivre mieux sous Hitler que sous Staline, ils souhaitent même cette conquête, dans le même espoir fou de vivre mieux. C’est une victoire idéologique de l’Occident. Seul un lavage de cerveau peut obliger quelqu’un à voir comme positive la violence faite à soi-même. Le développement des mass-media permet des manipulations auxquelles ni Hitler ni Staline ne pouvaient rêver. Si demain, pour des raisons "X", le pouvoir supranational décidait que, tout compte fait, les Albanais posent plus de problèmes que les Serbes, la machine de propagande changerait immédiatement de direction, avec la même bonne conscience. Et les populations suivraient, car elles sont désormais habituées à suivre. Je le répète : on peut tout justifier idéologiquement. L’idéologie des droits de l’homme ne fait pas exception. Partant de là, je pense que le XXIe siècle dépassera en horreur tout ce que l’humanité a connu jusqu’ici. Songez seulement au futur combat contre le communisme chinois. Pour vaincre un pays aussi peuplé, ce n’est ni dix ni vingt mais peut-être cinq cent millions d’individus qu’il faudra éliminer. Avec le développement que connaît actuellement la machine de propagande ce chiffre est tout à fait atteignable. Au nom de la liberté et des droits de l’homme, évidemment. A moins qu’une nouvelle cause, non moins noble, sorte de quelque institution spécialisée en relations publiques.
V. L. : Ne pensez-vous pas que les hommes et les femmes peuvent avoir des opinions, voter, sanctionner par le vote ?
A. Z. : D’abord les gens votent déjà peu et voteront de moins en moins. Quant à l’opinion publique occidentale, elle est désormais conditionnée par les médias. Il n’y a qu’à voir le oui massif à la guerre du Kosovo. Songez donc à la guerre d’Espagne ! Les volontaires arrivaient du monde entier pour combattre dans un camp comme dans l’autre. Souvenez-vous de la guerre du Vietnam. Les gens sont désormais si conditionnés qu’ils ne réagissent plus que dans le sens voulu par l’appareil de propagande.
V. L. : L’URSS et la Yougoslavie étaient les pays les plus multiethniques du monde et pourtant ils ont été détruits. Voyez-vous un lien entre la destruction des pays multiethniques d’un côté et la propagande de la multiethnicité de l’autre ?
A. Z. : Le totalitarisme soviétique avait créé une vraie société multinationale et multiethnique. Ce sont les démocraties occidentales qui ont fait des efforts de propagande surhumains, à l’époque de la guerre froide, pour réveiller les nationalismes. Parce qu’elles voyaient dans l’éclatement de l’URSS le meilleur moyen de la détruire. Le même mécanisme a fonctionné en Yougoslavie. L’Allemagne a toujours voulu la mort de la Yougoslavie. Unie, elle aurait été plus difficile à vaincre. Le système occidental consiste à diviser pour mieux imposer sa loi à toutes les parties à la fois, et s’ériger en juge suprême. Il n’y a pas de raison pour qu’il ne soit pas appliqué à la Chine. Elle pourrait être divisée, en dizaines d’États.
V. L. : La Chine et l’Inde ont protesté de concert contre les bombardements de la Yougoslavie. Pourraient-elles éventuellement constituer un pôle de résistance ? Deux milliards d’individus, ce n’est pas rien !
A. Z. : La puissance militaire et les capacités techniques de l’Occident sont sans commune mesure avec les moyens de ces deux pays.
V. L. : Parce que les performances du matériel de guerre américain en Yougoslavie vous ont impressionné ?
A. Z. : Ce n’est pas le problème. Si la décision avait été prise, la Serbie aurait cessé d’exister en quelques heures. Les dirigeants du Nouvel ordre mondial ont apparemment choisi la stratégie de la violence permanente. Les conflits locaux vont se succéder pour être arrêtés par la machine de "guerre pacifique" que nous venons de voir à l’oeuvre. Cela peut, en effet, être une technique de management planétaire. L’Occident contrôle la majeure partie des ressources naturelles mondiales. Ses ressources intellectuelles sont des millions de fois supérieures à celles du reste de la planète. C’est cette écrasante supériorité qui détermine sa domination technique, artistique, médiatique, informatique, scientifique dont découlent toutes les autres formes de domination. Tout serait simple s’il suffisait de conquérir le monde. Mais il faut encore le diriger. C’est cette question fondamentale que les Américains essaient maintenant de résoudre. C’est cela qui rend "incompréhensibles" certaines actions de la "communauté internationale". Pourquoi Saddam est-il toujours là ? Pourquoi Karadzic n’est-il toujours pas arrêté ? Voyez-vous, à l’époque du Christ, nous étions peut-être cent millions sur l’ensemble du globe. Aujourd’hui, le Nigeria compte presqu’autant d’habitants ! Le milliard d’Occidentaux et assimilés va diriger le reste du monde. Mais ce milliard devra être dirigé à son tour. Il faudra probablement deux cent millions de personnes pour diriger le monde occidental. Il faut les sélectionner, les former. Voilà pourquoi la Chine est condamnée à l’échec dans sa lutte contre l’hégémonie occidentale. Ce pays sous-administré n’a ni les capacités économiques ni les ressources intellectuelles pour mettre en place un appareil de direction efficace, composé de quelque trois cent millions d’individus. Seul l’Occident est capable de résoudre les problèmes de management à l’échelle de la planète. Cela se met déjà en place. Les centaines de milliers d’Occidentaux se trouvant dans les anciens pays communistes, en Russie par exemple, occupent dans leur écrasante majorité des postes de direction. La démocratie totalitaire sera aussi une démocratie coloniale.
V. L. : Pour Marx, la colonisation était civilisatrice. Pourquoi ne le serait-elle pas à nouveau ?
A. Z. : Pourquoi pas, en effet ? Mais pas pour tout le monde. Quel est l’apport des Indiens d’Amérique à la civilisation ? Il est presque nul, car ils ont été exterminés, écrasés. Voyez maintenant l’apport des Russes ! L’Occident se méfiait d’ailleurs moins de la puissance militaire soviétique que de son potentiel intellectuel, artistique, sportif. Parce qu’il dénotait une extraordinaire vitalité. Or c’est la première chose à détruire chez un ennemi. Et c’est ce qui a été fait. La science russe dépend aujourd’hui des financements américains. Et elle est dans un état pitoyable, car ces derniers n’ont aucun intérêt à financer des concurrents. Ils préfèrent faire travailler les savants russes aux USA. Le cinéma soviétique a été lui aussi détruit et remplacé par le cinéma américain. En littérature, c’est la même chose. La domination mondiale s’exprime, avant tout, par le diktat intellectuel ou culturel si vous préférez. Voilà pourquoi les Américains s’acharnent, depuis des décennies, à baisser le niveau culturel et intellectuel du monde : ils veulent le ramener au leur pour pouvoir exercer ce diktat.
V. L. : Mais cette domination, ne serait-elle pas, après tout, un bien pour l’humanité ?
A. Z. : Ceux qui vivront dans dix générations pourront effectivement dire que les choses se sont faites pour le bien de l’humanité, autrement dit pour leur bien à eux. Mais qu’en est-il du Russe ou du Français qui vit aujourd’hui ? Peut-il se réjouir s’il sait que l’avenir de son peuple pourrait être celui des Indiens d’Amérique ? Le terme d’Humanité est une abstraction. Dans la vie réelle il y a des Russes, des Français, des Serbes, etc. Or si les choses continuent comme elles sont parties, les peuples qui ont fait notre civilisation, je pense avant tout aux peuples latins, vont progressivement disparaître. L’Europe occidentale est submergée par une marée d’étrangers. Nous n’en avons pas encore parlé, mais ce n’est ni le fruit du hasard, ni celui de mouvements prétendument incontrôlables. Le but est de créer en Europe une situation semblable à celle des États-Unis. Savoir que l’humanité va être heureuse, mais sans Français, ne devrait pas tellement réjouir les Français actuels. Après tout, laisser sur terre un nombre limité de gens qui vivraient comme au Paradis, pourrait être un projet rationnel. Ceux-là penseraient d’ailleurs sûrement que leur bonheur est l’aboutissement de la marche de l’histoire. Non, il n’est de vie que celle que nous et les nôtres vivons aujourd’hui.
V. L. : Le système soviétique était inefficace. Les sociétés totalitaires sont-elles toutes condamnées à l’inefficacité ?
A. Z. : Qu’est-ce que l’efficacité ? Aux États-Unis, les sommes dépensées pour maigrir dépassent le budget de la Russie. Et pourtant le nombre des gros augmente. Il y a des dizaines d’exemples de cet ordre.
V. L. : Peut-on dire que l’Occident vit actuellement une radicalisation qui porte les germes de sa propre destruction ?
A. Z. : Le nazisme a été détruit dans une guerre totale. Le système soviétique était jeune et vigoureux. Il aurait continué à vivre s’il n’avait pas été combattu de l’extérieur. Les systèmes sociaux ne s’autodétruisent pas. Seule une force extérieure peut anéantir un système social. Comme seul un obstacle peut empêcher une boule de rouler. Je pourrais le démontrer comme on démontre un théorème. Actuellement, nous sommes dominés par un pays disposant d’une supériorité économique et militaire écrasante. Le Nouvel ordre mondial se veut unipolaire. Si le gouvernement supranational y parvenait, n’ayant aucun ennemi extérieur, ce système social unique pourrait exister jusqu’à la fin des temps. Un homme seul peut être détruit par ses propres maladies. Mais un groupe, même restreint, aura déjà tendance à se survivre par la reproduction. Imaginez un système social composé de milliards d’individus ! Ses possibilités de repérer et d’arrêter les phénomènes autodestructeurs seront infinies. Le processus d’uniformisation du monde ne peut être arrêté dans l’avenir prévisible. Car le totalitarisme démocratique est la dernière phase de l’évolution de la société occidentale, évolution commencée à la Renaissance.

Se incheie o epoca

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”Dragi colegi,
Dacă îmi iau totuși din timp pentru a comite rândurile de mai jos, într-un ceas în care timpul a devenit tot mai prețios pentru mine, e pentru că au rămas lucruri nespuse și care merită măcar o dată spuse până la capăt. Ceea ce mi-ați permis să spun vineri la sfârșitul întâlnirii noastre se cere rotunjit și completat.
Am afirmat atunci că supraviețuirea Grupului trebuie judecată după patru criterii: ideologic, administrativ, psihologic și etic. Despre criteriul ideologic a vorbit Horia pe larg la început. Într-adevăr, față de momentul întemeierii GDS și față de prima decadă de existență, astăzi nu ne mai unesc în mod spontan aceleași valori.
Am mai declarat, cu ocazia unei discuții „distante” cu Ionel Vianu în marginea statuii de la Trier că, dacă în ᾽89-᾽90 aș fi știut că urmează să intru într-un Grup în care mi se va explica cândva „importanța culturală” a lui Marx – adică a celui care a instilat în mentalul omenirii URA IMPERSONALĂ și necesitatea exterminării prin vini colective (ceea ce Lenin și urmașii lui de pretutindeni au pus în practică printr-o metodologie a crimei pe categorii umane) –, n-aș fi pus piciorul în GDS.
Dacă nu mă înșală memoria, în același context, Andrei Cornea ne-a explicat că nu putem trece peste o personalitate de asemenea rang, care face parte din marea cultură a Europei. Eu sunt de acord că face, dar face din cultura crimei și a întemeierii ei ideologice. Nu vi se pare ciudat că există oameni care dezvelesc pios „statuia chinezească” (ce bătaie de joc! sub Mao, chinezii au avut la activ 60 de milioane de morți) a unui personaj ce a făcut un rău infinit omenirii și că nu puțini sunt cei ce-o aplaudă?
Despre criteriul administrativ am vorbit pe larg la ședința din 14 mai a.c., reieșind atunci că GDS, în calitate de promotor al legalității și transparenței în România, fusese incapabil să absoarbă propriile lui exigențe în practica sa de funcționare. (Amintesc cu această ocazie că dna avocat Nicoleta Popescu n-a avut niciodată contract de colaborare cu Grupul, ci a răspuns doar unor solicitări pe spețe separate. Prin urmare, ideea de a o face răspunzătoare pentru haosul juridico-administrativ care ne-a însoțit de-a lungul anilor nu are nici o acoperire.)
Nimeni din vechiul comitet director n-a părut să simtă atunci nici măcar furnicătura vreunei căințe. Cu toții, deși se aflau în offside, s-au apărat cu o anume „ferocitate”, care a culminat cu replica memorabilă adresată lui Cristian Preda de Andrei Cornea: „OK, și-acum ce vreți? Să ne tăiați capul?”.
Nu, desigur, dar am fi meritat o explicație cât de mică, Andrei, despre cum de s-a ajuns, de pildă, să-i puneți în brațe cârciumei Macondo toată clădirea sediului nostru din Calea Victoriei. Toată! De fapt doar 95% din suprafața ei, căci camera secretariatului lui Tibi Czink n-a devenit încă bucătărie. (Când abordăm acest subiect, Magda devine nervoasă.)
În sfârșit, una peste alta, să dați toată clădirea, chiar și istorica sală de întâlniri a Grupului, bântuită de fantomele glorioase ale trecutului, înecate acum în miros de ciorbe și fripturi. (Am admirat, și în acest caz, replica plină de înțelepciune a lui Andrei, care ne-a explicat că e mai bine să suportăm parfum de mici decât să stăm cu mâna întinsă la nu știu ce partid. Să sperăm că acum, ales președinte, Andrei va negocia cu Macondo și poate se va îndura de GDS să-i dea sala de întâlniri înapoi.) Evident, tot ce s-a obținut la capătul acestor discuții a fost un soi de ură îndârjită la adresa celui care stârnise discuția.
Nu vă ascund că vineri, pe 20 septembrie a.c., la Adunarea pentru alegerea noului președinte al Grupului, m-am așteptat ca Andrei, după ce fusese propus, având încă proaspete în minte urmele trecerii sale păguboase prin vechiul comitet, într-un moment de onestitate, să se recuze.
Nu făcuse el oare parte din acel Conciliu care nu ținuse adunările generale cu anii, care nu-i radiase pe cei morți dintre cei vii, care-i lăsase pe membrii nou primiți în Grup să-și plătească cotizația și să voteze diverse hotărâri fără să fi fost înregistrați la judecătorie?
După toate năzbâtiile astea, președinta Grupului ar fi trebuit să fie exclusă din Grup, iar ceilați membri, printre care și Andrei, se cuvenea – minimă sancțiune – să nu mai fie eligibili într-un for de conducere. Andrei însă nu s-a recuzat, iar între timp, de vineri începând, el s-a dovedit a fi – împotriva faptelor dar potrivit votului – persoana cea mai calificată pentru actuala funcție de președinte al GDS. Așa o fi. Eu însă continui să mă îndoiesc că excepționala lui activitate publicistică la 22, stângăciile de comunicare și palmaresul de până acum în vechiul comitet director au vreo legătură cu abilitățile manageriale cerute de funcție.
Mă uitam consternat, din vizaviul lui, la bucuria de copil mare cu care a primit vestea. Îmi venea să-i strig: „Trezește-te, filozofule! Ai să ajungi să cari în spate, ca în povestea lui Zimmer, un cadavru pe care nu ai să fi în stare să-l învii!” Însă nu dădea semne că ceva din meseria de filozof ar fi trecut în metabolismul lui. Nimic nu părea să fi pus în acord exigențele rațiunii practice (învățate măcar din traducerea lui Platon) cu viața lui pur și simplu.
Parfumul unei funcții răscoapte, gâdilătura unei puteri de doi bani și a unei vanități pe măsură îl schimbaseră la față (în rău) pe cel pe care-l socotisem unul dintre primii umaniști ai țării. Desigur, ne înclinăm în fața majorității și așteptăm miraculoasa lui metanoie administrativă.
Despre criteriul psihologic am adus vorba în treacăt vineri, spunând că, din pricina vanității și a eului gonflat dificil de ținut în frâu, caracteristice intelectualului umanist, e tare greu de pus laolaltă inși de tipul nostru înlăuntrul unui proiect politico-social, de vreme ce, ca indivizi, vom sta necontenit, îndrăgostiți, cu eul nostru în brațe. De aceea, cauza comună pe care ne-am propus s-o slujim va rămâne mai tot timpul în planul doi. Mai ales când în prim plan apare deriva morală.
Și astfel ajung la criteriul etic. Aici – și în criteriul ideologic filtrat prost prin cel etic – se află hiba care a dus la dispariția GDS în forma în care a fost el inițial gândit. Politețea și colegialitatea, invocate în ultima vreme pentru a nu deteriora atmosfera Grupului și dulcea legănare pe valul lui „merge oricum”, sunt, desigur, elemente importante într-o adunare de oameni binecrescuți. Dar ambele au o limită.
Limita aceasta este adevărul despre noi și nevoia de a drege lucrurile stricate pe parcurs; chestiuni delicate, greu de acceptat și făcut, pentru că adevărurile sunt uneori extrem de incomode. Dar a nu le lua în seamă și a nu avea curajul de a le rosti ne fac să semănăm cu un bolnav care refuză să se ducă la medic, așteptând, politicos și „colegial”, să moară. În acest punct ne aflăm.
Voi trece așadar în revistă (așa cum am făcut-o și la întâlnirea din 14 mai a.c., devenind odios) câteva dintre aceste adevăruri incomode care, trecute sub tăcere, ar face să plutească deasupra noastră o rușinoasă vină colectivă. Nerostite, ele vor duce – ce spun eu? au dus deja – la neonorabila dispariție a ceea ce s-a vrut cândva un reper de inteligență și moralitate a societății române. Nu-mi fac iluzii că ceva din ce vă spun acum vă va mișca în vreun fel. Însuși tonul meu (rechizitorial și moralist) mă condamnă, așa încât nu mă îndoiesc că, după o lungă și dureroasă agonie, Grupul va muri astupându-și urechile.
Încep cu criteriile de primire în Grup. Au fost enunțate impecabil de Andrei Pleșu în scrisoarea din 2012 (o reanexez la capătul scrisorii mele) prin care spunea Grupului „adio”. Nimeni nu le-a luat de-atunci în seamă. Faptul că se va găsi oricând vreun prostănac care să le declare revolute (ca și cum morala lumii se schimbă o dată la opt ani!) n-are nici o importanță.
Ele sunt criterii de adecvare (recte neadecvare) de apartenență la Grup. Fără asemenea criterii, substanța Grupului se diluează, virând lucrurile către coterie și port de insignă. Nu credeți oare că Grupul se va destrăma de la sine dacă în el sunt admise persoane fără nici o relevanță civică, necoapte la minte, când nu de-a dreptul nocive? Am îngropat deja sub politețea noastră – cu gândul să nu ne contrariem colegii, nu întotdeauna inspirați în propunerea de noi membri – o grămadă de lucruri neplăcute care ne făceau, acceptându-le, să tresărim pe tăcute.
Așa se face că, încet-încet, am reușit să coborâm politețea la nivel de imoralitate. Căci din politețe și colegialitate am închis ochii când unii dintre noi își aduceau în Grup iubite, neveste, fii, nepoți, prieteni irelevanți sau persoane de care depindea un contract prelungit dincolo de vârsta pensionării.
În clipa de față avem în Grup chiar o întreagă familie, familia Vianu-Alexandrescu: tatăl, Ionel Vianu (demisionat în urmă cu un an pentru că punctul lui de vedere nu a întrunit acordul unanim într-o mică dezbatere online), fiul (Ștefan), nepotul (Vlad) – cei doi, așadar, sunt veri primari – și soția nepotului (Raluca).
N-ar fi nimic dacă, prin jocul fericit al hazardului, am avea de-a face cu un clan hăruit integral cu vocație civică. Din păcate lucrurile stau exact pe dos: cu excepția lui Ionel Vianu, ceilalți membri ai clanului nu acoperă „criteriile Pleșu”, răstălmăcite și contestate vehement la ultima noastră întâlnire de Vlad Alexandrescu, devenit faimos în ultimele săptămâni printre noi pentru că, podidit de admirație de sine și otrăvit de bietul său eu, s-a autointitulat „membru marcant al opoziției”.
Raluca, soția lui, este o încântătoare și grațioasă doamnă, care scrie articole citibile pe sărite și a cărei relevanță publică e nesemnificativă. Are meritul, deloc neglijabil că, în adunările Grupului, păstrează tăcerea. Lui Ștefan, având și el micile neajunsuri ale verișoarei prin alianță, îi lipsește în schimb această calitate: e gureș, și decibelii pe care-i emite la fiecare luare intempestivă de cuvânt pun la grea încercare neuronii celor de față.
Ca să nu mai spun că, repezit cum e, scoate nu de puține ori pe gură prostii („Păi să votăm, să votăm pe loc, că eu cred că nimeni de aici nu are ceva împotrivă ca președintele Grupului să primească indemnizație!” Ba eu am, dragă Ștefan, căci nici un membru al GDS nu-și face meseria de cetățean pe bani, ca revoluționarii lui Iliescu. Și-apoi de unde să primească? Din cotizația membrilor de 100 de lei pe an?)
Despre membrul-marcant-Vlad-Alexandrescu s-ar putea scrie un eseu. Sau un roman despre un Dinu Păturică al vremilor noastre. (Vă mai amintiți cum îl introduce Filimon în scenă? „… avea un nas cam ridicat în sus, ce-i indica ambiția și mândria grosolană”.) Ceva îmi spune, pornind de la felul în care se poartă (pus pe harțag, zâzanii și obrăznicii), că de la el se va trage destrămarea Grupului. El, și complezența iresponsabilă a câtorva dintre noi, întrețin aprins focul dihoniei.
Căci dihonia a pătruns în Grup la ședința din luna mai, nu atât din pricina urletului meu exasperat din deschidere, cât zădărelii și comediei juridice pe care a jucat-o de față cu toți Neo-Păturică, explicându-ne, cu competența lui juridică de doi bani, că avem cvorum, când de fapt nu aveam, că membrii neînregistrați sunt membri cu drepturi depline, când de fapt nu erau, că ce dacă nu ne-am ținut adunările generale de ani de zile… Pe scurt, sabotând exigența de legalitate a Grupului.
Acest mic contorsionist, ajuns și în organul legislativ al țării a cărui menire este de a cântări și vota legi bune, ne explica de zor că noi, gedesiștii, suntem mai presus de reguli și de „stupida birocrație”. (Ce strategie vicleană are! Face câteva lucruri bune – Copiii lui Irod, organizarea unei vizite cu colegii useriști la arhivele CNSAS – iar apoi, la adăpostul unui capital public astfel câștigat, își eliberează în cerc restrâns veninurile.)
Trec peste prestația „membrului marcant” din vremea ministeriatului cultural, terminat în scandalul legat de negocierea cu succesorii Cumințeniei Pământului a lui Brâncuși și cu zavera de la Operă. Dacă mai țineți minte, după ce a fost demis din guvernul Cioloș, ne-a adresat o scrisoare de justificare (de fapt, scrisoarea nu ne privea defel), ajunsă apoi în mod miraculos, prin trambulina Grupului, în toată presa. (Cine oare dintre noi o fi trimis-o? Cine oare?)
Trec și peste obrăzniciile marcantului membru.

Obrăznicia fiind, după cum știe toată lumea, „acel ceva” practicat prin adresarea de jos în sus, prin vorbirea și purtarea celui care înlocuiește respectul cuvenit cu mojicia și injuria. În mod normal, obraznicul este sancționat ca obraznic de cei din jur și pus în banca lui.
Ceea ce la noi nu s-a întâmplat. Trec, așadar, și peste faptul că bravii mei colegi din comitetul director nu s-au grăbit să-l pună la punct pe „marcantul membru” pentru felul în care se sumețea la unul sau altul dintre noi. Trec peste toate acestea ca fiind manifestările „originale” ale unui ins care, când a fost primit în Grup, nu părea dus în halul ăsta cu pluta trufiei. Și mă opresc la cei care i-au îngăduit și îi îngăduie în molcomă tăcere alaiul de bădărănii. Și mă întreb (ca Elena Udrea pe vremuri): unde oare ne erau bărbații din Grup, care au asistat în liniște la felul în care „membrul marcant” a adresat mojicii unor doamne, mai întâi „în plen” și continuate apoi în varianta epistolară pe site-ul Grupului?
De ce nici măcar feministele noastre de serviciu nu au reacționat? De ce nu ai sărit, Magda, să le aperi?
Dragi colegi, nu credeți că ne lipsește un consiliu etic menit să judece aceste derapaje dezgustătoare? Uneori, în aparență, fleacuri. Căci pare un fleac să-ți promovezi isprăvile culturale pe site-ul Grupului sau să aduci în Grup un personaj care, în scandalul cu concursurile dedicate de la Filozofie, face elogiul impostorilor din facultate cu gândul că dl. rector (ca membru al Grupului pe-atunci) va citi și va aprecia?

De fapt, ce-am vrut să spun, se rezumă la un singur lucru: Grupul pentru Dialog Social și-a pierdut idealitatea. El s-a născut, cel puțin în mintea câtorva dintre noi, în jurul unor valori care treceau dincolo de ideologii și partide, pe acestea urmând doar să le modeleze. În dorința noastră de a ne spăla de jegul moral în care trăiserăm înainte de 1990, am vrut să umplem vidul lăsat în urmă de căderea comunismului, nu pornind de la împărţirea între „dreapta“ şi „stânga“, ci de la împărţirea între adevăr şi minciună. Și asta pentru că o gândire politică de anvergură nu e, în miezul ei, de dreapta sau de stânga, ci e doar inteligentă, adevărată şi dreaptă.
Credeam în vorba lui Ricoeur cum că „politicul prelungește eticul oferindu-i un spațiu de exercitare.“ Voiam, pe scurt, să suprimăm „prăpastia care separă idealismul moral de realismul politic“. Noi gândeam atunci – și eu, depășit de vremi, continui să gândesc așa – în categorii etice, cele care, vorba lui Horia, îți garantează claritatea morală. Numai în jurul clarității morale se naște idealitatea.
Or, din tot ce am descris mai sus, din felul în care acum ne mulțumim să jonglăm cu categoriile morale sau le băgăm sub preș, rezultă că idealitatea noastră a murit. Așa cum a ajuns să arate acum, Grupul nu mai beneficiază, statistic vorbind, de calitatea umană aptă să genereze un ideal. Astăzi i-a rămas să defileze în lume doar cu mica lui impostură civică. Din cauza asta, nu mai am ce căuta aici.
Îmi pare rău pentru cei pe care i-am îndemnat în ultima vreme să intre în GDS, oameni curați și „ființe alese”, cum îi plăcea lui Noica să spună, care ar fi garantat la o adică regenerarea Gupului. Cred însă că avem printre noi personaje atât de toxice, încât nu mai văd cu putință dregerea imaginii noastre publice doar cu o mână de oameni. De ce mi se pare tot mai mult că la noi tot ce începe nobil sfârșește în precar și degradare?
Închei aici. Mă despart de câteva decenii din viață cu tristețea cuvenită, dar și cu stenica senzație de liniște că am părăsit un loc urât. Plec plin de drag pentru cei care-mi vor rămâne prieteni și de azi înainte, adică de când am devenit – semnez! – un fost membru al Grupului pentru Dialog Social.
Gabriel Liiceanu
1 octombrie 2019

Context.
Grupul pentru Dialog Social s-a constituit la 31 decembrie 1989 și este prima organizație a societății civile constituită legal după căderea comunismului. ONG-ul și-a propus să apere și să promoveze valorile democrației, libertățile și drepturile omului, iar de-a lungul anilor a fost o voce importantă în semnalarea derapajelor democratice, organizând întâlniri, mese rotunde, simpozioane având ca teme conflictele sociale, inițiativele legislative, libertatea presei și a televiziunii, minorități, alegeri locale și generale, scrie Digi24.ro

Conform statutului, Grupul pentru Dialog Social își propune să fie un laborator în care economiști, politologi, istorici, juriști, sociologi, filosofi, urbaniști, scriitori, teologi etc să caute și să găsească împreună strategiile și soluțiile de care societatea românească are nevoie în prezent și în viitor. Membrii săi sunt personalități ale vieții culturale și publice din România, mulți dintre ei disidenți ai regimului comunist. Noii membri sunt aleși dintre personalitățile remarcate pentru desfășurarea unor activități în sensul dezideratelor GDS.

Discours de M. Jacques Chirac

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Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la question du choc des civilisations, les échanges et le dialogue entre les civilisations et cultures, la diversité culturelle, la mondialisation et le respect de l'autre, Paris le 15 octobre 2001.

CHIRAC Jacques,
21-26 minutes

Jacques Chirac has died aged 86
Personnalité, fonction : CHIRAC Jacques.
FRANCE. Président de la République
Circonstances : Ouverture de la 31ème conférence générale de l'UNESCO, à Paris, le 15 octobre 2001
Monsieur le Président de la République du Nigeria,
Madame la présidente de la Conférence générale,
Monsieur le directeur général de l'UNESCO,
Mesdames, messieurs,
A-t-on retenu toutes les leçons du XXe siècle ?
Telle est la question que beaucoup se posent aujourd'hui.
Avec la tragédie du 11 septembre dernier, c'est en effet une vision utopique du nouveau millénaire, comme temps de paix et de fin de l'histoire, qui a été touchée au coeur. D'aucuns avaient le sentiment que nous avions laissé dernière nous le siècle des deux guerres mondiales et de ses millions de morts, de la Shoah, du goulag et de tant d'autres massacres. Malgré les conflits qui continuaient d'ensanglanter notre planète, le siècle naissant était accueilli avec espoir et confiance. Espoir d'un monde libre et pacifié, avec la chute du Mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Espoir d'un monde meilleur où les progrès de la science, les vertus de l'éducation, la rapidité des communications apporteraient davantage de prospérité, de justice, de bonheur. Confiance dans les avancées de la démocratie et l'affirmation des solidarités.
La tragédie de New York, dont nous n'avons pas fini de mesurer les effets, est venue ébranler cet espoir et cette confiance. De plus en plus, nous entendons évoquer un choc des civilisations, qui marquerait le XXIe siècle, de même que le XIXe siècle a vu s'affronter les nationalités et le XXe les idéologies. Un choc de civilisations, présent et à venir, qui serait plus radical, plus violent, plus passionnel parce qu'il verrait s'affronter des cultures et des religions.
Ce discours qui se nourrit de toutes les peurs, il s'agit d'abord de le réfuter. Car l'adopter, c'est tomber dans le piège que nous tendent les terroristes, qui veulent soulever les hommes, culture contre culture, religion contre religion. Et si, devant l'horreur, les pays se rassemblent pour châtier les coupables, pour endiguer le terrorisme, c'est un combat pour l'homme, pour l'homme contre la barbarie.
A ce discours il s'agit surtout d'opposer une autre réalité, politique, morale, culturelle, une autre volonté : celle du respect, celle de l'échange, celle du dialogue de toutes les cultures, inséparable de l'affirmation claire et sans concession des valeurs qui nous font ce que nous sommes.
Votre Conférence générale, qui s'inscrit dans un moment de doutes et d'interrogations, est l'occasion de reposer certaines questions, d'apporter des réponses, d'exprimer des idéaux. Je suis heureux d'y faire entendre la voix de la France.
*
* *
Sans céder à la tentation d'un quelconque vertige, nous devons tous nous interroger, chacun pour notre part. Et aussitôt les questions fusent. Sommes-nous restés fidèles à nos propres cultures et aux valeurs qui les sous-tendent ? L'Occident a-t-il donné le sentiment d'imposer une culture dominante, essentiellement matérialiste, vécue comme agressive puisque la plus grande partie de l'humanité l'observe, la côtoie sans y avoir accès ? Est-ce que certains de nos grands débats culturels ne sont pas parfois apparus comme des débats de nantis, ethnocentrés, qui laissaient de côté les réalités sociales et spirituelles de ce qui n'était pas l'Occident ? Jusqu'où une civilisation peut-elle vouloir exporter ses valeurs ?
*
La réponse à cela, nous la vivons dans nos traditions, nous la sentons dans nos coeurs et dans notre raison, c'est le dialogue des cultures, gage de paix alors que le destin des peuples se mêle comme jamais. Un dialogue revivifié, renouvelé, réinventé, en prise sur le monde tel qu'il est.
Sur quels principes se fondera ce dialogue ?
Le premier, qui pourrait être inscrit au frontispice de l'UNESCO, c'est l'égale dignité de toutes les cultures, et leur vocation à s'interpénétrer et à s'enrichir les unes des autres. C'est tout à la fois une évidence, portée par toute l'histoire de l'humanité, histoire littéraire, artistique, architecturale. C'est aussi et surtout une grille de lecture du monde.
Que seraient l'architecture, la poésie ou les mathématiques sans la culture arabe, qui recueillit aussi les savoirs antiques, qui s'aventura bien loin de ses frontières quand l'Europe s'enfermait sur elle-même ?
Que serait la philosophie, sans l'obsession hindoue de la nature de l'être, sans son sens du rythme et des respirations ? Que serait l'art du XXe siècle, s'il n'avait été fécondé par l'Afrique et les peuples premiers ?
Que dire de l'Extrême-Orient, de sa recherche passionnée de l'harmonie, du geste juste, de son intuition de la tension des contraires comme source de l'élan vital ?
Que seraient le rêve de liberté et le respect dû à chaque homme sans la philosophie des lumières qui essaima de France au XVIIIe siècle à travers toute l'Europe, pour finalement traverser les océans ?
Que dire de l'apport essentiel des religions à la vie des hommes, lorsqu'elles les élèvent au-dessus de leur simple condition pour accéder à l'absolu ? Lorsqu'elles les éloignent de la haine et des égoïsmes, les rassemblent dans une communauté ouverte et généreuse ?
Certes, toutes les cultures ne se développent pas au même rythme. Elles connaissent des apogées et des déclins, des périodes de rayonnement et d'expansion comme des temps de silence et de repli. Pour autant, toutes continuent à vivre au présent dans notre mémoire collective. Elles construisent nos identités, nos raisons d'être. Elles apportent à nos vies la lumière et le plaisir, le chatoiement de la poésie et des beaux-arts, l'accès à la connaissance et à la transcendance. Elles s'attellent aussi à l'obscur, questionnent le mystère et l'énigme. Elles constituent ensemble, à égalité, la part de lumière, de progrès, d'exigence éthique de l'humanité.
Le deuxième de ces principes, inséparable de l'égale dignité des cultures, c'est la nécessité de la diversité culturelle. Il ne peut y avoir de dialogue entre l'un et son double au mépris de l'autre.
Cette diversité est menacée. Je pense aux différentes langues du monde qui sont aujourd'hui près de cinq mille. Nous savons qu'il en disparaîtra la moitié au cours de ce siècle si rien n'est fait pour leur sauvegarde. Je pense aux peuples premiers, ces minorités isolées aux cultures fragiles, souvent anéanties par le contact de nos civilisations modernes. Je pense bien sûr à l'habitat, aux modes de vie, aux coutumes, aux productions artisanales, culturelles, exposés à la standardisation, qui est l'un des avatars de la mondialisation.
Qu'on ne s'y trompe pas. Je ne suis pas de ceux qui magnifient le passé et qui voient dans la mondialisation la source de tous nos maux. Il n'y avait pas, hier, un admirable respect des cultures, et il n'y a pas, de nos jours, une affreuse volonté d'hégémonisme. Qu'on se souvienne seulement des conquêtes et des colonisations qui, trop souvent, cherchaient à imposer par la force, force des armes ou pressions de toutes natures, et en parfaite bonne conscience, des croyances et des systèmes de pensée étrangers aux peuples colonisés.
Aujourd'hui, la mondialisation est souvent présentée comme une nouvelle forme de colonisation, visant à installer partout le même rapport, ou la même absence de rapport, à l'histoire, aux hommes et aux Dieux.
La réalité est plus complexe. Si tant est que l'on puisse qualifier la mondialisation de " bonne " ou de " mauvaise ", car cela lui confère une dimension morale, des intentions, des projets alors qu'elle n'a que des objets, il n'en demeure pas moins qu'il y a un bon et un mauvais usage de la mondialisation. Bon si ce qui est mis en commun, ce qui circule, ce qui modèle les consciences, c'est l'information, la connaissance, le progrès, la compréhension de l'autre, le partage de valeurs comme de richesses. Mauvais au contraire si elle est synonyme d'uniformisation, de formatage, de réduction au plus petit commun dénominateur, ou encore de primauté de la seule loi du marché, oublieuse de cette culture humaniste, dont l'essence même est de rassembler autour de principes éthiques.
La réponse à la mondialisation-laminoir des cultures, c'est la diversité culturelle. Une diversité fondée sur la conviction que chaque peuple a un message singulier à délivrer au monde, que chaque peuple peut enrichir l'humanité en apportant sa part de beauté et de vérité.
L'UNESCO s'honore de préparer une déclaration universelle, premier pas vers une convention établissant en droit la particularité du fait culturel. La France, depuis longtemps engagée dans ce combat, appelle à l'adoption rapide de ce texte, main tendue à tous ceux qui veulent défendre leur identité. Contre l'assimilation des oeuvres de l'esprit à des biens commerciaux, elle affirmera qu'il est légitime de les protéger, de les soutenir, de favoriser l'expression des créateurs et l'accès du plus large public à leurs oeuvres.
Mais au-delà des textes et des engagements, la défense de la diversité doit faire l'objet de programmes concrets. Programmes de soutien aux projets culturels, à l'installation d'espaces ouverts où peuvent être présentés oeuvres, spectacles, créations qui reflètent et inventent l'âme des peuples. Programmes centrés sur les nouvelles technologies, porteuses de tant de promesses, et de tant de frustrations. Grâce à elles, chacun a accès comme jamais à la polyphonie des cultures du monde. Chacun peut désormais faire entendre sa voix. A condition d'en avoir les moyens. A condition que la toile et le satellite ne soient pas le monopole de fait du monde occidental et en son sein d'une langue seulement. Je souhaite que l'UNESCO prenne à bras le corps la menace du fossé numérique.
*
Ce dialogue, comment l'instaurer ? Comment le rendre possible ?
La première urgence, parce que rien n'est plus contraire au dialogue que le sentiment d'injustice, c'est d'introduire plus de justice, plus de solidarité, plus d'attention aux hommes et à leurs questions dans le mouvement du monde.
Si j'évoquais la réalité contrastée de la mondialisation, il n'en demeure pas moins qu'elle suscite bien des inquiétudes. Nombreux sont les peuples qui craignent d'être les laissés pour compte de ce grand mouvement mondial. Nombreux sont ceux qui redoutent d'y perdre leur âme et la maîtrise de leur destinée, comme en témoignent les manifestations qui ponctuent les réunions internationales.
Ces craintes ne naissent pas du néant. Elles sont le signe qu'un monde nouveau se fait jour. Multiplication des échanges, qui bouleversent la notion de pays, de frontière. Primat de l'économie, avec l'accroissement des richesses et des inégalités. Pression sur les ressources naturelles, si forte que la nature ne parvient plus à en assurer la reconstitution. Révolution culturelle liée à la nouvelle société de l'information. Progrès des biotechnologies, qui nous donnent accès aux secrets de la vie. Devant ces perspectives, les unes enthousiasmantes, les autres troublantes, des réponses fortes sont attendues. Si chacun comprend que cette réponse ne saurait être le repli frileux sur soi-même, chacun a également conscience qu'il ne saurait être question de livrer le monde aux seules forces du marché. Le devoir des politiques et de tous les responsables est donc de civiliser la mondialisation, de faire prévaloir l'intérêt des hommes, de tous les hommes.
D'où l'importance de ne pas laisser se développer le non-droit et ses dérives. Je pense à l'Internet, cet extraordinaire instrument de connaissance mutuelle et de dialogue. Il a besoin d'une régulation éthique autant que de règles techniques. Nulle enceinte universelle n'est aujourd'hui organisée pour réfléchir sur la liberté d'expression et ses limites, sur l'équilibre entre le droit à la diffusion des oeuvres et le respect des auteurs, sur la protection de la vie privée et surtout sur la protection de l'enfance. Il serait conforme à sa vocation que l'Unesco soit cet espace de réflexion.
Je pense également aux avancées scientifiques. Alors que se profile la menace du clonage humain reproductif ; alors que monte le débat sur l'euthanasie ; alors que se pose avec acuité la question des expérimentations médicales dans les pays du sud ; alors que s'amorce un autre débat sur la propriété des ressources génétiques, c'est vers l'ONU que doit se tourner la communauté internationale. C'est dans cet esprit que j'ai appelé à la mise en chantier d'une convention mondiale sur la bioéthique et à la création, autour du Secrétaire Général de l'ONU, d'un Comité mondial d'Ethique. Forte de son expérience, l'UNESCO doit rester au coeur de cet effort.
Faire prévaloir l'intérêt des hommes, c'est aussi, c'est surtout s'attaquer vraiment à certaines fractures, de plus en plus insupportables.
Fracture entre le Nord et le Sud. Aujourd'hui, plus du tiers de l'humanité vit dans la pauvreté, une pauvreté qui ira s'aggravant si les pays riches continuent à ne pas assumer leurs responsabilités en matière d'aide au développement. Une aide qui doit être accompagnée afin de ne pas être détournée de ses objectifs. Une aide qui doit être adaptée au terrain, aux attentes, aux identités des hommes et des femmes qui la reçoivent.
Fracture face à l'éducation, qui est l'une des grandes priorités de l'UNESCO. Force est de reconnaître que dans ce domaine crucial pour le progrès et l'émancipation des peuples, beaucoup reste à faire. L'alphabétisation progresse trop lentement. Dans certains pays, elle recule même, sous l'effet des conflits, de la misère et du sida. Et l'on voit s'amplifier la fuite des cerveaux du Sud vers les pays industrialisés.
Dans des régions entières, les filles sont interdites d'école, déni au droit le plus élémentaire, celui d'apprendre, désastre pour le développement. Dans le drame afghan, le sort réservé aux femmes, enfermées, privées de tous les droits et notamment de tout accès au savoir, occupe une place centrale. Il témoigne de l'obscurantisme des Taliban mais il assure aussi leur emprise sur le peuple : éduquer les femmes, c'est permettre à toute la société de se libérer et de progresser.
Il faut donc nous mobiliser pour combattre la pauvreté et promouvoir l'éducation dans le monde, l'éducation qui permet de comprendre l'autre. Il faut le faire au nom de la solidarité, au nom de la justice, mais aussi au nom de la raison. S'il est faux et dangereux d'établir un lien direct entre le terrorisme et la misère, chacun voit bien qu'il y a un enchaînement entre le terrorisme et le fanatisme, un fanatisme qui prospère sur le terreau de l'ignorance, des humiliations, des frustrations, de la misère. A l'heure où les communications rétrécissent la planète, à l'heure où les images, partout diffusées, donnent à voir sans toujours donner à comprendre, suscitant colère, rejet ou convoitise, c'est à une profonde prise de conscience et à une action d'envergure que nous sommes conviés. Introduire davantage de justice et d'équité dans la mondialisation, c'est rendre possible le dialogue des peuples, c'est préparer notre avenir commun.
Mais le dialogue des peuples et des cultures porte en lui-même d'autres exigences, d'autres ambitions, d'autres générosités. Il suppose tout à la fois le respect de l'autre. La lucidité sur soi. Le respect de soi.
Respecter l'autre, c'est d'abord le connaître, afin justement de ne pas le percevoir comme radicalement autre, sans aucune identification possible, trait commun de toutes les démarches totalitaires. Dans cette découverte mutuelle, les nouveaux moyens de communication qui nous font spectateurs, témoins, interlocuteurs directs de l'autre, sont appelés à jouer un grand rôle, de même que les échanges de toutes natures, notamment universitaires.
Respecter l'autre, c'est ensuite l'écouter, travailler avec lui et ne pas décider à sa place. En 1952 déjà, dans cette même enceinte, Claude Lévi-Strauss exprimait de façon magistrale la nécessaire collaboration des cultures et des civilisations.
Il s'agit d'associer enfin toutes les nations aux décisions concernant la gestion des biens publics mondiaux. Il s'agit d'organiser la concertation avec la société civile internationale que l'on voit émerger. Il s'agit de consolider ces regroupements de pays qui forment des coalitions naturelles, unions régionales, ou encore unions linguistiques qui transcendent les frontières, telle la Francophonie née d'une langue en partage. C'est ainsi que pourra se construire un monde vraiment multipolaire. C'est ainsi qu'émergeront des interlocuteurs nouveaux, représentatifs de peuples et de cultures, susceptibles de prendre toute leur place dans un dialogue équilibré et respectueux de chacun.
Respecter l'autre, c'est le considérer comme le contraire de l'autre, ce qui est à la fois le plus évident et le plus difficile. Nous vivons dans des sociétés ouvertes et multiples, où l'autre est notre voisin, notre double, prenant tantôt le visage de la différence, tantôt celui de la ressemblance. Avec cet autre là, il faut inventer les règles de la vie ensemble. Nulle réponse toute faite ne conviendra. C'est à un immense défi que sont confrontées toutes nos sociétés.
Il requiert ouverture d'esprit, confiance, imagination, mais aussi esprit de responsabilité, force d'âme et fermeté, afin de résister à tout ce qui peut mettre en cause la liberté et les droits de la personne.
Il requiert amour, mais aussi que chacun ait conscience de ses devoirs à l'égard de tous. Pour que toutes les convictions, toutes les opinions, toutes les religions puissent coexister. Pour que jamais ne soit porté atteinte à la cohésion de nos sociétés. Et pour que soient respectées et partagées les valeurs de liberté et de tolérance sans lesquelles la vie en commun deviendrait impossible.
Lucidité sur soi. Le dialogue des cultures doit être conduit avec clairvoyance et humilité, car son pire ennemi est l'arrogance. Chaque civilisation et chaque peuple peut et doit être fier de ce qu'il a accompli et donné au monde. Chacune et chacun doit aussi mesurer ses parts d'ombre. Que dire en effet des crimes dont les civilisations sont capables et dont aucune n'a fait l'économie ? Toutes, à un moment ou à un autre de leur histoire, ont laissé parler l'intolérance, le mépris, la haine. Toutes, à un moment de leur histoire, ont cherché à rabaisser voire à nier l'humanité de l'autre.
C'est pourquoi chaque culture, chaque religion doit mener sur elle-même un travail critique. Le courage de la mémoire, les actes de repentance sont un pas dans cette voie : devoir de toute civilisation, de toute société, de toute religion. Dans ce domaine essentiel qui est celui du regard que l'on porte sur soi, beaucoup reste à accomplir. Quelques jours à peine avant les attentats de Manhattan, la Conférence de Durban démontrait que ce travail lucide sur soi-même était encore balbutiant, et qu'il était parfois rejeté au profit de la désignation d'un coupable unique. Sortir de la logique du bouc émissaire est bien l'une des conditions du dialogue des cultures.
Respect de soi, enfin. Il faut s'aimer soi-même pour parler avec l'autre. Il faut se sentir sûr de ses propres valeurs, de ses propres idéaux, pour fonder un dialogue riche, constructif.
Veillons à ce que nos sociétés développées soient capables de proposer autre chose que des biens matériels. Veillons à ce qu'elles ne donnent pas le sentiment que tout se vaut, que tout est égal à tout, que rien ne vaut la peine d'être défendu.
Ainsi, en France, ne craignons pas d'affirmer avec force ce que nous sommes : un peuple épris de liberté, de fraternité et d'égalité. Un peuple laïque mais respectueux des religions, et marqué par son histoire religieuse. Un peuple porteur d'un message. Message fondé sur une certaine idée de la femme, de l'homme, de leurs droits, de leur dignité, de leur liberté. Message fondé sur la défense du modèle et des principes démocratiques.
Ne craignons pas d'affirmer l'existence d'une éthique universelle, celle qui inspire la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Contrairement à ce que prétendent les ennemis de la liberté et les fanatiques de tous horizons, cette éthique n'est pas un modèle occidental, cheval de Troie de civilisations honnies. Elle est un humanisme. Elle est de tous les peuples, de toutes les nations, de toutes les religions, car aucune religion ne s'est construite sur l'anéantissement des hommes, leur indifférenciation, le refus de les voir accéder au beau et au bien. Plus que jamais, nous devons la défendre, la faire vivre, assumer sa valeur universelle. Affirmer cette universalité, c'est souligner la solidarité qui unit tous les hommes. C'est proclamer que chaque femme, chaque homme, chaque enfant a des droits imprescriptibles. C'est chercher dans chaque civilisation l'expression d'un idéal commun. C'est reconnaître que la vérité s'exprime en une infinité de langues. Il n'y a aucune contradiction entre une éthique universelle et la diversité des cultures, parce que le respect des cultures participe de cet humanisme que nous appelons de nos voeux.
Telles sont les valeurs sur lesquelles nous ne saurions transiger. Le dialogue n'est pas renoncement à soi mais explication de soi, proposition de soi à l'autre. C'est ainsi qu'il est enrichissement mutuel.
*
* *
Mesdames, Messieurs,
Quelque part en Afrique de l'Est, voici plusieurs millions d'années, notre ancêtre commun s'est levé et a décidé de partir à la conquête de l'inconnu.
Au gré de ses errances, les peuples et les cultures sont nés. La même aventure s'est jouée aux quatre coins du monde : celle de l'invention d'une identité et de la reconnaissance de valeurs choisies. Souvent, chaque groupe s'est cru détenteur à lui seul de l'expérience ultime de l'humanité. Et pourtant, il s'est toujours trouvé des hommes pour passer de l'un à l'autre, écouter les uns et les autres, organiser la rencontre des valeurs et des idées.
L'homme était un au début. Aujourd'hui, il est tout à la fois un et multiple, riche des cultures des cinq continents, obligé d'inventer les règles de leur coexistence, de leur harmonie.
J'ai confiance, parce que l'homme porte en lui-même la capacité à relever les grands défis de son histoire.
Dans un passé encore proche, contre les forces de haine, de rejet, d'incompréhension, s'est élevée la voix de l'humanisme, la puissance de la démocratie. Pour faire triompher cette voix une fois encore, apprenons à nous comprendre, apprenons à nous parler, apprenons à travailler ensemble, dans le respect, la lucidité et la fierté de ce que nous sommes. Tel est le sens, tel est l'enjeu du dialogue des cultures, du partage des cultures. Votre mission. Notre mission.

Dosarul unei miscari referentiale

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Legenda "armei" laser româneşti din anul 1968  


Schimbare în  conducerea de partid a Cehoslovaciei. În ianuarie 1968, plenara C.C. a P. Comunist cehoslovac l-a înlocuit pe  Novotny  din aripa conservatoare aservit Moscovei cu Dubcek, ceea ce a nemulţumit conducerea sovietică.
La 23 martie, a avut loc la Dresda o  consfătuire a conducătorilor de partid şi de stat din URSS, Bulgaria, Polonia, RDG, Ungaria şi Cehoslovacia, unde s-a discutat şi despre izolarea României în cadrul Tratatului de la Varşovia şi în CAER.
Chemaţi  la Ceauşescu.În seara zilei de 10 aprilie 1968, general-colonel Ion Ioniţă, ministrul forţelor armate, şi general-locotenent Ion Gheorghe, şeful Marelui Stat Major, au fost chemaţi de Ceauşescu la Palatul Primăverii (pe malul lacului Floreasca).
Ceauşescu era împreună cu Ion Gheorghe Maurer (prim-ministru) şi cu Emil Bodnăraş (vicepreşedinte al Consiliului de Stat) pe o terasă în jurul unei mese rotunde.
Încă de la sosire, au fost întrebaţi direct, ce informaţii au despre Cehoslovacia.
Cei doi i-au raportat că ştiu despre o viitoare aplicaţie care se va desfăşura pe teritoriul cehoslovac, la care vor participa cadre, transmisiuni şi trupe din URSS, Polonia, RDG, Ungaria şi Cehoslovacia, dar fără  România, care nu a fost solicitată să participe cu trupe, ci a primit doar o invitaţie de a trimite doi generali ca observatori (deoarece Ceauşescu a interzis aplicaţii pe teritoriul României, armata română nu a fost invitată la această aplicaţie).
Informaţiile nu l-au satisfăcut pe Ceauşescu, care le-a ordonat  să  intensifice munca de informaţii militare.
Informaţia primită de Ceauşescu. La 4 mai, C. Burtică, ambasador în Italia, trimite de la Roma o telegramă: ”O parte din conducerea sovietică  are în vedere o intervenţie militară în Cehoslovacia dacă socialismul ar fi pus în pericol”.
Îngrijorare în cercurile ataşaţilor militari din Moscova. În ziua de 19 iulie, mareşalul Iakubovski, comandant-şef al Forţelor Armate Unificate ale Tratatului de la Varşovia, îşi întrerupe vizita din Algeria, fiind chemat de urgenţă la Moscova, ceea ce a produs îngrijorare în cercurile ataşaţilor militari din ţările NATO din capitala sovietică, fiind siguri că  are legătură cu preconizata invazie a Cehoslovaciei.
Înscenarea intervenţiei. Văzând că din partea partidului cehoslovac nu se produce nici o ruptură oficială care să solicite sprijin militar sovietic, s-a trecut la provocări. Astfel, la 20 iulie 1968, securitatea din RDG a plasat sub un pod în Cehoslovacia câţiva saci cu armament de producţie americană, iar agenţii sovietici au lipit afişe cu lozinci prin care cereau răsturnarea comunismului şi ieşirea Cehoslovaciei din Tratatul de la Varşovia.
Departamentul de stat al SUA a cerut diplomaţilor americani din străinătate: ”Să nu adoptaţi nici o poziţie în evoluţiile din Cehoslovacia, nici măcar la cererea cercurilor oficiale din ţările gazdă”. Dubcek este chemat la Moscova pentru discuţii, dar el refuză. Atunci Brejnev soseşte la Praga, în 29 iulie, unde între cei doi are loc un dialog destul de dur. Brejnev  l-a informat că nu va permite instaurarea democraţiei burgheze în Cehoslovacia, ameninţând cu intervenţia militară, însă Dubcek  a respins  cu hotărâre pretenţiile sovietice.
 Planul “Dunărea”. La 23 iulie 1968, la Moscova au fost convocaţi comandanţii şi şefii de stat major ai marilor unităţi sovietice destinate intervenţiei în Cehoslovacia.

(foto: trupe aeropurtate sovietice în Praga)
Fixarea datei de intervenţie în Cehoslovacia. La 10 august, conservatorii din Partidul Comunist cehoslovac au discutat cu Leonid Brejnev despre o intervenţie militară, care a fost planificată în strict secret pentru noaptea de 20/21 august.
Vizita lui Tito în Cehoslovacia. La 9 august, liderul iugoslav a făcut o vizită în Cehoslovacia unde i-a cerut lui Dubcek, să se prevină prin toate mijloacele instaurarea social-democraţiei şi să evite destrămarea unităţii clasei muncitoare. Însă liderii reformatori de la Praga nu doreau să renunţe la proiectele lor, şi astfel se prefigura o intervenţie armată.
Vizita lui Ceauşescu în Cehoslovacia. La  15 august, Ceauşescu a făcut o vizită în Cehoslovacia, unde  are o comportare şovăielnică. El face cunoscut tovarăşilor cehi faptul că are încredere în capacitatea lor de a rezolva divergenţele de opinii prin discuţii, şi se arată optimist în privinţa siguranţei cuceririlor socialismului, dar nu critică nici un moment Tratatul de la Varsovia, deşi nu a fost chemat  la întâlnirile de la Dresda şi Varşovia.
Invazia Cehoslovaciei.În noaptea de 20 august 1968, la ora 22, unităţi de comando aeropurtate  sovietice (Speţnaţ) au luat cu asalt aerogara din Praga, şi-au instalat propriul echipament radar, preluând dirijarea traficului aerian, deoarece personalul tehnic militar cehoslovac a tăiat sursele de curent, după care la ora 23 trupe terestre sovietice (20 de divizii – de 3 ori cât armata României) au invadat Cehoslovacia pe trei direcţii principale – nord, est şi sud, la care s-au alăturat mari unităţi poloneze, ungare şi o mică unitate bulgară (cele germane au renunţat cu câteva ore înainte pentru a nu se repeta anul 1939). Marile unităţi sovietice proveneau din vestul URSS, Polonia şi Ungaria, traversând Cehoslovacia către RFG şi Austria. Toate unităţile militare cehoslovace au fost blocate în cazărmi. La ora 23:25, generalul-locotenent sovietic Iamşcikov l-a informat pe ministrul apărării cehoslovac că, din acel moment, generalul sovietic comandă la Praga. La ora 5 dimineaţa, întreaga echipă Dubcek a fost arestată de ofiţeri de informaţii sovietici şi cehoslovaci, şi condusă în vehicule blindate la aeroport, apoi în Polonia şi în URSS.
Alarmarea NATO. În cursul acestei zile, trupele greoaie ale NATO au fost alarmate, este vorba de cele americane din RFG (3 divizii) şi toată armata RFG (11 divizii), dar fără a părăsi cazărmile. Apoi, după câteva zile, cazărmile au rămas goale, deoarece militarii angajaţi au plecat acasă, venind normal la program. În următoarele luni, NATO  s-a rezumat la a critica invazia, dar fără  să-i provoace pe sovietici. NATO tremura de frica URSS.
Poziţia SUA. Secretarul de stat Rusk declară: ”Nu este mare lucru de făcut, dacă ei (cehoslovacii) nu vor face nimic. Putem să-i sprijinim la ONU şi prin Agenţia de informaţii. Dacă o facem, ei (sovieticii) pot să exercite presiune în Vest, în special în Berlin”, iar vicepresedintele SUA declara: ”Suntem într-o situaţie mult mai delicată decât aceea din timpul contrarevoluţiei din Ungaria, din cauza dezvoltării relaţiilor mai bune cu URSS”.
Poziţia României. În dimineaţa zilei de 21 august 1968, generalii I. Ioniţă şi I. Gheorghe au fost convocaţi la şedinţa plenară a CC al PCR, şedinţă comună cu Consiliul de Stat şi guvernul. Concluziile şedinţei au fost comunicate public la mitingul din Piaţa Palatului: „ruşine, o primejdie pentru pacea lumii” şi cu precizarea că „poporul român nu va permite nimănui să încalce teritoriul patriei…”. Apoi s-a mai anunţat  înfiinţarea de gărzi patriotice înarmate, alcătuite din muncitori, ţărani şi intelectuali. Între timp, s-a dat alarma la toate unităţile militare şi de interne, dar fără a părăsi cazărmile. Cei 8.000 de turişti cehoslovaci din România au fost cazaţi în hotelurile ONT, primind şi bani până la liniştirea lucrurilor.
Reacţia lui I.G.Maurer la atitudinea lui Ceauşescu. „O asemenea atitudine violentă este pur şi simplu o provocare inutilă. Printre altele i-a ameninţat pe ruşi că, dacă vor intra în ţară, întreaga populaţie se va ridica împotriva lor. Asta a fost pur şi simplu o invitaţie la invazie, cu o opoziţie care oricum  nu avea şansă de succes. Prin ceea ce a făcut, Ceauşescu a creat doar un risc enorm pentru ţară. Ar fi putut să condamne invadarea Cehoslovaciei, dar în termeni  mult mai diplomatici şi raţionali”.
Constituirea gărzilor patriotice. Partidul a mobilizat repede muncitorii din fabrici cu stagiul militar satisfăcut care au încadrat detaşamentele pentru defilare la 23 august (51 de detaşamente a 200 de luptători). Apoi s-a trecut la înfiinţarea de plutoane de gărzi în fiecare sat, companii şi batalioane la oraşe, fiind înarmate cu armament de infanterie din război, sovietice, cehoslovace, germane şi româneşti.
Poporul trebuie să participe la război. „Poporul trebuie să participe la război şi poporul trebuie înarmat. Poporul este unit şi înarmat, şi nu-i va primi pe invadatori cu flori ca în Cehoslovacia, ci vom trage până la ultimul cartuş”, le spunea mereu Ceauşescu celor din  conducerea partidului.
Ungaria se amuză de măsurile luate de Ceauşescu.„CC al PCR  a condamnat această  acţiune. La Bucureşti, în faţa a peste  80.000 de oameni, Ceauşescu a protestat vehement şi pe un ton isteric. El a anunţat  înfiinţarea armatei unite a muncitorilor, ţăranilor şi intelectualilor, care vor apăra patria şi socialismul. În această privinţă ne întrebăm: să le apere de ce?”
Declaraţie a securităţii din R.D. Germană. „Regimul de la Bucureşti a înfiinţat imediat aşa-numitele miliţii, formate din muncitori, țărani şi intelectuali, constituite în mod clar sub forma unor trupe de luptă, cu scopul  evident de a se opune oricărei măsuri întreprinse de ţările socialiste”.
Armata română (marile unităţi de luptă). Diviziile mecanizate şi de tancuri sunt mari unităţi de luptă tactice şi de calcul a puterii militare terestre a unui stat. Dislocarea de reşedinţă a acestora pe teritoriul României era următoarea:
În Moldova: Divizia 10 Mecanizată ”Ştefan cel Mare”, având comandamentul la Iaşi.
În Muntenia: D. 1 Mc. ”T. Vladimirescu” la Bucureşti, D. 9 Mc. ”Mărăşeşti” la Constanţa şi D. 2 Mc. ”Mihai Viteazul” la Craiova.
În Banat: D. 18 Mc. ”Decebal” la Timişoara.
În Transilvania: D. 11 Mc. ”Carei” la Oradea şi D. 6 Tc. ”H. C. Crişan” la Tg.Mureş.
Organizarea şi dotarea unei divizii mecanizate: 3 regimente mecanizate (fiecare a 21 de tancuri, fără TAB-uri), 1 regiment de tancuri (67 tancuri, fără TAB-uri), 1 regiment de artilerie (54 obuziere 122 mm) şi un divizion de artilerie antiaeriană (18 tunuri AA cal.57 mm), total 130 tancuri (67 T-55 şi 63 T-34) şi 54 obuziere – nu avea nici un transportor blindat din cele 279 necesare.
Divizia de tancuri avea: 3 regimente de tancuri (201 tancuri), 1 regiment mecanizat (21 tancuri) şi 1 regiment de artilerie (54 obuziere 122 mm), total 222 tancuri şi nici un transportor blindat.
O divizie mecanizată avea 12.000 militari la mobilizare (la pace aveau 8.000) şi putea ocupa un aliniament de apărare între 10 – 20 km în funcţie de teren şi misiune, pe două eşaloane şi o rezervă tactică. D. Mc. sovietică era organizată pe: 3 R. Mc., 1 R. Tc., 1 R. Art., 1 R. Art. AA, (187 tancuri T-55, 313 TAB-uri, 54 obuziere 122 mm,  36 obuziere 152 mm , 18 ar. de pr. reactive, 36 tunuri AA şi 36 rachete AA), având  13.000 militari, efectiv complet. D. Tc. avea (322 tancuri T-55, T-62), 11.000 militari. Ca dotare, o divizie sovietică echivala cu aproape două româneşti.
Solicitare de sprijin la ambasada Chinei din Bucureşti. În seara zilei de 21 august, la cererea lui Ceauşescu, Emil Bodnăraş a solicitat o întâlnire urgentă cu ambasadorul  Chinei la Bucureşti, întrebându-l dacă ne putem baza pe un sprijin chinez. Ambasadorul nu i-a dat nici un răspun clar.
Solicitare de sprijin Chinei. Ambasadorul României  la Beijing  s-a întâlnit cu Ciu Enlai, care a declarat: ”Condamnăm intervenţia sovietică în Cehoslovacia şi ne exprimăm  ferm sprijinul  pentru lupta dreaptă  a poporului român”. În concluzie, sprijin zero. China nu risca un război cu URSS de care depindea tehnologic militar şi civil, iar armata chineză era la nivelul armatei române ca dotare.
Solicitarea de sprijin Iugoslaviei. În urma răspunsului dezamăgitor din partea Chinei, conducerea de partid  i-a cerut lui Ceauşescu să încerce cu Tito.  Însă Ceauşescu era reticent, deoarece Iugoslavia avea o relaţie cu ruşii  de alt tip, moştenire slavă, sprijin de sub ocupaţia otomană  şi teama lui Tito de URSS. De asemenea cooperarea cu Moscova era foarte strânsă, ofiţerii iugoslavi  erau la instruire la Moscova (Ceauşescu a interzis din anul 1962 instruirea ofiţerilor români la Moscova), armamentul sovietic intra în dotarea Iugoslaviei (Ceauşescu încerca să  lanseze propria industrie de armament), navele sovietice  beneficiau de servicii în porturile iugoslave (Ceauşescu a interzis facilităţi portuare navelor sovietice), în timpul Războiului arabo-israelian din anul 1967 Tito a pus la dispoziţie spaţiul aerian, terestru şi naval  pentru sprijin material  al URSS  pentru Egipt, iar în Belgrad staţiona  Divizia 106 Asalt Aerian sovietică, gata să intervină în Egipt dacă Israelul nu se oprea (Ceauşescu a interzis spaţiul aerian şi terestru pentru sovietici în sprijinul arabilor), reprezentanţii militari iugoslavi au participat la întrunirea Tratatului de la Varşovia (România a fost exclusă de la această întrunire), unde a fost condamnat Israelul şi SUA şi unde s-a discutat şi  de invazia României dacă va fi cazul, iar pe teritoriul Iugoslaviei  activau KGB-ul în colaborare cu securitatea iugoslavă. În această situaţie, Ceauşescu a avut reţineri în ce priveşte întâlnirea cu Tito. În cele din urmă, la 24 august, Ceauşescu şi Emil Bodnăraş au sosit  în secret la Vârşeţ, unde s-au întâlnit cu Tito (în secret a crezut Ceauşescu).
Ceauşescu: Condamnăm invazia  Cehoslovaciei, avem informaţii cu privire la planurile sovietice de a interveni în România şi apoi în Iugoslavia, de aceea  va trebui să luptăm împreună. Vă informez că într-o oarecare măsură beneficiem de sprijinul Chinei şi vrem să vă întrebăm dacă vom putea conta şi pe sprijinul dv. în ce priveşte singura cale de aprovizionare.
Bodnăraş:În cazul unui atac, trei frontiere vor fi atacate, singurul nostru flanc deschis este cel  cu Iugoslavia.
Tito: Poate vom fi în spatele frontului.
Bodnăraş: Vom face tot ce putem ca acest flanc Timişoara – T. Severin  să rămână deschis, am vrea  să ştim dacă putem  conta pe voi  ca acest culoar să rămână deschis şi apărat?
Tito: La ce vă referiţi  când spuneţi că trebuie apărat?
Bodnăraş: Nu ştim dacă se vor opri pe teritoriul României, poate fi o acţiune să cuprindă şi teritoriul  Iugoslaviei.
Tito: Sunteţi convinşi că şi noi suntem vizaţi?
Ceauşescu: Aceasta este problema. Prin urmare vrem să încheiem  aceste discuţii cu asigurarea că avem o legătură sigură cu voi, întrucât este singura rută prin care ne putem aproviziona cu arme şi mijloace  de luptă.
Tito: Conform acordurilor juridice internaţionale, odată intraţi pe teritoriul Iugoslaviei soldaţii români trebuie să predea armele pentru a nu se oferi pretextul de a ne ataca şi pe noi. Trebuie să confirmaţi fidelitatea voastră faţă de Tratatul de la Varşovia, să adoptaţi poziţii ca ţară socialistă, să nu-i provocaţi pe sovietici, şi să mai ştiţi că şi noi avem probleme teritoriale cu Italia şi Albania. Vă invit la masă.
Ceauşescu: Vă mulţumesc, dar acum ne grăbim, cu altă ocazie.
Tito: Bine. Ai grijă de tine, de siguranţa ta, chiar şi la Bucureşti!
Aşa zisa întâlnire secretă a apărut pe masa lui Brejnev, care s-a amuzat de gestul lui  Ceauşescu.
Revenit în ţară, Ceauşescu şi mass media au amuţit complet, de parcă nu s-a întâmplat nimic. Postul  BBC a anunţat că este posibil ca Ceauşescu să fi primit un avertisment de la Brejnev, fiindcă occidentalii au fost surprinşi  de gestul lui de a ceda aşa repede.
Gl. col. Ion Gheorghe, fost şef al Marelui Stat Major. În acel moment, România, cu situaţia ei geopolitică, cu o frontieră lungă de peste 3.000 km (din care doar 546 km cu Iugoslavia), cu ţări membre în Tratatul de la Varşovia, se vedea pusă  în situaţia de a se opune  singură unor forţe mult superioare  şi care, în plus, puteau să atace din mai toate direcţiile. Ne găseam deci într-o  situaţie inedită, situaţia unei armate încercuite încă înainte de începerea ostiltăţilor. Pe deasupra, prezumtivii noştri inamici cunoşteau în bună măsură  valoarea şi dislocarea  forţelor noastre armate. Se impunea, deci, în primul rând, să adoptăm mai întâi un dispozitiv operativ  de apărare adecvat acestei situaţii extrem de dificile. Dispozitivul de apărare conceput pe hartă i-a fost  prezentat lui Ceauşescu, care l-a aprobat cu precizarea:”Tot ce s-a gândit aici să fie cunoscut de un număr cât mai mic de ofiţeri şi să nu faceţi nici un  fel de deplasări de trupe fără ordinul meu”. Prin aceasta noi am înţeles să nu se dea pretext vecinilor noştri  să ne acuze de rele intenţii şi să le folosească drept motiv pentru propriile lor intervenţii.
Obţinerea de informaţii.În situaţia creată, era imperios necesar să existe o imagine cât se poate de clară despre intenţiile prezumtivului agresor, lucru ce nu era deloc uşor şi, în plus, era extrem de riscant. S-au obţinut totuşi suficiente informaţii în acest scop. Un merit aparte l-a avut Direcţia de Informaţii din Marele Stat Major care includea în acea vreme în structură şi ataşaţii militari a căror activitate a fost de-a dreptul remarcabilă. Dintre comandamente de armă, cel al grănicerilor a fost cel mai eficient  în furnizarea de date. Ei dispuneau de mijloace speciale de cercetare şi au ţinut permanent la curent Marele Stat Major cu se întâmplă pe graniţă şi la vecini. Astfel, zilnic i se prezentau lui Ceauşescu, dimineaţa, la prima oră, şi seara, uneori şi în cursul zilei, toate informaţiile cu privire la ce se întâmpla la frontieră şi dincolo. Materialele de sinteză, hărţile şi schiţele le restituia imediat. Unele le reţinea pentru un timp, apoi le restituia, ordonând să fie păstrate în strict secret  la Ministerul Forțelor Armate.
Situaţia la graniţa cu URSS. Pe malul stâng al Prutului, vizavi de localitatea Albiţa, grupuri de militari sovietici echipaţi în ţinută de campanie, în plină zi, la vedere, simulau activităţi specifice recunoaşterii şi cooperării în vederea intrării în acţiune. Apoi dinspre Reni, vizavi de Galaţi, o subunitate de pontonieri sovietici executa, noapte de noapte, exerciţii de dare la apă a pontoanelor în vederea intinderii podului peste Prut.
Situaţia la graniţa cu Bulgaria. La sud, bulgarii, tot noaptea, executau şi ei exerciţii de dare la apă a mijloacelor de forţare a Dunării, pe segmentul Giurgiu – Oinacu.
Situaţia la graniţa cu Ungaria. Ungurii efectuau şi ei diferite acţiuni la nivel redus pe direcţia punctelor de frontieră de la Borş şi Petea (SM).
În Bucureşti. Bulgarii şi-au intensificat activitatea de „turism” în Bucureşti, în majoritate bărbaţi tineri, cu ţinută atletică, părul tuns scurt, venind cu autobuzele BALCANTURIST în faţa magazinului ”Adam” din apropierea M.F.A.
Dincolo de graniţa României. Din informaţiile noastre, precizează Gl. I.Gheorghe, rezultă că împotriva României puteau acţiona cca 10 – 12 divizii din Regiunea Militară Odessa şi Kiev împotriva unei divizii româneşti din Moldova, la sud 4 – 5 divizii bulgare împotriva a 3 divizii româneşti şi în vest 2 – 3 divizii ungare şi 3 divizii sovietice împotriva a 2 divizii româneşti. Însă toate aceste mari unităţi nu erau dislocate în tabere şi nici concentrate în raioane pentru a trece la ofensivă, ele se găseau în cazărmile lor de reşedinţă,
Măsuri propuse. Generalul Şlicaru, şef al trupelor de geniu, veteran de război, a făcut mai multe propuneri: măsuri de minare antitanc şi antiinfanterie a unor terenuri, pregătirea pentru aruncarea în aer a unor poduri şi tunele de cale ferată, crearea de şanţuri antitanc, folosirea canalelor de irigaţii şi a digurilor, reamenajarea unor puncte de sprijin din fostele fortificaţii, pregătirea pentru blocarea trecătorilor în munţi, pregătire pentru distrugerea  capului de pod de pe malul românesc al podului Giurgiu – Ruse. Ceauşescu le-a analizat pe toate şi nu a fost de acord decât cu una, cu ultima, dar cu precizarea: ”Numai cu aprobarea mea expresă”.
Incident armat între unităţi româneşti. În noaptea de 21/22 august, s-a ordonat ca 22 de avioane de vânătoare MIG-15  să fie dislocate pe aerodromul din Bacău şi, totodată, să vină de la Râmnicu Sărat  20 de tunuri antiaeriene care să facă siguranţa aerodromului. La sosirea coloanei, plutonul de securitate care se afla în paza aerodromului la punctul de control, din proprie iniţiativă, a deschis foc asupra coloanei, crezând că sunt sovietici. Imediat a intervenit comandantul aerodromului căruia i se subordona plutonul de securitate şi astfel s-a evitat  un măcel, deoarece artileriştii au vrut să riposteze crezând că aerodromul a fost ocupat de sovietici. Vinovaţi au fost comandantul unităţii de artilerie care nu a trimis un om de legătură, comandantul aerodromului care știa de venirea artileriei şi nu a trimis o persoană să-i întâmpine şi comandantul plutonului de securitate care a deschis focul de capul lui. Acest incident a demonstrat slaba pregătire a unor unităţi militare în situaţie de criză.
Diplomaţie. După câteva zile a fost lansat un zvon în România prin care se preciza că preşedintele SUA ar fi trimis un avertisment Moscovei: „Vă previn, nu dezlegaţi câinii războiului!”. Însă, până în prezent nu există o confirmare a unei astfel de declaraţii, deoarece la Washington lucrurile s-au petrecut altfel. În noaptea de 20 august 1968 când tancurile sovietice au intrat în Praga, ambasadorul sovietic i-a prezentat preşedintelui SUA, Lyndon B. Johnson, un mesaj din partea URSS: „A fost o conspiraţie internă şi externă contra sistemului socialist din Cehoslovacia. URSS şi aliaţii săi din Tratatul de la Varşovia  au răspuns cererii  de ajutor a guvernului de la Praga. Ca urmare, unităţi militare sovietice au fost comandate să intre în Cehoslovacia. Inutil să spunem că ele vor fi imediat retrase din teritoriul cehoslovac dupăîndepărtarea ameninţării existente la securitatea acestuia”. Preşedintele SUA nu a avut nici o reacţie, a mulţumit ambasadorului pentru informare precizând că va discuta probabil aceast mesaj cu secretarul de stat şi dacă va fi nevoie vor da un răspuns. Apoi preşedintele a trecut la alt subiect considerat mai important: „Mâine voiinforma public că  doresc să fac o vizită în URSS”. În scurt timp a şi venit invitaţia oficială de la Moscova. Imediat secretarul de stat l-a informat pe ambasadorul sovietic de mesajul preşedintelui prin care: „Preşedintele SUA îşi exprimătotala ignoranţă  a implicării în Cehoslovacia a unor ţări necomuniste sau a vreunei cereri de ajutor din parteaguvernului cehoslovac.” Apoi secretarul de stat l-a informat pe ambasador că anunţata vizită la Moscova a preşedintelui se va amâna. După trei zile, secretarul de stat l-a invitat pe ambasadorul sovietic: „Vă rog să-mi spuneţiîntre patru ochi care au fost adevăratele raţiuni de a trece la acţiuni în Cehoslovacia, şi urmează cumva şi România? Arfi prea mult şi nu ne aşteptăm deloc de a fi în stare să controlăm opinia publică”. Între timp preşedintele s-a întâlnit cu 20 de congresmeni americani care l-au supus unor critici pentru reacţia lui moderată faţă de această invazie, la care Johnson le-a răspuns: „Sugeraţi cumva să trimitem trupe acolo?” Congresmanii n-au răspuns. Atunci preşedintele a precizat: „Vă reamintesc că Cehoslovacia se află în zona de influenţă sovietică. Noi nu vom folosi forţa împotriva acestei invazii. Am dispus să nu mai aibă loc nici o condamnare publică în afara celor făcute oficial”.
Alertă la Casa Albă. La 28 august, secretarul de stat  s-a adresat ambasadorului sovietic: „Am aflat că sunt mişcări de trupe sovietice neobişnuite de-a lungul graniţelor româneşti. Sunt speculaţii în occident despre o posibilă invazie a României bazată pe refuzul acesteia de a participa alături de celelalte state din Tratat împotriva Cehoslovaciei”.
Reacţia preşedintelui SUA: „În numele omenirii vă cerem să nu invadaţi  România. De asemenea sperăm că nici un fel de acţiuni nu vor fi luate împotriva Berlinului Occidental, care ar putea provoca o criză internaţională  majoră, pe care suntem preocupaţi s-o evităm cu orice preţ. Toate acestea ar fi dezastruoase pentru relaţiile sovieto-americane şi pentru întreaga lume”.
Răspunsul Moscovei: „Rapoartele despre mişcări iminente ale forţelor militare sovietice împotriva României sunt special concepute de anumite cercuri pentru a induce în eroare guvernul american şi nu corespund realităţii. Acelaşi lucru se aplică în totalitate şi Berlinului Occidental”.Preşedintele SUA a răsuflat uşurat.
Singurătate. Declaraţiile externe din punct de vedere militar nu aveau nici o relevanţă. În caz de invazie, România trebuia să se descurce singură.
Detaşamente de partizani. La sfârşitul lunii august 1968, la unităţile militare a sosit câte un plic strict secret care a fost deschis doar în prezenţa comandantului unităţii, a locţiitorului politic şi a secretarului de UTC pe unitate unde se preciza: „În cazul unei invazii militare a Tr. de la Varşovia, locţiitorul politic va mobiliza membrii PCR din zonă, iar secretarul de UTC pe UTC-işti, şi se vor retrage în munţi, unde vor acţiona ca partizani împotriva inamicului…” (era greu de crezut că oamenii şi-ar fi părăsit locurile de muncă şi familiile să lupte împotriva inamicului în condiţiile în care la Bucureşti ar fi fost instalată o nouă conducere PCR în locul lui Ceauşescu capturat, executat sau fugit în străinătate). De asemenea,  câţi din conducerea armatei şi securităţii vor executa ordinele lui Ceauşescu dacă vor fi ameninţaţi de sovietici cu represalii, ca în  Ungaria 1956, când toţi contrarevoluţionarii unguri şi militarii înarmaţi au încetat rezistenţa după câteva zile, deoarece sovieticii au distrus case şi blocuri de unde se trăgea împotriva lor, neţinând cont de locatari. Situaţia era foarte gravă pentru conducerea PCR.
Înfiinţarea de mari unităţi de luptă. Începând cu luna septembrie, s-a trecut la înfiinţarea D.57 Tc. la Bucureşti, D.67 Mc. la Brăila şi D.81 Mc. la Dej. Dar din lipsă de cadre (au fost detaşate cadre şi soldaţi de la toate unităţile din ţară pentru constituirea unui nucleu) şi mai ales de armament,  cele 3 mari unităţi au fost încadrate şi dotate abia  în 15 ani.
Ceauşescu a intrat în panică. Speriat de atitudinea lui faţă de URSS, Ceauşescu face o vizită la Ambasada sovietică din Bucureşti pentru a linişti situaţia.
Arma laser”. În cursul lunii septembrie 1968 au apărut zvonuri în opinia publică cu privire la o încercare de pătrundere a unor tancuri sovietice în estul României care au fost topite cu raze laser. Zvonul a fost receptat şi de conducătorii armatei care pe moment au rămas uluiţi, apoi s-au amuzat pe această temă. De asemenea, orice autovehicul militar acoperit cu prelată văzut de civili noaptea, cu excepţia autocamioanelor era considerat armă laser – cu cât era mai lung un braţ acoperit cu prelată cu atât mai puternic era considerat laserul.
„Explicaţii” ale militarilor în termen. În luna decembrie 1968 s-au liberat militarii în termen care au făcut „precizări” cu privire la faimoasa armă laser şi efectul ei: ”Eu am văzut,  precizau ei, cum  raza laser a atins tancul rusesc şi l-a topit pe loc, – eu am văzut cum laserul a tăiat tancul în două, – eu am văzut cum raza laser a lovit tancul şi acesta a făcut explozie… eu am auzit că…”, deşi ei au stat în cazarmă 3 luni în alarmă, şi nimic mai mult. La fel s-a întâmplat şi cu majoritatea veteranilor din Al Doilea Război Mondial, care au povestit diferite evenimente din auzite, nu din ce au văzut ei.
Forţe sovietice. În estul României se afla Regiunea Militară Odessa, care avea: Armata 14 (comandamentul la Tiraspol) având în compunere Divizia 59 Mecanizată de Gardă la Tiraspol, D. 86 Mc. la Beltsy, D. 88 Mc. la Belgorod şi D. 118 Mc. la Bolgrad, în total 4 divizii pe teritoriul Basarabiei. Regiunea mai avea 5 divizii în zona Odessa şi Armata 48 Aeriană. La nord de România, în Ucraina, era Regiunea Militară Kiev (Armata 1 Gardă, Armata 6 Tancuri de Gardă şi Armata 17 Aeriană). La graniţa României nu s-a aflat nicio unitate de luptă din ţările vecine, cu atât mai puţin tancuri, care să fie pregătite pentru o invazie şi nicio unitate de luptă a armatei române. Dislocarea acestor forţe inamice ar fi necesitat un mare număr de tabere cu mii de corturi în raioane de concentrare care să aştepte până primesc ordin de invazie. Dar, la anumite distanţe de graniţa României, în Basarabia, cu un scop diversionist, au fost mici subunităţi  sovietice care desfăşurau  manevre tactice demonstrative, ceea ce a creeat teamă la Bucureşti. Dacă  Brejnev ar fi dorit să ocupe România,  cele două regiuni militare erau alarmate şi deplasate în câteva ore la graniţa României. Între timp, punctele de comandă româneşti şi staţiile radar ar fi fost bruiate sau distruse, trupe de comando desantate,  apoi ar fi pătruns pe zeci de direcţii fără probleme, punctele fortificate româneşti dacă existau ar fi fost încercuite de grupări de asalt sovietice şi nimicite dacă opuneau rezistenţă, în timp ce forţele principale continuau ofensiva  până la  Bucureşti.
Amuzamentul grănicerilor sovietici. Un divizion românesc de artilerie antitanc (18 autocamioane GAZ-63 Molotov care tractau 18 tunuri AT cal. 76,2 mm sovietice), în plină zi, să fie vizibil de grănicerii sovietici, s-a deplasat  la câţiva kilometri paralel cu Prutul spre nord. Noaptea, subunitatea a revenit pe alt traseu, apoi a treia zi a efectuat aceeaşi manevră pentru a demonstra că de fapt este vorba de un regiment. După trecerea acesteia, grănicerii sovietici au contactat telefonic pichetul de grăniceri români: ”Mai schimbaţi şi voi maşinile care tractează aceleaşi  tunuri!” (maşinile aveau acelaşi număr ca în prima coloană). Din acel moment destul de jenant şi prost organizat, nu a mai avut loc nici o activitate asemănătoare.
Pe graniţa cu URSS de cca 300 km, armata română (D. 10 Mc. Iaşi) putea ocupa un aliniament de apărare de cca 20 km, în rest erau grăniceri, adică nimic.
În legătură cu anul 1968, fostul ofiţer de securitate sovietic Viktor Suvorov a făcut următoarea precizare: ”Regimul comunist din România era asemănător cu cel din URSS. Existenţa  României nu ameninţa bazele comunismului şi din acest motiv nu au fost luate niciodată măsuri drastice împotriva  ei”.
Dezminţire  M.Ap.N. La solicitarea publică,în anul 1992, M.Ap.N. a  dat un comunicat în presa militară: „Arma laser a fost o gogoaşă ceauşistă”, iar specialiştii militari au precizat: „Totul a fost o legendă, iar zvonurile despre o asemenea armă au apărut din necesitatea de a asigura un confort psihic unei populaţii înspăimântate de iminenţa atacului sovietic”. Conducerea armatei cunoştea realitatea, că o asemenea armă nu există în lume, că nici un inamic nu trimite aşa aiurea la plimbare un tanc care să treacă Prutul şi în care să tragi cu tunul sau racheta ca în poligon, sau cu o rază  de lumină cu care se joacă copiii acum să topeşti un blindaj din oţel special de 20 cm grosime la un kilometru distanţă, dar s-au temut să dezmintă oficial, deoarece ei ştiau că zvonul a fost lansat de propaganda Partidului Comunist, care astfel a reuşit să manipuleze cu mare succes  populaţia datorită lipsei de cunoştinţe în domeniul respectiv.
O asemenea armă nu există nici în prezent. Razele laser, care se tot vehiculează în lume, pot calcula distanţe, pot crea spot de căldură pentru dirijarea rachetelor pe ţintă, pot orbi piloţi, pot face operaţii în medicină, pot afecta componentele electronice ale rachetelor etc. Dacă raza laser atinge o suprafaţă reflectorizantă revine înapoi afectându-l pe cel care o lansează sau se îndreaptă spre altă direcţie, dacă este fum sau praf la ţintă raza se disipează. De asemenea, serviciile secrete sovietice erau prezente în România şi în armată, armamentul din dotarea armatei era sovietic, staţii radio, radiolocaţii, coduri, parole, indicative, sateliţii supravegheau, deci se ştia tot.
Henry Coandă. Zvonurile cu Henry Coandă care, chipurile, a adus în România o armă laser au fost false, deoarece acesta a venit în România în 1969, la 83 de ani, şi a murit în 1972, la 86 de ani, însă el s-a ocupat de fizica fluidelor, nu de lasere.
Asociaţia Militarilor în Rezervă ”Lt. erou P. Laţcu” Lugoj
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The return of a strategic agenda of sovereignty

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NATO is becoming brain-dead: Full Economist Interview Transcript: Emmanuel Macron in his own wordsBy The Economist
Editor’s note: The interview was conducted at the Elysée Palace in Paris on October 21st. The French transcript (here) has been lightly edited for clarity. This English translation was made by The Economist

The Economist: We were all struck by the very sombre tone of your recent speech at the ambassadors’ conference. You began on an almost existential note about the future of Europe; you spoke of Europe’s possible disappearance. Aren’t you over-dramatising the situation? Why such a bleak vision of Europe’s future?

Emmanuel Macron: I don’t believe I’m over-dramatising things, I’m trying to be lucid. But just look at what is happening in the world. Things that were unthinkable five years ago. To be wearing ourselves out over Brexit, to have Europe finding it so difficult to move forward, to have an American ally turning its back on us so quickly on strategic issues; nobody would have believed this possible. How did Europe come into existence? I’m trying to face the facts. Personally, I think Europe is a miracle. This continent has the greatest geographical concentration of cultural and linguistic diversity. Which explains why, for almost two millennia, Europe was rocked by constant civil wars. And over the past 70 years we’ve achieved a minor geopolitical, historical and civilisational miracle: a political equation free of hegemony which permits peace. And this is due to the fact that Europe experienced one of the most brutal conflicts, the most brutal in its entire history, and, I would say, reached its lowest ebb in the 20th century.

Europe was built on this notion that we would pool the things we had been fighting over: coal and steel. It then structured itself as a community, which is not merely a market, it’s a political project. But a series of phenomena have left us on the edge of a precipice. In the first place, Europe has lost track of its history. Europe has forgotten that it is a community, by increasingly thinking of itself as a market, with expansion as its end purpose. This is a fundamental mistake, because it has reduced the political scope of its project, essentially since the 1990s. A market is not a community. A community is stronger: it has notions of solidarity, of convergence, which we’ve lost, and of political thought.

Moreover, Europe was basically built to be the Americans’ junior partner. That was what lay behind the Marshall Plan from the beginning. And this went hand in hand with a benevolent United States, acting as the ultimate guarantor of a system and of a balance of values, based on the preservation of world peace and the domination of Western values. There was a price to pay for that, which was NATO and support to the European Union. But their position has shifted over the past 10 years, and it hasn’t only been the Trump administration. You have to understand what is happening deep down in American policy-making. It’s the idea put forward by President Obama: “I am a Pacific president”.

So the United States were looking elsewhere, which was in fact very astute from their point of view at the time: they were looking at China and the American continent. President Obama then theorised it as a geopolitical strategy of trading blocs, signed treaties and withdrew from the Middle East, saying: “This is no longer my neighbourhood policy”. But that then created a problem and a weakness: the 2013-2014 crisis, the failure to intervene in response to the use of chemical weapons in Syria, which was already the first stage in the collapse of the Western bloc. Because at that point, the major regional powers said to themselves: “the West is weak”. Things that had already begun implicitly became apparent in recent years.

Which already modified the relationship between Europe and the United States?

EM: The United States remains our major ally, we need them, we are close and we share the same values. I care a lot about this relationship and have invested a great deal in it with President Trump. But we find ourselves for the first time with an American president who doesn’t share our idea of the European project, and American policy is diverging from this project. We need to draw conclusions from the consequences. The consequences, we can see them in Syria at the moment: the ultimate guarantor, the umbrella which made Europe stronger, no longer has the same relationship with Europe. Which means that our defence, our security, elements of our sovereignty, must be re-thought through. I didn’t wait for Syria to do this. Since I took office I’ve championed the notion of European military and technological sovereignty.
So, firstly, Europe is gradually losing track of its history; secondly, a change in American strategy is taking place; thirdly, the rebalancing of the world goes hand in hand with the rise—over the last 15 years—of China as a power, which creates the risk of bipolarisation and clearly marginalises Europe. And add to the risk of a United States/China “G2” the re-emergence of authoritarian powers on the fringes of Europe, which also weakens us very significantly. This re-emergence of authoritarian powers, essentially Turkey and Russia, which are the two main players in our neighbourhood policy, and the consequences of the Arab Spring, creates a kind of turmoil.

All this has led to the exceptional fragility of Europe which, if it can’t think of itself as a global power, will disappear, because it will take a hard knock. Finally, added to all this we have an internal European crisis: an economic, social, moral and political crisis that began ten years ago. Europe hasn’t re-lived civil war through armed conflict, but has lived through selfish nationalism. In Europe there has been a north-south divide on economic issues, and east-west on the migration issue, resulting in the resurgence of populism, all over Europe. These two crises—economic and migration—hit the middle classes particularly hard. By raising taxes, by making budgetary adjustments which hurt the middle classes, which I believe was a historic mistake. That’s incidentally what lies behind the rise in extremism throughout Europe. A Europe that has become much less easy to govern.

Given all the challenges I’ve just listed, we have a Europe in which many countries are governed by coalitions, with fragile majorities or unstable political balances. Look at Germany, Italy, Spain, Belgium, look at the United Kingdom which you know well, look at France. Admittedly, we have strong institutions, a majority until 2022. But we’ve also had a very tough social crisis, which we haven’t yet put behind us, and which has been the French way of responding to this crisis. Not a single European country has been spared. Except those that turned their backs on liberal democracy, and decided to get much tougher. You could say that Hungary and Poland have sheltered themselves from such crises, even though there are warning signs in Budapest.

So, given all these factors, I don’t think I’m being either pessimistic or painting an overly gloomy picture when I say this. I’m just saying that if we don’t wake up, face up to this situation and decide to do something about it, there’s a considerable risk that in the long run we will disappear geopolitically, or at least that we will no longer be in control of our destiny. I believe that very deeply.

But how in practical terms can you meet the challenge you describe? How will you actually overcome all the resistance, the obstacles, and build this European sovereignty?

EM: First of all, things are changing; we need to keep explaining this. There is a deep current of thought that was structured in the period between 1990 and 2000 around the idea of the “end of history”, of a limitless expansion of democracy, of the triumph of the West as a universal value system. That was the accepted truth at the time, until the 2000s, when a series of shocks demonstrated that it wasn’t actually so true.

So I think the first thing to do is to regain military sovereignty. I pushed European defence issues to the forefront as soon as I took office, at the European level, at the Franco-German level. At the Franco-German Council of Ministers on 13 July 2017, we launched two major projects: the tank and the aircraft of the future. Everyone said: “We’ll never manage that.” It’s very tough, but we’re making progress, it’s possible. We launched the European Intervention Initiative that I announced at the Sorbonne and which is now a reality: on Bastille Day this year, we had the nine other member states in Paris. Since then, Italy has joined us, and Greece would also like to join this initiative. This shows that there is growing awareness of the defence question. Countries like Finland and Estonia have joined this initiative, countries which up until now were, for one, deeply suspicious of NATO, and, for the other, distrustful of Russia, so in a mindset of: “I surrender completely to NATO”. The instability of our American partner and rising tensions have meant that the idea of European defence is gradually taking hold. It’s the aggiornamento for a powerful and strategic Europe. I would add that we will at some stage have to take stock of NATO. To my mind, what we are currently experiencing is the brain death of NATO. We have to be lucid.

“The brain death of NATO?”

EM: Just look at what’s happening. You have partners together in the same part of the world, and you have no coordination whatsoever of strategic decision-making between the United States and its NATO allies. None. You have an uncoordinated aggressive action by another NATO ally, Turkey, in an area where our interests are at stake. There has been no NATO planning, nor any coordination. There hasn’t even been any NATO deconfliction. A meeting is coming up in December. This situation, in my opinion, doesn’t call into question the interoperability of NATO which is efficient between our armies, it works well in commanding operations. But strategically and politically, we need to recognise that we have a problem.

Do you now believe that Article Five doesn’t work either, is that what you suspect?

EM: I don’t know, but what will Article Five mean tomorrow? If the Bashar al-Assad regime decides to retaliate against Turkey, will we commit ourselves under it? It’s a crucial question. We entered the conflict to fight against Daesh [Islamic State]. The paradox is that both the American decision and the Turkish offensive have had the same result: sacrificing our partners who fought against Daesh on the ground, the Syrian Democratic Forces [a militia dominated by Syrian Kurds] That’s the crucial issue. From a strategic and political standpoint, what’s happened is a huge problem for NATO. It makes two things all the more essential on the military and strategic level. Firstly, European defence—Europe must become autonomous in terms of military strategy and capability. And secondly, we need to reopen a strategic dialogue, without being naive and which will take time, with Russia. Because what all this shows is that we need to reappropriate our neighbourhood policy, we cannot let it be managed by third parties who do not share the same interests. So that for me is an important point, it’s a priority issue which is both geopolitical and military. Then there’s the technological issue...

The gap between Europe’s defence, which doesn’t have an Article Five equivalent, and NATO is very hard to bridge though, isn’t it? It’s very hard to guarantee each other’s security with the same credibility that NATO has, even allowing for the weakening of NATO that you’ve just spoken of. So how do you get from an idea of collaboration to the guarantee of security, that NATO perhaps can’t provide anymore? How do you cross that gap, and project power too if necessary?

EM: First of all, NATO is only as strong as its member states, so it only works if the guarantor of last resort functions as such. I’d argue that we should reassess the reality of what NATO is in the light of the commitment of the United States. Secondly, in my opinion, Europe has the capacity to defend itself. European countries have strong armies, in particular France. We are committed to ensuring the safety of our own soil as well as to many external operations. I think that the interoperability of NATO works well. But we now need to clarify what the strategic goals we want to pursue within NATO are.

Europe may be in a position to do so if it accelerates the development of European defence. We’ve decided on enhanced cooperation between several member states, which involves pooling, a solidarity clause between member states. A European Defence Fund has been set up. We have the European Intervention Initiative, designed to be complementary to NATO. But you also need to have stress tests on these issues. France knows how to protect itself. After Brexit, it will become the last remaining nuclear power in the European Union. And so it’s also essential to think about this in relation to others.

It’s an aggiornamento for this subject. NATO was designed in response to an enemy: the Warsaw Pact. In 1990 we didn’t reassess this geopolitical project in the slightest when our initial enemy vanished. The unarticulated assumption is that the enemy is still Russia. It’s also true that when we intervene in Syria against terrorism, it’s not actually NATO that intervenes. We use NATO's interoperability mechanisms, but it’s an ad hoc coalition. So, the question about the present purpose of NATO is a real question that needs to be asked. Particularly by the United States. In the eyes of President Trump, and I completely respect that, NATO is seen as a commercial project. He sees it as a project in which the United States acts as a sort of geopolitical umbrella, but the trade-off is that there has to be commercial exclusivity, it’s an arrangement for buying American products. France didn’t sign up for that.

You’re right, Europe hasn’t demonstrated its credibility yet. I just think that attitudes are changing and that today European defence is complementary to NATO. But I also believe it now needs to become stronger, because it needs to be able to decide and increasingly take responsibility for more of our neighbourhood security policy, that’s legitimate.

In my discussions with President Trump when he says, “It’s your neighbourhood, not mine”; when he states publicly, “The terrorists, the jihadists that are over there, they’re European, they’re not American”; when he says, “It’s their problem, not mine”—we must hear what he’s saying. He’s stating a fact. It simply means what was only implicit under NATO until now: I am no longer prepared to pay for and guarantee a security system for them, and so just “wake up”. The NATO we’ve known since the beginning is changing its underlying philosophy. When you have a United States president who says that, we cannot, even if we don’t want to hear it, we cannot in all responsibility fail to draw the conclusions, or at least begin to think about them. Will he be prepared to activate solidarity? If something happens at our borders? It’s a real question. When he says such things, which are perfectly legitimate from the standpoint of a United States president, it means that perhaps some alliances, or the strength of these ties, are being reconsidered. I think that many of our partners have realised this and things are starting to move on this issue.

As I was saying, I also see the issue of technology as essential: artificial intelligence, data, digital technology and 5G, all forms of technology which are both civilian and military.

But on the question of 5G, Europe is divided...

EM: Because Europe has simply failed to have any degree of thinking or coordination on the issue. In other words, sovereign decisions and choices were de facto delegated to telecoms operators. I would put it as bluntly as that. I discussed it the other day at the European Round Table with the German Chancellor, and it was as if I’d used a swear word when I said: “Can you guarantee that the development of 5G on the most technologically sensitive cores will be totally European?” Nobody can. In my opinion some elements must only be European.

Exactly, these are divisions…

EM: They’re not divisions!

Opinions diverge on the attitude to be taken towards Huawei, for example.

EM: I don't want to stigmatise any manufacturer in particular, it wouldn't be effective. And those on the other side of the Atlantic who have occasionally stigmatised them ended up making deals. I'm just saying that we have two European manufacturers: Ericsson and Nokia. We have a number of key issues. The day that everyone is connected to 5G with critical information, will you be able to protect and secure your system? The day you have all your cyber-connections on a single system, will you be able to ring-fence it? That's the only thing that matters to me. On the other issues I'm business-neutral. But this is a sovereign matter. This is what sovereignty is all about.

For years we delegated the thinking on these issues to the telecoms operators. But they’re not in charge of the sovereignty of security systems. Their duty is to provide their shareholders with profits, I can’t blame them for that. In a way we’ve completely abandoned what used to be the “grammar” of sovereignty, which are issues in the general interest that cannot be managed by business. Business can be your partner, but it’s the role of the state to manage these things. So we put our foot in it, and I think there’s a change starting to take place on this issue. But it isn’t about mistrust or being commercially aggressive towards anyone.

I’ve always said to our partners, whether it’s the Americans or the Chinese: “I respect you because you’re sovereign”. And so I believe Europe will only be respected if it reconsiders its own sovereignty. You have to grasp the sensitivity of what we’re talking about. On the issue of 5G, we refer mostly to relationships with Chinese manufacturers; on the subject of data we mostly talk about relationships with US platforms. But today we’ve created conditions in Europe where it’s business that has decided these things. The result is that if we just allow this to continue, in ten years’ time, no one will be able to guarantee the technological soundness of your cyber-systems, no one will be able to guarantee who processes the data and how, of citizens or companies.

From what you're saying, it sounds as if you think your European partners are somewhat naive!

EM:I think Europe’s agenda was imposed on it for years and years. We were too slow on many issues. We did discuss these issues. But it wasn’t really a question we wanted to ask ourselves, because we lived in a trade-maximising world with secure alliances. The dominant ideology had a flavour of the end of history. So there will be no more great wars, tragedy has left the stage, all is wonderful. The overriding agenda is economic, no longer strategic or political. In short, the underlying idea is that if we're all linked by business, all will be fine, we won't hurt each other. In a way, that the indefinite opening of world trade is an element of making peace.

Except that, within a few years, it became clear that the world was breaking up again, that tragedy had come back on stage, that the alliances we believed to be unbreakable could be upended, that people could decide to turn their backs, that we could have diverging interests. And that at a time of globalisation, the ultimate guarantor of world trade could become protectionist. Major players in world trade could have an agenda that was more an agenda of political sovereignty, or of adjusting the domestic to the international, than of trade.

We have to be clear-sighted. I’m trying to understand the world as it is, I’m not lecturing anyone. I may be wrong. Can we blame anyone for not having seen this five or ten years ago? The United States also has its weaknesses. Take 5G: huge country, the biggest technology market. They no longer have their own genuine 5G players. They are dependent on the technology of others, the Europeans or Chinese. So it's not easy for anyone. But what I mean by this is that it seems to me that Europe was driven by a logic whose primacy was economic, with an underlying belief that was, basically, that the market economy suits everyone well. And that's not true, or not any more. We have to draw conclusions: it’s the return of a strategic agenda of sovereignty.

If we don't act, in five years’ time I won't be able to tell my fellow citizens: “Your data is protected. You want your data to be protected in France? You have this system that ensures your information is private, I can guarantee it”. If I tell them: “I can't guarantee it, I’m not the one who decides what shapes your life, from your relationship with your girlfriend, to managing your children’s daily lives and your accounts, etc...” and if we just let things happen, everything that makes up your life will be managed, used, monitored by people who have nothing to do with the state. If you want proof of this, look at Google's attitude to the European directives on copyright policy, a subject that affects you.

But in defence and technology, you described a Europe that’s failed to work together, a Europe that’s too fragmented. Do you believe that Europe can act together, within the present constitution of the European Union? Does it require a big centralisation of power, of money?

EM: These are subjects which Europe hadn’t previously taken on board. European defence was relaunched in the summer of 2017. It was something that hadn’t been put on the table since the mid-1950s, despite various efforts that began in 1999. We’ve only thought about technology in Europe in terms of the single market, ie, how to remove barriers, roaming, etc. We haven’t thought it through at all in terms of suppliers and the strategic aspect. Europe is divided on some issues, and it moves too slowly, notably on issues of economic stimulus, budgetary solidarity. It’s more the issue of integrating the euro zone, banking union, which aren’t moving fast enough, and which are a subject of division in Europe. Europe is also divided on the migration issue. Basically, Europe has been too slow to manage the two major crises it has experienced over the past ten years and to find joint solutions, on that you are right.

On the sovereignty agenda I’ve referred to, these are fairly new questions, and so we can move fast. On defence, Europe has moved quite quickly. Much more so than on other issues, because it’s basically a new environment. We need to share this geopolitical awareness and make sure that everyone is on board. On many of these subjects, the European Commission has competence: digital, single market, and now defence under enhanced cooperation. This incidentally is the French portfolio in the next Commission. That’s why it’s so important for us, but these are subjects in which the Commission has a major role to play.

As to the question of whether we change constitution, personally I don’t see the topic as closed, I’ve said that several times. But the question of whether we share the same agenda, in other words of pooling more in order to move towards a system that is somehow looser, softer, less and less strategic, I’m not in favour of that. I’m in favour of making things more effective, deciding more quickly, more clearly, changing the dogma and ideology that drive us collectively today. And to have a more sovereign, more ambitious project for Europe’s future, which is more democratic, and which on both digital and climate issues goes much faster and is more powerful. But that depends on getting the major European players behind this agenda. Having said that, I think at some point of course Europe will need to be reformed, of course we’ll need a Commission with fewer members, of course we’ll need to have qualified majority voting on a range of issues.

When we interviewed you in July 2017, you already seemed quite frustrated by Europe’s slow pace and especially by the Franco-German relationship and the Germans’ ability to work alongside you, and keep pace with you. Who will you build this Europe with, if it’s not the Germans?

EM: I’ve always said we must have the Germans alongside us, and that the British must be a partner on European defence. We’re keeping the bilateral treaties we upheld at Sandhurst. I believe that the UK has an essential role to play. Actually, the UK will be faced with the same question because the UK will be even more affected than us if the nature of NATO changes. So I see the bilateral relationship as essential from a military perspective. What is true is that the UK, even prior to Brexit, was opting for a much more aggressive strategy. From a technological and many other standpoints, they decided to abandon sovereignty for a Singapore-type model, I would call it. Personally, I’m not so sure that’s sustainable. I discussed this with Theresa May, and then with Boris Johnson, because I think it was the middle classes who reacted and voted for Brexit. I think the elites stand to gain from that type of model. I don’t believe that the middle classes do. I think the British middle classes need a better-functioning European model, in which they are better protected.
 
And with the Germans?

EM: And with the Germans you have to…

They don’t share your strategic vision!

EM: I’m in no position to lecture the Germans. They handled the turn of the millennium far better than we did. Why is there an issue with Germany? Germany isn’t at the same stage of its economic and political cycle as we are, so we need to rephase. Firstly, they handled the first decade of this century very successfully. They introduced reforms at the right time, they succeeded in opening up, in having a very competitive economy. They are the big winners of the euro zone, including of its dysfunctions. Today, it’s just that the German system needs to acknowledge that this situation is not sustainable. But as I said: persuading them, encouraging them to go in that direction, are the only means I have to bring them round to my position. I carry out my reforms, I’m not asking for their support or anything. But I tell them, even for you, this system is not sustainable. So at some point, they will be forced to readjust. Experience has shown that they sometimes take longer, but once they have made up their minds, they are better organised than many.

They don’t show very much sign of wanting to make that effort. I mean they push you back all the time.

EM: That’s not so true. On defence, they are with us, which was taboo. They are with us strategically, including on ambitious projects, including on arms exports, that’s a real asset. They’ve also supported the mechanisms for integrating the euro zone. Now we have a problem of scale, and it’s true that the taboo is the question of budget stimulus. That’s true for the whole of Europe. We set our ratios in an environment which was a very different environment in terms of rates and liquidity.

I would widen the focus. We’re in a geopolitical situation where no one can really describe China’s budgetary state. We assume that they’re going for it, they’re investing massively. The United States has increased its deficit in order to invest in strategic issues and boost the middle-income brackets. As Europe is alone in consolidating, what is Europe’s situation today? I’ve said this to other bosses in rather brutal terms, but it is a macroeconomic and financial reality. Europe is one of the continents with the highest levels of savings. A large part of those savings is used to buy American Treasury bonds. So with our savings, we’re paying for America’s future, and what’s more we’re exposing ourselves to vulnerability. It’s absurd.

Given this context, we need to rethink our macroeconomic deal. We need more expansion, more investment. Europe can’t be the only zone not to do so. I think that’s also why the debate about the 3% of national budgets and the 1% for the European budget, belongs in the past century. This sort of debate won’t enable us to develop this policy. This sort of debate won’t allow us to prepare the future. When I look at our level of investment in artificial intelligence, compared with China or the United States, we’re just not in the same league.

Could we come back to your diplomatic activity? We’ve seen a great deal of activity on the Iranian dossier, but also Ukraine. You put forward the idea of France as a balancing power, that’s to say a power that can talk to others, have an open dialogue with all. Isn’t there an element of contradiction between that ambition and the ambition to create a militarily powerful Europe?

EM: I don’t believe so in the slightest. Quite the contrary. Europe in any case has to think of itself as a balancing power. But I think that it’s France’s role, as a permanent member of the Security Council, a nuclear power, founding member of the European Union, a country which is present through its overseas territories on every continent and which remains very present because of the French-speaking world. We have unparalleled reach. Basically, only the UK, via the Commonwealth, can claim a similar reach, although it’s decided to follow a different path. But our traditions and our diplomatic history are different: we’re less aligned with American diplomacy, which in this world gives us more room for manoeuvre.

When I say balancing power, that also raises the question of our allies. But to put it very simply, we have the right not to be outright enemies with our friends’ enemies. In almost childish terms, that’s what it means. That we can speak to people and therefore build balances to stop the whole world from catching fire.

I don’t think it’s in the least incompatible. Because it’s first of all what enables us to be effective and have leverage in the European neighbourhood. It’s also what allows us to enact the fact that, for me, the point of military power is not necessarily for it to be used. It’s used in the fight against terrorism, in Africa, and as a partner in the international coalition. However, it essentially serves our diplomacy. I think it’s very important to keep both levers, and therefore to seek to play this role of balancing power as well as to maintain military credibility. These days, if you don’t have military credibility, in a world where authoritarian powers are on the rise again, it won’t work.

And actually this is why what just happened in Syria is dramatic. We’ve enacted a military retreat. It’s the opposite of what we obtained from the Americans on 13 April 2018, during the strikes against the Syrian chemical-weapons programme, which enhanced our credit in the region, including from a diplomatic standpoint. With Operation Hamilton, we carried out surgical strikes on chemical-weapons bases in Syria. We showed that the red line was being enforced. Which was not done in 2013-2014. So it’s a combination of both, I think it’s very complimentary.

You have spoken about the essential value of humanism as being the essence of what Europe brought to the world. And this evening you’ve spoken to us about a world that is more and more dominated by realpolitik, that the idea that Western values had permanently triumphed was false. Yet many of your European partners find it very difficult to act in a realpolitik way because it requires them to look the other way, to talk to Mr Putin for instance, or to deal with China despite what’s happening to the Uighurs in Xinjiang. How do you reconcile that question of humanity and humanism and the requirements of realpolitik in a hostile and dangerous world?

EM:First of all, there’s a factor which we may have underestimated, which is the principle of the sovereignty of the people. And I think that the spread of values, of the humanism that we hold high, and the universalisation of these values in which I believe, only work to the extent that you are able to convince the people. We’ve sometimes made mistakes by wanting to impose our values, by changing regimes, without popular support. It’s what happened in Iraq or in Libya. It’s perhaps what was envisaged at one point in Syria but failed. It’s an element of the Western approach, I would say in generic terms, that was a mistake at the beginning of this century, undoubtedly fatal, and sprang from the union of two forces: the right to intervene with neo-conservatism. And these two forces intertwined and produced dramatic results. Because the sovereignty of the people is in my opinion an unsurpassable factor. It’s what made us what we are, and it must be respected everywhere.

The great difficulty is that we are witnessing a sort of backlash, the return of other competing values. Non-democratic models, which are challenging European humanism like never before. I’ve often said that our model was built in the 18th century with the European Enlightenment, the market economy, individual freedom, democratic rule and the progress of the middle classes. The Chinese model is a model that brings together a market economy and an expanding middle class, but without freedom. Some people say it works, so there's some kind of living proof. I don’t know whether it’s sustainable, I don’t think so. But I think that this non-sustainability is at some point demonstrated by the people in terms of the tension it creates.

The question now is whether our model is sustainable, because I see people everywhere in our countries who are willing to go back on some of these parameters. People who say: “Well, I'm having second thoughts about the market economy, maybe in fact we should withdraw from the world and move towards protectionism or isolationism.” Others who say: “Well, I'm willing to give up certain freedoms to move towards a more authoritarian regime if it protects me more, and allows for growth and greater wealth.” This crisis is right here among us, advocated by a number of parties in our democracies. It’s emerging in Europe, and should lead us to question ourselves. And so I think it would be wrong simply to say: “I want humanism and I’m going to impose it on others.” The question is how to pursue a strategic agenda while at the same time fostering an agenda for development, an economically open agenda, a political, cultural agenda, through which you can consolidate this humanism.

That’s my firm belief for Africa and it's what I'm pushing for in African policy: a massive reinvestment in education, health, work, with Africans, a deep empowerment. It’s also the reason why I want to work with new partners. I was for example the first to host the Sudanese prime minister, from the transitional government, we’ve provided a great deal of help to Prime Minister Abiy in Ethiopia, because they embody this model, in countries we thought had turned their backs on this model. Basically, I think that European humanism, in order to win, needs to become sovereign once again and to rediscover a form of realpolitik.

We now need to think about this, to equip ourselves with the “grammar” of today, which is a grammar of power and sovereignty. This is also what justifies my cultural and copyright policy, for example. I want to defend European authors and European creativity, because this is how humanism spreads. Today the biggest threat to humanism is authoritarian regimes, but also political religious ideology. The rise of radical political Islam is undoubtedly the foremost enemy of European humanist values, which are based on the free and rational individual, equality between women and men, and emancipation. The model of subjugation and domination today is that of radical political Islam. How do you fight this? You can say, when they resort to terrorism, I’ll fight them. The other way is by fostering democracy, by demonstrating that other models, including cultural, economic and social models, can emerge.

On the subject of authoritarian regimes, you have called for a rapprochement with Russia, evoking in a way Obama's reset policy, which in the end was not a great success. What gives you reason to think that this time it will be different?

EM: I look at Russia and I ask myself what strategic choices it has. We’re talking about a country that is the size of a continent, with a vast land mass. With a declining and ageing population. A country whose GDP is the same size as Spain’s. Which is rearming at the double, more than any other European country. Which was legitimately the subject of sanctions over the Ukrainian crisis. And in my view this model is not sustainable. Russia is engaged in over-militarisation, in conflict multiplication, but has its own internal issues: demography, economy, etc. So what are its strategic options?

One option is: rebuild a superpower by itself. That will be extremely difficult, even if our own errors have given it some leverage. We showed ourselves to be weak in 2013-2014, and Ukraine happened. Today Russia is optimising its game in Syria because of our own errors. We’re giving it some breathing space, so it can still play that way. But all that is very tough, for the reasons I mentioned, along with a political and ideological model based on identity-based conservatism that prevents Russia from having a migration policy. Because the Russian population is composed of and surrounded by Muslim populations that worry it a lot. Given the size of the territory, it could have had a tremendous growth lever, namely a migration policy. But no, it’s an Orthodox conservative political project, so that won’t work. I don't believe much in this stand-alone option.

A second path that Russia could have taken is the Eurasian model. Only it has a dominant country, namely China, and I don’t think that this model would ever be balanced. We’ve seen this in recent years. I look at the table plans that are laid out for meetings for the new Silk Road, and the Russian president is seated further and further away from President Xi Jinping. He can see things are changing, and I'm not sure he likes it. But the Russian president is a child of St Petersburg. He was born there; his elder brother died in the great famine and is buried in St Petersburg. I don't believe for one second that his strategy is to be China's vassal.

And so what other options does he have left? Re-establishing a policy of balance with Europe. Being respected. He’s hard-wired to think: “Europe was the vassal of the United States, the European Union is a kind of Trojan Horse for NATO, NATO was about expansion right up to my borders.” For him, the 1990 deal wasn’t respected; there was no “safe zone”. They tried to go as far as Ukraine, and he wanted to put a stop to it, but through traumatic dealings with us. His conservatism led him to develop an anti-European project, but I don’t see how, in the long term, his project can be anything other than a partnership project with Europe.

But you’re basing your analysis on logic, not on his behaviour?

EM: Yes I am. His behaviour in recent years has been that of a man who was trained by the [security] services with a state that is more disorganised than we realise. It’s a huge country with the logic of power at its centre. And a kind of obsidional fever, that’s to say the feeling of being besieged from everywhere. He experienced terrorism before we did. He strengthened the structure of the state at the time of the Chechen wars, and then he said: “it’s coming at us from the West”.

My idea is not in the least naive. I didn’t by the way talk about a “reset”, I said it might take ten years. If we want to build peace in Europe, to rebuild European strategic autonomy, we need to reconsider our position with Russia. That the United States is really tough with Russia, it’s their administrative, political and historic superego. But there’s a sea between the two of them. It’s our neighbourhood, we have the right to autonomy, not just to follow American sanctions, to rethink the strategic relationship with Russia, without being the slightest bit naive and remaining just as tough on the Minsk process and on what’s going on in Ukraine. It’s clear that we need to rethink the strategic relationship. We have plenty of reasons to get angry with each other. There are frozen conflicts, energy issues, technology issues, cyber, defence, etc. What I’ve proposed is an exercise that consists of stating how we see the world, the risks we share, the common interests we could have, and how we rebuild what I’ve called an architecture of trust and security.

What does that mean in practical terms?

EM: It means, for example, that we’re aligned on the terrorist issue, but we don’t work enough on it together. How do we achieve that? We get our [intelligence] services to work together, we share a vision of the threat, we intervene perhaps in a more coordinated way against Islamist terrorism throughout our neighbourhood. We show that it’s in our best interests to collaborate on cyber, which is where we’re waging total war against one another. How it’s in our interests to deconflict on many issues. How it’s in our interests to resolve frozen conflicts, with perhaps a broader agenda than just the Ukrainian issue, so we look at all the frozen conflicts in the region and explain our position. What guarantee does he need? Is it in essence an EU and a NATO guarantee of no further advances on a given territory? That's what it means. It means: what are their main fears? What are ours? How do we approach them together? Which issues can we work on together? Which issues can we decide no longer to attack each other on, if I can put it that way? On which issues can we decide to reconcile? Already, sharing, we have more discussions. And I think it's very productive.

And when you speak to your counterparts in Poland and the Baltic States about this vision, what do they say?

EM: It depends on the country. In Poland, there’s some concern. But I'm starting to talk to them. Obviously I’ve talked about it first with Germany, but I do have partners who are moving on this. Finland has moved significantly, they’re in the European Intervention Initiative. I went to Finland, I was the first French President in more than 15 years to go there. President Niinistö and I spoke together, we made some progress. I’ve discussed it with Denmark, I’ve discussed it with the Baltic States—Estonia and Latvia. Things are moving forward. I'm not saying that everyone is on the same line. I had a very long discussion on this subject with Viktor Orban. He’s quite close to our views and has a key intellectual and political role within the Visegrad group, which is important. That’s also the way we may be able to convince the Poles a little more.

So, I think things are changing. I can't blame the Poles. They have a history, they have a relationship with Russia, and they wanted the American umbrella as soon as the wall fell. Things won't happen overnight. But once again, I am opening a track that I don’t think will yield results in 18 or 24 months. But I have to start all these projects at the same time, in a coherent way, with some things that should have an immediate effect and others that may have an effect in five or ten years' time. If I don't take this path, it will never open up. And I think that would be a huge mistake for us. Having a strategic vision of Europe means thinking about its neighbourhood and its partnerships. Which is something we haven’t yet done. During the debate over enlargement, it was clear that we are thinking about our neighbourhood above all in terms of access to the European Union, which is absurd.

Speaking of which, your policy towards North Macedonia and Albania has sparked a lot of criticism from your partners. How do you explain your position?

EM: But I’ve told them they’re not being consistent…

But you yourself said that you wanted a strategic Europe with regard to its neighbourhood!

EM: But should we be the only ones to say: “the strategy is to integrate our neighbourhood”? That’s a weird political purpose. In fact I’d urge you to examine the consistency of an approach that amounts to saying: “the heart of our foreign policy is enlargement”. That would mean Europe thinks of its influence only in terms of access, notably to the single market. That’s antagonistic to the idea of a powerful Europe. It’s Europe as a market.

I’ve tried to be consistent, I’ve told them: “We have a problem. We can’t make it work with 27 of us; 28 today, 27 tomorrow. Do you think it will work better if there are 30 or 32 of us?” And they tell me: “If we start talks now, it will be in ten or 15 years.” That’s not being honest with our citizens or with those countries. I’ve said to them: “Look at banking union”. The crisis in 2008 with these big decisions; end of banking union in 2028. It’s taking us 20 years to reform. So even if we open these negotiations now, we still won’t have reformed our union if we carry on at today’s pace.

So for me we need: one, a consistency test. If we want a powerful Europe, it has to move faster and be more integrated. That’s not compatible with the opening of an enlargement process right now. Two, those who tell you that we must enlarge are the same who say we must keep the budget at 1%. That's the metaphor I used about toast the other day. Some want the piece of toast to keep getting bigger and bigger, but when it comes to spreading on more butter, they refuse. In the end Europe becomes a market, but there is no longer any solidarity, and no policy for the future. If we spend the same amount of money on something that’s bigger, there’s no longer any convergence policy, there’s no longer any political project in the long run, and there’s no longer any capacity to invest in relation to the outside world. So then they tell you: it’s the only way to prevent Russia, Turkey and China from being the kingmakers in these countries. But these influences persist, and are increasing, in countries that are already in negotiations, or sometimes even already members.

At the very least if we said: “We’ll make an effort, we’ll invest, we’ll tell our businesses to go full speed ahead, we’ll spend on development, on culture, education”, that would make sense. Opening a purely bureaucratic process is absurd.

I should add that most of them were in favour of opening up to North Macedonia, but nearly half of them were against opening up to Albania. Fatal error.

Do you think they’re hiding behind France?

EM: I don’t just think that, I know it. Ask them tomorrow whether they want to open the door to Albania. Half of them will say no. They want to open up to North Macedonia, it’s small, it’s changed its name and that’s a real historic achievement. It doesn’t frighten anyone. The reality is that if we don’t open up to Albania, we’ll inflict a terrible trauma on the region. There are Albanian-speaking communities everywhere. If you humiliate Albania, you will destabilise the region in a lasting way.

So my conviction is that, one, we need to reform our membership procedures, they’re no longer fit for purpose. They’re not strategic. They’re not political, too bureaucratic and not reversible, whereas you have to be able at some point to consider the question of reversibility. Two, if you’re concerned about this region, the first question is neither Macedonia, nor Albania, it’s Bosnia-Herzegovina. The time-bomb that’s ticking right next to Croatia, and which faces the problem of returning jihadists, is Bosnia-Herzegovina. The third issue is that we need to reform our membership procedures before we open negotiations. If we achieve this reform in the coming months, I’d be ready to open negotiations. If they’ve also made the few extra remaining efforts. But I don’t want any further new members until we’ve reformed the European Union itself. In my opinion that’s an honest, and indispensable, prerequisite.

One last question: it seems to me a corollary of what you are saying about Syria and Turkey that, in the long run, Turkey doesn’t belong in NATO. Is that your view?

EM: I couldn’t say. It’s not in our interest to push them out but perhaps to reconsider what NATO is. I applied exactly the same reasoning to the Council of Europe and Russia. I was roundly criticised for that, but I believe it’s a stronger message because the Council of Europe involves obligations. Keeping Russia in the Council of Europe was about giving greater protection to Russian citizens. In any case, I think the question that needs to be asked is: “What does it mean to belong to NATO?” I think that, in the current context, it’s more in our interest to try to keep Turkey within the framework, and in a responsible mindset, but that also means that given the way NATO operates today, NATO’s ultimate guarantee must be clear with regards to Turkey. And today, what’s caused this friction? What we have seen, why I spoke about “brain death”, is that NATO as a system doesn’t regulate its members. So as soon as you have a member who feels they have a right to head off on their own, granted by the United States of America, they do it. And that’s what happened.

Thank you very much

EM: Thank you


ELECTORALE 2019

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G-ral (r) Rogojan  În cazul particular al României, au existat situații nefericite, în care un prezidențiabil sau altul și-a manifestat disponibilitatea la trădare. Un candidat, de exemplu, era preferatul americanilor, iar contracandidatul, deși creditat și el ca mare prieten al Americii, având oarecare temeri că oponentul său ar fi mai mult dorit la Washington, a dorit să asigure Moscova de avantajele de care va beneficia Rusia dacă el va deveni președintele României. Un magnat autohton, cu vechime în relațiile cu rușii atestată de U.M. 0110 – Departamentul anti-K.G:B., i-a dat acestuia lista viitorului guvern al României. Acest candidat a câștigat alegerile prezidențiale. „Marja erorilor de soft“ l-a declarat însă victorios pe candidatul care, în realitate, fusese învins.

Actualul președinte, Klaus Iohannis, și-a lansat candidatura pe data de 27 septembrie 2014, dar despre faptul că va fi în mod cert președinte am aflat cu șapte luni înainte, în februarie. În aceeași lună, Crin Antonescu este părăsit de directorul său de campanie, Niels Schnecker, și s-a spart Uniunea Social-Liberală, după o vizită nereușită în S.U.A. a lui Victor Ponta. Anterior, în 2013, Niels Schnecker și-a îndeplinit exemplar ordinul de misiune de a-l decredibiliza irevocabil pe prezidențiabilul U.S.L. Crin Antonescu, cu prilejul unei vizite, care trebuia să fie de susținere, în S.U.A.

Avem exemple și pentru alte celelalte decât cele la care ne-am referit.

Trebuie spus că au fost și implicări ce exclud legitimitatea. Serviciile, când s-au implicat, au făcut-o la ordinul sau cu acceptul explicit ori tacit al președintelui, parte sau nu a campaniei prezidențiale. Ion Iliescu, de exemplu, pe fondul aversiunii sale față de Adrian Năstase, a refuzat ideea unui „sprijin discret“, real, pentru campania prezidențială a acestuia.

Nu trebuie excluse implicările la sugestia, mai mult sau mai puțin discretă, a unor puternici parteneri externi.

Nu pot rămâne neobservate complicitățile la securizarea unor manopere de deturnare a voinței electoratului și atitudine pasivă chiar față de fraudarea masivă a rezultatelor votului.
Este, în continuare, de actualitate complicitatea la falsificarea datelor statistice privind numărul populației votante. Cu un ecart de 2-3 milioane, 500.000 de C.N.P.-uri ale nimănui și circa 180.000 marja erorilor de implementare și operare în sistemul informatic, plus controlul și posibilitatea imixtiunii furnizorului cheii de criptare, toate acestea constituind premisele ca între turul I și turul II (citez Traian Băsescu): „Să se basculeze 2-3 milioane de voturi“.”



Mirel Palada    O echipă de rugby, oricît de bine ar juca, nu are nici o șansă în fața adversarului dacă arbitrul e de partea celorlalți. Nici o șansă.

În politică e ca în sport. Cînd două tabere se luptă, nu contează cît de bun ești, dacă arbitrul ține cu ceilalți.

Din 2004 încoace, asta se vede în România aproape în fiecare zi. Cine controlează justiția controlează arbitrul și regulile jocului și cîștigă întotdeauna.

2004, Năstase a cîștigat alegerile. N-a contat. Arbitrul a ținut cu ei. 2009. Gioană a cîștigat alegerile. N-a contat. Arbitrul a pus în sac cît trebuia. 2012. Băsescu a fost demis la referendum de către milioane de români. N-a contat. Noaptea, ca hoții, arbitrii au dat erată.

Mereu și mereu și mereu. Videanu fură? Nu contează. Nu e arestat. Blaga e prins cu sute de mii de euro în portbagaj? Nu contează. E bun, e de partea cui trebuie. Nu pățește nimic. Băsescu e dovedit că a încălcat legea privind poliția politică și a fost Petrov de cînd lumea și pămîntul? Nu contează. Președintele să trăiască.

Modelul dictatorial nu este o invenție nouă, românească. Naziștii l-au folosit. Sovieticii l-au folosit. Americanii l-au folosit.

Toți hegemonii știu un lucru foarte simplu. Cine controlează justiția controlează arbitrii. Controlează regulile jocului.

Își poate aresta adversarii politici cu legea în mînă. Își poate demoniza adversarii politici, acuzîndu-i de corupție, ca mai apoi justiția să-i "dovedească" imediat, întocmai și la timp, confirmînd propaganda.

E simplu. E dumnezeiesc de simplu. O rețetă aplicată în toată America de Sud. În Italia. În Grecia. În Turcia. O rețetă infailibilă.

Problema este că adevărata corupție este atunci cînd pervertești judecătorii și procurorii și întreg actul de justiție și construiești un stat dictatorial. Atunci cînd încalci Constituția și alterezi procesul democratic, pișîndu-te pe el de rezultat al votului și scoțînd din urnă ce trebuie.

Problema este că adevărata trădare de țară este cînd dărîmi guverne legitime, rezultate prin vot, singurul lucru care contează într-o democrație, și pe bază de operațiuni speciale specifice aduci la conducere pe unii pe care nu i-a votat lumea. Colectiv 2014. Comisarul european 2019.

Problema este că adevărata trădare de țară este atunci cînd dărîmi guvernul propriei tale țări pentru interese străine. Atunci cînd ții mai mult cu Merkel și cu interesele germane decît cu țara. Atunci cînd capitala ta este la Berlin, nu la București. Atunci cînd fidelitatea ta este către străini, nu către români.

Și mai și te bucuri și te lauzi în cadru oficial cum ți-ai vîndut țara nemților. Și mai și ai tupeul să-i acuzi pe ceilalți că sînt cu rușii, cînd tu de fapt pui țara pe tavă străinilor!

Problema este că nu se va întîmpla nimic. Justiția nu va acționa, pentru că este de partea lor. E cumpărată, e pervertită, e la ordin. Arestează doar pe cine trebuie.

Problema este că instituțiile de forță fac parte din această problemă. Armata. Serviciile. Justiția. Toți o miliție care controlează un teritoriu și un popor în interesul străinilor.

Problema este că au transformat țara într-o colonie, în care doar străinii au voie să decidă ce se întîmplă în această gubernie mediocră.

Problema este că românilor nu le pasă de asta. Avem așa un suflet de slugă în noi, încît nu ne pasă. Ținem mai mult cu străinii decît cu românii.

Îi considerăm superiori, semizei, ubermenschi, care au tot dreptul să ni se pișe în cap și să ne dikteze cum să ne trăim viața.

Cum să ne guvernăm țara. Cui să dăm peșcheșul de plus valoare și să ne și bucurăm că nu-i zice peșcheș, îi zice productivitate și globalizare și insulele Seychelles.

Problema este că va trebui să treacă o generație pentru a ne da seama cît de slugi sîntem.

Ca evreii în pustie, cînd au hălăduit 40 de ani pentru a pieri cei care se născuseră sclavi. Moise a fost un mare înțelept.

Ca turcii care au trebuit să aștepte 40 de ani, fix o generație, pentru a-și recupera țara.

Ca grecii care și ei au avut nevoie de o generație pentru a încerca să se lepede de hegemonie.

Problema este că trăim într-o țară care nu e nici liberă, nici democrație. Și populată de un popor cu suflet de slugă. O întreagă generație cu suflet de slugă. Care, evident, are mereu dreptate.

Pentru că, nu-i așa, poporul are mereu dreptate. Chiar și cînd e în minoritate, nu-i o problemă. Rezolvă băieții situația. Transformă din butoane minoritatea în majoritate.

Și ne place. Să vedeți voi mîine ce ne place..


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Dan Diaconu    Înainte de a înjura vă rog să vă gândiţi bine. Tot circul pe care l-am trăit în ultimii treizeci de ani a culminat cu evenimentele de aseară. Un retardat care refuză o confruntare directă cu contracandidata sa urmează să fie ales preşedinte. Un retardat care, pentru a para momentul jenant în care se află, îşi organizează o chermeză mediatică jalnică unde nişte servitori îi pun întrebări atât de facile încât şi-un copil ar putea „trece peste moment”. Un prostovan care abia articulează bine, un sec, fără capacitatea de a raţiona, repetând ca un robot slogane golite de sens, iată actualul şi viitorul preşedinte al României. N-o simţiţi ca pe un afront personal? Nu vă simţiţi jigniţi de aşa o situaţie?

Absolut tot ceea ce se întâmplă cu noi are o cauză profundă, ţinând strict de sistemul politic instaurat după 89. Voi spune direct, fără ocolişuri: vinovăţia pentru stagnarea în acest hal a societăţii o poartă ceea ce generic numim democraţie. E un sistem abject în care permanent o ţară e nevoită să-şi reducă aspiraţiile la cel mai mic numitor comun. Simţim aceasta nu doar la noi, ci peste tot pe unde „democraţia funcţionează”.

Uitaţi-vă la Anglia, la Franţa sau Germania. Toate conduse de papiţoi mestecând concepte goale de sens. Uitaţi-vă la SUA - patria cea mai avansată în domeniul democraţiei - ce spectacol macabru înfăţişează. Uitaţi-vă peste tot şi veţi vedea doar state eşuate sau cotropite de forţe ilegitime care mimează aşa-zisa „egalitate deplină în faţa legii”.

Democraţia e virusul care a omorât societăţile tradiţionale rupându-le de tradiţie şi care, prin aceasta, a reuşit să înscrie lumea pe un drum fără întoarcere. Mai circumspecţi, englezii şi-au menţinut monarhia. Însă climatul democratic a detonat-o programatic astfel încât, în prezent, şi monarhia britanică e tot o formă fără fond.

În condiţiile în care este imposibilă întoarcerea în trecut, iar prezentul e din ce în ce mai obsedant, care ar fi soluţiile? În mod sigur continuarea în aceeaşi direcţie de permanentă „reducere la cel mai mic numitor comun” nu are decât o finalitate: prăbuşirea societăţii. La ce altceva te poţi aştepta de la o societate care se auto-prosteşte programatic pentru a respecta „canoanele stricte ale democraţiei”? Căci, nu-i aşa, pentru a fi toţi egali trebuie să fim toţi la fel de proşti.

Gândiţi-vă puţin la ceea ce v-am spus acum. E clar că nu mai merge aşa, că iluzia cu „fiecare are dreptul la opinia sa” costă prea mult. La ce bun ca un analfabet care nu înţelege nimic din această viaţă să influenţeze prin „dreptul lui” opinii fundamentate ale unor oameni care, cel puţin, au avut bunul simţ de-a studia o problemă. Un prost nu face altceva decât să voteze ce-i spune propaganda. Ori, a transforma propaganda în motor de canalizare socială e cea mai mare jignire pentru fiinţa umană.

În realitate democraţia nu există şi nu e funcţională. Terminaţi cu şabloanele şi priviţi realitatea în faţă: democraţia înseamnă un retardat incapabil în fruntea statului. Nu v-aţi plictisit de asemenea spectacole macabre? Hai mai bine să privim realitatea-n faţă şi să încercăm să găsim altceva mai bun care, cel puţin, va promite să împingă în faţă oameni oneşti nu proşti histrionici şi dominaţi de reacţiile maladiilor psihice care-i chinuie.


Constantin Gheorghe    Ludovic Orban, la Congresul PPE de la Zagreb, declară cu nonșalanță că în România a fost dată o lovitură de stat, pentru a oferi delicatei doamne Ursula von der Leyen majoritate PPE în Comisie. Iar românii sunt muți de fericire că au scăpat de Ciuma Roșie, și o să curgă laptele și mierea!

”„Cetățenii europeni au votat pentru popularii europeni și au oferit o victorie în alegeri pentru PPE la nivel european. Am obținut majoritatea în Parlamentul European. Socialiștii au sperat că vor pune președintele Comisiei chiar dacă nu au câștigat alegerile, însă în cele din urmă PPE a reușit să își impună președintele. Totuși, când am numărat comisarii, am descoperit o situație injustă. PPE nu avea majoritate în Comisia Europeană. Socialiștii aveau 10 comisari și popularii europeni aveau 9 comisari. Am decis în România să nu acceptăm această situație injustă, pentru că cetățenii au vrut să ofere majoritatea popularilor europeni. Așadar, am schimbat guvernul socialist cu unul popular european și am numit un comisar PPE din partea României, pe Adina Vălean”, le-a transmis Ludovic Orban liderilor PPE.”

Cum ceea ce s-a întâmplat în Parlament nu era posibil fără intervenția serviciilor secrete românești, care au ”cumpărat” prin șantaj voturile necesare aprobării Moțiunii și apoi aprobării noului Guvern, putem spune că am asistat la o lovitură de stat militară. Care este începutul fascizării Europei. Ceea ce s-a întâmplat în România se poate întâmpla oriunde în UE, dacă interesele Germaniei cer asta. Pentru că PPE înseamnă, de fapt, Germania.

Să cred că va cerceta cineva afirmațiile lui Orban? Cu Hellvig șef la SRI și cu Coldea activ în ”piață”, cu controlul pe care-l exercită serviciile asupra scenei politice? Cine se mai poate opune acestei veritabile mafii, care și-a uitat misiune, jurământ de credință, obligații morale?

Oricum, prieteni, suntem pe cont propriu. Ce putem spera este să nu ne terminăm viața într-un lagăr de exterminare. Atât! În rest, România a încetat să mai existe, românii, la fel. Exagerez? Nici vorbă! Cine să se opună regimului instaurat de Iohannis, când el este produsul celor de la care așteptăm ajutor? Ne-am făcut-o cu mâna noastră, pentru că nu ne-a păsat de nimeni și de nimic. Și pentru că nu iubim nici libertate, nici națiune, nimic! Asta e, să ne fie țărâna ușoară!




Constantin Gheorghe    PSD nu are de ales: trebuie să-și retragă candidatul din cursa pentru Cotroceni, procesul electoral este profund viciat, și să ceară anchetarea declarațiilor lui Ludovic Orban, făcute la Zagreb, la Congresul PPE. Nu poți continua să te faci că nu înțelegi că în România a avut loc o lovitură de stat, la ordinul Germaniei, lovitură executată de serviciile secrete românești, care au trădat la modul cel mai ticălos țara, și națiunea română. Pur și simplu am încetat să existăm, ca stat. Parlamentul este doar o marionetă. Guvernul este ilegitim și neconstituțional. Alegerile sunt profund viciate. Ne-am pierdut independența și suveranitatea. Și nu ne pasă? Atunci primim ce merităm!

Ana Maria State     Asta era clar de la inceput, chiar am si citit-o la mai multi oameni destepti, ca miza circului era comisarul. Problema nu e ce au facut ei, problema e lipsa de reactie de la noi, inclusiv a populatiei care mai intelege ce se intampla...

Constantin Gheorghe     Eu am scris primul asta, de multă vreme. Era evident că și madam Ursula e o marionetă, care habar n-are de viața ei. Oricum nu contează. Suntem pe cont propriu, și-i avem împotriva noastră exact pe cei care trebuie să apere statalitatea și continuitatea statului român.

Ana Maria State    mie imi place cum, in acelasi timp cu servilismul nostru, ii dam exemplu pe unguri si polonezi, cum se lupta ei pentru tarile lor. Suntem in aceeasi zona de “s-a stricat, nu s-a facut”, impersonala, in care doar bocim ca niste babe, pe ulita...

Cristina Zdritea    Cu regret constat că nimeni din PSD nu a spus niciun cuvânt.
Să ne scutească cu victimizarea dacă nici la aceste afirmații nu iau atitudine. Europarlamentarii erau plecați?
Ăsta este motivul pentru care Polonia si poporul polonez "pot" si noi nu. Pentru că niciun deputat sau senator NU SPUNE ADEVĂRUL, ci doar ce TREBUIE pentru alții.
Am mai zis, la locale si parlamentare să zică merci dacă vor lua 10%.

Gabriela Savitsky    Vezi să nu. E vina Viorichii (sic) că nu a numit pe altcineva, Bostinaru, Pascu. Ce nu înțeleg oamenii (unii) e că pe oricine ar fi desemnat, tor nu era bun că n-avea bască.


Dan Diaconu     A fost nevoie de un beţiv prost ca Orban pentru ca lucrurile să capete înţeles chiar şi pentru cei mai puţini la creier dintre mioritici. Gângurind pe un ton de beţiv sfătos, într-o engleză aproximativă în care acordul şi timpul erau scoase în afara legii, premierul nostru de carton a spus cu subiect şi predicat că dărâmarea Guvernului PSD a fost o operaţiune menită a asigura majoritatea PPE în Comisia Europeană.

De-aici însă încep problemele. Aşadar nu „performanţa”, nu „mişcările politice”, nu „votul românaşilor” sau „guvernarea dezastruoasă” au fost cauzele forţării schimbării de macaz politic, ci necesitatea ca PPE-ul să obţină majoritatea în Comisia Europeană. Ceea ce-a spus nea Ludo e deja un autodenunţ deoarece nu mai avem de-a face cu o mişcare politică, ci cu instrumentarea unei lovituri de stat coordonată din afară.

A fost nevoie de securiştii lui Ponta, alături de cei ai lui Tăriceanu, cărora li s-au adăugat acoperiţii rămaşi în PSD pentru a pune în scenă operaţiunea „căderea Guvernului”. Prin prisma informaţiilor lui Sică, lucrurile capătă sens. Să-l luăm pe Ponta. Mai ţineţi minte cum s-a întors el cu „foaia de parcurs” de la Barroso şi a cotit-o astfel încât să-l menţină pe băsescu - alt beţiv inconştient - în funcţia de preşedinte? Şi aia tot o operaţiune PPE a fost. Însă, dincolo de treburile care se văd la suprafaţă, de-a dreptul fascinant este mondul în care sunt puse la cale subteran aceste mişcări.

Cum lesne se observă, de fiecare dată când PPE are vreun interes, înainte de paiaţele aflate la vedere, se activează băieţii veseli din subteran. Astfel toţi acoperiţii din politică încep să devină nervoşi, în timp ce mâncătorii de căcat profesionişti - a se citi presaşii - intră în trepidaţie. Întreaga maşină a statului subteran se aprinde şi amplifică asurzitor fiecare eveniment. S-a împiedicat o babă pe stradă? „Nemernicii sunt de vină!” A nins? „Proştii e dă vină!”. Şi tot aşa. Zgomotul devine asurzitor şi, la momentul oportun, se dă lovitura. Ba un „Colectiv”, ba o „Moţiune”, ba mai ştiu eu ce.

Problema e că tot jocul e ilegal după orice standard. Chiar şi-n lumea de azi în care golanii din spatele scenei îşi fac de cap, un asemenea partizanat denotă unui provincialism incalificabil. Să dai o lovitură de stat - instrumentalizată de facto de către serviciile secrete ale propriei ţări - pentru beneficiul unui partid politic european e ceva incalificabil. E un comportament tipic de ţară africană, în care cu câţiva ţăcănei îţi poţi asigura controlul serviciului de securitate şi al armatei respectivei ţări.

Jocul aceste e de un atât de mare prost gust încât depăşeşte orice imaginaţie. Pur şi simplu ne descalifică. Nu mai suntem ţară, nici măcar colonie, ci o adunătură ineptă a cărei constantă este lupta împotriva bunului simţ. Este cât se poate de clar că suntem într-o disoluţie profundă a statului. Altfel nu poţi forţa aducerea la putere a unor amatori jalnici doar pentru că nişte prostovani din Europa aveau nevoie de un post în plus într-o construcţie cvasi-inutilă.

Nu-ţi trebuia minte multă pentru a înţelege că nu e nimic în spatele sloganelor de rahat repetate de gaşca de retardaţi care-l are pe prostul naţional în frunte. Însă acum, când se dovedeşte că în fapt tot tărăboiul n-a fost decât o altă pagină jenantă de tipul „a vrut sufleţelul tău comisar european?”, acum socoteala a devenit de-a dreptul obsedantă.

O spun de multă vreme, dar poate o s-o priceapă odată şi-odată toată lumea. De peste 150 de ani statul român este unul eşuat. Nu mai merge aşa. Pur şi simplu trebuie schimbat ceva în profunzime. N-ai cum să supravieţuieşti ca naţiune în condiţiile în care serviciile de securitate sunt penetrate de interese jalnice, iar armata se află în slujba duşmanilor poporului. N-ai cum să fii o naţiune în condiţiile în care Finanţele ţării sunt puse la dispoziţia multinaţionalelor, iar justiţia se comportă precum câinele turbat pus să-l devoreze pe cel care-ar trebui să-i fie stăpân. Ţara asta nu mai e ţară decât după ce o deparazităm cu totul. Trebuie să nu mai rămână piatră pe piatră, să readucem în prim-plan curţile marţiale care şapte zile pe săptămână, 24 de ore din 24 să nu facă altceva decât să condamne pe bandă rulantă toţi trădătorii care nu doar că au transformat ţara într-o epavă, ci s-au luptat pe viaţă şi pe moarte s-o menţină aşa.

Reţineţi constanta istoriei naţionale de până acum: după Cuza, de fiecare dată decontul a fost plătit de români, în ciuda faptului că am fost împinşi acolo unde nu ne doream de străinii de neam şi ţară pripăşiţi pe-aici. De fiecare dată cei care ne-au împins în dezastru au fost străini, dar de plătit am plătit noi. Nu v-aţi plictisit de acest joc stupid? Nu v-aţi plictisit să munciţi pentru a plăti pensii - care oriunde în lume echivalează cu salarii ale executivilor de rang A - în timp ce-i învinovăţiţi pe părinţii voştri pentru pensiile de rahat pe care le încasează? Nu v-aţi plictisit să vă ploconiţi în faţa unor funcţionari ai statului care-ar trebui să fie slujitorii voştri? Nu v-aţi plictisit să priviţi pasiv cum sunteţi jefuiţi „cu legea-n mână”? Nu vi s-a luat să vedeţi casta golanilor din justiţie comportându-se ca stat în stat pe banii voştri? Să vedeţi casta securiştilor jefuindu-vă pentru că „le dreptul legea”? Nu vi s-a luat de toate aceste mizerii?

O să vă repet un lucru simplu: Partidul Popular European e o gaşcă de proşti. La fel cum gruparea Socialiştilor Europeni e o altă gaşcă de proşti. La fel cum gruparea nu-ştiu-cum a lui Macron e tot o gaşcă de proşti. Toate aceste construcţii sunt de o inutilitate crasă. Ori, să ajungi tu ca ţară să dai jos un guvern doar pentru că o asemenea gaşcă de prostovani inutili avea nevoie de un comisar într-un organism castrat, asta deja nu mai e decât oligofrenie pe faţă. E ca şi cum te-ai hotărî să schimbi conducerea ţării pentru că un securist beat a pariat pe asta într-un cazino.

Vă rog să vă gândiţi bine la ceea ce vedeţi în faţa ochilor şi să nu mă mai întrebaţi „ce-i de făcut?”. Dacă nici acum nu realizaţi ce e de făcut, atunci e grav!


Gheorghe Piperea    Musiu Orban L. a spus la Zagreb, la congresul Partidului Popular European, ca guvernul PSD trebuia dat jos pentru a asigura majoritatea PPE in Comisia Europeana.

Gura pacatosului mahmur după șlibovița în exces adevăr grăiește.

Deci, de aia dl Johannis (prezent si el la congres, in respectul deosebit al Constitutiei, care spune ca presedintele in functie este independent politic) vrea sa scape tara de pesedeu si de aia este in război cu ciuma rosie. O Românie normală este un instrument al unor jocuri politice si sekuristice făcute “afară”, adica în acel tărâm magic si vag definit din visul românilor care vor “o țară ca afară”.

Trump dislike this.
Macron n’est pas d’accord avec cette strategie.
Путин абсолютно в восторге.

Noi, cei de-acasă, însă, suntem “lămuriți”. Alegerile de mâine sunt “libere”, iar votul nostru chiar contează. Cam ca în zicala lui Mark Twain...


Constantin Gheorghe    Să zicem că scoaterea PSD în afara legii ar fi un act acceptabil, prin motivații. Nu e, dar să zicem. Ce probleme ale României rezolvă acest act extrem, fără precedent în UE, pentru că nu este vorba despre nu știu ce grupuscul extremist, ci despre un partid absolut constituțional și legal, votat de milioane de oameni, care dus România exact în direcția intereselor sale fundamentale: UE și NATO.

Scapă Iohannis de o bătaie de cap. Fie! Își pune guvernele lui. Fie! Își aranjează majoritățile lui parlamentare. Fie și asta! Dar pentru ce? Care este planul lui pentru România? S-o bage în UE? Păi e acolo! S-o bage în NATO? e acolo! S-o bage în Schengen? Pentru asta nu e nevoie de cvasi război civil!

S-o ofere drept ofrandă zeilor Berlinului și Bruxellesului? Or fi ăia cum or fi, dar astfel de lucruri se fac mai subtil, nu cu parul. Și oricum au dovedit că, indiferent care ar fi culoarea guvernului de la București, au suficiente mijloace să îl aducă pe drumul cel bun, fără să se compromită.

Mie mi se pare mai degrabă o operațiune privată, în care se amestecă ”armonios” grupuri de interese economice din Germania, Austria, Olanda, poate și Franța, ceva americani, oameni din serviciile de informații, din România și din afara ei, indivizi din PPE, care s-au mai folosit de acoperirea partidului pentru a atinge interese strict private. Au la dispoziție o întreagă mașinărie propagandistică, o fabrică de fum, care îi ține ascunși privirilor românilor.

Toată povestea asta poate compromite grav UE, într-un moment extrem de delicat pentru ea. De fapt, și asta nu înțeleg cei de la Bruxelles, viitorul Uniunii nu se joacă în Marea Britanie. Viitorul ei se joacă în România. Iar dușmanii Uniunii stau la pândă, și vor folosi cazul ”România” împotriva Uniunii. Trump de mult îi așteaptă la colț. Faptul că s-a oprit la Ucraina nu e neapărat pentru a-l lovi pe Jo Baiden. Ci pentru a lovi mai ales Germania, cea care a declanșat criza din Ucraina, după care n-a mai știut ce să facă. Sincer, cât de greu le va fi americanilor să arate cu degetul spre Germania, în cazul unei crize grave în România? Având consolidată prezența în Polonia și în Ungaria, alte țări fericite cu prostiile Berlinului și Bruxellesului?

E doar o parte a problemei lui Iohannis, dacă se lasă purtat de val și depășește niște limite. Să fim serioși: ca să ne stoarcă de bani pentru armament, Washingtonul nu are nevoie de Iohannis, și nici de liberali la Palatul Victoria. Pesediștii au luat deciziile referitoare la achizițiile de armament. Și oricine ar face la fel, adică va plăti stoic taxa de protecție! Și atunci? Atunci americanii vor un singur lucru: stabilitate politică și socială. Cine bagă bățul prin gard, la București, va simți palma grea a Unchiului Sam, mai devreme sau mai târziu. Grav este că am ajuns un stat atât de slab, încât o mână de combinagii îl poate trece pe numele ei...


Poporul este cretinizat pentru a bătători calea spre dictatură

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În recenta sa carte, „Teoria dictaturii”, Michel Onfray prezintă opera lui George Orwell ca pe o perfectă prefigurare a lumii contemporane. Pe baza celor două lucrări fundamentale ale britanicului, „Ferma animalelor” și „1984”, Onfray distinge șapte principii ale oricărei dictaturi:
– distrugerea Libertății;
– sărăcirea și pervertirea Limbii;
– abolirea Adevărului;
– suprimarea Istoriei;
– negarea Naturii;
– propagarea urii;
– aspirațiile imperialiste.
Criticile lui Michel Onfray la adresa societății contemporane, asfixiate de curentele și efluviile neo-marxiste sunt cu atât mai interesante cu cât vin din partea unui gânditor de stânga și ateu declarat pe deasupra. Atenție, însă, el prețuiește capitalismul și, spre deosebire de Cațavencu, nu vrea „progresul cu orice preț”.
Iată mai jos excepționalul interviu acordat publicației belgiene L’Echo:

O putere fără chip exercită un control total asupra oamenilor

  • Afirmați că George Orwell este un uriaș gânditor politic. A descris toate dictaturile secolului XX și a anticipat epoca noastră. Care sunt semnele de totalitarism ale zilelor noastre? Nu este puțin exagerat? Am intrat cu adevărat într-o nouă formă de dictatură?
Nu, nu este exagerat, deoarece eu nu spun că ne-am întors la nazism sau la stalinism. Ce mă interesează, nu este cum funcționa totalitarismul odinioară, ci cum funcționează el în vremea internetului, a digitalizării și a telefoanelor mobile. Acest totalitarism contemporan nu poartă cască sau cizme. În schimb, trăim într-o societate a controlului: faptul că putem fi ascultați în permanență, faptul că se strâng date despre noi etc. Această societate a controlului se află într-un punct de criză nemaiatins până acum.
  • Așadar, noile tehnologii nu ne aduc nici un avantaj?
Ne aflăm într-un fel de servitute voluntară față de noile tehnologii. Însă uneori situația este foarte perversă. De exemplu, pentru asigurarea confidențialității, ți se cere să accepți anumite lucruri… Însă, acceptându-le, dai unele informații către GAFA (inițialele celor patru coloși a internetului Google – Amazon – Facebook – Apple n.r.). Poți accepta dispozitivul de control, dar îl poți și refuza. Însă dacă îl refuzi, nu te mai poți deplasa cu avionul, trenul etc.
  • Orwell a anticipat asta?
Orwell își exprimă gândirea cu ajutorul unui roman. Folosește ficțiunea. Dar SF-ul său nu mai este ficțiune; a devenit ștință. Acel tele-ecran care ne supraveghează în permanență există astăzi în realitate. Orwell a inventat lucruri legate de controlul și invizibilitatea puterilor. Exact asta deosebește vechiul totalitarism de cel de astăzi. Înainte, puterea avea un chip identificabil. Dar, astăzi, cine decide? Unde sunt oamenii care fac posibile aceste lucruri? Eu sunt convins că tipii de pe Coasta de Vest americană au un proiect de dominare a lumii și un proiect transhumanist.
  • Responsabil de această situație este capitalismul scăpat de sub control?
Capitalismul nu va dispărea; el este consubstanțial cu omul. Astăzi, nu mai există nici un inamic în fața lui. După căderea blocului sovietic, capitalismul a crezut că poate triumfa. Unii, precum Fukuyama, au afirmat chiar că este sfârșitul istoriei, victoria totală a liberalismului. Totuși, lumea nu este făcută doar din capitaliști și comuniști. Există și puteri spirituale, ca Islamul. Am văzut la 11 septembrie 2001.

„Populicizii” și moartea democrației reprezentative

  • Credeți că democrația reprezentativă a murit?
Da. Nu mai există nici o legătură între popoare și reprezentanții lor. În adunări și parlamente există o supra-reprezentare a profesiilor liberale: avocați, profesori etc. Puțini sunt ciobani, șoferi de taxi sau studenți. Ceea ce înseamnă că există o parte a societății care pur și simplu nu este reprezentată. În plus, pentru a spera să fii ales, trebuie să ai bani, să te conformezi cerințelor unui aparat, să treci prin sita unui partid. Democrația reprezentativă este de domeniul trecutului. Referendumul pe tema Tratatului de la Maastricht („Imperiul mastrichtian” este subtitlul cărții „Teoria dictaturii” a lui Onfray – n.r.) a fost o perfectă întruchipare a limitei sale: aleșii acționează împotriva poporului.
  • Cum definiți populismul față de care există atâta teamă astăzi, dumneavoastă, care aveți încredere în popor pentru renașterea democrației?
Nu am nici o problemă să mă definesc ca populist. Totuși, eu fac diferența între populiști și „populicizi”. Aici rezidă problema; și nu, cum ne fac să credem, între populiști și democrați. Macron, Chirac și Mitterand sunt niște „populicizi”. Acești oameni nu vor să guverneze pentru popor. Referendumul pentru inițiativa cetățenească (Aceasta este principala revendicare a mișcării Vestelor Galbene. Ea propune instaurarea unui fel de democrație directă, prin care, un anumit număr de cetățeni poate convoca un referendum, fără a fi necesar acordul parlamentului sau președintelui. Referendumul ar avea puterea de a revoca o lege aprobată de Parlament sau un tratat, de a modifica constituția sau a revoca un demnitar ales – n.r.) este o idee foarte interesantă. Ideea de a exista niște aleși revocabili este un lucru bun.
Evident, în contextul actual, cretinizarea progresivă a poporului reprezintă o adevărată problemă. Și aici am să vă surprind prin raport cu ceea ce am spus mai înainte: marele avantaj al internetului este că poporul poate să meargă să caute informații alternative. Faptul ca un text de lege să fie conceput și criticat de popor reprezintă o idee splendidă.

Greta Thunberg este confiscată de „capitaliștii verzi”

  • Ce credeți despre mișcările de nesupunere civică pe care le vedem apărând?
Când Thoreau vorbea de nesupunere civică, el se referea la războiul împotriva Mexicului. Când Martin Luther King și-a însușit acest concept, a făcut-o pentru a lupta împotriva rasismului. La fel și Gandhi, când a dorit independența Indiei. Astăzi, toată lumea consideră că nesupunere civică trebuie să funcționeze permanent. Întrebarea ce se ridică în legătură cu toate aceste mișcări este următoarea: care este marea cauză ce trebuie apărată? Suntem nevoiți să constatăm că adesea este vorba despre o cauză personală. De exemplu, un profesor va ajunge să refuze să dea o dictare elevilor sau să organizeze un examen pentru că nu este de acord cu o lege a ministrului educației… A refuza să dai o dictare nu te va transforma într-un Jean Moulin (unul dintre liderii Rezistenței Franceze – n.r.). Am o părere excepțională despre Rezistență. Nesupunerea civică trebuie să rămână rezervată marilor cauze comune.
  • Cum ar fi urgența climatică?
Nu, marea cauză comună ar fi victoria Vestelor Galbene. Urgența climatică este o mască în spatele căreia se ascund interese comerciale. De pildă, mașinile electrice, care ne sunt prezentate ca fiind ecologiste, în realitate nu sunt. Se dorește să ni se vândă un capitalism verde, așa-zis „eco-responsabil”. Astăzi, când doresc să ne facă să cumpărăm un produs, ne spun că este „bio”. Ecologia adevărată, pe care mi-o doresc, este confiscată de această ecologie urbană aflat în mâinile companiilor de publicitate. Este folosită încălzirea globală, care nu poate fi negată, respingându-i-se cauzele științifice veritabile.
  • Greta Thunberg, despre care ați scris un text foarte polemic, este în concepția dumneavoastră o întruchipare a acestui capitalism verde?
Această fată se află în mâinile capitalismului verde, care folosește ecologia ca pe un bun argument de vânzări. La vârsta ei, oricât de inteligentă ar fi, nu îmi pot imagina că poate dispune de argumentele necesare care să îi permită să stăpânească ansamblul mizelor științifice aflate în spatele chestiunii ecologice.

Popoarele s-au săturat

  • Cum percepeți diferitele mișcări sociale de pe tot cuprinsul planetei? Există ceva care, mai presus de toate diferențele, să le unească?
Astăzi, nu mai este posibil să scoți armata în stradă, pentru că toată lumea îți sare în cap grație – și în acest caz – a circulației informațiilor. Totuși, mă tem că toate aceste mișcări nu sunt decât o mare convulsie democratică. Pleacă un dictator și un altul îi ia locul… Și credem că s-a schimbat ceva. Or, dându-i papucii lui Macron și punând-o în locul lui pe Muriel Penicaud (actualul ministru al Muncii, a fost membră în conducerea unor mari corporații precum Dassault, Danone, Business France, Orange etc.) nu înseamnă o mare revoluție democratică.
Toate aceste mișcări sunt semnul că popoarele s-au săturat. Nu mai suportă să vadă că există niște averi nesimțite și că există niște tipi care fac războaie cu scopul unic de a se îmbogăți. Ca Trump, care, cu un incredibil cinism, declară, după ce l-a ucis pe Baghdadi, că a făcut-o pentru a asigura securitatea petrolului…
Astăzi, grație rețelelor sociale, oamenii pot ieși în stradă foarte rapid. Această ridicare a popoarelor mă bucură și, în același timp, mă tem să nu fie confiscată de demagogi, care așteaptă mereu la cotitură. Vestele Galbene au fost confiscate de Mélenchon (președintele formațiunii de stânga anarhiste „Franța Nesupusă” – n.r.), prin violența celor care distrug și a „Black Blocs” (anarhiști de stânga, numele lor vine de la trenigurile negre cu care se îmbracă n.r.) etc.
Într-un fel, este o lecție a istoriei: popoarele suferă dintotdeauna de pe urma acestor confiscări.

„Limba este atacată”

  • Nu ezitați să fiți polemic în mod intenționat. Acesta este rolul filosofului? Intelectualul contemporan trebuie neapărat să fie o persoană angajată în problemelor societății?
Da, este nevoie de cuvântul intelectualilor într-o societate în care oricine se pretinde intelectual. În zilele noastre, toți ne dau sfaturi și ne spune cum trebuie să funcționeze lumea. Nu înțeleg de ce trebuie să vă mirați că și eu mă pronunț pe marginea a numeroase subiecte. De ce aș fi mai puțin legitim decât un fotbalist?
  • Scrieți: „Limba este atacată”. Ce înțelegeți prin asta?
Tatăl meu a învățat în sistemul educațional de stat. Știa să scrie fără greșeală. Nu făcea erori de logică. Învățase câțiva mari clasici ai literaturii. Distrugerea școlii a dus la distrugerea inteligenței. Acum, se pune mai puțin problema ca sistemul de învățământ să creeze un cetățean care gândește și mai mult să producă un consumator care să plătească. Se învață din ce în ce mai puține lucruri. Unii ne spun că nu mai este nevoie de dictări, de gramatică etc. Or, creierul este un mușchi: dacă nu îl întreții, intră în degenerescență…
  • La sfârșitul lucrării dumneavoastră, afirmați: „Nu sunt sigur că vreau să fiu progresist”. În ce măsură considerați că progresismul întruchipează o formă de nihilism?
Mă opun progresismului așa cum ne este el prezentat astăzi. Progresul nu este un bine în sine. Poate exista un progres al răului, un progres al morții. A-i spune unei femei sărace că i se va închiria uterul pentru a face un copil nu reprezintă, cred eu, un progres. În acest sens, nu sunt un progresist. Nu intru în jocul care constă în a-i opune sistematic pe populiștii răi cu progresiștii drăguți.
  • Socialistul libertarian și anarhistul care sunteți poate fi așadar și conservator?
Bineînțeles. Pensionarea la 60 de ani este ceva foarte bun. Trebuie păstrată. De unde vine ideea asta bizară că, dacă trăiești mai mult, trebuie neapărat să muncești mai mult? Dimpotrivă, trebuie redusă greutatea muncii, și este foarte bine că muncitorii ies mai devreme la pensie.
Să faci copii acasă sub plapumă este un lucru care a funcționat timp de secole. De ce să vrei să schimbi neapărat ceva? Trebuie conservat ceea ce a funcționat.
Schimbarea cu orice preț nu are nici un sens. Dacă mi se arată dovada că este mai bine, o pot accepta, dar dacă nu…
Astăzi, civilizația noastră înaintează bâjbâind ca un orbete.

Michel Onfray: "La crétinisation progressive du peuple représente un vrai problème"

Simon Brunfaut

Dans son ouvrage "Théorie de la dictature", Michel Onfray présente l’œuvre de George Orwell comme une grande préfiguration du monde contemporain. Le philosophe, qui ne craint pas la polémique, décrit ici la nouvelle forme de dictature à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés… Entretien.

George Orwell est, selon vous, un immense penseur politique. Il a fait le portrait des totalitarismes du vingtième siècle et a anticipé notre temps. En quoi notre époque porte-t-elle la marque du totalitarisme? N’est-ce pas un peu exagéré? Sommes-nous vraiment entrés dans une nouvelle forme de dictature?


 Non, ce n’est pas exagéré, car je ne dis pas que nous sommes revenus au nazisme ou au stalinisme. Ce qui m’intéresse, ce n’est pas comment fonctionnait le totalitarisme auparavant, mais comment il fonctionne à l’heure d’internet, des data et des téléphones portables. Ce totalitarisme contemporain n’est pas casqué ou botté. En revanche, nous vivons dans une société de contrôle: le fait que l’on puisse être écouté en permanence, le fait qu’on accumule des données sur nous, etc. Cette société de contrôle est à un point d’incandescence jamais atteint.

Les nouvelles technologies ne possèdent donc aucun avantage à vos yeux?


Ces gens sur la côte ouest américaine ont un projet de domination du monde ainsi qu’un projet transhumaniste.
 Nous sommes dans une espèce de servitude volontaire vis-à-vis des nouvelles technologies. Mais parfois, c’est extrêmement pervers. Par exemple, pour assurer la confidentialité, on vous demande d’accepter certaines choses… Mais, en acceptant, on donne certaines informations aux Gafa. On peut accepter le dispositif de contrôle, mais on peut aussi le refuser. En même temps, si vous le refusez, vous ne pouvez plus vous déplacer en train, en avion, etc.

C’est ça qu’Orwell a bien anticipé?


 Orwell pense avec l’aide d’un roman. Il utilise la fiction. Mais sa science-fiction a cessé d’être fictive; elle est devenue science. Ce télé-écran qui nous surveille en permanence existe aujourd’hui. Nous y sommes. Orwell a inventé des choses au sujet du contrôle et de l’invisibilité des pouvoirs. Ce qui distingue le totalitarisme ancien et le totalitarisme nouveau, c’est précisément cela. Avant, le pouvoir avait un visage identifiable. Aujourd’hui, qui décide? Où sont les gens qui rendent cela possible? À mon sens, ces gens sur la côte ouest américaine ont un projet de domination du monde ainsi qu’un projet transhumaniste.

Le capitalisme débridé est-il aussi responsable de cette situation?


 Le capitalisme ne disparaîtra pas: il est consubstantiel à l’homme. Aujourd’hui, il n’a plus aucun ennemi en face de lui. Avec la chute du bloc soviétique, le capitalisme a estimé qu’il pouvait triompher. Certains, comme Fukuyama, ont même affirmé que c’était la fin de l’histoire, la victoire intégrale du néolibéralisme. Cependant, le monde n’est pas fait uniquement de capitalistes et de communistes. Il y a aussi des puissances spirituelles, comme l’Islam. On l’a vu lors du 11 Septembre 2001.

La démocratie représentative est-elle morte, selon vous?


La crétinisation progressive du peuple représente un vrai problème.
 Oui. Le peuple et les représentants ne coïncident plus du tout. Dans les assemblées et les Parlements, il y a une surreprésentation des professions libérales, comme les avocats, les enseignants, etc. On y trouve peu de bergers, de chauffeurs de taxi ou d’étudiants. Ce qui signifie qu’il y a une partie de la société qui n’est tout simplement pas représentée. En outre, pour espérer être élu, il faut avoir de l’argent, se fondre dans un dispositif, passer par le moule d’un parti. Cette démocratie représentative a fait son temps. Le référendum au sujet du traité de Maastricht a été une parfaite incarnation de sa limite: les élus votent contre le peuple.

Comment définissez-vous le populisme que l’on craint tant aujourd’hui, vous qui faites confiance au peuple pour relancer la démocratie?


 Je n’ai aucun mal à me définir comme populiste. Cependant, je fais une différence entre les populistes et les "populicides". C’est là que réside le problème; et non, comme on nous le fait croire, entre les populistes et les démocrates. Macron, Chirac, et Mitterrand avant lui, sont des "populicides". Ces gens ne veulent pas gouverner pour le peuple. Le référendum d’initiative citoyenne est une idée très intéressante. L’idée qu’il y ait des élus qui soient révocables est une bonne chose. Évidemment, dans le contexte actuel, la crétinisation progressive du peuple représente un vrai problème. Et là, je vais vous surprendre par rapport à ce que j’ai dit auparavant: le grand avantage d’internet, c’est que le peuple peut aller chercher des informations alternatives. C’est formidable, un peuple qui décide de se prendre en main. Qu’un texte de loi puisse être pensé et critiqué par le peuple représente une très belle idée.
L’urgence climatique est le faux nez du capitalisme.

Que pensez-vous des mouvements de désobéissance civile qu’on voit apparaître?


 Quand Thoreau parlait de désobéissance civile, il parlait de la guerre contre le Mexique. Quand Martin Luther King s’en empare, c’était pour lutter contre le racisme. Même chose pour Ghandi, lorsqu’il veut l’indépendance de l’Inde. Aujourd’hui, tout le monde pense que la désobéissance civile doit marcher tout le temps. La question qui se pose à travers tous ces mouvements est celle-ci: quelle est la grande cause qui est défendue? Force est de constater qu’il s’agit souvent de soi. Par exemple, un enseignant va refuser de faire une dictée ou de faire passer un examen parce qu’il n’est pas d’accord avec une loi du ministre de l’éducation… Refuser de faire une dictée ne vous transforme pas en Jean Moulin. J’ai une haute idée de la Résistance. La désobéissance civile doit être réservée aux grandes causes communes.

Comme l’urgence climatique?


À son âge, aussi intelligente soit-elle, je ne peux pas imaginer que Greta Thunberg puisse disposer des arguments nécessaires lui permettant de maîtriser l’ensemble des enjeux scientifiques derrière la question écologique.
 Non, la grande cause commune, ce serait le triomphe des gilets jaunes. L’urgence climatique est le faux nez du capitalisme. Par exemple, les voitures électriques qu’on nous présente comme écologiques ne le sont pas. On veut nous refourguer un capitalisme vert, soi disant "éco-responsable". Aujourd’hui, lorsqu’on veut nous faire acheter un produit, on vous dit qu’il est "bio". L’écologie véritable, à laquelle j’aspire, est prise en otage par cette écologie urbaine qui est entre les mains des publicitaires. On joue avec le réchauffement climatique, qui est indéniable, en méprisant ses causes véritablement scientifiques.

Greta Thunberg, à propos de laquelle vous avez consacré un texte très polémique, est aussi selon vous une figure de ce capitalisme vert?


 Cette jeune fille est aux mains du capitalisme vert qui utilise l’écologie comme un bon argument de vente. À son âge, aussi intelligente soit-elle, je ne peux pas imaginer qu’elle puisse disposer des arguments nécessaires lui permettant de maîtriser l’ensemble des enjeux scientifiques derrière la question écologique.

Comment analysez-vous les différents mouvements sociaux aux quatre coins de la planète? Y a-t-il quelque chose qui, hormis les différences, les rassemble?


 Aujourd’hui, ce n’est plus possible d’envoyer les militaires dans la rue, car tout le monde vous tombe dessus grâce, là aussi, à la circulation de l’information. Cependant, j’ai peur que tous ces mouvements ne soient qu’une espèce de grand frisson démocratique. Un dictateur s’en va et un autre le remplace... Et on pense que ça change tout. Ce n’est pas parce qu’on mettrait Macron à la porte et qu’on placerait Muriel Penicaud à sa place qu’il s’agirait d’une grande révolution démocratique. Tous ces mouvements sont le signe d’un ras-le-bol des peuples. Ils n’en peuvent plus de voir qu’il y a des fortunes insolentes et qu’il y a des gens qui font des guerres dans le seul but de s’enrichir. Comme Trump qui, avec un cynisme incroyable, déclare, après avoir tué Baghdadi, qu’il a fait ça pour sécuriser le pétrole… Aujourd’hui, grâce aux réseaux, les gens sont capables de descendre dans la rue très rapidement. Ce soulèvement des peuples me réjouit et, en même temps, je crains qu’il soit récupéré par les démagogues qui sont toujours là en embuscade. Les gilets jaunes ont été récupérés par Mélenchon, par la violence des casseurs et des Black blocs, etc. En quelque sorte, c’est la leçon de l’histoire: les peuples souffrent toujours de cette récupération.
Il faut des paroles d’intellectuel dans un monde où n’importe qui fait l’intellectuel.

Vous n’hésitez pas à être volontairement polémique. Est-ce bien le rôle du philosophe? L’intellectuel contemporain doit-il être nécessairement engagé?


 Oui, il faut des paroles d’intellectuel dans un monde où n’importe qui fait l’intellectuel. De nos jours, tout le monde donne son avis et nous dit comment le monde doit fonctionner. Je ne vois pas pourquoi on s’étonne que j’intervienne sur tous les sujets. Pourquoi serais-je moins légitime qu’un footballeur?

Vous écrivez: "La langue est attaquée". Qu’entendez-vous par là?


 Mon père a été élevé par l’école républicaine. Il savait écrire sans faute. Il ne faisait pas d’erreurs de logique. Il avait appris quelques grands classiques de la littérature. La destruction de l’école a entraîné la destruction de l’intelligence. Il s’agit moins de former un citoyen qui pense que de créer un consommateur qui paye. On apprend de moins en moins de choses. Certains nous disent qu’il ne faut plus faire de dictées, de grammaire, etc. Or, le cerveau est un muscle: si on ne l’entretient pas, il entre en dégénérescence…
Le progrès n’est pas un bien en soi. Il peut y avoir un progrès du mal, de la mort.

À la fin de votre ouvrage, vous déclarez: "Je ne suis pas bien sûr de vouloir être progressiste". En quoi le progressisme peut-il incarner, selon vous, une forme de nihilisme?


Je suis opposé au progressisme tel qu’il nous est présenté actuellement. Le progrès n’est pas un bien en soi. Il peut y avoir un progrès du mal, de la mort. Dire à une femme pauvre qu’on va louer son utérus pour avoir un enfant ne représente pas, à mes yeux, un progrès. En ce sens, je ne suis pas un progressiste. Je ne joue pas à ce jeu qui consiste à opposer systématiquement les méchants populistes et les gentils progressistes.

Le socialiste libertaire et l’anarchiste que vous êtes peut donc être aussi conservateur?


Bien sûr. La retraite a 60 ans, c’est très bien. Il faut la conserver. D’où vient cette drôle d’idée que parce que l’on vit plus longtemps, il faudrait nécessairement travailler plus longtemps? Bien au contraire, il faut réduire la pénibilité et c’est très bien que des ouvriers partent tôt à la retraite. Faire des enfants tout nu sous la couette, ça a marché pendant des siècles. Pourquoi aller au-devant de problèmes en voulant tout changer? Il faut conserver ce qui a fonctionné. Le changement à tout prix n’a aucun sens. Si on me donne la preuve que c’est mieux, je veux bien l’accepter, mais sinon… Aujourd’hui, on a l’impression que notre civilisation avance en aveugle.


America românilor cu materie cenuşie

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Cristian Geambașu

Aveţi un PC cu procesor Intel. Sau v-aţi dori unul. Recunoaşteţi că Google este cel mai cult şi mai inteligent prieten al vostru. Andreea şi Cristi Frîncu au învăţat şi au lucrat 11 ani în America. Andreea la Intel, Cristi la Google. Intel domina piaţa procesoarelor, iar Google era la început de drum şi avea puţin peste o sută de angajaţi.

Au fost oameni de top în companiile lor, au cunoscut succesul profesional, au cîştigat bine. S-au întors fiindcă li s-a făcut dor de rude, de prieteni, de casă. Li s-a făcut dor de România. Acum le este dor de America.

La început, ideea i-a amuzat. Noi, un interviu pentru un ziar de sport? Timp de gîndire: cîteva secunde. Au procesat repede datele. Sport, întrecere, suporteri, microbişti. OK, dar noi nu prea avem legătură cu domeniul ăsta, ne mai uităm şi noi pe la olimpiade, pe la patinaj, cînd joacă naţionala, dar atît, au protestat ei timid.

Insist, deşi simt că bat la o uşă deschisă. Ştiţi ce înseamnă competiţia. Aţi făcut performanţă în meseriile voastre, asta e legătura, am pledat eu ca un avocat dintr-un film american. A ţinut. Andreea şi Cristi Frîncu chiar sînt personaje dintr-un film american. Unul de succes. The american dream.

Motor de căutare pentru minţile luminate

Acolo unde Lance Armstrong este instrument de propagandă al corporaţiilor, iar Matrix un mod de viaţă. Acolo unde inteligenţele aleargă mai repede decît Usain Bolt. Acolo unde au reuşit Andreea şi Cristi Frîncu.

Ne-am întîlnit la ei acasă. În Bucureşti, undeva pe o străduţă de lîngă Splaiul Unirii. Casa e învăluită într-o linişte pentru care s-a muncit pe brînci. Cu capul. Vorbim tare şi la un moment dat observ că, pe canapea, într-un şezlong de păpuşi doarme o mogîldeaţă.

O cheamă Leia Diana ("Leia, ca pe prinţesă", mi se spune) şi este fetiţa lor de o jumătate de an. Cînd ne ambalăm în discuţie mai deschide ochişorii, dar apoi pleacă din nou în lumea viselor. Printre personajele din "Războiul stelelor", ca prinţesa Leia.

- Cînd aţi plecat în State? Cum? V-au recrutat pentru că eraţi foarte buni, nu?
Cristi: - Fals! Există, aşa, o credinţă că dacă eşti foarte bun, cumva te găsesc ei. Nimic mai fals!

- Dar cum e de fapt?
Cristi: - Toţi oamenii ăia care au ajuns acolo şi au făcut lucrurile alea extraordinare, dezvoltînd mai ştiu eu ce minune, s-au dus ei acolo şi s-au luptat pentru asta.
Andreea: - Da, o dată ce arăţi că eşti bun şi o faci într-un anumit fel, te primesc. Dar nu vine nimeni să te caute, nu au echipe de recrutare în toată lumea. Nu au scouteri cum se numesc la voi la fotbal.

- Cînd, cum şi de ce aţi plecat?
C: - În 1996. Hotărîserăm să terminăm facultatea aici şi apoi să mergem la studii în America. N-am plecat uşor, trăiserăm 24 de ani în acelaşi loc, a fost o schimbare radicală în viaţa noastră. Aici, în România, situaţia părea destul de neagră, am zis hai să încercăm!
A: - Cînd am plecat noi nu era aşa uşor să găseşti informaţii, le luai în primul rînd de la cei dinainte, care plecaseră deja. Aflai facultăţile care te-ar fi interesat, apoi aplicai. Completai formulare foarte detaliate. Ce şcoală ai absolvit, ataşai foaia matricolă, un curriculum vitae, recomandări de la 3 profesori.
C: - Plus un statement of purphose, o scrisoare de intenţie. Şi neapărat testele standardizate. Şi testul de engleză. Eu am aplicat la 23 de facultăţi, pentru că voiam bursă şi fiindcă nu dispuneam de banii pentru taxa de înscriere.

American beauty

- Cum a fost cînd aţi ajuns acolo?
C: - Ni s-a deschis alt univers. Acolo ne-am dat seama ce pas mare făcuserăm.

- Cum a fost primul contact cu America?
C: - În universitate nu iei contactul cu America reală, ci cu America academică.

- Urmează o întrebare banală. V-a fost greu?
A: - Eu absolvisem Facultatea de Construcţii şi a trebuit să mă reprofilez pe computer engineering. A fost o luptă uriaşă. Vreo doi ani veneam acasă şi mă puneam pe plîns, dar am reuşit, am luat masterul.

- Apoi te-ai angajat la Intel.
- A: - Nu imediat, în 2001. Ne mutaserăm de pe Coasta de Est pe Coasta de Vest, Cristi lucra de un an la Google.

- Ce fel de firmă este Intel?
C: - E o firmă foarte interesantă şi are legături strînse cu Google, care s-a inspirat de la Intel înmaterie de cultură.

- Cultură a firmei?
C: - Cultura unei firme înseamnă ce te aştepţi să facă un angajat, cum aştepţi să se comporte profesional, uman. "Culture"-ul unei companii ca Intel sau ca Google nu acceptă bocetele continue în care un salariat nou vine şi îşi plînge de milă ori participă la bîrfe micuţe. "Culture" înseamnă spiritul companiei. Nu îţi place ceva, schimbi, nu te plîngi!

- Există visul american?
A: - Pentru noi, continuarea studiilor fusese o trambulină spre America, nu ne gîndeam la altceva. Dar privind retrospectiv, da, visul american chiar există!

Echipa, cea mai importantă

- Cu ce aţi plecat bun din România?
A: - Cu cei 7 ani de acasă, lucru pe care generaţiile de după noi l-au cam pierdut. Am mai plecat şi cu deprinderi bune. Corectitudinea, seriozitatea.

- Te ajută acolo?
- Enorm! Dacă începi să vii cu fofîrlici, cu fitile, să scurtcircuitezi, americanul se prinde imediat. Am fost oneşti şi asta ne-a ajutat să ne integrăm repede.

- Ce aţi mai dus peste Ocean?
C: - În primul rînd, pregătirea din şcoală, foarte bună. La nivel de facultate, americanii nu sînt aşa tari. Situaţia se schimbă radical la nivel postuniversitar, de doctorat.

- În filme, americanii apar ca nişte tipi obişnuiţi cu competiţia, oameni care vor să cîştige, să fie primii. Vă luptaţi între voi în cadrul companiei?
C: - Răspunsul meu nu este valabil pentru America în general, eu ştiu cum era la Google. Google are un spirit foarte competitiv în relaţia cu ceilalţi. Mesajul era: noi sîntem cei mai buni, cei mai tari. Competiţia interioară exista, dar nu era feroce, ci constructivă.

- Chiar aşa?
C: - Nu trebuiau să existe frecuşuri între noi. Se chema că faci politică în cadrul firmei şi era interzis. Aşa că ne ajutam între noi, nu ne decimam. Aici lucrurile se leagă de sport.

- Cum?
C: - Gîndeşte-te! Una e să alergi de unul singur suta de metri sau orice altă distanţă şi alta este să alergi împreună cu cineva care te stimulează, te obligă să te autodepăşeşti.

A: - Este ca la gimnastică, uite echipa României, mi se pare comparaţia cea mai bună. Concurăm şi individual, vrem să ne clasăm fiecare cît mai bine, dar echipa este mult mai importantă, ea contează cel mai mult.

- În sport se luptă şi pentru bani, nu doar pentru glorie. Voi cum eraţi stimulaţi?
A: - Se dădeau mici premii, diplome, ceva care să te stimuleze. Eu am cîştigat o dată un gift card de 50 de dolari la Starbucks.
C: - Bine, Andreea minimalizează. Marile premii era bonusurile şi avansările. Bonusurile puteau să fie de la o treime din salariul anual pînă la încă un salariu anual.

- Asta se întîmpla ca urmare a unei evaluări pe care ţi-o făceau şefii?
C: - Nu numai. Puteai să te evaluezi şi singur. Am făcut asta şi asta, scriai pe un A4 ce lucraseşi, dar existau şi evaluările colegilor, ale şefilor. Se lua în calcul ce efect, ce impact a avut munca ta asupra clienţilor.

- Primeaţi şi acţiuni? Am auzit că se obişnuieşte în America la firmele serioase.
C: - Vorbim despre opţiuni, nu despre acţiuni. Dacă erai apreciat, primeai opţiunea de a cumpăra un număr de acţiuni la un preţ fix, indiferent cum evolua preţul lor, timp de 4 ani. De regulă, acţiunile mergeau în sus.

Viaţa la Google

- Cristi, cum ai ajuns să te angajezi la Google?
C: - Eu nu aveam deloc de gînd să lucrez la Google! Lucram la doctorat, ceva care combina muzica, algoritmii şi informatica. Ce mai, eram în mediul academic!

- Şi?
C: - Ideea de a merge să lucrez la o companie unde să programez mi se părea, aşa, un fel de prostituţie intelectuală. Eu mă consideram un cercetător, un algoritmist, poate chiar un matematician!, nu mi se părea normal să mă înjosesc să fac pentru bani ceva sub nivelul meu de pregătire.

- Dar ai ajuns pînă la urmă.
C: - Datorită Andreei, care mi-a zis: "Du-te măcar să vezi despre ce e vorba, nu spune «nu» înainte să ştii ce-i acolo!".
A: - Citisem un articol în Time care avea titlul "Google, next Yahoo" (Google, viitorul Yahoo). Yahoo era o companie de mare succes la vremea respectivă.
C: - Şi mai era fostul meu îndrumător de proiect la doctorat, care mă lăsase baltă acceptînd oferta primită chiar de la Google. Voia să mă ajute, se simţea cumva vinovat, aşa că mi-a dat toate recomandările necesare.

- Şi te-ai dus.
C: - Cînd am ajuns acolo mi-am schimat total opinia, Mi-am găsit acolo doi buni colegi de la Automatică, s-au bucurat să mă vadă, mi-au zis "Vino aici, este un mediu efervescent, sîntem o groază ca tine! Ne-am oprit din doctorat să facem acest lucru minunat".

- Îmi închipui că te-au angajat imediat.
C: - Aşa gîndeam şi eu. Mi s-a părut ridicol că mai e nevoie să dau interviu. Cum adică? Eu mergeam la ei ca un fel de superstar şi cînd colo mai că n-au dat cu mine de toţi pereţii! Am susţinut 5 interviuri consecutive, cu întrebări grele, matematice, algoritmice, de m-am întrebat dacă mă mai vor.

- Interviul l-ai susţinut cu viitorii tăi şefi?
C: - Nu, cu viitorii mei colegi, ingineri foarte bine pregătiţi!

- Ce ai realizat după ce ai început să lucrezi?
C: - Că ideile mele erau preconcepute. Mediul industrial unde se face cercetare se compară foarte bine cu cercetarea din mediul academic. În plus, ei au avantajul că au bani şi că au o gîndire foarte pragmatică. "Noi vrem să ajungem undeva, nu ca voi, academicienii care staţi cu capul în nori, doar, doar vă mai vine vreo idee".

Casă, masă, dentist. Şi masaj la cerere

- Munceaţi mult?
C: - Legal erau 40 de ore pe săptămînă, dar se lucra la deadline. În general, 10-12 zile pe săptămînă. Ajungeam uneori la 60 de ore, unii chiar băteau spre 80.

- Vă mai duceaţi şi pe acasă?
C: - Google era vestit de pe atunci pentru condiţiile pe care le crea angajaţilor. Practic, aveai tot la dispoziţie.

- Adică?
C: - Aveam o cantină uriaşă. Ne dădeau două mese calde pe zi, gratis. Bucătărie asiatică, mexicană, mediteraneană. Puteai să dormi acolo, băile erau extrem de curate, îţi puteai lăsa pînă şi periuţa acolo.

- Toate condiţiile să nu mai mergeţi pe acasă.
C: - Da, lucruri cam la limită, cu care pe atunci nu prea eram de acord. Nici acum nu sînt. Revin. Aveam spălătorie, saci de dormit. Dacă solicitai, ţi se făcea masaj. Gratis şi ăsta. O dată pe săptămînă venea dentistul, la fel venea şi mecanicul să îţi schimbe uleiul la maşină.

- Sport puteaţi să faceţi?
C: - Era o sală de fitness cu toate dotările. Dar nu te lăsau să intri în sală la aparate dacă nu aveai o pregătire, să nu te răneşti.

Yankeii şi sportul

- De ce sînt graşi americanii? Mănîncă mult sau nu fac sport?
C: - Ştiinţific vorbind, nimeni nu ştie răspunsul. Totuşi. Agricultura e performantă, mîncarea este procesată, alimentele care conţin zahăr şi carbohidraţi sînt ieftine. Oamenii săraci, pauperizaţi, tot mai mulţi, se îndreaptă către produsele ieftine şi dulci.

- Fac sport şi americanii de rînd sau doar preşedinţii lor care aleargă escortaţi de gărzile de corp?
A: - Americanii sînt mult mai sportivi decît românii. Sînt activi, se duc la sală, aleargă, joacă fotbal, călătoresc, merg pe trasee grele. Totul, din spirit de competiţie.

- Aţi fost la un meci de baseball?
A: - Da, chiar în San Francisco, unde locuiam. Este o experienţă pentru întreaga familie, merg acolo cu mic, cu mare.

- Şi ce fac în afară de faptul că urmăresc meciul?
C: - Stadionul era un fel de mall uriaş, pe margine se întîmplau tot fel de lucruri, socializai, îţi cumpărai de mîncare, vedeai meciul pe monitoare-gigant.

- Se înjură?
A: - Dacă înjură cineva, se uită toţi la tine şi ai o mare problemă. Cel mai rău lucru pe care l-am auzit acolo a fost ceva de genul "Hai că te mişti ca bunică-mea!".

- Voi faceţi mişcare?
C: - Ne-am cam lenevit. Înainte jucam fotbal o dată pe săptămînă. Fac însă 100 de flotări în fiecare dimineaţă, am bară pentru tracţiuni în living, alerg pe scări. La sală nu mă duc pentru că mi se pare plictisitor.

- Credeţi că o minte sănătoasă are loc numai într-un corp sănătos?
C: - Nu se poate altfel, merg mînă în mînă. Sportul ajută foarte mult creierului. Altfel rişti să fii un geniu neînţeles care moare de infarct la 45 de ani.

Acasă la Matrix

- Cum mai sînt americanii? În realitate vreau să spun, nu în filme.
A: - Sînt crescuţi în spiritul acela de a şti că totul depind de tine, nu de ceilalţi. Dacă nu ai ajuns bine, eşti educat să pricepi că a fost vina ta, că societatea nu îţi datorează nimic.

- Cum, şi nu îi ajută părinţii?!
C: - Dacă stai cu ai tăi mai mult decît pînă la 18 ani eşti considerat ciudat. Îţi repet, au spirit de competiţie, nici măcar cînd ne întîlneam acasă nu stăteau locului, trebuia să găsească un joc, să se întîmple ceva, cineva să cîştige ceva.

- Nu muncesc prea mult americanii? De aici, din Europa, aşa se vede.
A: - Nouă, mie şi lui Cristi, aşa ni se pare. Şi mai rău este că şi România tinde către acelaşi lucru. Pătrunde spiritul corporatist.

- Exploatarea omului de către om?
C: - Nu este exploatare, este ca în Matrix - noi îţi dăm totul, vrem să te simţi perfect ca să ne poţi oferi 100%, productivitatea ta maximă.

- Te controlează?
- Da. Şi rata la casă este o formă prin care eşti ţinut sub control!

"Fotbalul nostru îmi creşte tensiunea"

- Vă uitaţi la meciuri la televizor?
C: - Nu prea ne mai uităm la televizor în general.

- Dar vă mai uitaţi.
A: - Pe vremuri ne uitam la fotbal. Pînă să se transforme în...

- În ce?
A: - În maşina de făcut bani care este azi. Nu numai fotbalul. Tot sportul a deveni foarte comercial. De aceea au apărut şi cazurile de dopaj, iar cei care îi controlează sînt mereu cu un pas în urmă. Numai şi numai din cauza banilor care sînt în joc.

- Cunoaşteţi o mulţime de lucruri pentru cineva care nu urmăreşte fenomenul sportiv.
C: - Ştii de ce nu mă mai uit la fotbal? Pentru că îmi creşte tensiunea. Mă enervează strategiile astea tîmpite cînd ne băgăm cu fundul în poartă după ce dădeam primul gol, care trebuia apărat cu orice preţ.

- Asta este tactică. Strategie fotbalistică.
C: - Pe mine, ca spectator, nu mă interesează să văd antijocul acela înfiorător. Uite, Steaua era o echipă pe care o îndrăgeam, dar cînd am văzut ce a făcut Gigi Becali din ea, că schimbă antrenorii ca pe ciorapi, îţi dai seama că echipa asta nu mai are şanse să ajungă mare!

- Ce continuă să nu vă placă în România?
- Sîntem obişnuiţi să aşteptăm, sîntem lipsiţi de speranţă. Văd oameni tineri convinşi că fără pile nu se poate. Cum au ajuns să-şi dea seama de asta la 20 şi ceva de ani?!

- Ce aţi schimba în România?
- Justiţia. Prin curăţirea justiţiei s-ar debloca totul, absolut totul.

Pe măsuţa cu televizorul stau într-o dezordine ordonată mai multe cuburi Rubik. 2x2x2, 3x3x3, 4x4x4. Cristi ne face o demonstraţie scurtă, apoi ne arată ultimul joc logic achiziţionat din State, ceva care seamănă cu bătrînul scrabble, dar mai dinamic. Înţelegem că este la modă peste Ocean. De la Andreea şi de la Cristi am înţeles că este la modă să gîndeşti, să acţionezi. Fără să îţi plîngi de milă. Peste tot, nu numai peste Ocean.

"Viaţa e incorectă, dar trăim cu toţii în această viaţă" (Cristi Frîncu)

"Hai să fim trişti şi deziluzionaţi după 20 de ani de încercări!" ( Andreea Frîncu)

"Tînărul american nu e chiar atît de rău pe cît apare în filme" (Andreea Frîncu)

"Ceea ce mă făcea mai puţin eficient mă făcea şi mai puţin fericit pînă la urmă" (Cristi Frîncu)

"Mens sana in corpore sano? Cum aş putea să contrazic eu 2000 de ani de înţelepciune?" (Cristi Frîncu)

Lance, vehicul propagandistic
"Fiind crescuţi în comunism, reacţionăm reticent la propagandă", îmi spun Andreea şi Cristi. O recunoaştem de la o poştă, nu credem în ea şi, mai mult decît atît, ne enervează.

La Intel, poveşteşte Andreea, se organiza o şedinţă la fiecare 3 luni, cu tot departamentul, vreo 500 de oameni. Ne spuneau: am vîndut atîtea procesoare faţă de competiţie, am cîştigat încă o piaţă de vînzare (oricum aveau cam 80% din ea), avem grijă de voi, Intel este unul dintre cele mai bune locuri de muncă din industria americană.

Altădată au venit cu o strategie prin care urma să facem praf concurenţa, strategie de care se vedea că erau extrem de mîndri. O botezaseră «Operation breakaway», era un filmuleţ cu Lance Armstrong care ţîşnea din pluton, apoi mai băgau imagini cu nişte procesoare, apărea iar Lance care evada şi se depărta de pluton, iar procesoare, clipul fusese lucrat profi, ce mai!

Pe mine m-a umflat rîsul, i-am spus lui Cristi acasă «Uite ce chestie caraghioasă ne-au arătat». Colegii mei însă au fost bulversaţi. După asemenea şedinţe prindeau aripi şi cînd se întorceau în birou îşi ziceau: «Wow, maamă, îţi dai seama, sînt angajat la cea mai tare companie din lume, sînt important!» şi se puneau pe muncă.

Întîlnirea cu Larry Page. "Tu unde lucrezi, la marketing sau la PR?"
Era 26 septembrie 2000, prima mea zi de lucru la Google, povesteşte Cristi. Mi se alocase un birou cu calculator, eu nu ştiam mai nimic despre companie, nici nu utilizam Google, foloseam alte motoare de căutare. Nu ştiam nici cine fondase compania, nimic.

Pînă să ajung la biroul meu, m-au luat la întrebări inginerii din jur, de la celelalte module. Veneau, fiecare, la mine, se prezentau, îmi ziceau la ce lucrează, erau drăguţi, amabili.

La un moment dat, a apărut un tip mai timid decît ceilalţi, mi-a întins mîna şi a spus: "Hey, I'm Larry Page". OK, eu care nu sînt deloc timid şi pentru că nu-mi spunea nimic numele, am răspuns "Hey!" şi l-am întrebat la ce lucrează, dacă e tot de la engineering, ca noi, sau de la marketing sau de la PR.

Am văzut că toată lumea din jur s-a întors, aşa, un pic şi au mustăcit, şi-au dat coate, cred că nu era prima oară cînd se întîmpla, iar tipul timid, cu vreo doi ani mai tînăr decît mine, a zis simplu: "Actually, I'm running the company" (De fapt, conduc compania!).

"Competiţia este foarte importantă în viaţă, dar viaţa este ceva mai mult decît competiţia"

Google este o corporaţie americană multinaţională care administrează motorul de căutare pe Internet cu acelaşi nume. A fost fondată în 1998 de doi doctoranzi de la Universitatea Stanford, Larry Page şi Sergey Brin. Firma are peste 24.000 de angajaţi, un capital propriu de 46 de miliarde de dolari şi un profit net declarat în 2010 de 8,505 miliarde USD.

La sfîrşitul anului 2007, Google a fost cotată drept cea mai puternică marcă globală după criteriul valorii în milioane de dolari, dar şi după modul de percepţie de către utilizatori. În acelaşi an, Google a fost declarată, în urma unui sondaj realizat de "Harris Interactive", ca fiind compania americană cu cea mai bună reputaţie, mai ales datorită modului în care îşi tratează angajaţii.

Intel Corporation este o companie americană fondată în 1968, de pionierii semiconductoarelor Robert Noyce şi Gordon Moore. Intel a creat primul procesor comercial în 1971, iar în anii '90 a demarat producţia celebrelor procesoare Pentium. În aceeaşi perioadă, Intel devine furnizorul principal de microprocesoare pentru PC-uri.

Intel a fost cunoscută pentru tacticile agresive în apărarea poziţiei pe piaţă, aliindu-se mai întîi cu Microsoft, iar mai tîrziu cu Apple pentru a controla industria IT. Intel are 96.000 de angajaţi (2011) şi o cifră de afaceri de peste 43 de miliarde USD (2010).





"En bas l'intelligence progresse, tout comme le taux de crétins diplômés en haut"

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Emmanuel Todd & Kévin Boucaud-Victoire @KBV93170 Rédacteur en chef de la rubrique débats & idées.


Dans son dernier ouvrage, Les luttes de classes en France au XXIe siècle, inspiré par Karl Marx - auteur de Les luttes de classes en France (1850) - Emmanuel Todd réalise une photographie sociale de la France. Il cherche à répondre à un paradoxe : alors que l'euro a échoué économiquement, il a triomphé politiquement, au prix du retour de la lutte des classes.

Marianne : Pour vous, l’inégalité n’est pas le problème central en France. Pouvez-vous nous en dire plus ?


Emmanuel Todd : Il y a un groupe de 1% supérieur qui se détache nettement, mais dont la situation dans le monde n’est pas tellement brillante quand on compare à ses homologues. Les 1% français à l’échelle mondiale sont des petits bras. Bernard Arnault est dans le top 5, mais je pense le mettre à sa juste place en rappelant qu’il s’occupe de biens de luxe dont les classes dirigeantes mondiales ont besoin. Il doit sans doute être considéré comme un larbin planétaire. Mais au-dessous de cela parmi les 99% qui restent, l’analyse en terme de revenus montre une certaine stabilité des inégalités – pour une fois, j’ai repris sans critiquer les analyses de l’INSEE. Le décrochage des 10% supérieurs que nous pouvons observer dans les pays anglo-américains n’a absolument pas lieu en France.
La télévision est devenue folle, ou de type soviétique
Le problème central, qui là est nié par l’INSEE à travers ses indices de prix qui ne tiennent pas assez compte du coût du logement, c’est qu’en fait la France est engagée dans une période de baisse du niveau de vie et du pouvoir d’achat, depuis 2007 au moins mais probablement depuis 2000. Les gens le ressentent, comme l’expriment les sondages. Le rejet de la réforme à points universelle le prouve. Les gens craignent l’organisation de leur appauvrissement futur. Mais il n’y a pas que des données économiques pour mesurer ce phénomène. J’ai observé les premiers mini-mouvements de hausse de la mortalité infantile, le ralentissement de la mobilité géographique, la chute de la fécondité qui finit par toucher toutes les catégories sociales. Les indicateurs démographiques sont généralement plus fiables que les indicateurs économiques purs. J’ai passé beaucoup de temps sur la recherche des données et l’interprétation. Ce qui m'a frappé, c’est la montée de l’homogénéité de la France. La chute de la fécondité touche toute la société. De même pour la chute programmée du niveau éducatif. Elle touche les enfants de cadres supérieurs presque autant que les enfants d’ouvriers.

Et la baisse du niveau de vie généralisée, par-delà les classes…

Depuis 1981, je travaille sur l’hétérogénéité familiale. Là encore, la convergence des indicateurs de fécondité révèle qu’aujourd’hui, la France est sur le plan culturel homogène comme jamais. Sous réserve d’une petite différence maghrébine, dont j’évalue l’importance et qui est quantitativement moins importante que celle qui pouvait distinguer la Vendée de la Seine-et-Marne vers 1900.

Même si c’est par le bas, nous avons plutôt l’impression que la France se fragmente…

C’est la thèse de mon ami Jérôme Fourquet (L’Archipel français, Seuil, 2019). C’est en effet le ressenti des commentateurs. Mais j’ai au fond écrit un livre sur "la fausse conscience". C’est un effort de dévoilement de la réalité, dans un monde où toutes les classes se racontent des choses inexactes sur la France et sur elles-mêmes. Une fois de plus, je suis en train de dire à tous les gens qu’ils se trompent sur eux-mêmes et j’ai peur de blesser.
Il y a néanmoins un point, sans doute le plus important, quand même, où je suis d’accord avec le ressenti : la question de la baisse du niveau de vie. La télévision est devenue folle, ou de type soviétique : elle suggère que la politique de Macron marche, à partir d’exemples non représentatifs. Cela explique la défiance, la déconnexion de la France réelle et de ses représentants politiques et médiatiques, ainsi que le complotisme. On pourrait aussi dire que mon livre est un livre contre le complotisme parce que si la réalité est acceptée par les élites, le complotisme doit tomber.

Outre la baisse généralisée du niveau de vie, vous évoquez aussi un mépris en cascade : chaque classe méprise la classe inférieure. Est-ce cela la nouvelle lutte des classes ?

Non, pas exactement. Depuis quelques décennies, dans notre société, tout le monde regarde vers le bas. Je définis une nouvelle théorie du ruissellement où "l’aristocratie stato-financière", ces gens qui ne viennent pas du néo-capitalisme, mais de l’ENA, méprisent ce que j’appelle la petite bourgeoisie CPIS (cadres et professions intellectuelles supérieures), soi-disant la "France ouverte" de Macron. Ensuite, celle-ci méprise les prolos français (ouvriers et employés non qualifiés). Cette cascade de mépris descendant oublie le groupe central, atomisé, majoritaire avec son axe des professions intermédiaires, auquel j’ai ajouté les employés qualifiés, ce qu’il reste de paysans, et les petits commerçants. Il représente 50% du corps social.
A la fin du livre, je finis par intégrer de plus en plus l’idée que le groupe d’en haut, l’aristocratie financière, va mal aussi dans sa tête...

Ces 50% jouent aussi le jeu du mépris social. Les "classes moyennes" se plaignent souvent de payer trop d’impôts, tandis qu’en dessous d’eux on profite des aides sociales…

Je n’emploie pas le terme de "classes moyennes" parce que tout le monde l’utilise de façon différente. Ce modèle ne prétend pas décrire toute la réalité. Je ne dis pas que tel ou tel groupe n’a pas telle ou telle attitude. Je dis que, globalement, cette catégorie (infirmières, techniciens, etc.) n’a pas, comme les autres, conscience de son existence. Les professions intermédiaires – que je prends comme centrales dans ce groupe atomisé majoritaire – ont une trajectoire électorale aléatoire, dépourvu de sens politique. C’est le symptôme d’une non-conscience d’être. A l’inverse, les ouvriers ont, à part le vote sarkozyste en 2007, un vote modal pour le Front national. La petite bourgeoisie CPIS (pour cadres et professions intellectuelles supérieures) au départ divisée, hésitant entre droite, classique et PS, a choisi le macronisme.
Cette dernière a certainement une conscience d’être qui est une fausse conscience puisqu’elle se raconte qu’elle est privilégiée. Ses enfants galèrent déjà. Parmi eux, les enseignants qui ont voté Macron à un taux très élevé – 50% chez les agrégés –, sont train de se retourner actuellement avec la retraite à points universelle. Mon livre parle d’ailleurs déjà de la précarisation des enseignants. C’est devenu un groupe stratégique.
Chaque groupe a ses problèmes. A la fin du livre, je finis par intégrer de plus en plus l’idée que le groupe d’en haut, l’aristocratie financière, va mal aussi dans sa tête. Elle est ridiculisée au niveau international et une bonne partie de ses motivations n’est plus d’améliorer la situation de la population mais de la sadiser, se venger sur elle. En fait, ce sont des groupes qui évoluent parallèlement vers l’appauvrissement. Ils vont rentrer les uns après les autres dans un phénomène de passage dans de réelles difficultés économiques. La bonne lutte des classes, ce serait que tous ces groupes qui coulent ensemble arrêtent de regarder vers le bas, en essayant de faire plus minable celui qui est en dessous, et se remettent à regarder vers le haut. Ils verront alors quel est leur persécuteur réel, l’aristocratie financière.

Un mot sur les immigrés, en bas de l’échelon, selon vous…

Les gens d’en bas, ceux qu’on appelle "les petits blancs", veulent trouver plus bas qu’eux, des gens un peu colorés, bronzés, pour se faire les nerfs et se retourner contre les immigrés. A partir de cela, je redéfinis les winners ou la "France ouverte", c’est-à-dire les cadres et professions intermédiaires et supérieures, comme des "losers d’en haut". Pour moi, il s’agit de "petits blancs au deuxième degré" et au final l’aristocratie financière se compose de "petits blancs au troisième degré".

Vous parlez de la stratification des diplômés notamment ceux du supérieur, en quoi cette distinction est si importante ? Et est-ce aussi un élément de la lutte des classes ?

J’avais parlé de l’importance de la stratification éducative dès mon livre L’illusion économique (Gallimard, 1997). J’avais suggéré que c’était cette stratification éducative qui avait entrainé l’affrontement du populisme et de l’élitisme. J’expliquais que les gens qui ont fait des études supérieures, qui représentent en moyenne, avec des variations selon les pays, autour du tiers d’une génération, finissent par se sentir supérieurs. Ensuite, ce groupe compte assez de membres pour se permettre de vivre en vase clos. En prétendant regarder les autres d’en haut, un mécanisme de séparation culturelle s’est mis en place. Il existe toujours, j’ai pu le mesurer dans des discussions avec des professeurs en Bretagne, qui n’étaient pas hostiles aux gilets jaunes, mais qui pensaient qu’ils étaient vraiment différents d’eux. Ils n’avaient donc pas approché les ronds-points.
Il y a eu une époque où, effectivement, avoir un diplôme supérieur vous mettait dans une situation qui était plus favorable, de façon homogène. On avait plus de possibilités culturelles, intellectuelles. De plus, à une époque, les gens qui intégraient cette frange supérieure étaient réellement recrutés par un mécanisme méritocratique. Ils apprenaient vraiment des choses, avaient des salaires correspondants et donc étaient vraiment privilégiés. Mais là, c’est différent.
La mobilité scolaire tend vers 0. Le système ne fonctionne plus. Je me rends compte que c’est vraiment un livre où je déclare, non pas fausse, mais obsolète une bonne partie de ma vie de recherches. Si la description de la société par le niveau éducatif reste pertinente pour décrire les phénomènes, c’est surtout pour décrire des phénomènes de fausse conscience parce que la réalité économique ne suit plus. Et pour moi, l’intelligence réelle est en train de se séparer du niveau éducatif.
L’intelligence des gilets jaunes face aux diplômes des crétins d’en haut

Vous dites que c’est même distinct…

Il ne faut pas être dogmatique, ni exagérer. La plupart des bons élèves qui font de bonnes études sont des gens intelligents qui méritent leur diplôme. J’ai un peu forcé le trait.
En terme de tendance, il y a eu une phase où la France a été véritablement méritocratique. A l’après-guerre, le secondaire, puis le supérieur, se sont développés. Une proportion importante de gens des milieux populaires ont pu accéder aux études supérieures. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu reproduction au sens de Bourdieu. Mais en fait il y avait de la place pour tout le monde, pour les enfants de bourgeois et pour les bons élèves des milieux populaires.
Ce que l’on n’a pas vu c’est que cela a produit un désarmement des milieux populaires parce que ceux-ci ont perdu leurs élites naturelles. Maintenant, si la mobilité scolaire tombe à 0, c’est certes une catastrophe selon l’idéal méritocratique, mais d’un point de vue révolutionnaire c’est une excellente nouvelle. Cela signifie qu’en bas, il y a de plus en plus de gens intelligents qui n’ont pas de diplôme particulier et qu’en haut le taux de crétins diplômés progresse.
Ce sont les profs qui ont accepté Maastricht. Ils ont effectivement un niveau éducatif supérieur, ce sont eux qui forment les enfants, et si les profs basculent dans une opposition au système, alors nous basculons dans une autre phase historique.
Cela s’est traduit dans le face-à-face entre les jeunes leaders gilets jaunes et les jeunes gens des cabinets macronistes. L’intelligence des gilets jaunes face aux diplômes des crétins d’en haut. Dès que tout le monde descend dans la rue, quand les routines explosent, il y a mise en évidence et dramatisation de cette tendance, parce que tout le monde doit soudain s’adapter très vite.

Vous critiquez beaucoup l’enseignement supérieur ou plutôt les diplômés enclins à se croire supérieurs aux autres alors que le niveau baisse. Le diplôme conduirait seulement à une distinction sociale ?

Les étudiants cherchent d’abord à décrocher un emploi. Ils vivent dans un grand état d’anxiété économique, ils veulent leur diplôme et éprouvent comme une peur de la spéculation intellectuelle. En tant que chercheur racontant des choses un peu décalées, j’ai eu beaucoup de problèmes avec des publics étudiants parce que j’avais le sentiment que je leur faisais perdre leur temps. Et il faut les comprendre : faisant mon métier de chercheur dans la phase heureuse des Trente glorieuses et un peu après (je suis un petit bourgeois CPIS des générations encore protégées), je pouvais travailler sur les structures familiales en tant que déterminants profonds de l’histoire (pour comprendre le communisme, le nazisme ou la liberté anglaise) mais parce que je vivais moi-même dans une période d’abondance et de paix et que je pouvais oublier les questions économiques. Mais il est temps de ré-investir ce champ du social.

C’est une des thèses de votre livre. Vous croyez au retour des problématiques économiques et sociales, à rebours de ceux qui mettent au premier plan la question identitaire...

Je ne nie pas, bien au contraire, la diversité anthropologique. Le phénomène du populisme ou de l’élitisme présentent des points communs entre toutes les sociétés avancées - sauf le Japon - qui peuvent se donner l’impression qu’elles vivent la même chose. Mais les issues peuvent être très différentes selon les pays puisque les valeurs anthropologiques propres à chacun d’eux sont toujours actives. L’après crise de 1929 a donné le nazisme en Allemagne, Roosevelt aux Etats-Unis et Léon Blum en France. En ce sens, le modèle que j’ai développé durant la période heureuse d’après-guerre va être très utile pour comprendre pourquoi les Etats-Unis ont Trump, l’Angleterre Johnson, et la France Macron, ou un autre peut-être bientôt.

Donc à chaque pays son ressort particulier. Les Anglais ?

L’idée de la souveraineté et le parlementarisme, invariablement.

Les Américains ?

Difficile à dire, mais l’idole de Trump est Andrew Jackson, le président de la première démocratisation réelle des Etats-Unis, qui était, plus encore que Trump, xénophobe et anti-élites. Il y a de la permanence, je ne sais pas quel genre d’équilibre ils vont trouver.

Et les Français ?

On est dans une phase de tentative d’absolutisme louis-quatorzien mêlée à une phase de non conscience des groupes, d’atomisation de la société et surtout d’autonomisation de l’État, une découverte que j’ai faite grâce à la lecture de Marx. Dans le cas de la France, il ne décrit pas la toute puissance du capitalisme à venir, mais un processus d’autonomisation de l’État. C’est d’ailleurs cela qui d’après Marx conduit à porter au pouvoir au XIXème siècle un personnage insignifiant comme Louis Bonaparte. Et en 2017, Emmanuel Macron, pourrait-on ajouter.
La liquidation de la démocratie représentative par Maastricht et l’entrée dans l’euro conduisent à définir comme priorité absolue le retour à l’indépendance nationale. Dans cette posture néo-gaulliste et à ma modeste échelle, je parle à toutes les classes.

Étonnamment vous semblez ne plus croire au discours sur les méchants capitalistes du Medef. Tout viendrait de l’aristocratie d’État, stato-financière selon votre expression.

En théorie, le Medef devrait représenter une bourgeoisie industrielle qui, de fait, a été liquidée par les évolutions récentes. Il y a à l’échelle mondiale le développement d’une idéologie néolibérale venue des Etats-Unis, d’Angleterre, que, depuis Thatcher, Reagan, les élites "françaises" ont cherché à singer. Mais celles-ci sont centrées sur l’Etat. Les hauts fonctionnaires habitués à la vérif', à la compression des dépenses publiques, peuvent produire des mots néolibéraux, peuvent parler de marché, de flexibilité mais ils représentent la haute administration, ils incarnent ce qu’ils dénoncent, l’État. En fait, ils n’arrivent pas à concevoir des politiques économiques réellement capitalistes, flexibles, néolibérales. L’exemple absolu de cette incapacité est la création de l’euro, qui est une monnaie, comme le voient tous les économistes anglo-saxons, allemands ou suédois, par essence antilibérale. La tendance générale est la flexibilité monétaire, ça n’est pas d’enfermer les nations différentes dans une seule monnaie.
Ces fonctionnaires du haut se croient des néolibéraux mais, en pratique, ils mènent des pratiques monétaires incompatibles avec la loi de l’offre et de la demande. Le paradoxe est qu’ils voudraient bien privatiser, ils nous parlent de société civile mais tout ce qu’ils ont réussi à faire, c’est détruire l’industrie et la société civile. Au fond, ils réalisent leur nature profonde en accroissant sans cesse le rôle de l’État. Un État sans marge de manœuvre économique, comme réduit à exister par sa force brute, par sa capacité répressive dans une société en voie d’appauvrissement. Il y a eu une époque où le néocapitalisme était le problème. Avant l’euro. Mais la contestation retarde. Toutes ses forces, et pas seulement à gauche d’ailleurs, prennent le néocapitalisme comme adversaire. Mais le problème de la France, c’est un État autonomisé, libéré du contrôle des partis politiques explosés.

Vous pensez que l’on se trompe de cible en visant le capitalisme et montrez que les ouvriers sont en plein déclin. Pensez-vous que la gauche devrait changer de cible sociale et se concentrer sur la masse atomisée ?

Non. J’observe seulement que les modèles de polarisation Le Pen/Macron sont faux mais que, en plus, au niveau des forces sociales sous-jacentes, cette polarisation va être de plus en plus fausse. La liquidation de la démocratie représentative par Maastricht et l’entrée dans l’euro conduisent à définir comme priorité absolue le retour à l’indépendance nationale. Dans cette posture néo-gaulliste et à ma modeste échelle, je parle à toutes les classes. Sauf à l’aristocratie stato-financière. Et je pense en termes de réconciliation des classes contre des dirigeants imbéciles.
Les gens de la petite bourgeoisie CPIS se définissent encore plus contre les prolos français que les prolos français ne se définissent contre les immigrés

Pour rester sur la question des partis politiques, vous considérez que le vote Le Pen explique le vote Macron parce qu'il lui préexiste. Voter Macron c’était voter contre Le Pen, comme si le macronisme en tant que programme n’existait pas. Pouvez-vous développer ?

Sans entrer dans la technique statistique, j’ai calculé la corrélation entre Le Pen et Macron et celle-ci atteint un niveau extrêmement mêlé. Une variable ancienne explique 85 % de la variation d’une variable nouvelle. On peut donc parler de causalité. Le vote Le Pen, stable, préexiste au macronisme. Autrement dit, dès le premier tour de 2017, le vote Macron se résume à un vote anti-Le Pen et sans doute anti-peuple. L’élitisme n’existe plus en tant que tel, avec des gens diplômés, soucieux de s’émanciper mentalement et de porter des projets modernes et grandioses, l’élitisme n’a plus comme but que de dénoncer le populisme. Le bulletin Macron n’a pas été un vote, mais un effort pour exister, une d’hystérisation théorique du concept de petit blanc – au deuxième degré. Les gens de la petite bourgeoisie CPIS se définissent encore plus contre les prolos français que les prolos français ne se définissent contre les immigrés. Un phénomène similaire apparaît aux Etats-Unis avec Trump. Le programme des Démocrates, de l’establishment, du New York Times, du Washington Post et des très bonnes universités consiste essentiellement à dire du mal de Trump. Cette procédure d’impeachment, alors même que le Président est au bout de son mandat, est la signature d’une absence de projet.
Les gens se soulèvent parce qu’ils n’ont pas le choix

Pour vous, nous terminons une séquence sociétale de cinquante ans (1968-2018), pour entrer dans une séquence gilets jaunes, 2018-2068, au cours de laquelle leurs représentants ou assimilés prendront le pouvoir. Aventureux, non ?

Toutes les classes (aristocratie stato-financière mise à part) sont appelées à se confronter au problème que les gilets jaunes ont eu à affronter les premiers : l’appauvrissement économique et la fin de la démocratie représentative. Les luttes actuelles ne sont encore que défensives. Tout comme le mouvement de sympathie à l’égard des gilets jaunes ou à l’égard des syndicats opposés à la réforme des retraites. Ce qui a fait se lever le mouvement des gilets jaunes, c’est une attaque venue d’en haut, l’émergence historique haute administration cinglée qui propose des mesures mettant l’équilibre économique des ménages et la vie des Français en péril. Alors les gens se soulèvent parce qu’ils n’ont pas le choix. Avec la retraite à points universelle, rebelote : c’est la promesse d’une baisse du niveau de vie jusqu’à la mort, du minimum vieillesse pour tous. Et donc évidemment, des catégories sociales nouvelles entrent dans la danse. L’une d’elles doit être regardée de près : les profs. C’est le cœur idéologique de la nation. Ce sont les profs qui ont accepté Maastricht. Ils ont effectivement un niveau éducatif supérieur, ce sont eux qui forment les enfants, et si les profs basculent dans une opposition au système, alors nous basculons dans une autre phase historique.
Si la police commence à cogner sur les enseignants ou à leur arracher des yeux ou des mains dans les manifestations, on va vraiment passer dans un autre monde

Pensez-vous que le phénomène des violences politiques va perdurer ?

Les gilets jaunes ont opposé à la violence de la haute administration une contre violence défensive beaucoup moins brutale. Ce sont tout de même des gilets jaunes qui ont eu des yeux et des mains arrachées. Chez les gilets jaunes appartenant à des professions souvent manuelles, l’engagement physique était naturel. Au cours des deux prochaines années avant la présidentielle, les manifestations ne vont pas cesser. Si la police commence à cogner sur les enseignants ou à leur arracher des yeux ou des mains dans les manifestations, on va vraiment passer dans un autre monde. Je ne m’en réjouis pas, j’analyse la violence pour éviter qu’elle n’advienne. Je commence à avoir en horreur ces journalistes qui, sur des plateaux télé s’indignent de coupures d’électricité, présentées comme des actes violents, et oublient les dégâts physiques engendrés par le comportement de la police – macroniste ? Ou plutôt lepéniste puisqu’elle vote à 50% pour le Front, pardon le Rassemblement national. Ces journalistes justifient et légitiment la violence, avec entrain et constance.
Je ne supporte pas qu’on applique le beau mot d’universel à un mécanisme de mise au pas de la société par un État qui s’enfonce dans la folie
On va peut-être avoir quelques jours de triomphalisme macroniste sur la fin de la grève, si elle cesse. Mais il serait absurde de dire que les grévistes de la SNCF et de la RATP ont perdu. Ils ont réussi le tour de force de conscientiser la société française au problème de la retraite à points pour tous (je ne supporte pas qu’on applique le beau mot d’universel à un mécanisme de mise au pas de la société par un État qui s’enfonce dans la folie, le concept de "Gleichschaltung macroniste appliqué à la retraite" me parait le mieux adapté). Les grévistes ont été les activateurs de la conscience nationale, c’est grâce à eux que les profs ont fini par comprendre qu’ils étaient sur la liste des groupes visés par cette Gleichschaltung. La grève nous a aussi révélé le rôle de la CFDT : une trahison programmée dès l’origine. La CFTC, son ancêtre, reposait, comme le montrait sa géographie, sur un catholicisme actif. La CFDT, "déconfessionalisée", fut l’une des expressions institutionnelles du "catholicisme zombie" : libérée de la croyance en Dieu mais gardant le souci des pauvres tout en restant animée par un désir de collaboration de classe. L’assise zombie elle-même s’est évanouie, ainsi que l’a montré Fourquet : la direction de la CFDT est désormais est au service de l’aristocratie stato-financière, mais le syndicat dans son ensemble repose sur du vide culturel et pourrait imploser si la CGT joue bien.

Ce e mai suparator, ca Soros varsa un miliard sau ca ai nostri nu varsa deloc?

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Am zis-o și eu, chiar dacă nu în termenii lui Duca. Toată suflarea pravoslavnică ce urlă că le răpește Soros copiii n-a fost în stare să dea nici măcar o bursă pentru promovarea conservatorismului educat. Mă rog, la ce le-ar trebui, atâta timp cât au literatură conspiraționistă de mâna a patra sau măcar pe domnu' Pleșu, care le trage preșu' la referendum.
Bogdan Alexandru Duca
Soros dă un miliard pentru ca universităţile să propovăduiască o anumită ideologie.
Mie mi se pare o chestie foarte onestă şi transparentă. Şi de urmat.
Câţi dintre noi deschidem portofelele ca să ne promovăm credinţa?
Ce împiedică pe creştinii din România să investească într-o alternativă la toxicul SNSPA?
Ce împiedică pe creştinii din România să construiască o reţea de televiziuni nu religioase, nu gen Trinitas, ci morale, în care de la ştirile politice, la cele sportive, să existe o amprentă valorică creştină?

Banii? Să fim serioşi. Bisericile din România stau pe o grămadă de bani.
Apoi credincioşii trebuie mobilizaţi să contribuie, să se implice concret, inclusiv financiar.

Răspunsul este indolenţa, este incapacitatea de a citi semnele timpurilor.
Acesta este motivul pentru care ortodocşii construiesc o catedrală la Bucureşti, greco-catolicii o catedrală la Cluj, iar imaginaţia majorităţii Bisericilor din România nu trece de nivelul unui paseism modest intelectual.
Pur şi simplu creştinii chiar dacă se uită în calendare, nu înţeleg că trăiesc în secolul XXI.

Apoi mai este misecuvinismul ăsta.
Deşi au bani să bage un miliard pe an în învăţământul academic, Bisericile din România vor considera firesc să ceară Statului să dea banii.

Soros arată ce înseamnă să crezi cu adevărat şi cu cap. Pentru viziunea lui, esenţialmente antihristică, investeşte cu viziune, nu în temple....
Nu degeaba Iisus a spus: "Căci fiii veacului acestuia, faţă de semenii lor, sînt mai înţelepţi decît fiii luminii!"


Comments
  • George SimoncaCorect!

  • Constantin BalasoiuUnde vede asta banii aia? Sa pună degetul ca ne ducem sa i luam. El stie ceva, e clar Deci Sa i arate sau macar sa ne facă o harta. Ca organizam o expediție si i luam, si din gaura neagra venim cu ei doar ca sa i radem in nas lui Soros.
    Si cine stie peste ce mai dam pe acolo, niste miliardari ca Soros. Atunci sa vezi Adica noi stam calare pe grămezi de bani iar Bisericile se duc dracului in țara, popii mor de foame si pleacă sau se apuca de alte meserii (ai cate unul azi la doua trei parohii)? Si o mai ardem si de nu stiu cand pe melodia asta de a uite banii nu sunt banii de ni s au uscat lacrimile si mucii pe chipuri
    Sa ne dea harta aia macar atat

    • Alexandru RacuPăi banii nu se văd de la distanță, că n-are nimeni acces la contabilitatea eparhiilor și parohiilor din țara asta, așa că putem să ne dăm doar cu părerea. Nici n-a propus cineva să se ia de unde nu e, adică de la parohiile sărace. Dar cred că ar trebui întrebate și parohiile bogate, care sunt și alea destule, ce au făcut în ăștia treizeci de ani (inclusiv pentru alea sărace), altceva decât seri filocalice și pelerinaje pe bandă rulantă prin întreg Orientul. Eu nu cred că se putea face cât face Soros, dar mai mult decât nimic se putea face, cel puțin pe partea academică, unde nu știu să se fi făcut ceva. Cu riscul de a părea narcisist și mărturisind cu mâna pe inimă că foamea am făcut-o întotdeauna principial și cât mai stoic cu putință, nu pot să nu remarc faptul că, cel puțin în ceea ce mă privește, nu s-a găsit nimeni, bă, dar absolut nimeni, care să-mi dea un căcat de două mii de lei lunar, nu mai mult, ca să scriu cu cap și bibliografie împotriva lui Soros, evident, atunci când e cazul, dacă asta îi preocupă. Unu nu s-a găsit, până astăzi, să mă sune ca măcar să mă întrebe de sănătate. Zero barat. Când m-am întors din Canada, cu doctorat, făcut nu pe bursă BOR ci pe banii statului canadian, am întrebat pe la Patriarhie, prin cunoștințe, dacă au ceva, dacă cred că le pot fi de folos prin ceva, ca să mă lovesc de răspunsul pițigăiat al unui funcționar de rangul doi că nu primim, nu primim, nu, nu, nu, numai dacă e de la teologieeee!!! Dar se plâng după aia că îi mănâncă Soros și se bucură când li se scot castanele moca din foc de către alții în a căror formare n-au investit un leu și care între timp își risipesc materia cenușie, aiurea, la call-center. Mă rog, refuz să cred că suntem într-atât de rupți în cur. Mă tem, în schimb, că în mare măsură ne și merităm soarta.

    • Alexandru RacuÎn rest, dacă Bogdan Bogdan Alexandru Duca are mai multe informații, poate îți explică el.

    • Bogdan Alexandru DucaEu nici nu cred ca ar trebui luat de la parohii ci doar folosite mai bine resursele.
      Sunt clădiri ce pot fi închiriate și profitul poate fi reinvestit în burse și mass-media.
      Se pot reduce cheltuieli (diferența de preț dintre un VW Touareg și un Duster, de exemplu), care pot fi cât bursa pe un an investită într un doctorand creștin în sociologie sau studii de gen.

    • Constantin BalasoiuAlexandru Racu a bon, tampiti sunt. In privința asta Dumnezeu a fost generos. Bani, nu sau mai putini. Sunt o Invenție mai târzie a omului. Un Mises ian stie mai bine
      Deci da tampiti sunt, slava domnului. Săraci si tampiti.
      Iar cei ca tine, nu esti singular sa ne înțelegem, atârna greu gâtul lor asa săraci cum sunt
      E oricum altceva
      Parohii bogate inseamna si cheltuieli bogate adica ai tot felul de acțiuni uite de ex Stavropoleos care sprijină fundatia sf Dumitru, un centru social, o chestie care nu se descurca numai cu ce le dau astia
      Nu, nu asta cu parohiile bogate nu merge.
      Pe duca il roade altceva, stim ce, dar statul finanțează toate cultele nu doar pe astia. Scrie in Constituție. Sa citească si el. Si o face inclusiv local. Primăriile au sprijinit sprijină in diverse locuri din țara construcții de bis baptiste de ex
      Deci da, iti cunosc putin povestea si cunosc si ce fel de inteligente se perinda la vârf, mie unul imi pare f rau ca asa stau lucrurile

    • Constantin BalasoiuBogdan Alexandru Duca pai vezi ca au proprietăți si de alte feluri, pământ păduri
      Iti închipui cumva ca totul e o problema de gestiune? E o copilărie, ai idee cat costa doar pictura unei biserici de mărime medie? Daca pierd finanțarea de stat, nici dracu nu ti mai vine la admitere in cativa ani. Uita te in Germania, aia nu sunt noi. Or ai acolo preoți protestanți care nu se pot întreține sau recurg la al doilea job sau pur si simplu renunța la meserie. Basca ca nu mai aleg teologia
      Nu nu, problema e mai complicata

    • Bogdan Alexandru DucaPăi totul e o problema de gestiune.
      Chiar ai nevoie de nu știu ce frescă pentru o biserică medie?

    • Bogdan Alexandru DucaCat despre ce e în Occident, la fel va fi și aici. Belonging without believing, fenomenul românesc al credinței religioase, dispare odată cu noile generații.
      Si atunci, inevitabil, vor trebui închise biserici care nu mai sunt rentabile.

    • Constantin BalasoiuBogdan Alexandru Duca pai vezi ca fenomenul asta romanesc al credinței a început cu satele la noi, si arata cam ca in Germania
      Sau mai rau
      Dar din alte motive, alea despre care tu spui ca nu exista, adica oamenii stau calare pe bani, totul e o problema de prostie

    • Constantin BalasoiuBogdan Alexandru Duca sau reformulat elegant, o problema de spirit capitalist
      N au domne spirit de gestiune

    • Alexandru RacuConstantin Balasoiu mă bucur să aud ce spui despre Stavropoleos și m-ar bucura ca așa să stea lucrurile și în cazul altor parohii bogate. Altminteri, dacă am înțeles corect ce spui tu, n-am motive să te contrazic. Bani ar fi, nu mulți, dar măcar pentru niște soluții mai de Doamne ajută pe frontul intelectual, dacă chiar ne preocupă Soros. Numai că nu sunt distribuiți cum trebuie pentru că ăia care îi distribuie au mintea creață și îngustă.

    • Bogdan Alexandru DucaPăi acum depinde care e miza: miza e să păstrăm o imagine ipocrită de ”societate creștină”?
      Sau miza este să vestim și, ideal, să trăim Evanghelia și Împărăția într-o lume care are măcar onestitatea de a nu mai mima creștinismul?
      Eu cred că a doua ar trebui să fie miza.
      Iar pentru a doua, trebuie să ne eliberăm de niște ”obligații” din epoca constantiniană: inclusiv construcția de biserici costisitoare, investițiile în extravaganțe liturgice, asumându-ne altele: scoli alternative, biblioteci alternative, cabinete medicale, hoteluri și case de oaspeți, burse de studiu și ce o mai trebui ca să supraviețuim decent veacului acestuia.

    • Constantin BalasoiuBogdan Alexandru Duca obligații epoca constatiniana, extravagante liturgice, dumnezeule ce expresii
      Aș fi înțeles asta venind de la un activist de partid, un tefelist sau macar un baptist
      Extravaganța aia nu costă prea mult biserica, iar obligațiile înseamnă ce, Ca statul nu i a tăiat complet bugetul? Dar BOR e singura biserica din Europa cu obligații? Austria, Belgia, Cehia (noi suntem pe modelul lor) Danemarca etc
      Marcati toți de obligații constantiniene cezaro papiste, n am reușit să ne eliberăm

    • Bogdan Alexandru DucaExtravaganța aia costă mult. Un set complet de veștminte arhierești ajunge la 10 mii de euro.
      Cineva îmi dădea la comentariile la postarea mea un link cu mitropolia Moldovei care cerea primăriei din Iasi un ajutor financiar pentru factura la curent.
      Orice preot poate să confirme că o biserică obișnuită poate sări la zece mii de lei pe lună, cheltuielile cu curentul și căldura.
      Și ce te faci când, cum e în multe sate, îți vin 10 credincioși duminica la biserică? Depinzi de primărie.Iar când primăria nu îți va mai da bani, și nu o va mai face și pentru că lumea va descoperi că sunt și alte priorități, parohia se va îngloda în datorii și va fi executată silit.
      Așa s-a întâmplat în Occident și acesta e motivul pentru care pe acolo se închid/închiriază/vând biserici.

      În România s-a preferat să se construiască multe biserici, pentru că au existat și încă există bani pentru publici alocați pentru construirea lor.
      Dar bisericile astea au și cheltuieli de întreținere care vor deveni tot mai împovărătoare.
      Și chiar să nu fie tăiate subvențiile: privește ce vezi acum- o Biserică cu zgarda statului de gât, care nu își permite să comenteze niciuna din temele stringente ale societății, ca să nu cumva să supere.

    • Vasile GavrilescuBogdan Alexandru Duca, cu tot respectul, dar faptul că nu comentează ,,temele stringente ale societății" este cel mai înțelept lucru. Există destule situații în istorie când ar fi trebuit să se abțină și din păcate nu a făcut-o. Apoi, cine stabilește care sunt temele stringente?

    • Constantin BalasoiuBogdan Alexandru Duca
      Te referi la veștmintele patriarhului presupun, ca celelalte au prețuri omenești.
      Bun, nu extravaganțele astea costa biserica, in orice caz se fac la nivel de episcopi si orașe. N o sa mi spui sper vai ce economii se pierd
      Chiar, la tine ele reprezintă o problema de exbitionism. Nu, pare rau, reflecta mai curand doctrina bisericii asupra creației si restaurării, ceva ce nu întâlnești in doctrinele protestante, si la care nu p renunța fara sa o lipsești de conținut. Mai e ceva. Bisericile obligate sa se finanțeze singure in occident au fost f probabil printre primele care sau au dispărut, sau au recurs la compromisuri inclusiv de doctrina. Asta e povestea lor.
      E Si normal, faci educația de masa, o secularizezi si scoți biserica din joc pe motiv de conflict public privat. Cum sa rezisti intr o lupta ca asta, cu ce? Si daca iti mai pleaca si populația, Nici clădirile nu le mai poti păstra.
      Explicația ta ca totul o problema de management e ridicola sau poate toata lumea e tâmpita.
      Sa nu te trezești ca luptând sa eliberezi biserica de zgarda statului cu poncifele astea prostestante si seculariste, le pui in mana groparilor ei o lopata cu care sa tragă pământul peste ea

    • Alexandru RacuConstantin Bălășoiu, constat că pornind de la o observație legitimă - chiar dacă cifrele sunt discutabile - discursul lui Bogdan a alunecat pe panta unui protestantism păgubos care îi caracterizează tot mai mult intervențiile din ultima vreme. Rămân la ideea că BOR ca ierarhie și rețea de comunități nu face destul pe frontul educației și lucrării sociale, în parte din pricina unor extravagante neliturgice sau pseudoliturgice, în parte din pricina lipsei de viziune; dar nu e intenția mea să transform faptul cu pricina în pretext de reformă liturgică pro(s)testantă. Mă rog, mi se pare că intrăm pe terenul falselor dihotomii.

    • Bogdan Alexandru DucaCum mă leg de engolpioane, cum sunt acuzat de protestantism, și încă păgubos...
      Aștept să mi se explice, de data asta teologic, care este rolul soteriologic al bederniței, mitrei și clopotelor de zece mii de euro. Și cum o catedrală de 150 de milioane va goli trenurile spre Iad, mai dihai decât o universitate creștină de....nici 50 de milioane :)

Le nouveau Grand Jeu

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Revue Conflits

Conflits est heureux de vous offrir un article inédit consacré au Grand Jeu, c’est-à-dire à l’affrontement entre les grandes puissances pour le contrôle du cœur de l’Eurasie. Par Christian Greiling, historien et observateur du Grand Jeu eurasiatique.
Expression popularisée par Rudyard Kipling, le « Grand jeu » fut, au XIXème siècle, la rivalité pour le contrôle de l’Asie centrale entre l’Angleterre victorienne, installée aux Indes, et la Russie tsariste, en expansion vers le sud et l’est. Cet affrontement, qui prenait la forme d’une lutte d’influence, d’une course à l’exploration ou de tentatives d’alliances avec les principautés ou tribus locales, se déroulait dans les décors somptueux de l’Himalaya, du Pamir, des déserts du Taklamakan ou de Gobi, sur une terre d’une richesse historique incroyable.
À la croisée des chemins, au cœur de l’Eurasie, l’Asie centrale a vu la naissance ou le passage des principaux éléments qui ont façonné l’histoire du monde. Les peuples indo-européens en sont partis pour s’installer, par vagues successives, en Europe, en Iran ou en Inde, suivis, deux mille ans plus tard, par les peuples turcs. Les invasions des Huns ou des Mongols furent plus courtes mais bouleversèrent le monde sédentaire de fond en comble. Les plus grands conquérants y sont passés – Cyrus, Alexandre, Gengis Khan, Tamerlan ou Babur, le fondateur des Grands Moghols – mais l’Asie centrale était également terre de culture. Non loin des cavaliers turcs ou mongols, une société raffinée s’est épanouie au fil des siècles et des civilisations prestigieuses et parfois improbables – penser par exemple au royaume gréco-bouddhiste de Ménandre dans l’actuel Pakistan – s’y sont succédées, dont Boukhara, Samarkand ou Lhassa sont les témoins privilégiés. Outre la soie, dont les Romains raffolaient, la Route de ce nom apporta en Occident les découvertes majeures de la civilisation chinoise : poudre, papier, imprimerie. En sens inverse, les grandes religions universelles qui coexistaient le long de cette voie commerciale multimillénaire – le mazdéisme qui y est né, le chamanisme, le manichéisme, le christianisme, l’islam, le bouddhisme et même le judaïsme – prirent le chemin de l’Orient.
L’invasion mongole fut le chant du cygne des nomades. Les peuples se sédentarisaient, les États modernes se constituaient et bientôt, deux grands empires s’y rencontrèrent. Après avoir mis fin au joug turco-mongol de la Horde d’or, la Russie avait engagé son expansion vers l’est tandis que l’empire maritime britannique avait mis la main sur les Indes et avançait vers le nord. La rencontre eut lieu en Asie centrale et c’est à un Grand jeu subtil et romanesque que se livrèrent les deux puissances sur l’énorme échiquier allant du Caucase « barbare » au Tibet glacé. Appelé « Tournoi des ombres » par les Russes, cet affrontement épique, jamais déclaré, mettait en scène aventuriers, espions ou explorateurs, souvent déguisés en pèlerins autochtones, une boussole dissimulée dans leur moulin à prières bouddhiste ou comptant les mètres grâce aux boules de leurs chapelets ! Car cette rivalité n’a que rarement débouché sur des affrontements armés, même si le souvenir de la désastreuse expédition britannique reste très présent en Afghanistan : des 16 000 sujets de Sa Gracieuse Majesté qui quittèrent Kaboul en janvier 1842, un seul parvint à la frontière, tous les autres ayant été massacrés dans les défilés par les tribus pachtounes – déjà ! Le Grand jeu consistait surtout à nouer d’improbables alliances avec des potentats locaux versatiles qui ne se privaient pas de jouer double jeu, mais aussi à dresser des cartes et à reconnaître des itinéraires dans des régions alors très peu connues, des territoires grandioses et sauvages, au milieu de tribus farouches où être découvert signifiait généralement la mort…
Plusieurs dates ont été mises en avant pour marquer la fin du Grand jeu. La création de l’actuel Afghanistan comme État tampon à la fin du XIXème siècle ou la défaite du tsar en 1905 dans la guerre russo-japonaise ou encore la convention anglo-russe de 1907 définissant les sphères d’influence respectives des deux empires en Perse, en Afghanistan et au Tibet. En réalité, le Grand jeu n’a jamais vraiment pris fin et l’on retrouve encore des luttes d’influence dans les années 30 entre Russes devenus Soviétiques et Britanniques, notamment au Turkestan chinois, l’actuel Xinjiang (sur la riche histoire de l’Asie centrale, on se réfèrera à l’incontournable ouvrage du regretté Jean-Paul Roux, L’Asie centrale : histoire et civilisation, Fayard. Sur l’épique rivalité entre Britanniques et Russes : Peter Hopkirk, Le Grand jeu, officiers et espions en Asie centrale, Nevicata).
Il n’est pas un géopolitologue qui ne parle à présent d’un « nouveau Grand jeu » en Asie centrale, moins romanesque mais tout aussi passionnant, dont les ramifications s’étendent à l’échelle de la planète et qui vise, ni plus ni moins, à la domination du monde. Une partie de poker infiniment plus complexe et variée, à plusieurs joueurs – Russie, États-Unis et Chine, auxquels il faut ajouter les éternels frères ennemis Inde et Pakistan et, en toile de fond, l’Iran, la Turquie et le Japon –, le tout saupoudré d’islamisme et de terrorisme, de ressources énergétiques gigantesques qui vont conditionner le futur développement économique du monde, d’une guerre des « tubes » sans merci et de conflits locaux anciens et irréductibles. Une partie de l’avenir du monde se joue entre les montagnes du Pamir, où trois puissances nucléaires – Inde, Chine et Pakistan – se regardent en chiens de faïence, et les sables du Gobi, entre la Caspienne – qui ne produit plus de caviar mais inonde le marché de son gaz et de son pétrole – et le Tibet. Rivalité des grands, terrorisme, hydrocarbures, guerres, pipelines, nucléaire, le tout dans la zone la plus disputée du globe : le cocktail est explosif ! Faites vos jeux, rien ne va plus…

Le pivot du monde


La pensée géopolitique britannique puis celle des États-Unis, qui en ont hérité, s’articule autour de la thèse de pivot du monde (Heartland).
La pensée géopolitique britannique puis celle des États-Unis, qui en ont hérité, s’articule autour de la thèse de pivot du monde (Heartland).
Dans la foulée d’Halford Mackinder (1861-1947), la pensée géopolitique britannique puis celle des États-Unis, qui en ont hérité, s’articule autour de la thèse de pivot du monde (Heartland). Pour l’école anglo-saxonne, c’est autour de l’Eurasie et plus particulièrement de son centre, l’Asie centrale, véritable cœur du monde, que s’articulent toutes les dynamiques géopolitiques de la planète : « Celui qui domine le Heartland commande l’Ile-Monde. Celui qui domine l’Ile-Monde commande le Monde». Disciple de Mackinder, Nicholas Spykman (1893-1943) est considéré comme l’un des pères de la géopolitique aux États-Unis. S’il reprend la théorie du Heartland, il y rajoute un Rimland, sorte de croissant entourant le cœur du monde, région intermédiaire entre le Heartland et les mers riveraines et comprenant l’Europe, le Moyen-Orient, le sous-continent indien et l’Extrême-Orient. Pour Spykman, c’est dans cette zone tampon du Rimland que se joue le vrai rapport de forces entre la puissance continentale et la puissance maritime et il convient d’empêcher à tout prix l’union du Rimland et du Heartland en soutenant les États du croissant contre le centre. Cela correspond ni plus ni moins à la politique de « containment » qui sera menée durant la Guerre froide par les États-Unis contre l’URSS, mais nous verrons que celle-ci ne fut qu’un avatar d’un endiguement beaucoup plus ancien. Cette vision marquée par le sentiment d’insularité d’une puissance maritime excentrée, « en bordure » du centre du monde – Grande-Bretagne puis États-Unis – a également été influencée par les travaux de l’historien et stratège naval américain Alfred Mahan (1840-1914) qui explique la puissance britannique par sa suprématie maritime face à une Eurasie divisée. De fait, la politique étrangère britannique depuis le XVIIème siècle vise à prévenir et à lutter contre toute tentative d’unification continentale – Habsbourg, Napoléon, Allemagne hitlérienne. La crainte, reprise ensuite par les géopolitologues américains à une échelle plus vaste, sera d’assister à l’émergence d’une puissance continentale hégémonique contrôlant l’Eurasie, donc le monde… (sur toute cette question, l’on pourra se reporter aux écrits de Mackinder et Mahan ou à la bonne synthèse de Tanguy Struyedeswielande, Caucase et Asie centrale : la guerre pour le contrôle du Rimland, Réseau Multidisciplinaire d’Études Stratégiques, 2007).
Cette idée force, constante de la pensée géopolitique anglo-saxonne, se retrouve de nos jours chez Zbigniew Brzezinski, l’une des têtes pensantes de l’école américaine actuelle. Dans Le Grand échiquier, l’ancien conseiller à la sécurité du Président Carter adjure ses dirigeants : « Il est impératif qu’aucune puissance eurasienne concurrente capable de dominer l’Eurasie ne puisse émerger et ainsi contester l’Amérique ». Le message est clair : c’est sur le grand échiquier eurasiatique que se joue l’avenir du monde et les États-Unis se doivent de le contrôler afin de maintenir leur primauté globale. Diviser pour mieux régner, l’idée est vieille comme le monde mais très actuelle dans la politique des dirigeants américains vis-à-vis de l’Eurasie, nous le verrons. Les menées de Washington sous-tendues par cette conception géopolitique et, par contrecoup, les réactions de ses rivaux russe et plus récemment chinois expliquent pour bonne partie les événements que le monde a connus ces vingt dernières années. Derrière l’écume de l’actualité, la lutte qui sourd est celle-ci. Le Grand jeu conditionne tout, c’est l’armature du théâtre sur la scène duquel se jouent les événements quotidiens de l’actualité. Guerres du Golfe de 1991 et 2003, guerre de Tchétchénie, guerre du Kosovo de 1999, attentats du 11 septembre et intervention américaine en Afghanistan, guerre de Géorgie de 2008, isolation de l’Iran, « révolutions colorées » des années 2000, coupures de gaz répétées entre la Russie et l’Europe, mise en place de l’Organisation de Coopération de Shanghai, discours des néo-conservateurs américains sur la « nouvelle Europe », « guerre fraîche » entre Moscou et Washington, crise ukrainienne de 2014 etc. ; tous ces événements découlent du Grand jeu ou s’y rattachent d’une manière ou d’une autre.
En plus d’être le pivot du monde, le point névralgique du globe, l’Asie centrale est également terre de richesses, d’immenses richesses. Les soieries, le jade, les épices, les tapis persans ou le caviar ont été remplacés par les hydrocarbures, pétrole et gaz, principalement autour de la Caspienne ou au Xinjiang chinois, sans compter les immenses ressources russes un peu plus au nord. Certes, les premières estimations enthousiastes pour ne pas dire délirantes des années 90 concernant les réserves de la Caspienne ont été revues à la baisse, mais n’ont-elles pas à l’époque conditionné l’intérêt soudain des pétroliers occidentaux et des dirigeants américains pour cette région ? Si l’euphorie est quelque peu retombée, il n’en reste pas moins que l’Asie centrale au sens large – incluant l’Azerbaïdjan – est une région incontournable sur la carte énergétique planétaire, dotée d’un potentiel considérable tandis que les réserves moyen-orientales ou américaines s’épuisent (il convient ici de faire un sort à l’euphorie elle aussi délirante concernant le pétrole et le gaz de schiste aux États-Unis. Les estimations sont maintenant revues à la baisse dans des proportions parfois gigantesques. Ainsi, en juin 2014, l’Agence d’Information sur l’Énergie américaine a réduit de 96% (!) ses estimations de pétrole de schiste récupérables dans le bassin de Monterey, en Californie, qui devait représenter à l’origine les deux tiers des réserves de pétrole non conventionnel du pays. Par ailleurs, selon l’US Geological Survey et de nombreux scientifiques, la technique de fracturation hydraulique consubstantielle à l’exploitation des hydrocarbures de schiste est responsable de l’augmentation des tremblements de terre aux États-Unis, sans même parler de la dégradation de l’environnement. L’euphorie du schiste a vécu ; il n’y aura jamais d’abondance énergétique américaine comme on a pu le lire…). Les gisements géants de Shah Deniz en Azerbaïdjan, de Tengiz et de Kachagan au Kazakhstan – les deux plus gros gisements découverts dans le monde depuis quarante ans – ou les énormes réserves gazières du Turkménistan et de l’Ouzbékistan ont attiré les convoitises des majors et des dirigeants politiques des principales grandes puissances. Aussi important sinon plus que les ressources elles-mêmes, c’est leur acheminement par les gazoducs et oléoducs et le moyen d’influence qui en découle qui cristallise les tensions et les grandes manœuvres, ce que d’aucuns nomment la géopolitique des tubes. Complétant la pensée de Mackinder, un nouvel axiome est apparu : « Qui contrôle les sources et les routes d’approvisionnements énergétiques mondiales contrôle le monde. » C’est particulièrement vrai pour les États-Unis dont les stratèges, quelle que soit leur tendance politique, sont conscients de l’inévitable déclin américain : le monde est devenu trop vaste, trop riche, trop multipolaire pour que les États-Unis puissent le contrôler comme ils l’ont fait au XXème siècle. Du Projet pour un nouveau siècle américain des néo-conservateurs au Grand échiquier de Brzezinski, une même question prévaut en filigrane : comment enrayer ce déclin, comment le retarder afin de conserver aux États-Unis une certaine primauté dans la marche du monde ? La réponse, qui n’est certes pas ouvertement explicitée, passe par le contrôle de l’approvisionnement énergétique de leurs concurrents. « Contrôle les ressources de ton rival et tu contrôles ton rival», Sun Tzu n’aurait pas dit autre chose. Et c’est toute la politique étrangère américaine, et subséquemment russe et chinoise, de ces vingt dernières années qui nous apparaît sous un jour nouveau. La bataille pour les sources et les routes énergétiques combinée à la domination du Heartland et du Rimland, sont les éléments constitutifs de ce nouveau Grand jeu qui définira les rapports de force mondiaux pour les siècles à venir. Surnommée par certains « Pipelineistan » (terme inventé par le journaliste-reporter Pepe Escobar dont on peut lire les articles très documentés et caustiques sur le site www.atimes.com, uniquement disponible en anglais malheureusement), l’Asie centrale énergétique, pivot géographique et géopolitique du monde, peut légitimement être considérée comme l’une des zones les plus importantes de la planète.

L’aigle, l’ours et le dragon

Héritiers et imprégnés des théories géopolitiques britanniques sur le Heartland, les dirigeants américains ont toujours tenté de contenir la grande puissance continentale qu’est la Russie ou, sous son avatar communiste, l’Union soviétique. L’on peut d’ailleurs parfois se demander, au vu du rapprochement ultérieur avec la Chine maoïste et de la bienveillance à l’égard des Khmers rouges de Pol Pot [Voir les conversations de novembre-décembre 1975 entre Kissinger et les gouvernements thaïlandais et indonésien au cours desquelles le Secrétaire d’État demande notamment à ses homologues d’assurer les Khmers rouges de l’entier soutien des États-Unis. L’ennemi était alors le Vietnam pro-soviétique qui venait de gagner la guerre, et face à lui, les Américains étaient prêts à soutenir les maoïstes cambodgiens, malgré les massacres perpétrés par ceux-ci (mémorandums déclassifiés du Département d’État aux Affaires étrangères)], si la Guerre froide a consisté pour Washington en un véritable combat contre le communisme ou en une tentative toute empreinte de realpolitik de lutter contre le seul véritable concurrent stratégique qu’était la Russie, affrontement qu’avait du reste prévu Tocqueville. Toujours est-il que les États-Unis mirent en place un réseau d’alliances militaires tout le long du Rimland – OTAN (Europe et Turquie), Pacte de Bagdad ou CENTO (Moyen-Orient et Pakistan), OTASE (Asie du Sud-est) – pour enserrer et contenir l’URSS dans son Heartland. L’on imagine avec quel soulagement Washington accueillit la rupture sino-soviétique de 1960, mettant fin au bloc communiste qui allait de l’Europe au Pacifique. Mais l’événement crucial fut évidemment le démembrement de l’URSS en 1991. L’apparition de nouveaux États indépendants – trois dans le Caucase et surtout les cinq républiques d’Asie centrale – permettait de faire reculer le Heartland, désormais occupé par la seule Russie, dans des proportions énormes tandis que les dirigeants américains tentaient d’intégrer les nouveaux États dans le Rimland par le biais d’alliances militaires, diplomatiques ou énergétiques ou de tentatives de déstabilisation.
Le vide politique de la Russie dans les années 90, menée par un président ivrogne et faible – Boris Eltsine – dont avaient tout lieu de se réjouir les Occidentaux et particulièrement les Américains, l’anarchie intérieure et l’explosion de la criminalité, ainsi que l’effondrement économique et démographique empêchèrent Moscou de réagir. Toutefois, les États-Unis n’en profitèrent que partiellement ; l’administration Clinton (1992-2000) était en effet plus préoccupée de politique intérieure que de grande géopolitique, ce qui enrageait les secteurs néo-conservateurs pour qui les années 90 furent une « décennie perdue ». Certes, Washington avança ses pions sur l’échiquier du Grand jeu par une série d’empiètements : guerre du Kosovo et installation d’un avant-poste dans les Balkans, tentatives de détachement des ex-républiques soviétiques du « grand frère russe » voire même, ce que d’aucuns soupçonnent sans pourvoir fournir de preuves formelles, soutien à la rébellion tchétchène qui aurait été le premier pas à un démembrement, non plus de l’URSS, mais de la Russie elle-même ! La terrible répression de l’armée russe qui s’ensuivit visait d’ailleurs à faire un exemple et à tuer dans l’œuf toute velléité indépendantiste future dans ce pays constitué d’une mosaïque de peuples et de cultures différentes mue par des forces centrifuges. Sur le plan énergétique, les États-Unis ne furent pas en reste et l’on assista aux premiers captages de l’énergie centre-asiatique avec l’arrivée massive des majors américaines sur les champs pétrolifères du Kazakhstan ou de l’Azerbaïdjan et les projets de pipelines évitant soigneusement le territoire russe.
Toutefois, cette politique ne fut pas poussée à bout et laissa un goût d’inachevé pour les tenants de la ligne dure. L’aigle américain avait laissé passer sa chance de porter définitivement le coup de grâce à l’ours russe et l’occasion ne se représenterait plus… Lorsque les faucons de l’administration Bush arrivèrent au pouvoir en 2001 et voulurent rattraper le temps perdu, Vladimir Poutine était président de la Russie depuis quelques mois et avait entamé un programme de redressement général, tant sur le plan intérieur qu’extérieur. Les années 2000 seront marquées par leur affrontement, dur et subtil à la fois, incessant, de très haute volée sur le plan stratégique, l’une des plus belles passes d’armes géopolitiques de l’ère moderne. Certains journaux ont parlé de « nouvelle Guerre froide », et si le terme peut sembler quelque peu exagéré, la résurgence de la Russie poutinienne heurta effectivement de plein fouet les velléités de Washington.
L’idée centrale de toute la politique étrangère russe depuis Catherine II consiste à désenclaver le Heartland et à accéder aux mers chaudes. Il est particulièrement intéressant de noter qu’au cours de l’histoire, chaque poussée de la Russie vers le sud ou l’Extrême-Orient, c’est-à-dire chaque incursion dans le Rimland, rencontra sur son chemin une opposition anglo-saxonne décidée : guerre de Crimée (1853-1856) et défense de l’Empire ottoman, « l’homme malade » de l’Europe, qui faisait office de tampon ; premier Grand jeu au XIXème siècle et tentative britannique de contenir la marche russe vers l’Océan indien ; guerre russo-japonaise de (1904-1905) où l’Empire du Soleil levant, fortement poussé et soutenu par Londres, fit reculer la Russie tsariste du Rimland mandchou tandis qu’au même moment, l’expédition britannique à Lhassa refoula l’influence russe sur le Tibet et mit fin aux tentatives d’alliance russo-tibétaines, faits assez peu connus ; coup d’État américano-britannique contre Mossadegh en Iran pour éliminer la menace d’une possible alliance irano-russe et le percement du Rimland par Moscou (1953) ; guerre d’Afghanistan (1980-1988) et soutien américain aux moudjahidines et aux djihadistes islamistes par l’entremise de ses alliés pakistanais et saoudien, ce qui comme on le sait se retournera contre les États-Unis avec les attentats du 11 septembre.
La Russie a très mal accepté la perte de ses républiques d’Asie centrale qu’elle considère comme son pré carré, à l’instar de l’Afrique de l’ouest pour la France ou de l’Amérique latine pour les États-Unis. Après l’impuissance des années Eltsine, la politique de Poutine consistera à consolider le Heartland, à regagner le terrain perdu sur ses marges, voire à percer le Rimland par le biais d’alliances régionales mais surtout par la mise en place d’une politique énergético-stratégique dont les pipelines seront les fers de lance. Pour cela, il fallait tout d’abord remettre la main sur le secteur énergétique, bradé à tous les vents sous la présidence Eltsine et tombé aux mains d’oligarques peu scrupuleux. Ioukos et son président Mikhaïl Khodorkovski mettant en danger le projet de redressement voulu par le nouvel homme fort de la Russie – opposant déclaré, Khodorkovski était également sur le point de vendre Ioukos à l’américain Exxon -, la société sera divisée et vendue par morceaux, son président inculpé pour « escroquerie à grande échelle » et emprisonné. A son arrivée au pouvoir, Poutine avait averti les oligarques : « Vous pouvez garder vos millions, mais ne touchez pas à la politique et ne vous mettez pas en travers de la politique de redressement de la Russie». Tandis que Ioukos était dépecée, le mastodonte Gazprom – première compagnie gazière mondiale, que beaucoup d’observateurs considèrent comme le bras armé du Kremlin – mit en pratique les directives de Poutine, parfois au détriment de ses propres intérêts économiques, nouant des alliances avec les satrapes locaux, prenant des participations dans les gisements des ex-républiques soviétiques et acheminant leurs hydrocarbures par des gazoducs russes. Depuis octobre 2012, le Pipelineistan a un nouveau maître : avec le rachat de TNK-BP pour plusieurs dizaines de milliards de dollars, la compagnie russe Rosneft, dont le principal actionnaire est l’État russe, est devenu la plus grande compagnie pétrolière du monde, avec une production de 4,5 millions de barils/jour. Ainsi, la Russie de Vladimir Ier, tsar de l’énergie, compte maintenant les leaders mondiaux du gaz (Gazprom) et du pétrole (Rosneft).
Le subtil pas de deux américano-russe et ses incidences persane, européenne, afghane ou caucasienne a récemment été bousculé par l’irruption d’un troisième acteur, compliquant quelque peu le scénario. Dans le film Syriana (2005), un jeune prince arabe réformiste retire l’exclusivité des droits de forage de gaz naturel à une compagnie texane pour les attribuer à une société chinoise, s’attirant ainsi la vindicte de la CIA qui finira par le faire assassiner. Au-delà de cette mise en scène de la collusion entre les maîtres de l’or noir et les pouvoirs politiques, le scénario illustre un phénomène majeur : l’irruption de la Chine sur l’échiquier énergétique international, introduisant une inconnue supplémentaire dans l’équation de la géopolitique eurasienne et déséquilibrant les courants d’échanges énergétiques. Le dragon s’est enfin réveillé : afin de nourrir sa folle croissance qui en fera bientôt la première puissance économique mondiale, l’ogre énergétique chinois cherche désespérément à mettre la main sur toutes les ressources énergétiques disponibles. Sa richesse en charbon ne suffit plus à alimenter ses besoins toujours croissants. Dans un pays où la légitimité du Parti Communiste au pouvoir depuis soixante-cinq ans devient chaque jour plus mince et repose sur sa capacité à maintenir une croissance économique forte tout en préservant autant que faire se peut l’harmonie sociale mise en avant par la propagande, l’exploitation du charbon n’est pas sans présenter de risques. Pas une semaine ne passe sans qu’un accident n’ait lieu dans une mine, faisant des dizaines de morts et provoquant colère ou ressentiment dans la population, tandis que la pollution invraisemblable qui touche maintenant les grandes villes chinoises, et dont une grande part provient de la surexploitation charbonnière, suscite également des critiques acerbes sur l’incapacité du gouvernement à juguler le phénomène. Ses propres ressources en hydrocarbures ne suffisant pas, Pékin s’est tourné vers l’étranger, dans une boulimie d’acquisition de gaz et de pétrole, et toute sa politique étrangère consiste à sécuriser son approvisionnement énergétique. Ainsi, l’axe nord-sud du traditionnel affrontement américano-russe se trouve maintenant coupé par la poussée occidentale de la Chine vers les richesses énergétiques d’Asie centrale et du Moyen-Orient.

Pipelineistan ou la guerre des tubes


Pipelineistan ou la guerre des tubes
Pipelineistan ou la guerre des tubes
Dans ce contexte, les pipelines jouent évidemment un rôle majeur, leur tracé étant la matérialisation sur le terrain des objectifs stratégiques de leur promoteur. Les tubes russes sont autant de flèches visant à percer le Rimland afin de gagner les marchés de consommation européen ou asiatique, ceux promus par Washington courent le long de ce même Rimland et tentent d’isoler la Russie, tandis que l’irruption chinoise vient troubler la scène. L’équation est encore compliquée du fait de l’émergence d’autres acteurs qui ont également leur mot à dire : Inde, Pakistan, Iran, Japon. Au centre de l’échiquier, les pays producteurs ou de transit jouent un jeu parfois double mais toujours difficile.
Lors des coupures de gaz entre la Russie et l’Ukraine ou des discussions sur le tracé d’un pipeline approvisionnant l’Europe, l’homme de la rue se demandait parfois quel pouvait bien être l’intérêt des États-Unis dans cette histoire et pourquoi ils s’intéressaient autant à la route qu’empruntaient des tubes à 15 000 kilomètres de chez eux. La réponse est qu’il s’agit bien évidemment d’une pièce maîtresse du Grand jeu. Dans un contexte de perte relative de puissance à l’échelle mondiale, l’arme énergétique est une carte maîtresse ; en contrôlant les routes des hydrocarbures, Washington garde un certain levier de pression sur ses concurrents et évite d’être marginalisé. Pour les dirigeants américains, le tracé des pipelines en Asie doit nécessairement suivre celui du Rimland sur un axe est-ouest, encerclant la Russie et désenclavant les pays de l’Asie centrale ou du Caucase. Mais la situation est complexe : au sud de cette ceinture se trouvent des pays avec lesquels les États-Unis sont en conflit ouvert ou couvert – Iran, Irak, Syrie. Le numéro d’équilibriste consiste donc à construire des pipelines dans l’étroite bande séparant ces deux zones, parfois sans considération pour les difficultés économiques ou techniques.
À l’ouest, le Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) fut l’une des plus grandes victoires de la diplomatie énergétique de Washington. Ouvert en 2005, il transporte le pétrole caspien de l’Azerbaïdjan à travers la Géorgie et la Turquie, évitant soigneusement le territoire arménien, allié de Moscou. Toutefois, la guerre de Géorgie de 2008, au cours de laquelle la Russie prit rapidement le dessus sur l’armée géorgienne et effectua des bombardements à quelques hectomètres de l’oléoduc tout en se gardant bien de le détruire, montra la vulnérabilité du BTC. Est-ce le facteur qui coupa l’herbe sous le pied de Nabucco ? Présenté comme le projet des Européens pour assurer leur indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie mais, curieusement beaucoup plus appuyé par les Américains que par ces mêmes Européens, le gazoduc Nabucco devait en effet suivre le même tracé que le BTC, partant de l’Azerbaïdjan et traversant la Géorgie avant de bifurquer vers l’Europe. Bakou n’ayant pas assez de gaz pour le remplir, il était également question d’y ajouter du gaz en provenance du Turkménistan, que l’on aurait fait transiter par un pipeline sous la Caspienne. La réaction de Moscou fut immédiate et multiforme : accélération du projet South Stream, reliant l’Europe par la Mer noire ; manœuvres diplomatiques visant à « dissuader » le Turkménistan de se joindre au projet ; achat par Gazprom d’énormes quantités de gaz turkmène et azéri afin de vider dans l’œuf toute possibilité de remplir Nabucco ; refus de permettre la construction d’un pipeline sous-marin, qui requiert l’approbation de tous les pays riverains de la Caspienne dont le statut juridique reste flou. On le voit, la partie sur l’échiquier du Grand jeu peut prendre de nombreuses formes. L’ours russe a gardé de sa force de persuasion et il semblerait que les Américains aient plus ou moins jeté l’éponge. Le chantage turc à peine voilé qui utilisait le passage du gazoduc par son territoire pour avancer ses pions dans le dossier de son adhésion à l’Union Européenne ne favorise pas non plus l’aboutissement du projet. Nabucco, qui de plus pâtit de son coût trop élevé, reste une coquille vide et semble avoir dit son dernier mot… Quant à la Russie, elle était, jusqu’au conflit ukrainien actuel, en passe de réussir son pari, malgré les multiples velléités américaines – lobbying en faveur des pipelines non russes (Nabucco, BTC), tentatives de sabotage de tout rapprochement européo-russe et discours sur la « nouvelle Europe », « retournement » de l’Ukraine en 2004 et soutien indéfectible à la politique anti-russe de l’ancien président Yushenko, campagne d’une certaine presse contre la Russie poutinienne etc. Le gazoduc Nord Stream est entré en service en 2011 et rejoint directement l’Europe occidentale en contournant le glacis de « l’Europe nouvelle » mis en place par Washington qui, par le biais de ses alliés ukrainiens ou polonais, pouvait jusque là couper le robinet à tout moment, comme cela fut le cas à plusieurs reprises lors des conflits gaziers entre l’Ukraine et la Russie dans les années 2000. La construction de son pendant au sud, le South Stream, allait débuter lorsqu’éclata la crise ukrainienne, gelant le projet. Nous y reviendrons en fin d’article.
En Asie centrale proprement dite, la Russie semble également en position de force. Certes, les compagnies occidentales ont la part belle dans les consortiums exploitant les gisements géants kazakhstanais de Tengiz (pétrole et gaz, à forte majorité américain) et de Kachagan (pétrole, mis en route cette année et qui devrait rapidement devenir le troisième gisement du monde), mais Moscou garde la haute main sur leurs routes d’évacuation. Si rien n’a encore été décidé pour Kachagan, les pipelines de Rosneft font figure de favoris pour le transit de ses hydrocarbures. Quant au pétrole de Tengiz, il s’engouffre déjà dans les oléoducs russes à destination de Novorossiysk et les tentatives américaines de le faire transiter par le BTC ont peu de chance d’aboutir. Il existe une troisième route, plus économique, préconisée par le français Total : un oléoduc à travers l’Iran. Cette solution de bon sens a évidemment subi le véto de Washington qui tente d’isoler l’Iran depuis la Révolution de 1979. Et l’on touche là du doigt le véritable casse-tête des stratèges américains : comment désenclaver l’Asie centrale et la faire sortir de l’orbite russe tout en évitant les territoires de leurs ennemis dans « l’arc de crise » allant du Moyen-Orient au Pakistan ?
La première tentative fut aussi l’une des plus curieuses. A la fin des années 90, la société américaine Unocal, avec le plein assentiment de Washington, entreprit des négociations avec le régime des Talibans afin de faire passer un pipeline par l’Afghanistan. Les discussions étaient relativement avancées et une délégation talibane vint même rencontrer les dirigeants d’Unocal au siège texan de la société en décembre 1997. Pour l’administration Clinton, la principale préoccupation était la fin de la guerre civile afghane et l’émergence d’un pouvoir stable, relativement favorable aux intérêts stratégiques et économiques américains, c’est-à-dire permettant d’accéder aux richesses énergétiques de l’Asie centrale. C’est ce qui fit dire à l’époque à un diplomate américain : « Les Talibans vont probablement se développer comme les Saoudiens. Il y aura Aramco [la compagnie nationale saoudienne d’hydrocarbures, NDLR], des pipelines, un émir, pas de parlement et la sharia… On peut s’en arranger» (Ahmed Rashid, Taliban: Militant Islam, Oil and Fundamentalism in Central Asia, Yale University Press, 2000). Ce n’est pas pour des raisons humanitaires mais devant l’incapacité des Talibans à vaincre l’Alliance du nord du commandant Massoud et à mettre fin à l’instabilité du pays que les États-Unis commencèrent à prendre leurs distances avec le régime des « étudiants de Dieu ». Ces derniers, de plus en plus influencés par Ben Laden qu’ils avaient accueilli en 1996, faisaient également preuve d’un anti-américanisme grandissant. Washington arriva finalement à la conclusion que le régime taliban était incapable de stabiliser l’Afghanistan et de permettre ainsi la pénétration américaine en Asie centrale, et des échos selon lesquels les États-Unis commençaient à planifier l’invasion de l’Afghanistan virent le jour dès la fin de l’année 2000 dans la presse américaine (comme le Washington Post ou l’influent magazine de défense et de stratégie Jane’s Weekly.). L’administration Bush fit toutefois une dernière tentative en juillet 2001 – deux mois avant les attentats du 11 septembre ! -, dans une réunion au cours de laquelle les officiels américains demandèrent aux Talibans de constituer un gouvernement d’unité nationale incluant toutes les factions afin de mettre fin à la guerre civile. Selon certaines sources, un représentant américain déclara textuellement : « Soit vous acceptez notre offre et nous vous couvrirons d’un tapis d’or, soit vous refusez et nous vous couvrirons d’un tapis de bombes. » Les Talibans, peu disposés à partager le pouvoir, refusèrent… Deux mois plus tard, les tours du World Trade Center s’effondraient et l’armée américaine intervenait en Afghanistan, ce qui fit dire aux théoriciens du complot que les attentats du 11 septembre n’étaient qu’un écran de fumée. La coïncidence est certes troublante, mais il semble que les États-Unis seraient de toute façon intervenus en Afghanistan, indépendamment des événements du 11 septembre. Le hasard faisant bien les choses, le président Hamid Karzaï et l’ambassadeur des États-Unis en Afghanistan Zalmay Khalilzad avaient tous deux été consultants de la firme Unocal lors des négociations avec les Talibans. Treize ans après, le premier est toujours considéré par une grande partie de la population afghane comme une marionnette américaine, n’ayant pu se maintenir au pouvoir que grâce à une fraude massive durant les élections de 2009 et à un système de corruption généralisée des leaders locaux ou tribaux influents qu’il arrosait avec les dizaines de millions de dollars que lui a versés la CIA pendant plus d’une décennie (With bags of cash CIA seeks influence in Afghanistan, New York Times, 29 avril 2013). Le second avait été un proche collaborateur de Brzezinski, l’auteur du Grand échiquier, à l’université de Columbia puis membre du think tank néo-conservateur Projet pour un nouveau siècle américain qui vise ni plus ni moins à la primauté mondiale des États-Unis. Toutefois, en treize ans de présence, l’armée américaine elle-même s’est révélée totalement incapable de stabiliser l’Afghanistan et les projets de gazoducs sans cesse remis au lendemain, tandis que Gazprom captait toujours plus les richesses énergétiques du bassin de la Caspienne. L’idée ne fut néanmoins pas perdue, comme nous allons le voir…
Malgré leurs échecs répétés pour isoler la Russie et en dépit de l’enlisement afghan, les États-Unis n’en gardent pas moins une certaine influence – certains parlent de capacité de nuisance. Ainsi ont-ils réussi à faire définitivement échouer, semble-t-il, un vieux projet de pipeline entre l’Iran, le Pakistan et l’Inde. Ce gazoduc, appelé Peace Pipeline ou IPI (pour Iran-Pakistan-Inde), devait fournir le gaz dont l’Iran regorge au Pakistan et à l’Inde, dont les besoins énergétiques s’accroissent de manière exponentielle au fur et à mesure de leur développement économique. L’idée tombait sous le sens : trois voisins, dont l’un très riche en énergie et les deux autres forts demandeurs, un tracé relativement simple, sans difficulté technique majeure et qui aurait permis de resserrer les liens de ces trois États aux relations compliquées. C’était sans compter sur Washington et sa volonté de diviser l’Eurasie et d’isoler l’Iran. Après des années de harcèlement, les Américains ont réussi à détacher l’Inde du projet en 2009 avec, à la clé, un accord sur le nucléaire civil. Notons toutefois que New Delhi fait souffler le chaud et le froid, des rumeurs faisant état d’un intérêt toujours persistant pour l’IPI voire pour un pipeline sous-marin Iran-Inde, l’intégration de l’Inde au sein des BRICS et de l’Organisation de Coopération de Shanghai n’y étant peut-être pas pour rien. Le Pakistan, pressé par Washington d’abandonner le projet, persiste dans sa volonté de mener à bien le projet. En lieu et place du Peace Pipeline, les États-Unis proposent un autre pipeline, le TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde), qui n’est ni plus ni moins qu’une reprise du projet Unocal.

En lieu et place du Peace Pipeline, les États-Unis proposent un autre pipeline, le TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde), qui n’est ni plus ni moins qu’une reprise du projet Unocal.
En lieu et place du Peace Pipeline, les États-Unis proposent un autre pipeline, le TAPI (Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde), qui n’est ni plus ni moins qu’une reprise du projet Unocal.
Sur le plan technique et politique, ce projet est extrêmement compliqué, irréaliste selon certains. Le gazoduc part du Turkménistan où le président-satrape Gurbanguly Berdimuhamedow, gagnant les élections avec des scores soviétiques, a mis en place un véritable culte de la personnalité et semble prendre ses décisions selon l’humeur du moment, témoin ses nombreux retournements, notamment dans le dossier Nabucco. Le TAPI doit ensuite traverser l’Afghanistan et notamment les zones pachtounes en conflit, se frayant un chemin à travers les millions de mines laissées par la guerre de 1980-1989, pour arriver à Quetta, la ville du mollah Omar et de milliers de Talibans réfugiés au Pakistan. Que les États-Unis parviennent à « convaincre » leurs partenaires d’un projet aussi saugrenu selon le mot de certains spécialistes montre le degré d’influence que Washington conserve dans la région. Surtout, l’on constate que, dans ce Grand jeu de poker menteur planétaire, le facteur stratégique prime sur toute autre considération, qu’elle soit économique ou technique. Mais un jeu, aussi important soit-il, reste divertissant et le dernier rebondissement en date prête à sourire : dès l’accord pour le TAPI conclu en 2012, Vladimir Poutine effectua une visite diplomatique en Afghanistan et au Turkménistan et, sur la demande de ces pays, la Russie s’est invitée dans la partie, par le biais de Gazprom ! Après des années d’efforts pour isoler l’Iran, voilà l’ours russe qui frappe à la porte. Les stratèges américains n’avaient sans doute pas prévu cela…
Tout comme ils n’avaient peut-être pas prévu l’inarrêtable expansion économique de la Chine, l’explosion de ses besoins énergétiques et son irruption dans le Grand jeu. Les regards de Pékin se sont tournés dès les années 90 vers sa région autonome du Xinjiang ou Turkestan chinois, riche en hydrocarbures et peuplé de Ouïghours, turcophones musulmans chez qui l’indépendance nouvelle de leurs cousins des ex-républiques soviétiques avait fait naître des espoirs de liberté et nourri le séparatisme. Cette tendance allait évidemment à l’encontre de l’intérêt accru de Pékin pour sa province occidentale et, à l’instar du Tibet, c’est avec une main de fer que les dirigeants chinois réprimèrent toute menée autonomiste tandis que la colonisation han– l’ethnie majoritaire – s’intensifia. Au-delà de la simple volonté de maintenir son intégrité territoriale, la région du Xinjiang est en effet hautement stratégique pour la Chine. Riche en hydrocarbures et en énergies renouvelables – les forages pétroliers se multiplient dans le désert du Taklamakan tandis que d’immenses parcs d’éoliennes ont vu le jour -, en uranium et en terres rares, le Xinjiang a surtout une immense valeur géostratégique : possédant une frontière commune avec huit États, il se trouve au carrefour des routes énergétiques. La majorité de ses approvisionnements provenant d’un Moyen-Orient de plus en plus instable, Pékin a porté son regard sur l’Asie centrale voisine. Une nouvelle Route de la soie sentant fortement le gaz et le pétrole a vu le jour. Un premier oléoduc entre le Kazakhstan et la Chine a été ouvert en 2007. Le gazoduc Trans-Asia ou Turkménistan-Ouzbékistan-Kazakhstan-Chine suivit deux ans plus tard, couvrant environ la moitié des besoins gaziers du dragon avec l’excédent du gaz turkmène que Gazprom ne pouvait acheminer. Dans ces conditions, il ne reste d’ailleurs pas grand-chose pour remplir Nabucco et il semble bien que le projet américano-européen restera à jamais dans les cartons. Récemment, un accord a été signé dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai pour la construction d’un gazoduc Turkménistan-Tadjikistan-Chine qui devrait entrer en service d’ici 2016 et d’ailleurs poser problème pour l’approvisionnement du projet américain TAPI. Par ailleurs, la Chine investit massivement dans les infrastructures énergétiques de ses voisins d’Asie centrale et prend des participations dans leurs gisements par le biais de ses nouveaux géants Sinopec ou PetroChina – respectivement cinquième et sixième entreprises pétrolières mondiales. Cette pénétration chinoise vers le cœur eurasiatique a pris de court Washington comme Moscou. L’influence des États-Unis diminue à mesure que le Grand jeu s’enfonce dans l’intérieur des terres et, malgré une base aérienne au Kirghizstan qui a de toute façon fermé en juin 2014, ils n’ont aucun levier de pression dans la zone steppique qui s’étend de la Mandchourie au Kazakhstan. Quant à la Russie, après quelques hésitations dans les années 2000, elle a finalement accepté bon gré mal gré l’intrusion chinoise qui remet en cause son quasi monopole. Comme il se murmure à Moscou, « du moment que les hydrocarbures ne partent pas du côté américain… » Moscou et Pékin ont des intérêts économiques et stratégiques communs, notamment celui de voir partir les Américains d’Asie centrale, et appartiennent tous deux à l’Organisation de Coopération de Shanghai comme nous le verrons. La crise ukrainienne a encore rapproché leurs positions. Fini le temps où le Kremlin n’hésitait pas à faire des ouvertures au Japon, pour la plus grande fureur de Pékin et laissait traîner les discussions sur les immenses ressources sous-exploitées de la Sibérie orientale et leur acheminement vers la Chine. En mai, après dix ans de négociations, Pékin et Moscou ont signé le « contrat du siècle », la Russie fournissant son gaz sibérien pour la somme astronomique de 400 milliards de dollars. Cet accord est le pendant gazier d’un autre méga-contrat, pétrolier celui-là, signé entre Rosneft et le chinois CNPC en juin 2013 et portant sur la somme record de 270 milliards de dollars. Désormais, la subtile et traditionnelle méfiance entre les deux géants eurasiatiques a laissé place à une réelle convergence, ressemblant parfois à une osmose. Nous y reviendrons dans le dernier chapitre traitant des conséquences du conflit ukrainien et de l’accélération de l’intégration eurasienne.

Quand le Grand jeu descend vers le sud…

L’appétit chinois ne s’arrête cependant pas là et c’est avec horreur que les États-Unis ont vu Pékin passer des accords énergétiques avec l’Iran, nonobstant l’embargo mis en place pour isoler Téhéran et les menaces américaines aux pays qui l’enfreindraient. En octobre 2004, un véritable coup de tonnerre fit trembler la scène du Pipelineistan lorsque l’on apprit la signature d’un énorme contrat de 100 milliards de dollars pour la livraison de 250 millions de m³ de gaz durant 25 ans. Le chiffre donna alors le vertige à plus d’un, même s’il a depuis été dépassé par les méga-contrats russes… D’autres accords suivirent, ainsi qu’un rapprochement stratégique. En 2005, l’Iran fit son entrée dans l’Organisation de Coopération de Shanghai en tant que membre observateur, en compagnie de l’Inde et du Pakistan, et en deviendra très bientôt membre de plein droit. Il fut même question, en 2008, d’implanter une base navale chinoise sur le territoire iranien mais le projet n’eut pas de suite. Ce n’est peut-être que partie remise, Pékin ayant acquis une base navale à Gwadar, chez son allié pakistanais. Située face au détroit d’Ormuz, la porte du Golfe persique d’où provient la majeure partie de ses importations pétrolières, mais également à quelques kilomètres de la frontière iranienne et peut-être un jour au débouché des pipelines de l’Asie centrale, Gwadar est l’un des emplacements les plus stratégiques du monde, au carrefour de trois aires fondamentales pour le contrôle du Heartland– l’Asie centrale, le Moyen-Orient et le sous-continent indien – et des routes de l’énergie.

La base de Gwadar fait partie du fameux « collier de perles » mis en place par Pékin.
La base de Gwadar fait partie du fameux « collier de perles » mis en place par Pékin.
La base de Gwadar fait partie du fameux « collier de perles » mis en place par Pékin : un chapelet de ports commerciaux ou de bases navales dans l’Océan indien, destinés à ponctuer et sécuriser les grandes lignes maritimes de son approvisionnement en hydrocarbures ainsi qu’à encercler son grand rival indien.
La volonté de la marine pakistanaise est de faire de Gwadar une base navale conjointe pakistano-chinoise, même si les dirigeants chinois semblent pour l’instant quelque peu réticents à militariser le port. Il semble toutefois que les choses s’accélèrent et 2013 aura été une année pleine. L’Iran a en effet annoncé la construction d’une base navale à Pasabandar, près de la frontière avec le Pakistan, à une trentaine de kilomètres seulement de Gwadar. De plus, Téhéran vient de signer un accord avec le Pakistan pour la mise en place d’une raffinerie de pétrole d’une capacité de 400 000 barils par jour, à Gwadar même. Dans le même temps, le projet de gazoduc Iran-Pakistan, si souvent enterré et si souvent remis sur la table, semble être définitivement lancé, malgré les pressions de Washington. L’Inde hors-jeu sous pression américaine, c’est tout naturellement la Chine qui l’a remplacée et l’on parle même – mais à quel prix ! – d’un pipeline qui relierait Gwadar au Xinjiang chinois à travers tout le territoire pakistanais, le Karakoram et le Pamir, ce qui permettrait d’écourter sensiblement les distances et d’éviter le long transport maritime par les détroits du sud-est asiatique. Nous n’en sommes pas encore là, mais l’idée d’une double base navale pakistano-chinoise et iranienne, en face du détroit le plus important de la planète – Ormuz – où transite le tiers du trafic pétrolier mondial, protégeant un hubénergétique relié par pipeline aux gisements iraniens et à la Chine, a de quoi empêcher de dormir quelques stratèges à Washington. Les grandes manœuvres qui ont lieu actuellement dans cette zone ne font pas la une des journaux ; elles sont pourtant d’une importance extrême pour l’avenir du Grand jeu et donc du monde…

La volonté de la marine pakistanaise est de faire de Gwadar une base navale conjointe pakistano-chinoise, même si les dirigeants chinois semblent pour l’instant quelque peu réticents à militariser le port.
La volonté de la marine pakistanaise est de faire de Gwadar une base navale conjointe pakistano-chinoise, même si les dirigeants chinois semblent pour l’instant quelque peu réticents à militariser le port.
On le voit, l’Inde semble quelque peu isolée. Cet autre géant asiatique, futur grand de la scène mondiale, a également un besoin croissant d’énergie mais son rapprochement à la fin des années 2000 avec Washington semble lui avoir fait perdre une certaine marge de manœuvre et réduit son influence, même si l’élection de Narendra Modi cette année semble changer la donne, nous le verrons. Enlisée depuis soixante ans dans son conflit avec le frère ennemi pakistanais à propos du Cachemire – autre zone à haut risque de l’Asie centrale, où trois puissances nucléaires se font face sur les cimes de l’Himalaya et du Karakoram -, également en conflit territorial avec la Chine dans la même région, subtilement encerclée par le collier de perles et en perte de vitesse vis-à-vis de l’Iran, l’Inde cherche des alliances de revers. Afin de prendre en tenaille l’adversaire pakistanais, l’Inde a toujours tenté d’établir de bons rapports avec l’Afghanistan. À l’inverse, le Pakistan a toujours considéré comme vital pour la sécurité du pays un régime afghan favorable à ses intérêts. L’Afghanistan constitue une zone de repli lui offrant la profondeur stratégique qui lui fait défaut en cas de guerre avec l’Inde. Mais il existe une autre raison à cet intérêt d’Islamabad pour son voisin afghan, qui tient à l’intégrité même du territoire pakistanais. Les turbulentes tribus pachtounes, séparées artificiellement depuis 1893 par la ligne Durand, démarcation entre l’Afghanistan et l’Empire britannique des Indes, se retrouvent de part et d’autre d’une frontière qu’elles ne reconnaissent pas. Le paradoxe est d’ailleurs parlant : un tiers des Pachtounes se retrouve du côté afghan où ils représentent la moitié de la population tandis que les deux tiers sont au Pakistan où ils représentent une minorité (15%) de la population. Dès la fin du XIXème, une insurrection éclate afin de regrouper les tribus des deux entités. Créé avec l’Inde en 1947 sur les décombres de l’empire britannique, le Pakistan héritera de ce conflit et du danger lancinant de voir se constituer un « Pachtounistan » qui l’amputerait d’une partie de son territoire. La politique pakistanaise, dans un réflexe presque existentiel, a ainsi toujours consisté à s’immiscer dans les affaires afghanes et à installer à Kaboul un régime favorable à ses intérêts. Pendant des décennies, Islamabad et New Delhi s’y sont affrontés par procuration, le Pakistan combattant les régimes favorables à l’Inde – gouvernement pro-soviétique de 1980 à 1989, Alliance du nord, gouvernement Karzaï – et l’Inde s’opposant aux régimes favorables au Pakistan, notamment les Talibans. Ces derniers, créés par l’ISI (le très influent service secret pakistanais), ont un temps suscité l’espoir des États-Unis comme nous l’avons vu. Le 11 septembre renversa totalement la donne et Islamabad fut prise à son propre piège ; après avoir instrumentalisé les islamistes pendant des années, tant en Afghanistan qu’au Cachemire, le Pakistan était maintenant contraint, sous la pression internationale, particulièrement américaine, de se retourner contre ceux-là même qui représentaient son meilleur atout stratégique contre l’Inde. Une véritable quadrature du cercle… La guerre contre les « militants », commencée en 2004, a fait à ce jour près de 50 000 morts et l’armée pakistanaise ne peut pas la gagner. Pour les raisons évoquées plus haut, l’action d’Islamabad contre les divers groupes islamistes n’a jamais été claire, achetant la paix par-ci, lançant des offensives par-là, attaquant tel groupe (Al Qaeda et ses affiliés) mais pas tel autre (les Talibans pakistanais). Tandis que l’Inde avance ses pions en Afghanistan et gagne spectaculairement en influence – versement de deux milliards de dollars d’aide à la reconstruction, signature d’un Pacte stratégique commercial et sécuritaire en 2011, coopération en matière de sécurité et de terrorisme, accusations communes contre Islamabad -, le sommet de l’État pakistanais tergiverse, englué dans ses contradictions, tiraillé entre une sympathie naturelle envers les groupes islamistes et la nécessité de les combattre. Le Pakistan – certains se demandent d’ailleurs qui dirige vraiment le pays : l’ISI, l’armée, le pouvoir civil ? – est depuis des années accusées de pratiquer un double-jeu, comme l’a encore démontré le cas Ben Laden, le terroriste le plus recherché du monde ayant tranquillement passé ses dernières années à Abbottabad, ville des plus hautes instances militaires du pays. Ne sentant pas de direction claire, l’armée pakistanaise est démoralisée face à des mouvements islamistes bien armés et très motivés. Réfugiés avec leurs alliés d’Al Qaeda dans les zones tribales à la frontière pakistano-afghane, les Talibans ont étendu leur influence et peu à peu infiltré des lieux jusque-là épargnés par le phénomène, comme la première ville du pays, Karachi, ou les vallées de la Swat et de Dir dans le nord montagneux, autrefois lieux de villégiature privilégiés. On peut d’ailleurs se demander si le projet de pipeline reliant Gwadar à la Chine et devant passer par ces régions pourra réellement se réaliser.
Comme si cela ne suffisait pas, le Pakistan fait face à une insurrection nationaliste dans la rétive province du Baloutchistan, au sud du pays, où les tribus cherchent à obtenir leur indépendance. C’est un conflit peu connu du grand public occidental – sans doute parce que les insurgés sont d’obédience marxiste et non islamiste – mais qui peut se révéler pour le Pakistan au moins aussi dangereux que les troubles des zones tribales. Fait très important, c’est dans cette province que se trouve Gwadar, et plusieurs expatriés chinois y ont trouvé la mort au cours de ces dernières années, tués par des bombes ou le mitraillage de leur bus. Cela explique peut-être la légère réticence de Pékin à s’engager de plein pied dans le projet. Comme de bien entendu, le Pakistan accuse l’Inde de financer et d’aider le mouvement indépendantiste baloutche – où l’on retrouve le jeu des grandes puissances – ce qui semble effectivement le cas… New Delhi a en effet tout intérêt à ce que la situation au Baloutchistan s’envenime, faisant ainsi d’une pierre deux coups : empêcher la Chine de s’implanter dans cette zone stratégique tout en déstabilisant le Pakistan déjà englué dans les zones tribales et au Cachemire.

Des bases, des alliances et des révolutions

Les alliances de revers mises en place par l’Inde pour encercler le Pakistan ne s’arrêtent pas là et New Delhi réalisa un très joli « coup » en installant une base militaire au Tadjikistan, à Farkhor, au début des années 2000, au nez et à la barbe des Chinois et des Américains. Juché sur le Pamir, dominant à la fois le Xinjiang chinois, l’Ouzbékistan, l’Afghanistan et le Cachemire, le Tadjikistan offre à New Delhi une place de choix à la croisée des chemins et à proximité des nouvelles routes énergétiques prévues. L’emplacement est capital, permettant de sécuriser le futur TAPI ou de menacer l’éventuel pipeline pakistano-chinois Gwadar-Xinjiang. Le rapprochement indo-tadjik permet en outre de couper l’axe Pékin-Islamabad.
La Chine, qui reste le grand rival stratégique de l’Inde en Asie, a vu d’un très mauvais œil l’ouverture de cette base aérienne dans son étranger proche. Les dirigeants chinois ont à leur tour entamé des discussions avec le Kirghizistan et l’Ouzbékistan sur l’établissement d’une base militaire chinoise, mais sans résultat jusqu’à présent. Quant à la Russie, traditionnelle alliée de l’Inde durant la Guerre froide face à l’axe américano-pakistano-chinois et qui a elle-même conservé trois garnisons au Tadjikistan, elle a accueilli sans difficulté l’installation des soldats et des avions chasseurs indiens à Farkhor. À noter d’ailleurs que cette offensive de l’Inde en Asie centrale s’accompagne d’un soft power propre à gagner les cœurs : New Delhi bâtit des hôpitaux, une université indienne à Bichkek au Kirghizstan est en projet, les liens historiques qui unissaient ces deux régions – Ghaznévides, Moghols, Sultanat de Delhi – sont remis au goût du jour tandis que le cinéma bollywoodien fait son entrée dans les petites lucarnes ouzbèkes ou kazakhes.
La présence étrangère en Asie centrale, sous forme de bases militaires, est un facteur déterminant du Grand jeu. Les grandes puissances avancent leurs pions mais la partie est compliquée, du fait du nombre de joueurs – au moins quatre : Russie, États-Unis, Chine et Inde – et des règles – susceptibilité des dirigeants centre-asiatiques, retournements de situation, organisations régionales – qui viennent compliquer la donne. Nous venons de voir que l’Inde a installé sa seule base militaire à l’étranger à un carrefour stratégique et que la Chine n’a pas fait de grandes avancées jusqu’ici, mis à part le port de Gwadar susceptible d’être transformé en base navale. Restent la Russie et les États-Unis. Pour ces derniers, l’événement décisif fut bien évidemment la guerre en Afghanistan, débutée en 2001 après les attentats du 11 septembre et leur permettant enfin de mettre un pied en Asie centrale, au cœur du Heartland. Pour ravitailler les troupes de l’OTAN, Washington obtint l’ouverture de deux bases, l’une en Ouzbékistan, l’autre au Kirghizstan, avec l’accord tacite de Moscou pour cette intrusion dans son étranger proche. Toutefois, cette bonne volonté russe se transformera en gêne puis en colère lorsque, loin de remercier le Kremlin par une non-ingérence dans son pré carré, les États-Unis soutiendront les révolutions de couleurs et continueront leur politique d’isolement de la Russie. A titre personnel, Poutine fulminera contre les menées américaines qu’il considèrera comme une véritable trahison. A Washington, toutefois, l’euphorie céda la place à une certaine désillusion devant l’enlisement afghan et l’impossibilité de venir à bout des Talibans. Ce n’est pas pour rien que l’Afghanistan avait été le tombeau des ambitions britanniques ou russes par le passé, l’un de ces rares pays « impossibles à conquérir », à l’instar du Vietnam. De même, les États-Unis se rendirent compte du byzantinisme de la région et de la nécessité d’enlever ses « gros sabots » en y entrant. En 2005, devant la répression des émeutes d’Andijan en Ouzbékistan, l’administration Bush critiqua vertement le président Islam Karimov. Les faucons néo-conservateurs auraient sans doute été bien inspirés de prendre exemple sur Poutine, son habile diplomatie ménageant les susceptibilités et sa capacité de manœuvre hors pair. Toujours est-il que la réponse ne se fit pas attendre : les Américains étaient invités à quitter leur base de Karshi Khanabad dans les plus brefs délais ! Ils ne conservèrent plus que la base de Manas au Kirghizstan avant de l’évacuer l y a quelques mois, les autorités kirghizes refusant de renouveler le bail. Ainsi, à moins d’un nouveau retournement de situation qui n’est pas impossible dans cette région si prompte aux intrigues byzantines, le but des stratèges américains de s’implanter durablement en Asie centrale a largement échoué et l’ours russe peut dormir sur ses deux oreilles.
Héritière de l’URSS, ayant conservé des liens privilégiés avec les satrapes centre-asiatiques formés à l’époque soviétique, la Russie garde une influence certaine dans les ex-républiques d’Asie centrale. Ces dernières n’ont d’ailleurs jamais vraiment revendiqué leur indépendance à la chute de l’URSS, contrairement aux ex-républiques baltes ou caucasiennes qui voulaient se défaire de la tutelle de Moscou. Les bonnes relations sont entretenues par les fréquentes visites diplomatiques de Vladimir Poutine dans la région, où Gazprom est reçu avec le tapis rouge. De plus, le Kremlin joue de la dépendance de ces républiques à son égard. Plus du tiers du revenu du Tadjikistan dépend des transferts de ses émigrés travaillant en Russie. Quant à la dette kirghize, elle a récemment été annulée en contrepartie de la fermeture de la base américaine de Manas. En 2012, un accord a été signé avec le Tadjikistan pour maintenir jusqu’en 2042 les trois bases militaires russes dans ce pays. En outre, Moscou a signé en 2010 des accords avec l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, territoires auto-proclamés indépendants suite à la guerre de Géorgie de 2008, sur l’établissement de bases militaires jusqu’en 2059. Dans une autre zone sensible de l’étranger proche, la Mer Noire, la Russie avait assuré sa présence militaire jusqu’au milieu du XXIème siècle, avec la signature d’un accord avec l’Ukraine qui prévoyait le maintien jusqu’en 2042 de la flotte russe de Sébastopol. C’était avant la crise ukrainienne de cette année dont l’une des conséquences a été le rattachement de la Crimée à la Russie, Sébastopol étant maintenant définitivement russe. Mais revenons un peu sur l’Ukraine des années 2000. Cet accord n’avait été possible qu’après la victoire électorale en 2010 de Victor Ianoukovitch, présenté comme favorable à Moscou, contre son opposant Victor Ioutchenko, arrivé au pouvoir grâce à la Révolution orange de 2004, fortement soutenue et financée par l’administration Bush mais aussi par les fonds du milliardaire Georges Soros afin de mettre en place un régime ami en Ukraine (on se souvient de l’aveu de Victoria Nuland, célèbre par ailleurs pour son insulte des Européens (« Fuck the E.U »), qui admettait que les États-Unis avaient dépensé 5 milliards de dollars depuis 2001 pour installer un régime « ami » à Kiev, c’est-à-dire détacher par tous les moyens l’Ukraine de la Russie). Pays crucial dans le Grand jeu, véritable nœud sur l’échiquier eurasien, point de passage de la moitié des exportations de pétrole russe et principale ouverture de la Russie sur la Mer noire, l’Ukraine devait jouer un rôle central dans l’isolement de la Russie préconisé par les stratèges de Washington. Comme le claironnait Brzezinski, « l’extension de l’orbite euro-atlantique rend impérative l’inclusion des nouveaux États indépendants ex-soviétiques, et en particulier l’Ukraine. » Après six ans d’un pouvoir marqué par des affaires de corruption et des difficultés économiques croissantes, Ioutchenko fut sévèrement battu par le candidat pro-russe Ianoukovitch lors de l’élection présidentielle de 2010, ne recueillant que 5% des voix. L’ours russe avait fait montre de patience et l’Ukraine revenait peu à peu dans le giron de Moscou, au grand dam des États-Unis (on relèvera par exemple la déclaration de la Secrétaire d’État aux Affaires étrangères, Hillary Clinton, en 2012 qui faisait état de la « profonde déception » que représentait l’Ukraine pour le Département d’État. C’est le moins que l’on puisse dire après l’énergie et les moyens mis en œuvre par les États-Unis pour faire de l’Ukraine un maillon central de leur politique d’encerclement de la Russie). L’on ne peut comprendre la crise actuelle, sur laquelle nous reviendrons en fin d’article, sans connaître la trame dans laquelle elle s’inscrit.
Les années 2000 avaient en effet été marquées par ces « Révolutions de couleur », mouvements populaires de protestation contre la corruption de leurs dirigeants, généralement alliés de Moscou, et de revendications démocratiques. Certaines voix assurent que ces « révolutions », fortement soutenues, financées et instrumentalisées par les États-Unis afin d’isoler la Russie, furent créées par Washington, mais cela semble exagéré. Il s’agit plutôt ici d’une convergence d’intérêt entre de réelles aspirations démocratiques locales et un soutien américain fortement intéressé, en fonction de l’emplacement stratégique de ces pays. L’on retrouvera cette politique lors du Printemps arabe, Washington soutenant les mouvements populaires contre des régimes ennemis mais se gardant bien d’apporter quelque soutien que ce soit aux révoltes contre des régimes alliés – voir par exemple le printemps arabe de Bahreïn, révolte de la population majoritairement chiite réprimée dans le sang par la monarchie sunnite alliée de l’Occident, sans que celui-ci n’émette le moindre mot de protestation.

Les pays touchés par les « révolutions colorées » des années 2000 n’avaient pas été choisis par hasard.
Les pays touchés par les « révolutions colorées » des années 2000 n’avaient pas été choisis par hasard.
Les pays touchés par les « révolutions colorées » des années 2000 n’avaient pas été choisis par hasard et force est de constater qu’ils se trouvent sur le Rimland (Ukraine, Géorgie, Kirghizstan) ou constituaient des postes avancés de la Russie au-delà de cette ceinture (Serbie, « Grande Syrie »). La Révolution des roses amena le dynamique et russophobe Mikhaïl Saakachvili à la tête de la Géorgie, pion essentiel du corridor pétrolier pour le transit des richesses de la Caspienne vers la Méditerranée, évitant la Russie ou le Moyen-Orient. Le rapprochement à marche forcée vers l’OTAN engagé par Saakachvili, le décuplement du budget militaire géorgien – sans que curieusement Washington, si prompt par ailleurs à relever l’augmentation des budgets de ses concurrents, n’en souffle mot – ne pouvaient laisser Moscou sans réaction. Le bombardement en 2008 par la Géorgie de l’Ossétie et de l’Abkhazie, deux enclaves russes, donna un prétexte en or à Poutine et c’est une guerre éclair que la Russie mena et gagna, lançant un message fort dans le Caucase et ailleurs. La guerre de 2008 mit d’ailleurs fin à l’expansion de l’OTAN vers l’est. En Ukraine, la Révolution orange suivit celle des roses mais, stratégiquement parlant, se termina tout aussi mal pour Washington, comme on l’a vu. La dernière de ces « Révolutions », celle des tulipes au Kirghizstan, tourna court, l’opposition arrivée au pouvoir se divisant presque immédiatement tandis que, depuis, des émeutes agitent régulièrement le pays.
Un temps sur la défensive, Moscou regagne le terrain perdu, maniant la carotte – accords commerciaux, annulation de dette – et le bâton. Comme dans le dossier ukrainien, comme partout à vrai dire, les liens économiques, géopolitiques et historiques tissés durant des décennies voire des siècles entre la Russie et ses voisins prévalent sur les chimériques promesses des États-Unis, d’ailleurs rarement suivies d’effet. Washington n’a réussi qu’à gagner du temps, quelques années, face à ce qui apparaît comme une inévitable (re)constitution du Heartland, qu’il soit sous obédience russe ou plus certainement sous forme une confédération de pays aux intérêts stratégiques communs. Comme en Irak, en Afghanistan ou ailleurs, le caractère parfois utopique de la politique étrangère américaine se heurte aux réalités du terrain. L’exemple kirghize est de ce point de vue éclairant. Intégré dans un espace eurasiatique en plein développement, fortement lié économiquement à ses voisins russes et chinois, le Kirghizstan était pressé par ceux-ci de ne pas renouveler le bail de la base de Manas. Que pouvait offrir Washington en contrepartie afin de maintenir sa présence militaire ? La réponse est très simple : rien. De fait, Bichkek n’a pas hésité longtemps et a annoncé la fermeture définitive, le 3 juin 2014, de la dernière base américaine en Asie centrale.
Non seulement les États-Unis n’ont pas réussi à pénétrer le Heartland ou à en détacher véritablement le Rimland, mais ils ont été témoins de ce qu’ils craignaient le plus : l’émergence d’une organisation susceptible de constituer un bloc eurasiatique. À peu près ignorée des médias français tournés vers l’écume des choses, l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS) pourrait bien, à terme et au prix tout de même de certaines évolutions importantes, supplanter l’OTAN et contrôler l’échiquier eurasiatique, c’est-à-dire le destin du monde. Créée dans les années 90, l’OCS regroupe la Chine, la Russie, le Kirghizstan, le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Kazakhstan – soit toute l’Asie centrale sauf le Turkménistan, attaché à une neutralité absolue. Depuis 2005, elle compte également en tant que membres observateurs l’Afghanistan, et surtout l’Inde, le Pakistan et l’Iran, soit trois poids lourds de la périphérie centre-asiatique, qui deviendront membres à part entière en septembre de cette année, lors du sommet de Douchanbé. Sentant le danger, les États-Unis avaient immédiatement demandé un statut de membre observateur mais se sont vu opposer un niet sec et définitif. Certes, nous sommes encore loin d’une union militaire type OTAN ou d’un bloc homogène au sein duquel les différents États auraient une politique convergente et l’on ne peut passer sous silence les rivalités au sein de l’organisation – Tadjikistan-Ouzbékistan, Inde-Pakistan – susceptibles d’entraver son développement. Mais les choses évoluent très vite, l’intervention américaine en Afghanistan et les méfiances qu’elle a suscitées ont accéléré le mouvement. D’une structure relativement informelle dans les années 90, l’OCS s’est transformée en organisation de sécurité et de lutte contre « le terrorisme, l’islamisme et le séparatisme » – l’un des fondements de la charte de l’organisation. Elle constitue également un espace de dialogue économique visant à favoriser les échanges commerciaux. Passant à la vitesse supérieure, des manœuvres militaires communes, parfois de grande ampleur, ont vu le jour à partir de la fin des années 2000, notamment entre la Russie et la Chine. Fin août, de très grandes manœuvres ont eu lieu en Chine, regroupant 7 000 soldats des différents membres de l’OCS, incluant forces aériennes et terrestres, troupes parachutistes, opérations spéciales, guerre électronique…
En prenant en compte l’Inde, le Pakistan, l’Iran et la Mongolie qui rejoindront l'alliance de plein pied cette année, c'est 40% de la population mondiale - dont les deux pays les plus peuplés de la planète -, près de 40 millions de km², quatre puissances nucléaires – et peut-être cinq si l'Iran parvient à acquérir la bombe -, les deuxième et troisième armées de la planèteEn prenant en compte l’Inde, le Pakistan, l’Iran et la Mongolie qui rejoindront l’alliance de plein pied cette année, c’est 40% de la population mondiale – dont les deux pays les plus peuplés de la planète -, près de 40 millions de km², quatre puissances nucléaires – et peut-être cinq si l’Iran parvient à acquérir la bombe -, les deuxième et troisième armées de la planète. Et last but not least, les ressources énergétiques fabuleuses de la Russie, des républiques d’Asie centrale et de l’Iran. De quoi faire se retourner Mackinder et Spykman dans leur tombe… À Washington, on ne prend pas du tout l’OCS à la légère et chaque sommet, chaque évolution de l’organisation est scruté à la loupe. Le sentiment d’impuissance des États-Unis est d’autant plus profond que c’est du fait de leurs interventions et de leurs menées dans le Heartland et le Rimland que s’est accéléré le processus d’intégration eurasiatique et le rapprochement sino-russe. Malgré les rodomontades de l’administration américaine – voir par exemple les déclarations très sèches de la Secrétaire d’État Hillary Clinton en décembre 2012 : « Les États-Unis s’opposeront à tout processus d’intégration dans l’espace postsoviétique » -, Washington n’a tout simplement pas les moyens de s’opposer à quoi que ce soit. Ce discours, qui peut paraître étonnant aux yeux des non-initiés qui ne comprennent pas en quoi cela peut bien concerner les États-Unis, relève évidemment du Grand jeu ; c’est une réaction relativement désespérée devant la constitution inéluctable du bloc eurasiatique, bloc qu’ils n’ont aucun moyen de saboter ou de ralentir.
Pire, l’Organisation de Coopération de Shanghai devient attractive ! En janvier, 2013, l’écume des événements a fait passer à peu près inaperçue une véritable bombe géopolitique : le premier ministre turc Recep Erdogan, invité à la télévision, déclara que la Turquie était encline à abandonner sa démarche européenne pour lui préférer une entrée dans l’Organisation de Coopération de Shanghai, qu’il a qualifiée de « plus forte et importante que l’Union Européenne » (Erdogan lorgne l’Organisation de Coopération de Shanghai, Europolitique, 28 janvier 2013). Il faut certes rester prudent, ce pour plusieurs raisons. L’OCS poursuivant son intégration et développant une coopération militaire sans cesse plus poussée, se poserait notamment le problème de l’allégeance d’Ankara à l’OTAN. Encore faudrait-il pour cela que la Turquie soit admise, ce qui est loin d’être évident : contrairement à la Russie, la Chine n’est pas très favorable à l’entrée de la Turquie, conséquence sans doute des déclarations du premier ministre turc qualifiant, non sans exagérations, la répression chinoise au Xinjiang turcophone en 2009 de « génocide ». On constate également, avec la crise syrienne actuelle, que les positions russe et chinoise d’un côté, turque de l’autre sont totalement inconciliables. Enfin, un bluff à l’attention de Bruxelles n’est pas non plus à écarter. Néanmoins, selon les observateurs, un vrai palier a été franchi et cette sortie d’Erdogan ne relevait pas de la plaisanterie. La Turquie n’attend plus grand-chose de l’Europe et un récent sondage montre que deux tiers des Turcs disent ne plus s’intéresser à l’adhésion à l’UE. Pour la Turquie, s’asseoir à la même table que la Russie et la Chine pourrait marquer la reconnaissance tant attendue d’un poids politique que l’Union Européenne ne lui reconnaît pas. En tant que membre de l’OCS, la Turquie pourrait également être tentée de jouer le rôle de « grand frère » des États turcophones d’Asie centrale, de leader de la turcité.
Si ce changement de direction est sérieux – et il y a tout lieu de croire qu’il l’est – c’est un événement considérable. Une fois n’est pas coutume, faisons un peu de « géopolitique fiction » : un bloc allant de la Mer Jaune à la Méditerranée, réunissant pour la première fois les cinq grandes civilisations historiques de l’Eurasie. Les mondes indien (Inde et Pakistan), chinois, russe, perse (Iran et Tadjikistan) et turc (Turquie, Ouzbékistan, Kazakhstan et Kirghizistan), si souvent ennemis par le passé, désormais associés dans une organisation contrôlant l’échiquier eurasiatique, réunissant le Heartland et le Rimland. Le rêve inachevé des invincibles Mongols de Gengis Khan et le cauchemar des stratèges américains… Nous n’en sommes pour le moment pas là ; l’OCS est une organisation jeune, encore dans son adolescence et qui connaîtra invariablement des problèmes de croissance. Nul doute que les États-Unis s’immisceront dans toutes les failles possibles afin de diviser ses membres et d’empêcher son développement. Mais si l’OCS parvient à unifier les contraires qui la composent, à lisser leurs différends et à harmoniser leurs stratégies, tout en continuant son intégration, en un mot si cette organisation devient adulte, elle changera vraisemblablement la face du monde et le dominera. À suivre avec infiniment d’attention.

Une zone d’extrême tension

Reste un point à évoquer, fondamental. Le Grand jeu pour le contrôle de l’Asie centrale et de ses ressources énergétiques se déroule dans une zone de conflits nombreux et variés, susceptibles de contrecarrer la stratégie des différents acteurs. Conséquence de l’incroyable richesse de son histoire, l’Asie centrale est un véritable casse-tête de peuple et de religions entremêlés dont la formidable et parfois explosive diversité est à prendre en compte. Mis à part le Turkménistan, le Kirghizstan et le Kazakhstan, relativement homogènes malgré une importante minorité russe pour ce dernier, tous les États de la région sont des mosaïques ethnique ou confessionnelle génératrices de conflits potentiels. A cela s’ajoutent des querelles territoriales anciennes et un renouveau partiel de l’islamisme.
Il est également important de souligner que ces zones de tension se situent dans un mouchoir de poche, un territoire à peine deux fois plus grand que la France !
Depuis qu’il est sous les feux de l’actualité, l’Afghanistan est le cas le mieux connu. Terre de passage de tous les grands conquérants de l’histoire et de toutes les invasions – empire perse, Alexandre le grand, empire sassanide, invasions des peuples turcs, Gengis Khan, Tamerlan -, le pays est un kaléidoscope de populations laissées là par l’Histoire. Les Tadjiks, population iranienne sunnite répandue sur tout le territoire et principale composante de l’Alliance du nord, y côtoient les Ouzbeks, groupe turcique sunnite présent dans le nord du pays, les Hazaras, population mongole persanisée et chiite dans le centre, et surtout les Pachtounes, à cheval sur l’Afghanistan et le Pakistan, qui constituent le plus grand groupe ethnique du pays et la majeure partie des bataillons talibans. En 2008, le chef d’état-major des Armées françaises, le général Georgelin, n’a pas mâché ses mots, parlant d’un « merdier ingérable ». De fait, mise à part la longue période de paix caractérisant le règne de Zaher Shah (1933-1973), l’Afghanistan fut durant presque toute son histoire en état de guerre, ses différentes composantes se battant entre elles, s’alliant ou se trahissant, parfois instrumentalisées par les puissances voisines. Le Pakistan joua constamment la carte pachtoune – les Talibans en dernier lieu – tout en manœuvrant avec circonspection, de peur de créer un appel d’air susceptible de pousser ses propres Pachtounes à revendiquer la création d’un « Pachtounistan » de part et d’autre de la frontière pakistano-afghane, créée artificiellement au XIXème siècle, on l’a vu. La situation des deux pays est intrinsèquement liée, à tel point qu’un acronyme a fait son apparition ces dernières années : Af-Pak pour Afghanistan-Pakistan, tant il est difficile d’envisager la situation de l’un sans prendre en compte celle de l’autre (sur l’Af-Pak, les relations intrinsèques qui existent entre les deux pays, leurs tentatives respectives de créer une « nation », on se réfèrera à l’excellente étude de Georges Lefeuvre intitulée Afghanistan, dans Le mondial des nations – 30 chercheurs enquêtent sur l’identité nationale, Choiseul, 2011, pp. 222-239). Par proximité culturelle ou confessionnelle, l’Iran compte sur les relais d’influence que sont les Tadjiks iranophones ou les Hazaras iranophones et chiites. Ennemi déclaré des Talibans, Téhéran soutint également Ismail Khan, le gouverneur de l’ancienne province iranienne d’Hérat dans son combat contre les fondamentalistes pachtounes. La Russie a peu ou prou les mêmes sympathies que l’Iran ; très méfiante vis-à-vis des Talibans et de leur maître pakistanais, Moscou a très vite soutenu l’Alliance du nord à majorité tadjike du feu commandant Massoud dans les années 90. Ironie de l’histoire quand on pense que les Tadjiks afghans ont constitué parmi les principaux bataillons de moudjahidines résistant à l’invasion soviétique entre 1980 et 1988. La politique afghane de l’Inde suit la même voie, marquée par une proximité certaine avec les Tadjiks, sans doute renforcée par les excellentes relations que New Delhi entretient avec le Tadjikistan qui ont permis, comme nous l’avons vu, l’établissement de la base militaire de Farkhor – c’est d’ailleurs dans l’hôpital de cette base que mourra le commandant Massoud, grièvement blessé par l’attentat de deux terroristes d’Al Qaeda le 9 septembre 2001. On constate qu’en Afghanistan comme ailleurs, l’axe Russie-Inde-Iran issu de la Guerre froide semble perdurer. Cependant, les Indiens entretiennent également d’excellentes relations avec le gouvernement pachtoune modéré d’Hamid Karzaï. Les États-Unis quant à eux n’avaient pas d’idée bien préconçue au moment d’intervenir en Afghanistan, sinon d’« imposer » la démocratie et un régime favorable à leurs intérêts. Ces espoirs chimériques se sont une nouvelle fois fracassés sur la dure réalité du terrain. Plus long engagement militaire américain depuis la Guerre du Vietnam, ayant coûté jusqu’ici la bagatelle de 600 milliards de dollars sans compter les dépenses futures – traitement médicaux, prise en charge des vétérans etc. -, l’intervention en Afghanistan s’est révélée un bourbier pour Washington qui a dû revoir ses ambitions fortement à la baisse. Les attaques des Talibans n’ont jamais été aussi nombreuses, le gouvernement n’a toujours aucune réelle légitimité et peu de pouvoir en dehors de Kaboul, les zones tribales pakistanaises sont en effervescence, les seigneurs de la guerre, à l’abri dans leur fief, commencent à recruter leurs milices privées dans les rangs mêmes de l’armée dite « nationale » en prévision de l’après 2016 – le taux de désertion des soldats afghans est extrêmement élevé – tandis que la corruption et le trafic de drogue ont atteint des niveaux record. Un « failed State » selon la propre terminologie de Washington. Les Britanniques, qui ont le sens de la formule, parlaient de l’Afghanistan comme du « tombeau des empires ». Vingt-cinq ans après avoir attiré son ennemi soviétique dans le bourbier afghan provoquant sa désintégration, les États-Unis se retrouvent maintenant eux-mêmes enlisés. L’Histoire nous joue parfois de ces tours… Autre ironie, preuve s’il en est de leur impuissance, les Américains ont entamé depuis deux ans des discussions avec l’entourage du Mollah Omar, celui-là même, avec son protégé Ben Laden, qu’ils étaient venus chasser il y a douze ans ! Toutefois, dans ce contexte de ce qu’il faut bien appeler une défaite militaire – car, dans ce genre de guerre, ne pas gagner équivaut à perdre – tout n’est peut-être pas perdu pour Washington. Un gain stratégique a minima est encore possible, avec le maintien en Afghanistan de bases et d’une force de réaction d’une dizaine de milliers d’hommes jusqu’en 2016, au terme de négociations difficiles et parfois houleuses entre le gouvernement Karzaï et l’administration Obama. Cela pose néanmoins certaines questions. Les Talibans, qui sont en phase ascendante et offensive, vont-ils accepter le reste d’une présence américaine ? Cela semble peu vraisemblable et l’on se demande comment une petite armée de 10 000 hommes pourrait remporter une guerre que n’a pas été capable de gagner une coalition quinze fois plus nombreuse… Est-ce pour cela que Washington a fait des ouvertures au Mollah Omar ? Peut-on envisager une partition qui ne dit pas son nom, entre des zones pachtounes sous le contrôle des Talibans et un Afghanistan « utile » traversé par le fameux pipeline TAPI et protégé par les forces américaines restantes ? Toutefois, ce pipeline doit passer par les zones tribales pachtounes. Est-ce un autre thème des discussions américano-talibanes ? Quid du gouvernement afghan qui, sans le soutien des forces coalisées, s’écroulerait rapidement ? On le voit, beaucoup de questions et peu de réponses pour l’instant.
Le retrait de l’OTAN et ses conséquences sur l’évolution afghane seront observés de très près, notamment au Pakistan. Selon toute vraisemblance, les Talibans repasseront massivement du côté afghan pour tenter de prendre le pouvoir à Kaboul, ce qui soulagerait Islamabad dans ses zones tribales. Les dirigeants pakistanais ont en effet fort à faire par ailleurs. Le Baloutchistan représente une zone de turbulence et d’instabilité récurrente qui peut se révéler aussi explosive que les zones tribales, bien que beaucoup moins médiatique. Ayant constitué un royaume indépendant par le passé, les Baloutches ont vu d’un très mauvais œil la constitution de l’État pakistanais en 1947 et pas moins de cinq guerres insurrectionnelles ont eu lieu depuis, guerres que l’Inde est accusée d’avoir attisées afin d’affaiblir le frère ennemi. On a vu que la zone était d’une importance stratégique immense avec le nœud de Gwadar autour duquel se tisse l’alliance stratégique et énergétique entre la Chine, le Pakistan et l’Iran. Quant au conflit du Cachemire, il est potentiellement le plus dangereux de la région. On en connaît l’histoire : une population majoritairement musulmane réclamant son rattachement au Pakistan en 1947, un maharadja hindou souhaitant son rattachement à l’Inde, une partition en deux qui laisse chacun sur sa faim. New Delhi veut récupérer la partie septentrionale ; Islamabad revendique la partie méridionale et instrumentalise les mouvements islamistes qui y mènent la guérilla. Une douzaine de groupes rebelles combattent au Cachemire indien pour son indépendance ou son rattachement au Pakistan, dans un conflit qui a fait plusieurs dizaines de milliers de morts. À partir du milieu des années 1990, ces mouvements furent rejoints par des djihadistes étrangers, arabes et afghans, formés au combat en Afghanistan lors du djihad contre les Soviétiques. L’on note depuis quelques mois une recrudescence d’activité de ces groupes et de récentes informations, que l’Inde prend très au sérieux, envisagent la perspective d’un futur afflux des djihadistes venant d’Afghanistan après le retrait des troupes de l’OTAN l’année prochaine. Mais ce conflit dépasse le seul cadre territorial ou identitaire. Pour le pouvoir pakistanais, la question du Cachemire permet de mobiliser et d’unir derrière lui une société divisée et de faire passer au second plan l’impéritie économique des différents gouvernements qui se sont succédé. Quant à l’armée, elle justifie par ce conflit son budget colossal. Il faut noter enfin que le Cachemire est également un enjeu hydrographique, le Pakistan, et dans une moindre mesure l’Inde, étant fortement tributaires des rivières qui descendent de ses montagnes. Sous l’ombre du K2, cet abcès de fixation à la confluence de trois religions – islam, bouddhisme et hindouisme – est également à la croisée de trois puissances nucléaires. Au terme de l’agression chinoise de 1962, condamnée à la fois, fait rare, par l’URSS et les États-Unis, Pékin occupa définitivement le territoire indien de l’Aksaï Chin, bande de terre désolée mitoyenne du Cachemire et du Tibet. Le Pakistan a, de plus, cédé à la Chine une partie de son Cachemire septentrional gagné sur l’Inde, sans doute à dessein, afin de compliquer le règlement du conflit, car l’Inde ne peut évidemment pas reconnaître cette cession d’un territoire qu’elle a perdu et qu’elle revendique toujours. Le conflit cachemiri est inextricable et explosif, assurément l’un des points les plus chauds du globe malgré l’altitude glacée à laquelle il se déroule, et surveillé de près par tous les états-majors du monde. Au-delà du refus de rendre à l’Inde une région qu’il considère comme lui revenant de plein droit, il semble de toute façon impossible que le Pakistan envisage des négociations de restitution du Cachemire septentrional. Celui-ci est en effet devenu, avec le développement des relations avec sino-pakistanaises, un territoire stratégiquement essentiel : c’est le seul point de contact terrestre entre la Chine et le Pakistan, reliés par la fameuse Karakoram Highway, la route la plus haute du monde, par où transitent biens commerciaux et équipements militaires. Et demain, peut-être, le pétrole et le gaz coulant de Gwadar jusqu’au Xinjiang chinois.
Le Cachemire.Le Xinjiang justement, voisin du Cachemire. On a vu que ce territoire peuplé majoritairement (mais pour combien de temps ?) de turcophones musulmans, les Ouïghours, était en bute à un mouvement indépendantiste et à la répression de Pékin. Situé dans un environnement hostile – le Taklamakan en son centre, deuxième désert de sable du monde, entouré au nord par les Monts célestes, à l’ouest par le Pamir, au sud par les monts Kunlun et le plateau tibétain, à l’est par le désert de Gobi – ce que l’on nomme maintenant le Xinjiang fut la plaque tournante de la Route de la soie pendant deux millénaires, entre la Chine proprement dite et l’Asie centrale et occidentale, et, de ce fait, attira toujours les convoitises des dynasties impériales chinoises, sans succès. Islamisé dès le Xème siècle, le territoire fut finalement incorporé au XVIIIème siècle à l’empire chinois et nommé « Xinjiang », soit « nouvelle frontière » en mandarin, ce qui prouve d’ailleurs indirectement, par son nom même, le caractère expansionniste de la politique chinoise dans la région. Cependant, la tutelle de Pékin resta très légère voire nulle, la Chine entrant très vite en décadence et n’ayant pas les moyens d’asseoir une réelle domination dans ses provinces éloignées, trop occupée qu’elle était à faire face aux empiètements occidentaux et à tenter de mettre au pas les Seigneurs de la guerre. A l’instar du Tibet, le Xinjiang accepta donc la suzeraineté nominale de Pékin qui se contentait d’y envoyer quelques rares administrateurs. Cela n’empêcha d’ailleurs pas la région de se révolter (1933-1934 et 1944-1949) et de constituer une éphémère « République du Turkestan oriental », prouvant l’attachement des Ouïghours à leur indépendance. Pour le Xinjiang comme pour le Tibet, tout changea avec l’accession au pouvoir du Parti communiste en 1949 ; la tutelle se fit beaucoup plus dure, le Parti communiste tenta d’imposer par la force son idéologie religieuse athée tandis que les deux provinces, situées à un emplacement stratégique, étaient envahies par l’armée chinoise. Tout mouvement séparatiste ou supposé tel fut très brutalement réprimé et la « colonisation » des Han, l’ethnie majoritaire en Chine, commença tandis que les bulldozers détruisaient et détruisent encore des pans entiers du patrimoine culturel des villes, comme c’est d’ailleurs le cas dans le reste de la Chine. Tibétains et Ouïghours se retrouvent minoritaires sur leur propre territoire et les poussées d’exaspération de la population sont immédiatement associées par Pékin à des mouvements séparatistes et impitoyablement réprimées. Les sanglantes émeutes tibétaines de 2008 ont été suivies des révoltes à fort caractère ethnique de 2009 au Xinjiang. Depuis, des bombes explosent ponctuellement dans les grandes villes de la province. Pour les Ouïghours, l’espoir de suivre la voie de leurs cousins des Républiques d’Asie centrale nouvellement indépendantes en 1991 a tourné court. La Chine ne lâchera jamais le Xinjiang, riche en hydrocarbures, point stratégique d’entrée des pipelines d’Asie centrale et point de passage avec l’allié pakistanais. Tout comme elle ne lâchera jamais le Tibet, atout stratégique majeur surplombant l’Inde. Militairement, Pékin ne craint rien : que représentent dix millions de Ouïghours et six millions de Tibétains face au milliard et demi de Han ? Toutefois, c’est sur le plan international que les choses peuvent poser problème. On a vu que les dirigeants chinois sont réticents à laisser entrer la Turquie dans l’Organisation de Coopération de Shanghai, l’une des raisons avancées par les observateurs étant la crainte chinoise de voir Ankara jouer un rôle de « grand frère » des peuples turcophones, donc des Ouïghours, et remettre en cause la répression au Xinjiang. Si les dirigeants chinois veulent poursuivre le développement de l’Organisation de Coopération de Shanghai en collaboration avec les républiques d’Asie centrale turcophones et peut-être demain avec la Turquie, il faudra bien qu’ils finissent par régler de manière pacifique et concertée le problème du Xinjiang. Jusque récemment, les condamnations internationales répétées n’étaient pas prises en compte par Pékin. Certains observateurs pensent que l’accession de la Chine au statut de superpuissance l’obligera à entrer de plein pied dans la communauté internationale et à prendre en compte certaines doléances, à faire preuve d’un comportement plus responsable en quelque sorte, plus en adéquation avec les critères internationaux. D’autres, plus nombreux, voient au contraire un net durcissement ces dernières années : une Chine de plus en plus revendicatrice, menaçante, où l’aristocratie du PCC, qui a perdu toute légitimité marxiste, flatte le nationalisme grandissant de la population. Seul l’avenir nous dira quelle évolution suivra la Chine. Une chose est sûre : de cette évolution dépendra le sort du Xinjiang et du Tibet.
Située à l’ouest du Xinjiang, la vallée de Ferghana inquiétait particulièrement les chancelleries au début des années 2000. Partagée entre l’Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan, cette oasis de verdure au milieu des déserts et des montagnes est l’une des régions les plus peuplées et disputées d’Asie centrale. Carrefour historique, berceau intellectuel et religieux qui a vu passer le zoroastrisme, le bouddhisme, le christianisme nestorien et plus récemment l’islam, le Ferghana est devenu un lieu de discorde après 1991, lorsque les frontières internes de l’URSS devinrent frontières internationales. Découpée en d’innombrables enclaves propices aux conflits frontaliers, la vallée est un foyer de tensions ethniques et de querelles autour de l’eau. Juché sur le Pamir, le Tadjikistan est en effet le château d’eau de l’Asie centrale. L’Amou Daria et le Syr Daria – respectivement l’Oxus et l’Iaxarte des Grecs – s’écoulent du Pamir ou des Monts célestes vers la Mer d’Aral, traversant les pays de la région. La question des retenues d’eau en amont des deux fleuves ne cesse de provoquer des heurts, particulièrement entre l’Ouzbékistan et le Tadjikistan, déjà prompts à se quereller par ailleurs, dernier avatar de la très vieille rivalité entre mondes turc et iranien. Depuis la chute de l’URSS, chaque État de la zone adopte une politique personnelle, sans consultation avec ses voisins. Ainsi, aux coupures de courant de Tachkent répondent les retenues d’eau de Douchanbe. Si, selon ce que nous prédisent certains analystes, les « guerres de l’eau » seront une source majeure de conflits dans le monde au XXIème siècle, le Ferghana fera assurément partie des points chauds de la planète. A ces discordes « classiques » s’est greffé, à la fin des années 90, un nouveau problème : l’islamisme. Soixante-dix ans de soviétisme avaient profondément modelé les mentalités des populations et ce que certains nommaient la « renaissance musulmane » de l’Asie centrale après l’indépendance de ces républiques ne fut jamais un phénomène de grande ampleur. Toutefois, le Ferghana, conflictuel, était un terreau fertile. L’Arabie saoudite, toujours prompte à transformer ses pétrodollars en écoles coraniques, y fut pour quelque chose, ayant financé et soutenu le wahhabisme au Pakistan et en Afghanistan. Le mouvement remonta ensuite vers l’Asie centrale où des groupes islamistes virent le jour, profitant de l’exaspération d’une frange de la population face à la situation économique et à l’impéritie des gouvernements. Le plus important est le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan (MIO), fondé à la fin des années 90. Réprimé sans compromission par les autorités, il se replia vers l’Afghanistan et le Pakistan où on le retrouve actuellement aux côtés d’Al Qaeda et des Talibans, même s’il existe une certaine divergence idéologique avec ces derniers (le thème est complexe. Sans entrer dans les détails, l’islamisme lui-même est traversé de courants nombreux et divers. Les « fondamentalistes locaux » – Talibans, Frères musulmans égyptiens, Hamas en Palestine – n’ont que faire du Califat mondial prôné par l’internationale djihadiste type Al-Qaeda, et une profonde divergence existe entre ces deux courants du fondamentalisme. Ainsi, des combats meurtriers, qui firent des centaines de morts, ont eu lieu à plusieurs reprises dans les zones tribales pakistanaises entre les Talibans et le Mouvement Islamique d’Ouzbékistan).
Après les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone, une hypothèse intéressante mais difficilement vérifiable a vu le jour. Dans un article intitulé « Le 11 septembre, le plan de Ben Laden avait déjà échoué », un journaliste russe émit l’idée que le plan d’Al-Qaeda et des Talibans avait été d’assassiner le commandant Massoud, chef charismatique de la résistance anti-talibane, bien avant le 9 septembre et qu’à cette date, il était déjà trop tard. L’objectif, une fois Massoud éliminé et la résistance privée de son chef, était de s’emparer de la totalité de l’Afghanistan et d’entrer en Ouzbékistan et au Tadjikistan, en s’appuyant sur les mouvements islamistes locaux, principalement le MIO. Le chef de ce mouvement, Djouma Namangani, avait d’ailleurs rejoint Ben Laden peu avant. L’inévitable riposte américaine après les attaques de New York et de Washington aurait touché plusieurs États d’Asie centrale, provoquant l’embrasement général de la région et profitant de fait aux islamistes. Mais les assassins de Massoud ne parvinrent à leurs fins que deux jours avant les attentats du 11 septembre, beaucoup trop tard pour envisager une avancée vers l’Asie centrale (Alexandre Khokhlov, Le 11 septembre, le plan de Ben Laden avait déjà échoué, Izvestia, rapporté par Courrier International, 2 novembre 2001). Après l’intervention américaine appuyée sur l’Alliance du nord, les Talibans, Al-Qaeda et le MIO se réfugièrent, comme on le sait, dans les zones tribales pakistanaises. De récents rapports font état d’une forte recrudescence d’activité des activistes islamistes, particulièrement du MIO, qui se sont infiltrés dans le nord de l’Afghanistan et préparent déjà l’après-2016, à la fois en Afghanistan même et dans les républiques d’Asie centrale. Conscients du danger, l’Ouzbékistan a mis en place une ligne de double barbelé électrifié et de champs de mine le long de sa courte frontière avec l’Afghanistan. Mais les frontières avec le Tadjikistan et le Turkménistan sont longues et poreuses, impossibles à surveiller, et le retour des radicaux islamistes en Asie centrale ne laisse pas d’inquiéter.
Kazakhstan, Kirghizstan et Turkménistan mis à part, l’ensemble de la région est une zone à très haute dangerosité qui compte un certain nombre de conflits potentiellement explosifs, sans même parler de l’Iran ou du Caucase voisins. Au-delà du risque d’embrasement lui-même, ces éléments sont propres à contrecarrer la stratégie des acteurs du Grand jeu. On a vu que l’alliance pakistano-chinoise était contrariée par les conflits se déroulant sur le territoire pakistanais – révolte baloutche menaçant la pérennité de Gwadar, conflits des zones tribales et du Cachemire compliquant le projet de pipeline vers la Chine. Ces conflits ont également des répercussions sur l’Iran qui cherche à desserrer l’étau des sanctions américaines en se rapprochant du Pakistan et de la Chine. Pékin devra également régler en douceur le problème du Xinjiang afin de ne pas s’aliéner les membres turcophones de l’OCS et poursuivre le développement de cette organisation susceptible de redessiner la carte du monde futur. Les États-Unis eux-mêmes, embourbés en Afghanistan et maladroits dans leurs relations avec les satrapes d’Asie centrale, n’ont pu avancer vers le cœur du Heartland. Malgré l’énergie et l’activisme déployés sous l’administration Bush, ils ont également globalement échoué à isoler la Russie. Ukraine mise à part, il semble que l’administration Obama soit moins encline à l’affrontement, ou peut-être est-ce simplement que les États-Unis se sont fait une raison et ont finalement accepté l’inévitable déclin de leur influence. L’Inde joue une participation intéressante, mais le point d’abcès cachemiri et la dispute frontalière qui en découle avec la Chine bloque quelque peu ses efforts vers l’Asie centrale. Toutefois, depuis l’élection de Narendra Modi, un rapprochement semble se dessiner entre l’Inde et ses deux rivaux traditionnels. Seule la Russie semble pour l’instant sortir gagnante, mais après avoir pris beaucoup de retard dans les années 90. Évitant soigneusement de s’immiscer dans les conflits et ayant « réglé » ceux qui la concernaient directement (Tchétchénie, Géorgie), retournant subtilement des pays qui s’en étaient brièvement écartés, jouant avec un talent certain de la diplomatie du gaz, Moscou a réussi à regagner une partie du terrain perdu vers le Rimland. C’est dans ce contexte qu’éclata la crise ukrainienne…

Le conflit ukrainien, partie intégrante du Grand jeu

Il ne s’agit pas ici de prendre partie dans ce conflit qui déchaîne les passions et la désinformation de part et d’autre – avec tout de même une mention spéciale pour les médias occidentaux -, ni d’en narrer les rebondissements. Constatons simplement que la crise ukrainienne est la suite logique de ce que nous avons tenté d’expliquer dans cet article et fait partie intégrante du Grand jeu, tant dans ses causes que dans son déroulement et ses conséquences. Elle a commencé avec la question de l’intégration eurasienne et aura – a déjà, devrait-on dire – d’énormes répercussions indirectes sur l’échiquier eurasiatique, le Grand jeu énergétique et, au-delà, le modèle du monde à venir, dans un sens d’ailleurs favorable à la Russie contrairement à ce que l’on pourrait penser.
La crise actuelle débuta en novembre lorsque Kiev, déjà en situation de quasi cessation de paiement, se retrouva devant un choix : l’intégration à l’Union Européenne ou l’intégration à l’Union Eurasienne, projet de Vladimir Poutine visant à constituer un espace économique sur une partie de l’ancienne URSS. Loin d’être une marionnette russe, le président ukrainien Ianoukovitch alla à Bruxelles et à Moscou pour faire, assez cyniquement d’ailleurs, monter les enchères. Les Européens proposaient quelques centaines de millions d’euros, les Russes quinze milliards. Le choix était évident : Ianoukovitch se tourna vers la Russie, provoquant l’opposition résolue des États-Unis – l’on se rappelle des déclarations prémonitoires d’Hillary Clinton en décembre 2012 : « Les États-Unis s’opposeront à tout processus d’intégration dans l’espace postsoviétique » – et d’une partie de la population ce pays culturellement bipolaire. L’identité réelle des auteurs de la fusillade du Maïdan, qui provoqua le départ de Ianoukovitch, ou du crash de l’avion de la Malaysia Airlines qui entraîna les sanctions européennes (il existe de très sérieux doutes sur l’identité réelle des tireurs du Maïdan et plusieurs éléments semblent indiquer une responsabilité interne aux manifestants. Voir la conversation du 26 février entre le Ministre estonien des Affaires étrangères Urmas Paet et Catherine Ashton. Voir aussi l’enquête de la télévision publique allemande ARD qui met en cause le groupe Svoboda, d’ailleurs accusé par les familles des victimes. En ce qui concerne le Boeing de la Malaysia Airlines, un certain nombre d’experts aéronautiques ou de journalistes chevronnés, Robert Parry entre autres, pointent du doigt Kiev. À noter que le principal journal malaisien, The New Straits Times, a lui aussi titré sur la responsabilité des forces gouvernementales dans le crash de l’avion), en passant par l’étonnant soutien occidental à un gouvernement en partie composé de néo-nazis ou la guerre dans le Donbass, sont des questions qui ne nous occupent pas ici. Attachons-nous aux conséquences de cette crise sur le Grand jeu eurasiatique et, partant, mondial.
Si l’on devait résumer en une phrase la nouvelle tectonique des relations internationales issue de l’éruption ukrainienne, nous pourrions dire que les États-Unis ont réussi à s’attacher totalement, et de manière assez étonnante, les Européens, tout en s’isolant du reste du monde. Il y a dix ans, l’activisme de l’administration Bush n’avait rien pu faire contre le rapprochement économique, énergétique et politique russo-européen. Dès lors, comment expliquer un tel revirement européen en 2014 ? Les explications données par les observateurs sont diverses : un changement de personnel politique, des dirigeants européens appartenant à la génération « américanisée » des Young leaders (programme d’échange visant à développer les liens transatlantiques et qui a formé des centaines d’élites françaises à l’ « américanité », dont le président Hollande et plusieurs ministres de l’actuel gouvernement) ; l’intégration européenne continue et la soumission de la Commission de Bruxelles aux intérêts américains ; l’impossibilité pour un pays européen d’œuvrer à ses propres intérêts au sein de cette structure européenne (l’exemple de certains pays balkaniques ou d’Europe centrale est, à ce titre, éclairant : les dirigeants autrichien, hongrois, bulgare, finlandais ou grec sont obligés de mettre en œuvre les mesures prises par la Commission de Bruxelles – sanctions économiques contre la Russie, gel de la construction du South Stream – tout en reconnaissant publiquement qu’elles sont contraires à l’intérêt de leur pays.) ; les écoutes de la NSA et le moyen de pression sur les dirigeants européens qui en découlerait… Toujours est-il que Washington a réussi à créer une réelle brèche entre l’Europe occidentale et la Russie. Le projet South Stream, qui devait fournir l’Europe du sud et balkanique en gaz, est maintenant en suspens ; les échanges commerciaux sont en chute libre du fait des sanctions européennes et des mesures de rétorsion russes. Surtout, une méfiance semble s’être durablement installée dans les opinions publiques des deux camps, conditionnant les politiques du futur. Etait-ce là le calcul de Washington qui, en déclin, perdant peu à peu le monde et à défaut de pouvoir isoler la Russie des pôles de puissance et de richesse du XXIème siècle, a sauvé les meubles en réussissant à soumettre l’Europe de l’ouest et à l’arrimer définitivement avant qu’il ne soit trop tard (cette convergence totale et relativement surprenante entre les dirigeants européens et Washington est peut-être à mettre en parallèle avec le projet d’accord de libre-échange transatlantique qui, selon de nombreux économistes, bénéficiera avant tout à l’économie américaine au détriment de l’économie européenne. Par ailleurs, l’on voit de plus en plus souvent l’OTAN sortir complètement de son rôle et se mêler de sujets économiques, comme l’ont montré son soutien au traité de libre-échange transatlantique ou sa critique des organisations écologistes qui s’opposent au gaz de schiste, les accusant de faire le jeu de la Russie ! S’agit-il, au final et toutes choses bien considérées, de créer un grand État occidental transatlantique où les États-Unis auront absorbé les pays européens avec la complicité active des dirigeants de ces derniers ? Cette question, qui aurait paru loufoque il y a seulement quelques années, peut aujourd’hui sérieusement se poser au vu de l’invraisemblable soumission de l’establishment européen à la politique américaine, dans à peu près tous les domaines) ?
Car la Russie, après avoir paru un temps en difficulté, semble finalement sortir, à moyen et long terme, grande gagnante de cette crise. Certes, la coupure avec l’Europe sera vraisemblablement durable et le risque que l’Ukraine entre dans l’OTAN existe – cela dépendra de l’évolution du conflit dans le Donbass, des grandes manœuvres diplomatiques qui ont lieu dans l’ombre et de la situation économique et politique en Ukraine même. Mais la Russie a mis – ou remis – la main sur la Crimée, s’assurant définitivement la base navale de Sébastopol. Surtout, l’activisme occidental semble paradoxalement avoir jeté dans les bras de Moscou le reste du monde… Au-delà de l’écume des événements, l’année 2014 aura connu des mouvements de fond considérables, parfois surprenants, tous, Europe exceptée, au bénéfice de la Russie et au détriment des États-Unis. L’on en avait eu un premier aperçu lors du vote du 27 mars à l’ONU sur le rattachement de la Crimée à la Russie. Présenté par les médias occidentaux comme une preuve supplémentaire de l’isolement de Moscou sur la scène internationale, ce vote constitua au contraire une petite victoire pour la Russie et dessinait déjà les prémices de l’isolement américain qui ira grandissant tout au long de l’année. Sous des prétextes divers, près de quatre-vingt États – les principaux pays de la planète en dehors du bloc occidental et de ses protégés – s’abstinrent de condamner la Russie : Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Argentine, Pakistan, Iran, Israël (!), Egypte, Irak (!), Vietnam, Liban, Emirats Arabes Unis, Maroc, Kazakhstan, Algérie, Uruguay, Kenya, Tanzanie, Ouzbékistan, Afghanistan (!), Maroc, Sénégal, Côte d’Ivoire… Ces poids-lourds mondiaux ou simplement régionaux ont pour dénominateur commun de ne pas être sous influence occidentale directe, de ne pas faire partie d’une alliance militaire américaine et de mener une politique étrangère indépendante, pas nécessairement pro-russe. La « trahison » d’États-clients comme Israël – qui argua d’une grève de son personnel diplomatique, piètre excuse qui ne trompa personne à Washington -, l’Irak ou l’Afghanistan provoqua d’ailleurs la fureur du Département d’État américain. La carte suivante est éclairante. Remarquons que, mis à part le petit Bhoutan, l’Eurasie dans son ensemble s’abstint de condamner la Russie, ainsi que la majorité de l’Amérique du Sud, de l’Afrique et la moitié des pays arabes.

En vert : États ayant condamné le rattachement de la Crimée à la Russie. En jaune : États s’étant abstenus par vote. En bleu : États s’étant abstenus sous divers prétextes. En rouge : États ayant voté contre la condamnation.
En vert : États ayant condamné le rattachement de la Crimée à la Russie. En jaune : États s’étant abstenus par vote. En bleu : États s’étant abstenus sous divers prétextes. En rouge : États ayant voté contre la condamnation.
La dernière semaine de mai fut un cauchemar pour les stratèges américains qui assistaient, impuissants, à ce qu’ils avaient toujours redouté : l’accélération du processus d’intégration de l’Eurasie. Du point de vue géopolitique, c’est à coup sûr l’un des moments les plus importantes de ce début de XXIème siècle. La visite très attendue de Poutine en Chine se solda, on l’a vu, par le contrat gazier du siècle. Surtout, il fut décidé que le dollar ne serait pas utilisé comme moyen de paiement, marquant le début de la fin de la domination universelle du dollar qui permettait jusqu’alors aux États-Unis de se faire entretenir par le reste de la planète. Le mouvement de dé-dollarisation s’accélère partout, en Amérique latine mais aussi en Asie ou au Moyen-Orient. La Chine promit également d’investir massivement en Crimée, reconnaissant ainsi implicitement l’annexion de l’île par la Russie. Et, cerise sur le gâteau, le président chinois proposa une nouvelle structure de sécurité asiatique incluant la Russie et l’Iran mais excluant les États-Unis, le tout en présence des présidents irakien et afghan visiblement très intéressés par l’idée – on imagine aisément qu’à Washington, l’enthousiasme des présidents irakien et afghan, installés par les Américains au terme de guerres à plusieurs centaines de milliards de dollars, fut considéré comme un nouveau coup de poignard dans le dos. Deux jours plus tard eut lieu le Forum économique de Saint-Pétersbourg en présence d’importantes délégations d’investisseurs chinois, indiens, japonais, mais aussi allemands. Le représentant chinois reprit la proposition faite par le président Xi Jinping lors de son voyage en Allemagne : une voie ferrée passant par la Russie et reliant la Chine à l’Allemagne en douze jours, nouvelle Route de la soie appelée à devenir la principale voie commerciale du monde, évitant la voie maritime susceptible d’être interrompue par les Américains, marginalisant ainsi les États-Unis. Ce nouveau jalon de l’intégration économique eurasiatique repose maintenant sur l’évolution des sanctions européennes prises à l’encontre de la Russie – et l’on comprend que Washington ait pesé de tout son poids pour « convaincre » Bruxelles, Berlin, Londres et Paris de prendre ces mesures. Tout dépendra de l’Allemagne, engluée dans ses propres contradictions, à la fois cheval de Troie en Europe des intérêts géopolitiques américains et des intérêts géo-économiques russes. A ce titre, le pas de deux d’Angela Merkel qui se rapproche tour à tour de Washington et de Moscou sera très intéressant à suivre. Enfin, quelques jours plus tard, l’accord sur l’Union Eurasienne fut signé entre la Russie, le Kazakhstan et la Biélorussie. Certes, l’Ukraine n’en fait pas partie, mais d’autres pays demandent leur adhésion : le Kirghizstan, l’Arménie, et il est même question de la Turquie.
La prise de distance d’Ankara avec l’Occident est l’un des faits les plus remarquables de cette année 2014. Dans le Grand jeu entre Moscou et Washington, où chacun tente de prendre les pions de l’autre, l’on parle évidemment beaucoup de l’Ukraine que les États-Unis tentent désespérément d’arracher à l’orbite russe depuis vingt ans, mais moins de la Turquie qui prend doucement mais sûrement le chemin inverse, sans à-coups, sans guerre, sans même que la Russie n’insiste vraiment, d’une manière somme toute naturelle. Nous avons vu qu’Erdogan avait secoué la scène internationale début 2013 en déclarant qu’il était dorénavant plus intéressé par l’Organisation de Coopération de Shanghai que par l’Union Européenne. Le 19 juillet 2014, deux nouvelles bombes géopolitiques ont éclaté. En marge d’une rencontre des ministres de l’économie et du commerce des pays du G20 à Sydney, le ministre turc proposa d’établir une zone de libre-échange avec l’Union Eurasienne. A Washington, il y a de quoi s’arracher les cheveux : tout a été fait pour que l’Ukraine n’y entre pas et voilà que leur propre allié au sein de l’OTAN entend s’y intégrer, partiellement au moins. Pire ! Le même jour, Ankara demanda formellement à Moscou de commercer désormais dans leurs monnaies nationales et non plus en dollars, accélérant le mouvement de dé-dollarisation du commerce mondial, donc la difficulté grandissante des États-Unis à s’autofinancer. Si les décisions politiques ou géopolitiques suivent les mouvements économiques, ce revirement turc est somme toute assez logique. L’année dernière, Gazprom annonçait que la Turquie deviendrait bientôt le premier importateur de gaz russe devant l’Allemagne.
Pour Vladimir Poutine, les bonnes nouvelles se sont enchaînées durant l’été. Pour sa première visite officielle hors monde arabe, le président égyptien al-Sisi a choisi la Russie et non les États-Unis ou l’Europe. A Sotchi, cet autre poids lourd du Moyen-Orient qu’est l’Egypte a montré son intérêt pour un accord de libre échange avec l’Union Eurasienne qui, loin d’être mort-née comme d’aucuns le prétendent, semble attirer un nombre croissant de pays, y compris en dehors de l’Eurasie proprement dite. De plus, Le Caire a évidemment proposé d’augmenter ses exportations agricoles vers la Russie pour compenser l’arrêt des importations de produits alimentaires européens, mesure de rétorsion prise par le Kremlin suite aux sanctions décidées par l’Union Européenne. Ces sanctions, prises sous la pression américaine et qui paraissent maintenant de plus en plus suicidaires, ont fait la joie d’un grand nombre de pays dans le monde qui se sont immédiatement bousculés pour remplacer les Européens sur le marché russe : Argentine, Brésil, Egypte, Turquie, Chine, Inde, Equateur, Uruguay…
Enfin, comment ne pas parler de l’intégration des BRICS, même si cela ne concerne que partiellement notre sujet ? Créé de manière quelque peu informelle au début des années 2000, ce club regroupant les cinq principaux pays émergeants de la planète – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – compte trois milliards d’habitants, assure 50% de la croissance économique mondiale et totalise un PIB qui talonne déjà celui des États-Unis et de l’Union Européenne. Selon un rapport pourtant très conservateur de Goldman Sachs, quatre des cinq membres feront partie des six premières économies mondiales en 2050 (la Chine (1ère), l’Inde (3ème), le Brésil (5ème) et la Russie (6ème). Goldman Sachs, Dreaming with BRICS : The path to 2050, in Global economics papers n°99, 2003). Or les BRICS se sont mués, au fil du temps, en association aux liens de plus en plus serrés, économiques mais aussi diplomatiques. Ils partagent la même vision d’un monde multipolaire, rejettent l’unilatéralisme américain, remettent en cause le système financier international issu de la Seconde Guerre Mondiale et dominé par les Occidentaux. Lors du vote sur la Crimée à l’ONU, les quatre partenaires de la Russie ont refusé de la condamner et lui ont au contraire apporté un discret soutien. En juillet, lors du sommet de Fortaleza, les BRICS ont décidé de passer à la vitesse supérieure, créant un système financier parallèle comprenant un fonds de stabilisation de 100 milliards équivalent-dollars et une banque de développement au capital de 50 milliards équivalent-dollars, concurrençant respectivement le FMI et la Banque mondiale, instruments permettant jusqu’ici la domination financière américaine par le biais des prêts en dollars. La mise en place de ce nouveau système financier international s’accompagne d’accords bilatéraux au sein et autour des BRICS – l’Argentine souhaite vivement y entrer – visant à ne plus utiliser le dollar dans leurs échanges : Chine-Russie, Argentine-Chine, Argentine-Russie, Brésil-Chine, Argentine-Brésil… sans compter la proposition turque dont nous avons parlé plus haut. Une autre semaine noire pour Washington qui voit maintenant la domination du dollar sérieusement ébranlée, et partant, sa capacité d’endettement lui permettant de faire financer ses guerres par les autres pays. Est-ce un hasard si l’avion de la Malaysia Airlines fut abattu deux jours après le sommet de Fortaleza, le doigt accusateur immédiatement pointé sur les rebelles russophones donc la Russie, dans une hystérie médiatique collective assez surprenante ?
L’intégration des BRICS, ou peut-être est-ce la prochaine entrée de l’Inde dans l’Organisation de Coopération de Shanghai, a même réussi le tour de force de raccommoder les deux ennemis héréditaires de l’Asie. L’étonnant rapprochement, ces derniers mois, entre la Chine et l’Inde est l’un des grands faits marquants de l’année 2014. Le mouvement avait déjà été initié au tournant de 2010, mais il s’est accéléré avec l’élection au poste de premier ministre de Narendra Modi. Signe des temps, New Delhi avait invité pour la première fois de son histoire le ministre des Affaires étrangères chinois ainsi que le premier ministre pakistanais à assister à la cérémonie d’investiture, et tous deux acceptèrent. Dans la foulée, Pékin annonça une batterie d’investissements en Inde. L’admiration de Modi pour la Chine est de notoriété publique et il y fit de nombreuses visites lorsqu’il était encore ministre en chef de sa province du Gujarat. En retour, les dirigeants chinois n’ont pas ménagé leurs louanges, le comparant même à Deng Xiao Ping. En réservant sa première visite internationale pour le sommet des BRICS le 15 juillet à Fortaleza, Modi a envoyé un message symbolique fort sur ses priorités en politique étrangère : œuvrer à un monde multipolaire, se rapprocher de la Chine et maintenir l’amitié traditionnelle avec la Russie. Le président américain Obama, lui, attendra jusqu’en septembre pour une rencontre en marge de l’Assemblée générale de l’ONU… Pékin et New Delhi, autrefois si sourcilleux, sont désormais prêts à tous les compromis : la banque des BRICS, qui sera basée à Shanghai, aura un président indien. Autre signe du très net réchauffement des relations sino-indiennes et de la confiance mutuelle qui s’instaure : après le « contrat du siècle » signé en mai entre Moscou et Pékin, le premier ministre indien a proposé de prolonger le gazoduc jusqu’à son pays, reliant ainsi la Sibérie à l’Inde à travers le territoire chinois, chose impensable il y a seulement quelques années.
Ce méga-deal a d’ailleurs provoqué un foisonnement de projets de pipelines en Eurasie. En visite à Moscou, le ministre pakistanais de l’énergie a proposé à la Russie de construire un gazoduc vers le Pakistan. L’entrée du Pakistan et de l’Inde dans l’Organisation de Coopération de Shanghai en septembre pourrait faciliter le transit à travers les républiques d’Asie centrale, tout en encourageant d’ailleurs à régler enfin le conflit indo-pakistanais au Cachemire, permettant ainsi le passage du pipeline Gwadar-Chine que nous avions évoqué plus haut. Par ailleurs, Moscou a effacé 90% de la dette nord-coréenne contre le passage d’un gazoduc fournissant le riche marché sud-coréen, rapprochant ainsi par des liens énergétiques indissolubles les deux frères ennemis. La construction devrait débuter sous peu, Séoul ayant fait la sourde oreille aux pressions américaines pour sanctionner la Russie. Le Japon n’est pas en reste puisque plusieurs dizaines de députés se sont exprimés en faveur de la réalisation du vieux projet de gazoduc entre l’île russe de Sakhaline et Ibaraki. Cependant, Tokyo est tiraillé entre ses besoins énergétiques croissants suite à l’accident de Fukushima et à la diminution de la production nucléaire qui en a résulté, et la nécessité de ne pas trop déplaire aux États-Unis.
La Russie se tourne vers les riches marchés asiatiques et commence enfin à développer pleinement ses immenses ressources énergétiques de Sibérie, jusque-là sous-exploitées. L’aigle à deux têtes de l’emblème russe était traditionnellement tourné à la fois vers l’Europe occidentale et vers l’Asie. Le comportement européen durant la crise ukrainienne a profondément déçu Moscou où les « eurasistes » ont marqué beaucoup de points ces derniers mois (voir le dossier très complet sur l’eurasisme dans le numéro 1 de Conflits, printemps 2014). Face à une Europe vieillissante, endettée et de plus en plus soumise aux exigences de Washington, les pôles de richesses et de dynamisme asiatiques représentent une option autrement plus attrayante. Cela prendra certes un peu de temps mais c’est inévitable. L’on pourrait d’ailleurs remarquer que, contrairement aux États-Unis qui utilisent cette formule stratégique de manière répétitive mais quelque peu vaine, Vladimir Poutine est en passe de réussir sans coup férir son « pivot asiatique ». La géopolitique de l’énergie et l’intégration eurasiatique sont même susceptibles de réaliser l’impossible : régler définitivement des conflits vieux de plusieurs décennies, entre l’Inde et le Pakistan ou entre les deux Corées.
La tectonique des plaques géopolitique et économique quitte peu à peu l’Atlantique pour faire mouvement vers l’Eurasie, vers les BRICS, vers le monde multipolaire de demain, d’aujourd’hui déjà. Au-delà des effets de manche, les États-Unis sont chaque jour plus marginalisés ; ils n’ont plus les moyens de leur politique ni la politique de leurs moyens. Le mouvement de dé-dollarisation du monde s’accélère, ils perdent leur contrôle sur les flux énergétiques qui, seul, pourrait leur permettre de garder une certaine primauté sur le monde, tandis que le Heartland et le Rimland sont en train de leur échapper. Le Grand jeu continuera dans ces zones névralgiques de la planète mais l’Amérique ne peut plus le gagner, tout juste peut-elle en retarder l’échéance. L’aigle russe à deux têtes, lui, regarde ailleurs désormais : vers l’intégration géostratégique de l’Eurasie, matérialisée par une Organisation de Coopération de Shanghai en pleine ascension, unissant maintenant les principales civilisations eurasiennes, et vers la multipolarité du monde, représentée par les BRICS, principales puissances économiques du monde à l’horizon d’une génération.
Christian Greiling. Août 2014


    Vie et mort du petit-bourgeois gentilhomme

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    John M. Robinson. – « Strategy », 2016
    Division of Labour, Royaume-Uni
    Si, dans la course à l’accaparement du capital industriel et financier, la grande bourgeoisie a gardé ses avantages classiques, en revanche, en matière d’accumulation du capital symbolique et culturel (en particulier sous sa forme scolaire-universitaire), la petite bourgeoisie a fait mieux que soutenir la comparaison avec son aînée. Elle a, sinon créé ex nihilo, du moins largement contribué à développer et à diffuser à travers le monde un style de vie caractérisé par la toute-puissance de l’argent, le culte de l’audace entrepreneuriale, le bougisme affairiste, la propension à la consommation compulsive et l’hédonisme à courte vue, le tout fardé d’une spiritualité de façade sur le modèle américain.
    Ce « nouvel esprit du capitalisme », comme l’avaient baptisé Luc Boltanski et Ève Chiapello (1), avait dès avant la grande crise de 2008 réussi à coloniser les entendements et les sensibilités, au point de pénétrer même les milieux les plus réfractaires en principe à l’esprit bourgeois et les plus favorables traditionnellement aux valeurs de l’humanisme progressiste ou aux idéaux du socialisme révolutionnaire. Pour Boltanski et Chiapello, cette orientation idéologique était fortement corrélée au poids grandissant pris par la nouvelle petite bourgeoisie des cadres, des diplômés d’études supérieures, des universitaires, des artistes et autres groupes et catégories de nouveaux entrants, jeunes et riches en capital culturel, qui se multipliaient avec les besoins sociaux grandissants en encadrement, éducation, information, conseil, présentation, divertissement, etc.
    Les salariés des années 2000 étaient toujours chargés de chaînes, mais, à nombre d’entre eux, elles semblaient déjà moins lourdes. Du moins était-ce ce dont l’École de la République et la Presse du Capital concouraient à les convaincre. Ils poursuivaient d’un bon pas la mutation, entamée à partir de 1968, qui, en un demi-siècle, comme on peut le mesurer aujourd’hui, a conduit les classes moyennes (non sans s’étendre, par contagion symbolique en quelque sorte, aux classes populaires urbanisées) à se percevoir et donc à se comporter comme si elles étaient devenues des monades (2) incapables de s’assigner à elles-mêmes d’autre devise, d’autre idéal de vie que celui proclamé par les grands prêtres de l’égotisme petit-bourgeois de la première moitié du XXe siècle.
    Cet idéal, tel qu’il avait été gravé par André Gide (en particulier) dans le marbre des Nourritures terrestres (1897), enjoignait à chacun de faire de sa propre personne, envers et contre tous les tabous, « le plus irremplaçable des êtres ». De même, Paul Valéry dans son Narcisse pressait chacun de « se perdre en soi-même » pour apprendre à « se chérir » et à se joindre à son « inépuisable Moi ». En soi, un tel programme aurait pu être tout à fait séduisant s’il n’avait impliqué, entre autres conditions permissives, l’instauration de la pire concurrence individualiste. Au demeurant, cette injonction moralement mortifère se retrouve sous la plume de tous nos grands littérateurs et penseurs depuis… au moins la Renaissance et la reprise de l’héritage antique. De Mme de La Fayette à Marguerite Duras, de Montaigne à Jean-Paul Sartre ou à André Malraux, la littérature et, plus largement, tous les arts occidentaux n’ont cessé d’exalter les puissances personnelles du Moi et d’exhorter chaque individu à faire de sa vie une œuvre d’art admirable, à nulle autre pareille, en oubliant de préciser que, parmi les conditions concrètes de réussite de toute vie singulière, il y a, inévitablement, dans un système ultraconcurrentiel dont on ne saurait faire abstraction, la ruine, voire le meurtre, à plus ou moins grande échelle, d’un certain nombre d’autres.

    Inégalité, ostentation et gaspillage

    On redécouvre aujourd’hui avec consternation ce que la critique marxiste mettait en évidence dès 1844 : que le discours de l’humanisme abstrait, idéaliste et grandiloquent sur l’essence de l’Homme universel et son aptitude à dominer le monde a une fâcheuse tendance à s’aveugler sur le sort concret des hommes réels et sur la soumission des masses aux oligarchies. Dans les années 2000, les porte-voix du néolibéralisme de droite comme de gauche avaient depuis longtemps perdu de vue, si tant est qu’ils l’eussent jamais compris expressément, que la devise de l’émancipation humaine, ce n’était pas tant Térence avec son « Homo sum (3) » ni Descartes avec son « Cogito ergo sum » Je pense donc je suis ») qui l’avaient formulée qu’avec son « Enrichissez-vous » un certain François Guizot, historien universitaire siégeant au gouvernement sous le « roi-bourgeois » Louis-Philippe (1830-1848). On sait comment, en fait, l’injonction de Guizot, devenue le mot d’ordre de toute la petite bourgeoisie, a préludé à l’appauvrissement sans limites et sans remords du prolétariat.
    Tel était donc, en substance, le point de vue que j’ai essayé d’exprimer en rédigeant Le Petit-Bourgeois gentilhomme il y a bientôt vingt ans. En apparence, il a coulé depuis beaucoup d’eau sur le plan événementiel ou conjoncturel. La mode s’est même installée dans les rédactions, depuis les résultats inattendus de l’élection présidentielle de 2017, puis des législatives qui ont aussitôt suivi, de parler de « nouveau monde », de « rupture » avec l’ancien et de reprendre en guise d’information journalistique, sans aucune distance critique, les « éléments de langage » des communicants du régime qui s’évertuent à seriner que l’arrivée de M. Emmanuel Macron a inauguré une révolution — comme l’annonçait le titre du livre de sa campagne. Mais, pour peu qu’on examine ce qui s’est passé sous l’angle des logiques structurelles et de l’histoire collective, on ne peut que conclure que le mouvement inertiel de la société capitaliste n’a guère connu de changements décisifs.
    À cet égard, même l’irruption sur la scène politique et dans la sphère de l’État des acteurs de l’impromptu macroniste n’a rien d’une nouveauté. Sur le plan des structures, tant subjectives qu’objectives, le piétinement de l’histoire semble confirmer la prédiction de Jean La Bruyère (au XVIIe siècle) : « Dans cent ans, le monde subsistera encore en son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations, ce ne seront plus les mêmes acteurs. » C’est en effet toujours le même répertoire qui se joue, mais avec une distribution différente. Le jeune premier Macron apparaît avec éclat, sinon comme l’archétype du petit-bourgeois de notre temps, du moins comme son type final, en ce sens qu’il est l’icône achevée de l’Homo œconomicus engendré par le capitalisme du XXIe siècle, le néo-aristocrate de la société d’abondance, d’inégalité, d’ostentation, de frime et de gaspillage, le modèle par excellence proposé à nos élèves des bonnes écoles.
    Malheureusement pour lui et ses semblables, ils arrivent trop tard pour donner libre carrière à leurs ambitions : la société d’abondance est en train de s’effondrer. Et même en se gardant de poser au collapsologue, on peut percevoir les prémices d’un séisme de grande ampleur.
    On touche là au seul aspect important de la réalité actuelle qu’on puisse considérer véritablement comme une nouveauté capable d’entraîner des changements essentiels dans le cours de notre histoire : l’affirmation durant la dernière décennie de la conscience écologique, sous la forme non plus seulement d’un discours savant sur les rapports entre les activités humaines et la gestion de l’environnement naturel, ni d’une doctrine philosophico-anthropologique sur l’appartenance de l’Homme à la Nature — idées et opinions qui ont été déjà exprimées il y a belle lurette, sans grand retentissement, il faut bien le reconnaître.
    Au contraire, ces dernières années nous avons assisté à un de ces mouvements d’ensemble du corps social que les sciences sociales ont toujours eu bien du mal à appréhender parce qu’elles ont trop souvent tendance à ramener le collectif à de l’interindividuel et qu’il est pratiquement impossible de repérer avec précision où, quand et pourquoi exactement les innombrables individualités qui forment un groupe social changent de direction avec un ensemble surprenant, à la façon d’une nuée d’oiseaux ou d’un banc de poissons qui, en apparence, n’obéit à aucun signal isolé perceptible.
    La raison en est que ces mouvements inséparablement collectifs et individuels n’ont pas un chef d’orchestre unique, mais qu’ils sont probablement déclenchés, dans les populations humaines en tout cas, par un mécanisme de communication immédiate d’habitus à habitus (4) chez des individus façonnés par une même matrice collective : mêmes réactions aux mêmes conditions structurelles d’existence et aux mêmes stimuli conjoncturels. Cette forme de sensibilité proprement sociale est par nature condamnée à échapper aux analyses interactionnistes des politologues de service et à la myopie pointilliste des instituts de sondage. Ce qui explique que la plupart de nos prétendus experts ratent généralement l’apparition du nouveau dans l’ancien.
    C’est ainsi que, au cours des années 2010, la marée montante de la sensibilité écologique a petit à petit submergé tout le paysage, de façon quasi silencieuse, en dépit du bruit médiatique fait autour des vaines tentatives de récupération électoraliste de l’écologie par les gouvernements successifs. Nos classes dirigeantes, qui croyaient avoir enchaîné définitivement les classes moyennes au char du libéralisme de droite et de gauche, ont d’abord pensé que, pour ramener au bercail productiviste les classes moyennes inquiètes et pour détourner leur colère devant l’horreur capitaliste, il suffisait de confier un portefeuille ministériel, plus honorifique qu’effectif, à quelque représentant de la petite bourgeoisie verte avide d’entrer dans la carrière.

    Le spectre de l’écologie

    Comme on a pu le constater, ces tentatives de la soi-disant gauche de gouvernement, puis de la droite macroniste, pour enter sur le tronc capitaliste un greffon écologiste se sont jusqu’ici soldées par un fiasco. Cela ne peut surprendre que ceux qui n’auraient pas encore compris qu’un tel projet est par essence incompatible avec la logique du développement capitaliste. Celle-ci fait en effet obligation à tout gouvernant et à tout gestionnaire de vendre tout et n’importe quoi, y compris sa propre mère, la Nature, s’il y a un marché pour ça. Il est clair que, pour faire entrer l’écologie en politique, il ne suffit pas d’enrôler quelque jeune acolyte ambitieux ou naïf et de lui coller sur le front l’étiquette « écolo de service » pour régler le problème. Ni la France, ni l’Europe, ni la planète ne s’en porteront mieux. Tel Saturne dévorant ses enfants, le capitalisme étend sa dévoration à tout ce qui existe, sans égard pour sa propre reproduction à long terme : ressources minérales, végétales, animales et même humaines, tout doit y passer, tout est à vendre, tout se fait marchandise et argent. Jusqu’à ce que la planète entière soit devenue une vaste décharge puante, toxique et invivable. Sauf si on arrête cette folie meurtrière avant qu’elle n’ait tout saccagé.
    C’est en cela que l’écologie — non pas l’écologie en tant que simagrée et gesticulation de gentes dames et de petits-bourgeois gentilshommes épris de notoriété, mais l’écologie en tant que sensibilité de masse s’exprimant dans un projet collectif global de transformation sociale — est en train d’apparaître à un nombre croissant de citoyens comme la seule issue à la crise de civilisation où nous sommes. Comme le « spectre du communisme » faisait trembler l’Europe du XIXe siècle, le spectre de l’écologie fait trembler le monde du grand capital actuel.
    C’est là que résident la seule grande nouveauté d’aujourd’hui, et l’unique espoir. Il devient chaque jour plus clair, surtout dans l’esprit de la jeune génération, que non seulement il faut se battre pour sauver la planète, mais encore que le combat pour sauver le monde naturel est absolument indissociable d’un combat pour changer de monde social. À ce niveau de la réflexion, la notion d’écosystème cesse d’être un concept-clé des sciences de la vie et de la Terre pour s’égaler, en extension et en compréhension, au concept de « système social ».
    En d’autres termes, si on veut vraiment sauver les écosystèmes humains, il faut les sortir du capitalisme. Ou plutôt, il faut sortir le capitalisme du genre humain. Mais le système social capitaliste existe toujours et partout conjointement sous deux formes : l’une objectivée en structures, en institutions et en distributions extérieures, à combattre par toutes les voies traditionnelles de la lutte politique ; l’autre intériorisée et incorporée en un certain type de Sujet, qu’on peut personnifier sous les traits d’un « petit-bourgeois gentilhomme ». Et celui-ci s’est aussi enraciné, à des profondeurs variables, en chacun d’entre nous. Il s’ensuit que le combat contre le système capitaliste est toujours aussi, en quelque manière, un combat contre une part de soi-même, contre le petit-bourgeois opportuniste qui sommeille en chacun, prêt à s’éveiller à l’appel des sirènes.

    La précarité tue, le capitalisme tue, le macronisme tue

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    Source : Le Monde diplomatique, Frédéric Lordon, 15-11-2019

    Émile Breton. — « La conflagration » (vers 1900)
    Musée Soumaya, Mexico, photo cc Benoît Prieur


    De France Télécom à Lubrizol, en passant par l’AP-HP, l’éducation nationale, la SNCF, La Poste, Lidl, et finalement Anas, étudiant lyonnais, le capitalisme tue. En direct ou en différé. Le plus souvent en différé, parfait moyen d’effacer les traces. Ce qui fut jadis une obscure directive européenne ouvrant les services publics à la concurrence deviendra dix ans plus tard un carnage à France Télécom. Mais qui pour rétablir le lien des causes et des effets? Qui, dans quinze ou vingt ans pour rapporter un supplément «inexplicable» de cancers rouennais à l’explosion d’une bombe chimique en pleine ville? En réalité qui pour seulement se souvenir et en parler? Et qui pour mettre en relation le destin d’un étudiant poussé à bout de désespoir avec les Grandes Orientations de Politique Economique?
    Ici l’imbécile régulier objecte que c’est tout mélanger. Lubrizol, France Télécom : privé; AP-HP, éducation nationale, Crous : public, enfin! Mais il y a belle lurette que plus rien ne rentre dans la tête de l’imbécile régulier. Comment alors pourrait-il y entrer que le propre du néolibéralisme c’est de mettre le public sous condition du privé, d’organiser l’arraisonnement privé du public? D’un côté la surveillance des déficits et des dettes par le duo Commission européenne / marchés de capitaux, de l’autre la baisse forcenée des recettes fiscales pour faire ruisseler les riches (mais de plaisir seulement) : l’ajustement se fera nécessairement par la colonne «dépenses». Ainsi l’on massacre les services publics au nom des Traités européens, des investisseurs non-résidents, et des fortunes résidentes. Quand, après tout de même 20 milliards de CICE et 3 milliards d’ISF, les cinglés de Bercy s’opposent à ce que Macron lâche le moindre fifrelin aux «gilets jaunes» en décembre 2018, c’est pour la ligne budgétaire (sous surveillance de la Commission et des marchés). Quand, ayant lâché malgré tout, Macron fait rattraper le supplément de dépense par un supplément d’économie… à charge de la Sécu!, c’est pour la ligne budgétaire (sous surveillance de la Commission et des marchés). Les médecins et les personnels soignants, et puis les enseignants, les facteurs, les forestiers de l’ONF, les pompiers, et jusqu’aux usagers, comprennent donc maintenant que toute protestation contre la paupérisation des services publics finira par un supplément de paupérisation des services publics.
    Dont ceux qui en sont les maîtres d’œuvre n’ont aucune raison de se plaindre. Peut-être même au contraire. Car un service public méthodiquement détruit, rendu intolérable à force d’être inopérant… est fin prêt à être versé au secteur privé. D’eux-mêmes et contre leur vocation profonde, des médecins quittent l’AP-HP pour les cliniques privées, et si la ministre Buzyn déclare qu’elle «n’a pas dans l’idée qu’on va vendre les hôpitaux publics au privé», on entend surtout l’assourdissante dénégation. Et l’on comprend que ça n’est qu’une question de temps.
    Que la précarité tue, c’est donc l’une des propriétés du néolibéralisme les plus sûrement établies. La tragique nouveauté avec l’immolation d’Anas, c’est que des responsables sont désignés par la victime même
    Il y a longtemps déjà, Les nouveaux chiens de garde de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat avait recueilli le témoignage d’un épidémiologiste britannique qui montrait que la différence d’espérance de vie entre les plus riches et les plus pauvres de Glasgowétait de… 28 ans. Ce qui au passage mettait ces plus pauvres huit ans en dessous de l’espérance de vie en Inde. Que la précarité tue, c’est donc l’une des propriétés du néolibéralisme les plus sûrement établies. La tragique nouveauté avec l’immolation d’Anas, c’est que des responsables sont désignés par la victime même. Et que ce sont les bons. Sarkozy-Hollande-Macron, c’est-à-dire la continuité indifférenciée des fausses alternances, surdéterminée par les contraintes financières et concurrentielles imposées par la franchise régionale de la mondialisation néolibérale : l’Union européenne. C’est sans doute là le petit dérapage imprévu : quand la violence sociale extrême se répand partout, elle finit par frapper des gens dont le discours sur leur propre malheur n’est plus seulement un pur bloc de souffrance, mais accède à l’analyse de ses causes.
    Alors il devient tout à fait clair que «la précarité» n’est que la métonymie d’une chose plus vaste, le raccourci pour nommer un monde. Et ses desservants. Ce qui est en train de se nouer pour les semaines qui viennent n’a pas à voir qu’avec «une réforme», fût-ce celle des retraites, ou alors, là encore, il faut tenir «les retraites» pour le raccourci d’une lutte contre la destruction générale. Aussi bien dans l’emploi, que hors de l’emploi, tout est candidat à être détruit. Dans l’emploi, où la tenaille de la concurrence et de la rentabilité pour l’actionnaire est vouée à produire des masses de corvéables, de dépressifs ou de suicidés — mais la chose est acquise depuis longtemps maintenant. À la lisière de l’emploi, où la réforme de l’Unedic a pour mobile presque explicite de réduire les individus au dernier degré de la misère afin de les forcer au travail. Hors de l’emploi où tout ce qui restait pour maintenir de justesse les existences à flot — APL, aides étudiantes, services publics — est consciencieusement démoli.
    Mais le plus frappant peut-être dans cette histoire de démolition, c’est l’inconscience heureuse des démolisseurs. Il est vrai qu’ils vivent dans une condition de séparation sociologique, spatiale et mentale, telle que rien de la souffrance humaine ne leur parvient plus. Y compris quand elle leur est mise sous les yeux — car s’immoler, c’est pour qu’on ne puisse pas ne pas voir. L’information du suicide d’Anas a bien dû leur parvenir assez tôt, il y a des préfets pour ça. Et cependant : rien. Ça ne leur a rien fait. Comme les suicidés de France Télécom ne parvenaient pas à faire quoi que ce soit à Didier Lombard ou Louis-Pierre Wenès. Comme la mort de Rémi Fraisse n’a jamais rien fait à François Hollande, qui croit pouvoir revenir, toujours aussi ahuri et rubescent, vendre sa petite salade.
    Voilà par quelle sorte de personnages nos existences sont dirigées : des sociopathes. Il aura fallu cinq jours à Macron pour trouver à prononcer un mot d’«empathie». Il aura surtout fallu un début d’émeute étudiante lui faisant craindre la couche de révolte de trop par-dessus toutes les autres. Frédérique Vidal, elle, dont la fixité de regard ne laisse pas d’étonner, a essentiellement souffert pour sa grille ministérielle. Mais comme à peu près tous les éditorialistes de service. Qui en définitive répondent tous au même type, un type moral, celui de l’époque : une décapitation d’une effigie de Macron, des vitres brisées, des portes de ministère enfoncées les scandalisent; des suicidés, des éborgnés, des mutilés les indiffèrent. Telle est la tranche d’humanité qui se fait appeler «élite» et revendique le titre à gouverner les autres.
    En réalité, dans le sociopathe, l’inconscient heureux et la brute sont indistinguables. Nous sommes sous le règne des brutes. À ces politiques publiques qui tuent pour avoir méthodiquement créé, et obstinément approfondi, les conditions de l’accident chimique, ou celles du harcèlement en entreprise, ou celles du désespoir par la misère, ou celles des accidents du travail sans surveillance, ou celles de l’épuisement «flexible», ou celles bientôt (déjà) de la mort en couloir d’hôpital, ou celles de l’accouchement en bord de route, il faudrait pouvoir donner enfin leur qualification adéquate : ce sont des politiques criminelles. Pour ne rien dire de la sauvagerie policière, brutes parmi les brutes, auxquelles tout le gouvernement des brutes est désormais suspendu.
    Si d’ailleurs il fallait donner une figure synthétique à l’époque, ce pourrait être celle du préfet d’Harcourt, cogneur des Pays-de-la-Loire
    Si d’ailleurs il fallait donner une figure synthétique à l’époque, ce pourrait être celle du préfet d’Harcourt, cogneur des Pays-de-la-Loire, responsable hiérarchique des événements qui ont coûté la vie à Steve Maia Caniço, mais précédemment directeur de l’Agence Régionale de Santé de PACA, l’une de ces ARS où l’on organise la nouvelle santé-qui-tue, et où il a laissé derrière lui une réputation logique de manager-tortionnaire, personnage décidément remarquable en lequel s’opère la fusion de toutes les formes de la violence néolibérale.
    C’est donc par un retournement projectif totalement inconscient que ce gouvernement ne cesse de parler de lui quand il croit parler des autres. On peut alors tout à fait prendre au mot, quoique moyennant un renversement radical, Sibeth Ndiaye quand, encore tout émue de la maltraitance des grilles de sa collègue Vidal, elle déclare que «rien ne peut justifier que des violences soient commises». Et c’est vrai. C’est même très en dessous de la vérité, si l’on y pense, de dire que «rien ne peut justifier» des politiques criminelles — mais Sibeth Ndiaye est porte-parole du gouvernement, on comprend qu’elle soit tenue à ce genre d’atténuation.
    Pour ce qui nous concerne en tout cas, nous voyons bien que, euphémismes mis à part, elle nous appelle à tirer des conclusions. Si rien ne peut justifier la violence des politiques criminelles, alors rien ne peut expliquer que nous continuions à les tolérer. Puisque, injustifiables, en plus d’être ce qu’elles sont, elles sont donc deux fois intolérables. Dans un monde qui serait peut-être plus rêvé que réel, mais qui désigne tout de même un idéal, on voudrait qu’Anas soit le dernier des suicidés, que son suicide ait eu lieu pour qu’il n’y ait plus de suicides, et, pour notre compte, nous pourrions choisir d’entendre son geste ainsi : j’ai fait ça pour vous choquer et que vous ne fassiez plus ce que j’ai fait. «Ça», quoi? Retourner la violence des sociopathes contre soi. Hormis la leur, c’est la seule violence que tolèrent les sociopathes, et spécialement ceux qui voudraient gouverner nos opinions : la violence par laquelle les salariés, les chômeurs, les étudiants, les agriculteurs se déchirent eux-mêmes. Tuez-vous! À France Télécom, ma foi, c’était un moyen comme un autre de tenir les objectifs de mise à la porte. Ailleurs c’est une technique managériale éprouvée pour venir à bout des réfractaires : les pousser à la dernière extrémité. Tuez-vous donc!
    Anas nomme : Sarkozy, Hollande, Macron, l’UE. Il en appelle : au socialisme, à l’autogestion, à la Sécu
    Alors Anas tente de se tuer. Mais d’une manière spéciale, porteuse d’une possibilité de rupture : une manière entièrement politique. Les ordures gouvernementales ne s’y sont pas trompées : leur premier geste a été de se précipiter au déni. Attal, Montchalin : des ordures — vraiment on cherche, on voudrait éviter, mais on ne voit pas comment dire autrement. Anas nomme : Sarkozy, Hollande, Macron, l’UE. Il en appelle : au socialisme, à l’autogestion, à la Sécu. Ce sont ses derniers mots. Mais Montchalin «ne pense pas qu’on puisse dire qu’il s’agit d’un acte politique». On pourrait appeler ça tuer deux fois. Criminels sociaux, criminels symboliques.
    On ne sait pas que souhaiter à Anas, entre la vie et la mort. On ne sait pas que souhaiter entre les souffrances sans doute terribles qui suivraient son retour du côté de la vie, et la possibilité tout de même qu’il puisse contempler l’effet de son acte. Effet un peu particulier sans doute puisque c’est à nous qu’il appartient de l’accomplir. Cet effet, il est d’inverser les circulations de la violence politique et sociale. Ceux qui jusqu’ici refusaient l’injonction de se laisser détruire, voire de se tuer, refus à la fois politiquement héroïque et personnellement salvateur, ont tous eu à connaître la haine écumante des médias du capital (et de l’État). Parce qu’ils étaient isolés. Xavier Mathieu et les Conti quand ils envahissent la sous-préfecture de l’Oise, Mickael Wamen et les Goodyear qui retiennent un directeur : pas de mots assez forts pour la mémoire des ordinateurs jetés à terre et les droits fondamentaux des patrons foulés au pied. Mais Conti, 14 suicides; Goodyear, 16. Silence. Tuez-vous!
    Anas, paradoxalement, dit : no longer. L’effet qu’il nous revient d’accomplir après son geste, c’est que la violence retourne à l’envoyeur, c’est que les corps cessent de prendre en eux, telle quelle, la violence des sociopathes, que les individus cessent de faire de leur corps le terminus de la violence, qu’ils l’en extirpent, et que toutes ces violences individuellement extirpées soient reconstruites collectivement, politiquement : en une force.
    Nous avons besoin de cette force car on n’a jamais vu les violents s’arrêter d’eux-mêmes de violenter. Nous sommes d’ailleurs déjà prévenus : «Des gens vont mourir». C’est un pneumologue du CHR de Lille qui avertit. Ça va être une «tuerie». Là on est déjà plus ébranlé parce que c’est Laurent Berger de la CFDT qui parle de la réforme de l’Unedic. Bien sûr, Laurent Berger, croit encore parler au sens figuré. Ça fait pourtant un moment que le capitalisme est passé au sens propre. Le macronisme, n’en parlons pas. Et tout ça est somme toute assez logique : quand il y a des politiques criminelles, «des gens vont mourir». Nous avons besoin de cette force car, à ce sujet, l’histoire est assez formelle : on n’arrête pas les violents avec des fleurs. Nous avons besoin de cette force parce que, si les violents ne s’arrêtent jamais d’eux-mêmes, alors il va falloir les arrêter nous-mêmes.
    Frédéric Lordon


    a company that sold encryption devices across the world

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    For more than half a century, governments all over the world trusted a single company to keep the communications of their spies, soldiers and diplomats secret.
    The company, Crypto AG, got its first break with a contract to build code-making machines for U.S. troops during World War II. Flush with cash, it became a dominant maker of encryption devices for decades, navigating waves of technology from mechanical gears to electronic circuits and, finally, silicon chips and software.
    The Swiss firm made millions of dollars selling equipment to more than 120 countries well into the 21st century. Its clients included Iran, military juntas in Latin America, nuclear rivals India and Pakistan, and even the Vatican.
    But what none of its customers ever knew was that Crypto AG was secretly owned by the CIA in a highly classified partnership with West German intelligence. These spy agencies rigged the company’s devices so they could easily break the codes that countries used to send encrypted messages.
    The decades-long arrangement, among the most closely guarded secrets of the Cold War, is laid bare in a classified, comprehensive CIA history of the operation obtained by The Washington Post and ZDF, a German public broadcaster, in a joint reporting project.
    The account identifies the CIA officers who ran the program and the company executives entrusted to execute it. It traces the origin of the venture as well as the internal conflicts that nearly derailed it. It describes how the United States and its allies exploited other nations’ gullibility for years, taking their money and stealing their secrets.
    The operation, known first by the code name “Thesaurus” and later “Rubicon,” ranks among the most audacious in CIA history.
    “It was the intelligence coup of the century,” the CIA report concludes. “Foreign governments were paying good money to the U.S. and West Germany for the privilege of having their most secret communications read by at least two (and possibly as many as five or six) foreign countries.”
    From 1970 on, the CIA and its code-breaking sibling, the National Security Agency, controlled nearly every aspect of Crypto’s operations — presiding with their German partners over hiring decisions, designing its technology, sabotaging its algorithms and directing its sales targets.
    Then, the U.S. and West German spies sat back and listened.
    They monitored Iran’s mullahs during the 1979 hostage crisis, fed intelligence about Argentina’s military to Britain during the Falklands War, tracked the assassination campaigns of South American dictators and caught Libyan officials congratulating themselves on the 1986 bombing of a Berlin disco.

    A Royal Navy helicopter takes off after transporting Royal Marines to Darwin, Falkland Islands, in 1982. During the Falklands War, U.S. spies fed intelligence about Argentina’s military to Britain. (Paul Haley/Imperial War Museums/Getty Images)

    An American hostage is guided outside the U.S. Embassy compound in Tehran in 1979, after students stormed the embassy and took its diplomatic staff hostage. Using Crypto, the United States monitored Iran’s mullahs during the crisis. (Kaveh Kazemi/Getty Images)
    A Royal Navy helicopter takes off after transporting Royal Marines to Darwin, Falkland Islands, in 1982. During the Falklands War, U.S. spies fed intelligence about Argentina’s military to Britain. (Paul Haley/Imperial War Museums/Getty Images) An American hostage is guided outside the U.S. Embassy compound in Tehran in 1979, after students stormed the embassy and took its diplomatic staff hostage. Using Crypto, the United States monitored Iran’s mullahs during the crisis. (Kaveh Kazemi/Getty Images)
    The program had limits. America’s main adversaries, including the Soviet Union and China, were never Crypto customers. Their well-founded suspicions of the company’s ties to the West shielded them from exposure, although the CIA history suggests that U.S. spies learned a great deal by monitoring other countries’ interactions with Moscow and Beijing.
    There were also security breaches that put Crypto under clouds of suspicion. Documents released in the 1970s showed extensive — and incriminating — correspondence between an NSA pioneer and Crypto’s founder. Foreign targets were tipped off by the careless statements of public officials including President Ronald Reagan. And the 1992 arrest of a Crypto salesman in Iran, who did not realize he was selling rigged equipment, triggered a devastating “storm of publicity,” according to the CIA history.
    But the true extent of the company’s relationship with the CIA and its German counterpart was until now never revealed.
    The German spy agency, the BND, came to believe the risk of exposure was too great and left the operation in the early 1990s. But the CIA bought the Germans’ stake and simply kept going, wringing Crypto for all its espionage worth until 2018, when the agency sold off the company’s assets, according to current and former officials.
    The company’s importance to the global security market had fallen by then, squeezed by the spread of online encryption technology. Once the province of governments and major corporations, strong encryption is now as ubiquitous as apps on cellphones.
    Even so, the Crypto operation is relevant to modern espionage. Its reach and duration helps to explain how the United States developed an insatiable appetite for global surveillance that was exposed in 2013 by Edward Snowden. There are also echoes of Crypto in the suspicions swirling around modern companies with alleged links to foreign governments, including the Russian anti-virus firm Kaspersky, a texting app tied to the United Arab Emirates and the Chinese telecommunications giant Huawei.
    This story is based on the CIA history and a parallel BND account, also obtained by The Post and ZDF, interviews with current and former Western intelligence officials as well as Crypto employees. Many spoke on the condition of anonymity, citing the sensitivity of the subject.
    It is hard to overstate how extraordinary the CIA and BND histories are. Sensitive intelligence files are periodically declassified and released to the public. But it is exceedingly rare, if not unprecedented, to glimpse authoritative internal histories of an entire covert operation. The Post was able to read all of the documents, but the source of the material insisted that only excerpts be published.
    Click any underlined text in the story to see an excerpt from the CIA history.
    The CIA and the BND declined to comment, though U.S. and German officials did not dispute the authenticity of the documents. The first is a 96-page account of the operation completed in 2004 by the CIA’s Center for the Study of Intelligence, an internal historical branch. The second is an oral history compiled by German intelligence officials in 2008.
    The overlapping accounts expose frictions between the two partners over money, control and ethical limits, with the West Germans frequently aghast at the enthusiasm with which U.S. spies often targeted allies.
    But both sides describe the operation as successful beyond their wildest projections. At times, including in the 1980s, Crypto accounted for roughly 40 percent of the diplomatic cables and other transmissions by foreign governments that cryptanalysts at the NSA decoded and mined for intelligence, according to the documents.
    All the while, Crypto generated millions of dollars in profits that the CIA and BND split and plowed into other operations.

    Crypto’s sign is still visible atop its longtime headquarters near Zug, Switzerland, though the company was liquidated in 2018. (Jahi Chikwendiu/The Washington Post)
    Crypto’s products are still in use in more than a dozen countries around the world, and its orange-and-white sign still looms atop the company’s longtime headquarters building near Zug, Switzerland. But the company was dismembered in 2018, liquidated by shareholders whose identities have been permanently shielded by the byzantine laws of Liechtenstein, a tiny European nation with a Cayman Islands-like reputation for financial secrecy.
    Two companies purchased most of Crypto’s assets. The first, CyOne Security, was created as part of a management buyout and now sells security systems exclusively to the Swiss government. The other, Crypto International, took over the former company’s brand and international business.
    Each insisted that it has no ongoing connection to any intelligence service, but only one claimed to be unaware of CIA ownership. Their statements were in response to questions from The Post, ZDF and Swiss broadcaster SRF, which also had access to the documents.
    CyOne has more substantial links to the now-dissolved Crypto, including that the the new company’s chief executive held the same position at Crypto for nearly two decades of CIA ownership.
    A CyOne spokesman declined to address any aspect of Crypto AG’s history, but said the new firm has “no ties to any foreign intelligence services.”
    Andreas Linde, the chairman of the company that now holds the rights to Crypto’s international products and business, said he had no knowledge of the company’s relationship to the CIA and BND before being confronted with the facts in this story.
    “We at Crypto International have never had any relationship with the CIA or BND — and please quote me,” he said in an interview. “If what you are saying is true, then absolutely I feel betrayed, and my family feels betrayed, and I feel there will be a lot of employees who will feel betrayed as well as customers.”
    The Swiss government announced on Tuesday that it was launching an investigation of Crypto AG’s ties to the CIA and BND. Earlier this month, Swiss officials revoked Crypto International’s export license.

    The CIA’s ‘coup of the century’

    The timing of the Swiss moves was curious. The CIA and BND documents indicate that Swiss officials must have known for decades about Crypto’s ties to the U.S. and German spy services, but intervened only after learning that news organizations were about to expose the arrangement.
    The histories, which do not address when or whether the CIA ended its involvement, carry the inevitable biases of documents written from the perspectives of the operation’s architects. They depict Rubicon as a triumph of espionage, one that helped the United States prevail in the Cold War, keep tabs on dozens of authoritarian regimes and protect the interests of the United States and its allies.
    The papers largely avoid more unsettling questions, including what the United States knew — and what it did or didn’t do — about countries that used Crypto machines while engaged in assassination plots, ethnic cleansing campaigns and human rights abuses.
    The revelations in the documents may provide reason to revisit whether the United States was in position to intervene in, or at least expose, international atrocities, and whether it opted against doing so at times to preserve its access to valuable streams of intelligence.
    Nor do the files deal with obvious ethical dilemmas at the core of the operation: the deception and exploitation of adversaries, allies and hundreds of unwitting Crypto employees. Many traveled the world selling or servicing rigged systems with no clue that they were doing so at risk to their own safety.

    Juerg Spoerndli is an electrical engineer who spent 16 years working at Crypto. Deceived employees said the revelations about the company have deepened a sense of betrayal, of themselves and customers. (Jahi Chikwendiu/The Washington Post)
    In recent interviews, deceived employees — even ones who came to suspect during their time at Crypto that the company was cooperating with Western intelligence — said the revelations in the documents have deepened a sense of betrayal, of themselves and customers.
    “You think you do good work and you make something secure,” said Juerg Spoerndli, an electrical engineer who spent 16 years at Crypto. “And then you realize that you cheated these clients.”
    Those who ran the clandestine program remain unapologetic.
    “Do I have any qualms? Zero,” said Bobby Ray Inman, who served as director of the NSA and deputy director of the CIA in the late 1970s and early 1980s. “It was a very valuable source of communications on significantly large parts of the world important to U.S. policymakers.”

    Boris Hagelin, the founder of Crypto, and his wife arrive in New York in 1949. Hagelin fled to the United States when the Nazis occupied Norway in 1940. (Bettmann Archive)

    A denial operation

    This sprawling, sophisticated operation grew out of the U.S. military’s need for a crude but compact encryption device.
    Boris Hagelin, Crypto’s founder, was an entrepreneur and inventor who was born in Russia but fled to Sweden as the Bolsheviks took power. He fled again to the United States when the Nazis occupied Norway in 1940.
    He brought with him an encryption machine that looked like a fortified music box, with a sturdy crank on the side and an assembly of metal gears and pinwheels under a hard metal case.
    It wasn’t nearly as elaborate, or secure, as the Enigma machines being used by the Nazis. But Hagelin’s M-209, as it became known, was portable, hand-powered and perfect for troops on the move. Photos show soldiers with the eight-pound boxes — about the size of a thick book — strapped to their knees. Many of Hagelin’s devices have been preserved at a private museum in Eindhoven, the Netherlands.

    Marc Simons and Paul Reuvers founded the Crypto Museum in Eindhoven, Netherlands. The virtual museum has preserved many of Hagelin’s devices. (Jahi Chikwendiu/The Washington Post)

    Hagelin’s M-209 encryption machine had a crank on the side and an assembly of metal gears and pinwheels under a hard metal case. Portable and hand-powered, it was used mainly for tactical messages about troop movements. (Jahi Chikwendiu/The Washington Post)
    Marc Simons and Paul Reuvers founded the Crypto Museum in Eindhoven, Netherlands. The virtual museum has preserved many of Hagelin’s devices. (Jahi Chikwendiu/The Washington Post) Hagelin’s M-209 encryption machine had a crank on the side and an assembly of metal gears and pinwheels under a hard metal case. Portable and hand-powered, it was used mainly for tactical messages about troop movements. (Jahi Chikwendiu/The Washington Post)
    Sending a secure message with the device was tedious. The user would rotate a dial, letter by letter, and thrust down the crank. The hidden gears would turn and spit out an enciphered message on a strip of paper. A signals officer then had to transmit that scrambled message by Morse code to a recipient who would reverse the sequence.
    Security was so weak that it was assumed that nearly any adversary could break the code with enough time. But doing so took hours. And since these were used mainly for tactical messages about troop movements, by the time the Nazis decoded a signal its value had likely perished.
    Over the course of the war, about 140,000 M-209s were built at the Smith Corona typewriter factory in Syracuse, N.Y., under a U.S. Army contract worth $8.6 million to Crypto. After the war, Hagelin returned to Sweden to reopen his factory, bringing with him a personal fortune and a lifelong sense of loyalty to the United States.
    Even so, American spies kept a wary eye on his postwar operations. In the early 1950s, he developed a more advanced version of his war-era machine with a new, “irregular” mechanical sequence that briefly stumped American code-breakers.
    Marc Simons, co-founder of Crypto Museum, a virtual museum of cipher machines, explains how secret messages were created using the Hagelin CX-52. (Stanislav Dobak/The Washington Post)
    Alarmed by the capabilities of the new CX-52 and other devices Crypto envisioned, U.S. officials began to discuss what they called the “Hagelin problem.”
    These were “the Dark Ages of American cryptology,” according to the CIA history. The Soviets, Chinese and North Koreans were using code-making systems that were all but impenetrable. U.S. spy agencies worried that the rest of the world would also go dark if countries could buy secure machines from Hagelin.
    The Americans had several points of leverage with Hagelin: his ideological affinity for the country, his hope that the United States would remain a major customer and the veiled threat that they could damage his prospects by flooding the market with surplus M-209s from the war.

    The U.S. Army’s Signals Intelligence Service was headed by William Friedman, center, in the mid-1930s. Other members, from left: Herrick F. Bearce, Solomon Kullback, U.S. Army Capt. Harold G. Miller, Louise Newkirk Nelson, seated, Abraham Sinkov, U.S. Coast Guard Lt. L.T. Jones and Frank B. Rowlett. (Fotosearch/Getty Images)
    The United States also had a more crucial asset: William Friedman. Widely regarded as the father of American cryptology, Friedman had known Hagelin since the 1930s. They had forged a lifelong friendship over their shared backgrounds and interests, including their Russian heritage and fascination with the complexities of encryption.
    There might never have been an Operation Rubicon if the two men had not shaken hands on the very first secret agreement between Hagelin and U.S. intelligence over dinner at the Cosmos Club in Washington in 1951.
    The deal called for Hagelin, who had moved his company to Switzerland, to restrict sales of his most sophisticated models to countries approved by the United States. Nations not on that list would get older, weaker systems. Hagelin would be compensated for his lost sales, as much as $700,000 up front.
    It took years for the United States to live up to its end of the deal, as top officials at the CIA and the predecessor to the NSA bickered over the terms and wisdom of the scheme. But Hagelin abided by the agreement from the outset, and over the next two decades, his secret relationship with U.S. intelligence agencies deepened.
    In 1960, the CIA and Hagelin entered into a “licensing agreement” that paid him $855,000 to renew his commitment to the handshake deal. The agency paid him $70,000 a year in retainer and started giving his company cash infusions of $10,000 for “marketing” expenses to ensure that Crypto — and not other upstarts in the encryption business — locked down contracts with most of the world’s governments.
    It was a classic “denial operation” in the parlance of intelligence, a scheme designed to prevent adversaries from acquiring weapons or technology that would give them an advantage. But it was only the beginning of Crypto’s collaboration with U.S. intelligence. Within a decade, the whole operation belonged to the CIA and BND.

    In 1967, Crypto released the H-460, an all-electronic machine whose inner workings were designed by the NSA. (Jahi Chikwendiu/The Washington Post)

    A brave new world

    U.S. officials had toyed since the outset with the idea of asking Hagelin whether he would be willing to let U.S. cryptologists doctor his machines. But Friedman overruled them, convinced that Hagelin would see that as a step too far.
    The CIA and NSA saw a new opening in the mid-1960s, as the spread of electronic circuits forced Hagelin to accept outside help adapting to the new technology, or face extinction clinging to the manufacturing of mechanical machines.
    NSA cryptologists were equally concerned about the potential impact of integrated circuits, which seemed poised to enable a new era of unbreakable encryption. But one of the agency’s senior analysts, Peter Jenks, identified a potential vulnerability.
    If “carefully designed by a clever crypto-mathematician,” he said, a circuit-based system could be made to appear that it was producing endless streams of randomly-generated characters, while in reality it would repeat itself at short enough intervals for NSA experts — and their powerful computers — to crack the pattern.
    Two years later, in 1967, Crypto rolled out a new, all-electronic model, the H-460, whose inner workings were completely designed by the NSA.
    The CIA history all but gloats about crossing this threshold. “Imagine the idea of the American government convincing a foreign manufacturer to jimmy equipment in its favor,” the history says. “Talk about a brave new world.”
    The NSA didn’t install crude “back doors” or secretly program the devices to cough up their encryption keys. And the agency still faced the difficult task of intercepting other governments’ communications, whether plucking signals out of the air or, in later years, tapping into fiber optic cables.
    But the manipulation of Crypto’s algorithms streamlined the code-breaking process, at times reducing to seconds a task that might otherwise have taken months. The company always made at least two versions of its products — secure models that would be sold to friendly governments, and rigged systems for the rest of the world.
    In so doing, the U.S.-Hagelin partnership had evolved from denial to “active measures.” No longer was Crypto merely restricting sales of its best equipment, but actively selling devices that were engineered to betray their buyers.
    The payoff went beyond the penetration of the devices. Crypto’s shift to electronic products buoyed business so much that it became addicted to its dependence on the NSA. Foreign governments clamored for systems that seemed clearly superior to the old clunky mechanical devices, but in fact were easier for U.S. spies to read.

    German and American partners

    By the end of the 1960s, Hagelin was nearing 80 and anxious to secure the future for his company, which had grown to more than 180 employees. CIA officials were similarly anxious about what would happen to the operation if Hagelin were to suddenly sell or die.
    Hagelin had once hoped to turn control over to his son, Bo. But U.S. intelligence officials regarded him as a “wild card” and worked to conceal the partnership from him. Bo Hagelin was killed in a car crash on Washington’s Beltway in 1970. There were no indications of foul play.
    U.S. intelligence officials discussed the idea of buying Crypto for years, but squabbling between the CIA and NSA prevented them from acting until two other spy agencies entered the fray.
    The French, West German and other European intelligence services had either been told about the United States’ arrangement with Crypto or figured it out on their own. Some were understandably jealous and probed for ways to secure a similar deal for themselves.
    In 1967, Hagelin was approached by the French intelligence service with an offer to buy the company in partnership with German intelligence. Hagelin rebuffed the offer and reported it to his CIA handlers. But two years later, the Germans came back seeking to make a follow-up bid with the blessing of the United States.
    In a meeting in early 1969 at the West German Embassy in Washington, the head of that country’s cipher service, Wilhelm Goeing, outlined the proposal and asked whether the Americans “were interested in becoming partners too.”
    Months later, CIA Director Richard Helms approved the idea of buying Crypto and dispatched a subordinate to Bonn, the West German capital, to negotiate terms with one major caveat: the French, CIA officials told Goeing, would have to be “shut out.”
    West Germany acquiesced to this American power play, and a deal between the two spy agencies was recorded in a June 1970 memo carrying the shaky signature of a CIA case officer in Munich who was in the early stages of Parkinson’s disease and the illegible scrawl of his BND counterpart.
    The two agencies agreed to chip in equally to buy out Hagelin for approximately $5.75 million, but the CIA left it largely to the Germans to figure out how to prevent any trace of this transaction from ever becoming public.
    A Liechtenstein law firm, Marxer and Goop, helped hide the identities of the new owners of Crypto through a series of shells and “bearer” shares that required no names in registration documents. The firm was paid an annual salary “less for the extensive work but more for their silence and acceptance,” the BND history says. The firm, now named Marxer and Partner, did not respond to a request for comment.
    A new board of directors was set up to oversee the company. Only one member of the board, Sture Nyberg, to whom Hagelin had turned over day-to-day management, knew of CIA involvement. “It was through this mechanism,” the CIA history notes, “that BND and CIA controlled the activities” of Crypto. Nyberg left the company in 1976. The Post and ZDF could not locate him or determine if he is still alive.
    The two spy agencies held their own regular meetings to discuss what to do with their acquisition. The CIA used a secret base in Munich, initially on a military installation used by American troops and later in the attic of a building adjacent to the U.S. Consulate, as the headquarters for its involvement in the operation.
    The CIA and BND agreed on a series of code names for the program and its various components. Crypto was called “Minerva,” which is also the title of the CIA history. The operation was at first code-named “Thesaurus,” though in the 1980s it was changed to “Rubicon.”
    Each year, the CIA and BND split any profits Crypto had made, according to the German history, which says the BND handled the accounting and delivered the cash owed to the CIA in an underground parking garage.
    From the outset, the partnership was beset by petty disagreements and tensions. To CIA operatives, the BND often seemed preoccupied with turning a profit, and the Americans “constantly reminded the Germans that this was an intelligence operation, not a money-making enterprise.” The Germans were taken aback by the Americans’ willingness to spy on all but its closest allies, with targets including NATO members Spain, Greece, Turkey and Italy.
    Mindful of the limitations to their abilities to run a high-tech company, the two agencies brought in corporate outsiders. The Germans enlisted Siemens, a Munich-based conglomerate, to advise Crypto on business and technical issues in exchange for five percent of the company’s sales. The United States later brought in Motorola to fix balky products, making it clear to the company’s CEO this was being done for U.S. intelligence. Siemens declined to comment. Motorola officials did not respond to a request for comment.
    To its frustration, Germany was never admitted to the vaunted “Five Eyes,” a long-standing intelligence pact involving the United States, Britain, Australia, New Zealand and Canada. But with the Crypto partnership, Germany moved closer into the American espionage fold than might have seemed possible in World War II’s aftermath. With the secret backing of two of the world’s premiere intelligence agencies and the support of two of the world’s largest corporations, Crypto’s business flourished.
    A table in the CIA history shows that sales surged from 15 million Swiss francs in 1970 to more than 51 million in 1975, or $19 million. The company’s payroll expanded to more than 250 employees.
    “The Minerva purchase had yielded a bonanza,” the CIA history says of this period. The operation entered a two-decade stretch of unprecedented access to foreign governments’ communications.

    Egyptian President Anwar Sadat and President Jimmy Carter meet during the Egyptian-Israeli peace negotiations at Camp David in September 1978. During the negotiations, the NSA was secretly monitoring Sadat’s communications back to Cairo. (White House/CNP/Getty Images)

    Iranian suspicions

    The NSA’s eavesdropping empire was for many years organized around three main geographic targets, each with its own alphabetic code: A for the Soviets, B for Asia and G for virtually everywhere else.
    By the early 1980s, more than half of the intelligence gathered by G group was flowing through Crypto machines, a capability that U.S. officials relied on in crisis after crisis.
    In 1978, as the leaders of Egypt, Israel and the United States gathered at Camp David for negotiations on a peace accord, the NSA was secretly monitoring the communications of Egyptian President Anwar Sadat back to Cairo.
    A year later, after Iranian militants stormed the U.S. Embassy and took 52 American hostages, the Carter administration sought their release in back-channel communications through Algeria. Inman, who served as NSA director at the time, said he routinely got calls from President Carter asking how the Ayatollah Khomeinei regime was reacting to the latest messages.
    “We were able to respond to his questions about 85 percent of the time,” Inman said. That was because the Iranians and Algerians were using Crypto devices.
    Inman said the operation also put him in one of the trickiest binds he’d encountered in government service. At one point, the NSA intercepted Libyan communications indicating that the president’s brother, Billy Carter, was advancing Libya’s interests in Washington and was on leader Moammar Gaddafi’s payroll.
    Inman referred the matter to the Justice Department. The FBI launched an investigation of Carter, who falsely denied taking payments. In the end, he was not prosecuted but agreed to register as a foreign agent.
    Throughout the 1980s, the list of Crypto’s leading clients read like a catalogue of global trouble spots. In 1981, Saudi Arabia was Crypto’s biggest customer, followed by Iran, Italy, Indonesia, Iraq, Libya, Jordan and South Korea.
    To protect its market position, Crypto and its secret owners engaged in subtle smear campaigns against rival companies, according to the documents, and plied government officials with bribes. Crypto sent an executive to Riyadh, Saudi Arabia, with 10 Rolex watches in his luggage, the BND history says, and later arranged a training program for the Saudis in Switzerland where the participants’ “favorite pastime was to visit the brothels, which the company also financed.”
    At times, the incentives led to sales to countries ill-equipped to use the complicated systems. Nigeria bought a large shipment of Crypto machines, but two years later, when there was still no corresponding payoff in intelligence, a company representative was sent to investigate. “He found the equipment in a warehouse still in its original packaging,” according to the German document.
    In 1982, the Reagan administration took advantage of Argentina’s reliance on Crypto equipment, funneling intelligence to Britain during the two countries’ brief war over the Falkland Islands, according to the CIA history, which doesn’t provide any detail on what kind of information was passed to London. The documents generally discuss intelligence gleaned from the operation in broad terms and provide few insights into how it was used.

    Plainclothes U.S. military officers walk around the scene of the bombing at the La Belle disco in West Berlin, which killed two U.S. soldiers and a Turkish woman in 1986. In an address, Reagan appears to have jeopardized the Crypto operation by citing evidence of Libya’s complicity in the attack. (Andreas Schoelzel/Associated Press)
    Reagan appears to have jeopardized the Crypto operation after Libya was implicated in the 1986 bombing of a West Berlin disco popular with American troops stationed in West Germany. Two U.S. soldiers and a Turkish woman were killed as a result of the attack.
    Reagan ordered retaliatory strikes against Libya 10 days later. Among the reported victims was one of Gaddafi’s daughters. In an address to the country announcing the strikes, Reagan said the United States had evidence of Libya’s complicity that “is direct, it is precise, it is irrefutable.”
    The evidence, Reagan said, showed that Libya’s embassy in East Berlin received orders to carry out the attack a week before it happened. Then, the day after the bombing, “they reported back to Tripoli on the great success of their mission.”
    Reagan’s words made clear that Tripoli’s communications with its station in East Berlin had been intercepted and decrypted. But Libya wasn’t the only government that took note of the clues Reagan had provided.
    Iran, which knew that Libya also used Crypto machines, became increasingly concerned about the security of its equipment. Tehran didn’t act on those suspicions until six years later.

    The irreplaceable man

    After the CIA and BND acquisition, one of the most vexing problems for the secret partners was ensuring that Crypto’s workforce remained compliant and unsuspecting.
    Even while hidden from view, the agencies went to significant lengths to maintain Hagelin’s benevolent approach to ownership. Employees were well-paid and had abundant perks including access to a small sailboat in Lake Zug near company headquarters.
    And yet, those who worked most closely with the encryption designs seemed constantly to be getting closer to uncovering the operation’s core secret. The engineers and designers responsible for developing prototype models often questioned the algorithms being foisted on them by a mysterious external entity.
    Crypto executives often led employees to believe that the designs were being provided as part of the consulting arrangement with Siemens. But even if that were so, why were encryption flaws so easy to spot, and why were Crypto’s engineers so routinely blocked from fixing them?
    In 1977, Heinz Wagner, the chief executive at Crypto who knew the true role of the CIA and BND, abruptly fired a wayward engineer after the NSA complained that diplomatic traffic coming out of Syria had suddenly became unreadable. The engineer, Peter Frutiger, had long suspected Crypto was collaborating with German intelligence. He had made multiple trips to Damascus to address complaints about their Crypto products and apparently, without authority from headquarters, had fixed their vulnerabilities.
    Frutiger “had figured out the Minerva secret and it was not safe with him,” according to the CIA history. Even so, the agency was livid with Wagner for firing Frutiger rather than finding a way to keep him quiet on the company payroll. Frutiger declined to comment for this story.

    Mengia Caflisch, circa 1990s. After she was hired by Crypto, Caflisch, a gifted electrical engineer, began probing the vulnerabilities of the company’s products. (Obtained by The Washington Post)
    U.S. officials were even more alarmed when Wagner hired a gifted electrical engineer in 1978 named Mengia Caflisch. She had spent several years in the United States working as a radio-astronomy researcher for the University of Maryland before returning to her native Switzerland and applying for a job at Crypto. Wagner jumped at the chance to hire her. But NSA officials immediately raised concerns that she was “too bright to remain unwitting.”
    The warning proved prescient as Caflisch soon began probing the vulnerabilities of the company’s products. She and Spoerndli, a colleague in the research department, ran various tests and “plaintext attacks” on devices including a teletype model, the HC-570, that was built using Motorola technology, Spoerndli said in an interview.
    “We looked at the internal operations, and the dependencies with each step,” Spoerndli said, and became convinced they could crack the code by comparing only 100 characters of enciphered text to an underlying, unencrypted message. It was an astonishingly low level of security, Spoerndli said in an interview last month, but far from unusual.
    “The algorithms,” he said, “always looked fishy.”
    In the ensuing years, Caflisch continued to pose problems. At one point, she designed an algorithm so strong that NSA officials worried it would be unreadable. The design made its way into 50 HC-740 machines rolling off the factory floor before company executives discovered the development and stopped it.
    “I just had an idea that something might be strange,” Caflisch said in an interview last month, about the origin of her suspicions. But it became clear that her probing wasn’t appreciated, she said. “Not all questions appeared to be welcome.”
    The company restored the rigged algorithm to the rest of the production run and sold the 50 secure models to banks to keep them out of the hands of foreign governments. Because these and other developments were so hard to defend, Wagner at one point told a select group of members of the research and development unit that Crypto “was not entirely free to do what it wanted.”
    The acknowledgment seemed to subdue the engineers, who interpreted it as confirmation that the company’s technology faced constraints imposed by the German government. But the CIA and BND became increasingly convinced that their routine, disembodied interference was unsustainable.
    Crypto had become an Oz-like operation with employees probing to see what was behind the curtain. As the 1970s came to a close, the secret partners decided to find a wizard figure who could help devise more advanced — and less detectable — weaknesses in the algorithms, someone with enough cryptological clout to tame the research department.
    The two agencies turned to other spy services for potential candidates before settling on an individual put forward by Sweden’s intelligence service. Because of Hagelin’s ties to the country, Sweden had been kept apprised of the operation since its outset.
    Kjell-Ove Widman, a mathematics professor in Stockholm, had made a name for himself in European academic circles with his research on cryptology. Widman was also a military reservist who had worked closely with Swedish intelligence officials.
    To the CIA, Widman had an even more important attribute: an affinity for the United States that he had formed while spending a year in Washington state as an exchange student.
    His host family had such trouble pronouncing his Swedish name that they called him “Henry,” a moniker he later used with his CIA handlers.
    Officials involved in Widman’s recruitment described it as almost effortless. After being groomed by Swedish intelligence officials, he was brought to Munich in 1979 for what was purported to be a round of interviews with executives from Crypto and Siemens.
    The fiction was maintained as Widman faced questions from a half-dozen men seated around a table in a hotel conference room. As the group broke for lunch, two men asked Widman to stay behind for a private conversation.
    “Do you know what ZfCh is?” asked Jelto Burmeister, a BND case officer, using the acronym for the German cipher service. When Widman replied that he did, Burmeister said, “Now, do you understand who really owns Crypto AG?”
    At that point, Widman was introduced to Richard Schroeder, a CIA officer stationed in Munich to manage the agency’s involvement in Crypto. Widman would later claim to agency historians that his “world fell apart completely” in that moment.
    If so, he did not hesitate to enlist in the operation.
    Without even leaving the room, Widman sealed his recruitment with a handshake. As the three men joined the rest of the group at lunch, a “thumbs up” signal transformed the gathering into a celebration.
    Crypto installed Widman as a “scientific advisor” reporting directly to Wagner. He became the spies’ hidden inside agent, departing Zug every six weeks for clandestine meetings with representatives of NSA and ZfCh. Schroeder, the CIA officer, would attend but tune out their technical babble.
    They would agree on modifications and work up new encryption schemes. Then Widman would deliver the blueprints to Crypto engineers. The CIA history calls him the “irreplaceable man,” and the “most important recruitment in the history of the Minerva program.”
    His stature cowed subordinates, investing him “with a technical prominence that no one in CAG could challenge.” It also helped deflect the inquiries of foreign governments. As Widman settled in, the secret partners adopted a set of principles for rigged algorithms, according to the BND history. They had to be “undetectable by usual statistical tests” and, if discovered, be “easily masked as implementation or human errors.”
    In other words, when cornered, Crypto executives would blame sloppy employees or clueless users.
    In 1982, when Argentina became convinced that its Crypto equipment had betrayed secret messages and helped British forces in the Falklands War, Widman was dispatched to Buenos Aires. Widman told them the NSA had probably cracked an outdated speech-scrambling device that Argentina was using, but that the main product they bought from Crypto, the CAG 500, remained “unbreakable.”
    “The bluff worked,” the CIA history says. “The Argentines swallowed hard, but kept buying CAG equipment.”
    Widman is long-retired now and living in Stockholm. He declined to comment. Years after his recruitment, he told U.S. officials that he saw himself as “engaged in a critical struggle for the benefit of Western intelligence,” according to the CIA document. “It was, he said, the moment in which he felt at home. This was his mission in life.”
    That same year, Hagelin, then 90 years old, became ill on a trip to Sweden and was hospitalized. He recovered well enough to return to Switzerland, but CIA officials became worried about Hagelin’s extensive collection of business records and personal papers at his office in Zug.
    Schroeder, with Hagelin’s permission, arrived with a briefcase and spent several days going through the files. To visitors, he was introduced as a historian interested in tracing Hagelin’s life. Schroeder pulled out the documents “that were incriminating,” according to the history, and shipped them back to CIA headquarters “where they reside to this day.”
    Hagelin remained an invalid until he died in 1983. The Post could not locate Wagner or determine whether he is still alive. Schroeder retired from the CIA more than a decade ago and teaches part-time at Georgetown University. When contacted by a reporter from The Post, he declined to comment.

    The Hydra crisis

    Crypto endured several money-losing years in the 1980s, but the intelligence flowed in torrents. U.S. spy agencies intercepted more than 19,000 Iranian communications sent via Crypto machines during that nation’s decade-long war with Iraq, mining them for reports on subjects such as Tehran’s terrorist links and attempts to target dissidents.
    Iran’s communications were “80 to 90 percent readable” to U.S. spies, according to the CIA document, a figure that would likely have plunged into the single digits had Tehran not used Crypto’s compromised devices.
    In 1989, the Vatican’s use of Crypto devices proved crucial in the U.S. manhunt for Panamanian leader Manuel Antonio Noriega. When the dictator sought refuge in the Apostolic Nunciature — the equivalent of a papal embassy — his whereabouts were exposed by the mission’s messages back to Vatican City.
    In 1992, however, the Crypto operation faced its first major crisis: Iran, belatedly acting on its long-standing suspicions, detained a company salesman.
    Hans Buehler, then 51, was considered one of the company’s best salesmen. Iran was one of the company’s largest contracts, and Buehler had traveled in and out of Tehran for years. There were tense moments, including when he was questioned extensively in 1986 by Iranian officials after the disco bombing and U.S. missile strikes on Libya.
    Six years later, he boarded a Swissair flight to Tehran but failed to return on schedule. When he didn’t show, Crypto turned for help to Swiss authorities and were told he had been arrested by the Iranians. Swiss consular officials allowed to visit Buehler reported that he was in “bad shape mentally,” according to the CIA history.
    Buehler was finally released nine months later after Crypto agreed to pay the Iranians $1 million, a sum that was secretly provided by the BND, according to the documents. The CIA refused to chip in, citing the U.S. policy against succumbing to ransom demands for hostages.
    Buehler knew nothing about Crypto’s relationship to the CIA and BND or the vulnerabilities in its devices. But he returned traumatized and suspicious that Iran knew more about the company he worked for than he did. Buehler began speaking to Swiss news organizations about his ordeal and mounting suspicions.

    William Friedman in Switzerland in 1957 with his wife and fellow cryptanalyst, Elizebeth Friedman, left, and Annie Hagelin, Boris Hagelin’s wife. (George C. Marshall Foundation)

    Boris Hagelin in 1972. (George C. Marshall Foundation)
    William Friedman in Switzerland in 1957 with his wife and fellow cryptanalyst, Elizebeth Friedman, left, and Annie Hagelin, Boris Hagelin’s wife. (George C. Marshall Foundation) Boris Hagelin in 1972. (George C. Marshall Foundation)
    The publicity brought new attention to long-forgotten clues, including references to a “Boris project” in Friedman’s massive collection of personal papers, which were donated to the Virginia Military Institute when he died in 1969. Among the 72 boxes delivered to Lexington, Va., were copies of his lifelong correspondence with Hagelin.
    In 1994, the crisis deepened when Buehler appeared on Swiss television in a report that also featured Frutiger, whose identity was concealed to viewers. Buehler died in 2018. Frutiger, the engineer who had been fired for fixing Syria’s encryption systems years earlier, did not respond to requests for comment.
    Michael Grupe, who had succeeded Wagner as chief executive, agreed to appear on Swiss television and disputed what he knew to be factual charges.“Grupe’s performance was credible, and may have saved the program,” the CIA history says. Grupe did not respond to requests for comment.
    Even so, it took several years for the controversy to die down. In 1995, the Baltimore Sun ran a series of investigative stories about the NSA, including one called “Rigging the Game,” that exposed aspects of the agency’s relationship with Crypto.
    The article reported NSA officials had traveled to Zug in the mid-1970s for secret meetings with Crypto executives. The officials were posing as consultants for a front company called “Intercomm Associates,” but then proceeded to introduce themselves by their real names — which were recorded on notes of the meeting kept by a company employee.
    Amid the publicity onslaught, some employees began to look elsewhere for work. And at least a half-dozen countries — including Argentina, Italy, Saudi Arabia, Egypt and Indonesia — either canceled or suspended their Crypto contracts.
    Astonishingly, Iran was not among them, according to the CIA file, and“resumed its purchase of CAG equipment almost immediately.”
    The main casualty of the “Hydra” crisis, the code name given to the Buehler case, was the CIA-BND partnership.
    For years, BND officials had recoiled at their American counterpart’s refusal to distinguish adversaries from allies. The two partners often fought over which countries deserved to receive the secure versions of Crypto’s products, with U.S. officials frequently insisting that the rigged equipment be sent to almost anyone — ally or not — who could be deceived into buying it.
    In the German history, Wolbert Smidt, the former director of the BND, complained that the United States “wanted to deal with the allies just like they dealt with the countries of the Third World.” Another BND official echoed that comment, saying that to Americans “in the world of intelligence there were no friends.”
    The Cold War had ended, the Berlin Wall was down, and the reunified Germany had different sensitivities and priorities. They saw themselves as far more directly exposed to the risks of the Crypto operation. Hydra had rattled the Germans, who feared the disclosure of their involvement would trigger European outrage and lead to enormous political and economic fallout.
    In 1993, Konrad Porzner, the chief of the BND, made clear to CIA Director James Woolsey that support in the upper ranks of the German government was waning, and that the Germans might want out of the Crypto partnership. On Sept. 9, the CIA station chief in Germany, Milton Bearden, reached an agreement with BND officials for the CIA to purchase Germany’s shares for $17 million, according to the CIA history.
    German intelligence officials rued the departure from an operation they had largely conceived. In the German history, senior intelligence officials blame political leaders for ending one of the most successful espionage programs the BND had ever been a part of.
    With their departure, the Germans were soon cut off from the intelligence that the United States continued to gather. Burmeister is quoted in the German history wondering whether Germany still belonged “to this small number of nations who are not read by the Americans.”
    The Snowden documents provided what must have been an unsettling answer, showing that U.S. intelligence agencies not only regarded Germany as a target, but monitored German Chancellor Angela Merkel’s cellphone.

    Alive and well

    The CIA history essentially concludes with Germany’s departure from the program, though it was finished in 2004 and contains clear indications that the operation was still underway.
    It notes, for example, that the Buehler case was “the most serious security breach in the history of the program,” but wasn’t fatal. “It did not cause its demise,” the history says, “and at the turn of the century Minerva was still alive and well.”
    In reality, the operation appears to have entered a protracted period of decline. By the mid-1990s, “the days of profit were long past,” and Crypto “would have gone out of business but for infusions from the U.S. government.”
    As a result, the CIA appears to have spent years propping up an operation that was more viable as an intelligence platform than a business enterprise. Its product line dwindled and its revenue and customer base shrank.
    But the intelligence kept coming, current and former officials said, in part because of bureaucratic inertia. Many governments just never got around to switching to newer encryption systems proliferating in the 1990s and beyond — and unplugging their Crypto devices. This was particularly true of less developed nations, according to the documents.
    Most of the employees identified in the CIA and BND histories are in their 70s or 80s, and some of them have died. In interviews in Switzerland last month, several former Crypto workers mentioned in the documents described feelings of unease about their involvement in the company.
    They were never informed of its true relationship to intelligence services. But they had well-founded suspicions and still wrestle with the ethical implications of their decisions to remain at a firm they believed to be engaged in deception.
    “Either you had to leave or you had to accept it in a certain way,” said Caflisch, now 75, who left the company in 1995 but continues to live on the outskirts of Zug in a converted weaving factory where she and her family for many years staged semiprofessional operas in the barn. “There were reasons I left,” she said, including her discomfort with her doubts at Crypto and her desire to be home more for her children. After the latest revelations, she said, “It makes me wonder whether I should have left earlier.”
    Spoerndli said he regrets his own rationalizations.
    “I told myself sometimes it may be better if the good guys in the United States know what is going on between these Third World dictators,” he said. “But it’s a cheap self-excuse. In the end, this is not the way.”
    Most of the executives directly involved in the operation were motivated by ideological purpose and declined any payment beyond their Crypto salaries, according to the documents. Widman was among several exceptions. “As his retirement drew near, his covert compensation was substantially increased,” the CIA history says. He was also awarded a medal bearing the CIA seal.
    After the BND’s departure, the CIA expanded its clandestine collection of companies in the encryption sector, according to former Western intelligence officials. Using cash amassed from the Crypto operation, the agency secretly acquired a second firm and propped up a third. The documents do not disclose any details about these entities. But the BND history notes that one of Crypto’s longtime rivals — Gretag AG, also based in Switzerland — was “taken over by an ‘American’ and, after a change of names in 2004, was liquidated.”
    Crypto itself hobbled along. It had survived the transitions from metal boxes to electronic circuits, going from teletype machines to enciphered voice systems. But it struggled to maintain its footing as the encryption market moved from hardware to software. U.S. intelligence agencies appear to have been content to let the Crypto operation play out, even as the NSA’s attention shifted to finding ways to exploit the global reach of Google, Microsoft, Verizon and other U.S. tech powers.
    In 2017, Crypto’s longtime headquarters building near Zug was sold to a commercial real estate company. In 2018, the company’s remaining assets — the core pieces of the encryption business started nearly a century earlier — were split and sold.
    The transactions seemed designed to provide cover for a CIA exit.
    CyOne’s purchase of the Swiss portion of the business was structured as a management buyout, enabling top Crypto employees to move into a new company insulated from the espionage risks and with a reliable source of revenue. The Swiss government, which was always sold secure versions of Crypto’s systems, is now CyOne’s only customer.
    Giuliano Otth, who served as CEO of Crypto AG from 2001 until its dismemberment, took the same position at CyOne after it acquired the Swiss assets. Given his tenure at Crypto, it is likely he was witting to the CIA ownership of the company, just as all of his predecessors in the job had been.
    “Neither CyOne Security AG nor Mr. Otth have any comments regarding Crypto AG’s history,” the company said in a statement.
    Crypto’s international accounts and business assets were sold to Linde, a Swedish entrepreneur, who comes from a wealthy family with commercial real estate holdings.
    In a meeting in Zurich last month, Linde said that he had been drawn to the company in part by its heritage and Hagelin connection, a past that still resonates in Sweden. Upon taking over operations, Linde even moved some of Hagelin’s historic equipment from storage into a display at the factory entrance.
    When confronted with evidence that Crypto had been owned by the CIA and BND, Linde looked visibly shaken, and said that during negotiations he never learned the identities of the company’s shareholders. He asked when the story would be published, saying he had employees overseas and voicing concern for their safety.
    In a subsequent interview, Linde said his company is investigating all the products it sells to determine whether they have any hidden vulnerabilities. “We have to make a cut as soon as possible with everything that has been linked to Crypto,” he said.
    When asked why he failed to confront Otth and others involved in the transaction about whether there was any truth to the long-standing Crypto allegations, Linde said that he had regarded these as “just rumors.”
    He said that he took assurance from the fact that Crypto continued to have substantial contracts with foreign governments, countries he assumed had tested the company’s products vigorously and would have abandoned them if they were compromised.
    “I even acquired the brand name, ‘Crypto,’ ” he said, underscoring his confidence in the company’s viability. Given the information now coming to light, he said, this “was probably one of the most stupid decisions I’ve ever made in my career.”
    The company’s liquidation was handled by the same Liechtenstein law firm that provided cover for Hagelin’s sale to the CIA and BND 48 years earlier. The terms of the 2018 transactions have not been disclosed, but current and former officials estimated their aggregate value at between $50 million and $70 million.
    For the CIA, the money would have been one final payoff from Minerva.



    Discours du Président Emmanuel Macron sur la stratégie de défense et de dissuasion devant les stagiaires de la 27ème promotion de l'école de guerre

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    Retrouvez le discours du Président Emmanuel Macron sur la stratégie de défense et de dissuasion devant les stagiaires de la 27ème promotion de l'école de guerre :


    Mesdames et messieurs les ministres,
    Mesdames et messieurs les élus,
    Monsieur le chef d’état-major des armées,
    Mesdames et messieurs les officiers généraux,
    Mesdames et messieurs les officiers supérieurs, auditeurs du Centre des Hautes Etudes Militaires et stagiaires de l’Ecole de Guerre,
    Mesdames et Messieurs,

    C’est un réel plaisir pour moi de me trouver aujourd’hui parmi vous au sein de cette prestigieuse Ecole de Guerre qui a formé tant de nos chefs militaires.
    Aussi curieux que cela puisse paraître, aucun chef de l’Etat n’est revenu ici depuis Charles de Gaulle. C’est d’ailleurs devant vos lointains prédécesseurs, aux premiers jours de la Vème République, dans un discours resté fameux, que le général de Gaulle avait annoncé le 3 novembre 1959, il y a maintenant 60 ans, la création de ce qu’il avait alors appelé la « force de frappe ».
    Le contexte stratégique a évidemment depuis profondément évolué et il me paraît important de venir partager avec vous, qui allez être appelés dans les prochaines années aux plus hauts postes de nos armées, quelques réflexions sur les fondamentaux de notre stratégie de défense.
    Il n’est pas besoin ici de rappeler que « la guerre est la continuation de la politique par d’autres moyens » comme le disait un auteur dont la fréquentation est recommandée sur ces bancs.
    C’est donc, pour reprendre votre dialectique militaire, à une analyse de situation, c’est-à-dire l’analyse du monde tel qu’il est et non du monde tel qu’on aimerait qu’il soit, que je voudrais aujourd’hui procéder avec vous, avant de vous exposer mon idée de manœuvre en tant que chef des armées.

    L’état du monde, je l’ai à plusieurs reprises déjà décrit tel que je le vois, et je dois dire que je partage avec l’écrivain Amin Maalouf le constat d’un dérèglement du monde et, je le cite : « l’inquiétude d’un adepte des Lumières, qui les voit vaciller, faiblir, et, en certains pays, sur le point de s’éteindre ».
    La dernière décennie que nous venons de vivre a vu les équilibres stratégiques, politiques, économiques, technologiques, énergétiques et militaires, largement remis en cause et nous voyons aujourd’hui poindre à nouveau ce qui pourrait mettre à mal la paix acquise après tant de drames sur notre continent.
    Alors que les défis globaux auxquels notre planète est confrontée devraient exiger un regain de coopération et de solidarité, nous faisons face à un délitement accéléré de l’ordre juridique international et des institutions qui organisent les relations pacifiques entre Etats.
    Ces phénomènes ébranlent le cadre de sécurité global et affectent, directement ou indirectement, notre stratégie de défense. Les risques, les menaces, se sont accrus et diversifiés. Leurs effets se sont accélérés, rapprochés de nous, jusqu’à nous toucher directement pour certains.
    Au lendemain de mon élection, la lutte contre le terrorisme a été ma première priorité. Elle le restera car un certain nombre de groupes terroristes se sont déclarés eux-mêmes comme nos ennemis. L’ennemi, c’est une menace qui se concrétise. Le califat territorial de Daech a depuis été détruit, mais les réseaux et l’idéologie terroriste djihadiste, alimentés au terreau des Etats faillis, continuent à chercher des failles dans nos sociétés, matérialisant l’existence d’un continuum entre la défense et la sécurité.
    Pourtant, il serait naïf et inconséquent de notre part de limiter l’ensemble des problématiques de défense et de sécurité à une seule menace, si prégnante soit-elle.
    En réalité, alors que nos concitoyens et nous-mêmes nous focalisons à juste titre sur la lutte antiterroriste, dans le même temps, le cours du monde continue de changer sous nos yeux.
    Nous sommes ainsi chaque jour confrontés aux conséquences de la mondialisation, directes ou indirectes, sur notre souveraineté et notre sécurité.

    La maîtrise des ressources et des flux, qu’ils soient matériels ou immatériels, constitue le ferment de nouvelles stratégies de puissance. La haute mer, les espaces aériens et exo- atmosphériques, le numérique, ces espaces communs qui s’interpénètrent et complexifient notre compréhension des enjeux, deviennent ou redeviennent des terrains de rapports de force et parfois de confrontation.
    Par leur dispersion géographique, leur simultanéité, leur complexité, ces évolutions étendent de facto le champ et les modalités des confrontations interétatiques possibles.
    Elles sont les symptômes au fond d’une époque de profondes ruptures que nous sommes en train de vivre. 
    La première rupture est d’ordre stratégique.
    Une nouvelle hiérarchie des puissances se dessine, au prix d’une compétition stratégique globale, désinhibée, porteuse pour l’avenir de risques d’incidents et d’escalade militaire non maîtrisée. Plusieurs tendances lourdes, prévisibles, sont à l’œuvre.
    • D’abord, la compétition globale engagée entre les Etats-Unis et la Chine est aujourd’hui un fait stratégique avéré, qui structure et structurera dorénavant les relations internationales.
    • Ensuite, la stabilité stratégique en Europe nécessite davantage que le confort d’une convergence transatlantique acquise avec les Etats-Unis. Notre sécurité dépend donc de notre capacité à nous investir de manière plus autonome à l’égard de notre voisinage à l’Est comme au Sud ;
    • Enfin, la frontière entre compétition et confrontation, qui nous permettait de distinguer le temps de paix du temps de crise ou de la guerre, est aujourd’hui profondément diluée. Elle laisse place à de multiples zones grises où, sous couvert d’asymétrie ou d’hybridité, se déploient des actions d’influence, de nuisance voire d’intimidation, qui pourraient dégénérer.
    Ces tendances lourdes ne peuvent être ignorées, par nous-mêmes, par l’ensemble des Européens, alors même que d’autres puissances sont engagées dans des programmes de réarmement, y compris nucléaire, et que ces dernières années ont été marquées par une accélération de ces programmes.
    Dans ce domaine, la multipolarité nucléaire actuelle n’a rien de comparable avec la logique qui prévalait lors de la Guerre froide. Contrairement à la France et à ses alliés, certains Etats optent sciemment pour des postures nucléaires opaques, voire agressives, incluant une dimension de chantage ou de recherche du fait accompli. Les équilibres dissuasifs entre puissances sont ainsi devenus plus instables.
    Avec la prolifération des missiles aux technologies plus avancées, nous sommes également confrontés à une situation inédite où des puissances régionales sont, ou vont être, en mesure de toucher directement le territoire de l’Europe.
    Enfin, le tabou de l’usage des armes chimiques a été brisé à de multiples reprises en Syrie, en Malaisie et jusqu’en Europe même.
    A l’évidence, cette rupture stratégique rendra encore plus exigeantes les conditions de nos engagements militaires futurs. En particulier, lorsqu’elles seront engagées pour décourager des agresseurs potentiels ou pour augmenter le coût de leurs actions, nos armées devront faire face à un durcissement sensible de leur environnement opérationnel.
    La deuxième rupture est d’ordre politique et juridique, je l’évoquais il y a un instant en creux dans mon introduction : c’est la crise du multilatéralisme et le recul du droit face aux rapports de force.
    L’idée même d’un ordre multilatéral fondé sur le droit, où le recours à la force est régulé, où les engagements sont respectés, où les droits créent des obligations qui s’appliquent à tous, cette idée-là est profondément remise en cause aujourd’hui.
    Cette déconstruction des normes internationales s’inscrit dans une logique assumée de compétition, où seules primeraient la loi du plus fort, la réalité du rapport de forces. Les plus cyniques vont jusqu’à se draper dans la légalité et un attachement de façade à l’ordre international, pour mieux les violer en toute impunité.
    Ces attitudes posent évidemment des questions fondamentales à nos démocraties. Pouvons-nous être les seuls à accepter de respecter les règles du jeu, les seuls dont la signature sur les engagements internationaux aurait encore une valeur ? Serait-ce aujourd’hui devenu une coupable naïveté ?
    La réalité c’est que ces enjeux restent essentiels pour l’immense majorité des Etats membres des Nations unies, pour lesquels le droit est protecteur et stabilisateur et qui aspirent à un ordre international qui renforce la sécurité et la paix.
    Aucun peuple ne peut trouver son intérêt dans l’affaiblissement du caractère universel des droits de l’Homme. Aucun peuple ne peut trouver son intérêt dans la remise en cause de l’autorité du droit international humanitaire, ou celle des différents régimes de non- prolifération, ou de la convention sur le droit de la mer ou encore du traité de l’espace.
    L’Europe elle-même est directement exposée aux conséquences de cette déconstruction. Regardons la situation actuelle : depuis le début des années 2000, c’est en effet l’ensemble de l’architecture de sécurité en Europe, difficilement bâtie après 1945 durant la Guerre froide, qui s’est trouvé progressivement fissuré, puis sciemment déconstruit brique par brique. Après le blocage des négociations sur les armements conventionnels, la fin, en 2019, du traité sur les forces nucléaires intermédiaires est le symbole de ce délitement.
    Les Européens doivent aujourd‘hui collectivement prendre conscience que, faute de cadre juridique, ils pourraient rapidement se trouver exposés à la reprise d’une course aux armements conventionnels, voire nucléaires, sur leur sol. Ils ne peuvent pas se cantonner à un rôle de spectateurs. Redevenir le terrain de la confrontation des puissances nucléaires non européennes ne serait pas acceptable. En tout cas, je ne l’accepte pas.
    Enfin, la troisième rupture est technologique.
    La technologie est en effet à la fois un enjeu, un perturbateur et un arbitre des équilibres stratégiques. Le déploiement de la 5G, le cloud pour stocker les données, ainsi que les systèmes d’exploitation sont aujourd’hui des infrastructures stratégiques dans le monde contemporain. Nous avons sans doute ces dernières années trop souvent considéré qu’il s’agissait là de solutions commerciales, de sujets simplement industriels ou marchands, alors que nous parlons là d’infrastructures stratégiques pour nos économies évidemment et pour nos armées.
    L’émergence de nouvelles technologies, comme l’intelligence artificielle, les applications de la physique quantique ou encore la biologie de synthèse, est porteuse de nombreuses opportunités, mais également source de futures instabilités.

    Porteur d’innovations sans limite, le numérique innerve tous les milieux physiques. Devenu lui-même un champ de confrontation à part entière, sa maîtrise exacerbe les rivalités entre puissances, qui y voient un moyen d’acquérir la supériorité stratégique. Il offre également des possibilités inédites de surveillance de masse des populations, d’exercice d’un autoritarisme numérique.
    En temps de crise, ces ruptures technologiques mettront davantage sous tension nos capacités d’analyse, de décision, tiraillées entre exhaustivité, véracité et réactivité. En ce sens, elles augmentent les risques de dérapage et appellent à la mise en place de mécanismes de déconfliction, robustes et transparents.
    Vous le voyez, les grandes ruptures de ce monde nous obligent à penser sans tabou ce que pourraient être les guerres de demain, étant bien conscients qu’en ce début de XXIème siècle « ni les hommes, ni les Etats n’ont dit adieu aux armes » pour reprendre les mots de Raymond Aron.
    Il y a tout d’abord les conflits inter-étatiques où des Etats tiers, agissant en soutien des différents belligérants, peuvent se retrouver face à face. C’est le cas aujourd’hui en Libye, en Irak ou en Syrie. L’opération Hamilton conduite avec les Etats-Unis et le Royaume-Uni en 2018 pour sanctionner l’usage prohibé d’armes chimiques par le régime syrien, a illustré de manière concrète cette imbrication accrue, ces risques d’escalade et la nécessité de canaux permanents de dialogue afin de les limiter.
    Il y a également la multiplication des zones de friction entre puissances, lorsqu’elles sont engagées dans des activités de démonstration, parfois à la limite de l’épreuve de force. C’est le cas en mer dans plusieurs zones contestées, de la Méditerranée aux mers de Chine en passant par le Golfe arabo-persique. C’est le cas sur terre lorsque s’y déploient des exercices massifs sans préavis. C’est le cas sous la mer, mais aussi dans les airs qui voient le retour des bombardiers stratégiques testant les défenses aériennes. C’est enfin le cas dans l’espace, devenu à son tour un milieu de confrontation, plus ou moins visible, mais tout à fait réelle et, dans l’espace numérique, de manière de plus en plus claire. 
    L’escalade de début janvier en Irak montre bien à cet égard que ces diverses situations « au contact » peuvent à tout moment déboucher sur une crise ouverte entre des Etats qui semblent avoir oublié la raison du « plus jamais la guerre !» pour un hypothétique « pourquoi pas la guerre ? ».
    Aujourd’hui, les théâtres de crise au Levant et en Libye sont aussi, et en raison de ces phénomènes que je viens de décrire, un véritable test pour la cohésion du P5, dont je souhaite qu’il puisse se réunir au sommet et démontrer sa capacité à assumer pleinement son mandat pour le maintien de la paix et de la sécurité internationale, mais également un test pour la solidarité de l’Alliance atlantique. C’est pour cette raison, que j’ai eu des mots durs, qui ont sonné comme un réveil, et que nous avons pu ainsi, après le Sommet de décembre dernier, engager une revue stratégique de l’OTAN, que je veux à la fois ambitieuse et opérationnelle.
    Comme à chaque fois que nous sommes confrontés à des défis historiques, notre réaction doit être la même : l’audace et l’ambition renouvelée. Nous devons sur ce sujet prendre nos responsabilités.
    Le choix qui se pose à nous est en effet celui d’une reprise en main de notre destin ou celui, renonçant à toute stratégie propre, d’un alignement sur quelque puissance que ce soit.
    C’est pourquoi un sursaut est nécessaire et la refondation de l’ordre mondial au service de la Paix doit être notre cap. La France et l’Europe y ont un rôle historique à jouer.

    Mesdames et Messieurs,
    Toute notre action doit être au service d’une ambition, celle de la Paix, tirant parti d’un multilatéralisme fort et efficace fondé sur le droit. 
    Au fond, il y a quatre piliers à cette stratégie, à mes yeux : la promotion du multilatéralisme qui fonctionne, le développement de partenariats stratégiques, la recherche d’autonomie européenne et la souveraineté nationale. Ces quatre éléments forment un tout, qui donne sa cohérence globale et son sens profond à notre stratégie de défense.
    D’abord, je le disais, nous avons besoin d’un multilatéralisme qui fonctionne. C’est par le multilatéralisme que nous répondrons collectivement aux problèmes qui s’imposent à tous.
    La France ne menace personne. Elle veut la paix, une paix solide, une paix durable. Elle n’a nulle part de visée expansionniste. Sa sécurité et celle de l’Europe supposent que les rapports internationaux restent régis par le droit, un droit accepté et respecté par tous.
    A ce titre, nous attendons des grands partenaires de l’Europe qu’ils œuvrent à préserver et renforcer le droit international, et non à l’affaiblir. La transparence, la confiance, la réciprocité sont la base de la sécurité collective.
    Car la stabilité stratégique, qui passe par la recherche de l’équilibre des forces au plus bas niveau possible, n’est plus aujourd’hui garantie. Derrière la crise des grands instruments de maîtrise des armements et de désarmement, ce sont bien la sécurité de la France et de l’Europe qui sont en jeu.
    Ce débat crucial ne doit pas se dérouler au-dessus de la tête des Européens, dans une relation directe et exclusive entre les Etats- Unis, la Russie et la Chine. Et je vois bien que c’est la tentation de quelques-uns, parfois des principaux intéressés.
    Pour les Européens, un multilatéralisme repensé, au service de la sécurité collective, conforme à nos principes fondateurs, doit articuler deux exigences, qui ne sont pas contradictoires si nous voulons garantir la paix : celle, d’une part, de la promotion d’un agenda international renouvelé pour la maîtrise des armements, et celle, d’autre part, d’un réel investissement européen en matière de défense.
    Ces exigences découlent directement de l’ambition de souveraineté et de liberté d’action que je porte pour l’Europe depuis mon élection. Elle est le pendant d’une relation transatlantique rééquilibrée, d’une alliance dans laquelle les Européens sont des partenaires crédibles, efficaces. Les Européens doivent pouvoir ensemble se protéger. Ils doivent pouvoir décider et agir seuls lorsque cela est nécessaire. Ils doivent le faire en n’oubliant jamais ce que l’Histoire leur a appris : la démocratie et le droit sans la force ne tiennent pas longtemps ! Ils doivent enfin utiliser de manière courante les mécanismes assurant leur solidarité.
    C’est pour cela que je suis convaincu que les Européens doivent d’abord et avant tout définir ensemble ce que sont leurs intérêts de sécurité et décider souverainement de ce qui est bon pour l’Europe.
    Ainsi, il ne peut y avoir de projet de défense et de sécurité des citoyens européens sans vision politique cherchant à favoriser la reconstruction progressive de la confiance avec la Russie.
    Ce projet, je le conduis avec exigence. J’attends de la Russie qu’elle soit un acteur constructif de notre sécurité commune. Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire de la situation actuelle, où le fossé s’accroît, le dialogue s’appauvrit, alors même que les enjeux de sécurité à traiter avec Moscou, eux, se multiplient.

    L’objectif principal - j’y suis revenu à plusieurs reprises - de ma démarche à l’égard de la Russie, c’est l’amélioration des conditions de la sécurité collective et de la stabilité de l’Europe. Ce processus s’étalera sur plusieurs années. Il demandera patience et exigence, et il sera conduit avec nos partenaires européens. Mais nous n’avons aucun intérêt à déléguer un tel dialogue ou nous enfermer dans la situation actuelle.
    Dans ce cadre, les Européens doivent également pouvoir proposer ensemble un agenda international de maîtrise des armements. En effet, je l’évoquais à l’instant, la fin du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, les incertitudes sur l’avenir du traité New Start, la crise du régime de maîtrise des armes conventionnelles en Europe laissent entrevoir d’ici 2021 la possibilité d’une pure compétition militaire et nucléaire, sans contraintes, comme nous n’en avons plus connu depuis la fin des années 1960. Je ne décris pas là un impossible ou un futur lointain. Simplement ce qui est en train de se faire depuis plusieurs années sous nos yeux. Les Européens doivent à nouveau comprendre les dynamiques d’escalade et chercher à les prévenir ou les empêcher par des normes claires, vérifiables. Car le droit doit ici servir notre sécurité, en cherchant à contraindre et limiter les armes et les comportements les plus déstabilisateurs d’adversaires potentiels.
    Il nous faut sur ce sujet une position très claire de l’Europe, qui tienne compte à la fois de l’évolution des armements contemporains, notamment russes, qui pourraient impacter notre sol, et des intérêts des Européens – de tous les Européens, y compris au Nord et au Centre de l’Europe. Car il faut bien le dire, les traités même en vigueur encore il y a quelques années ne protégeaient plus certains de nos partenaires. 
    Il convient enfin de repenser les priorités du désarmement. Trop longtemps, les Européens ont pensé qu’il suffisait de donner l’exemple et qu’en se désarmant, les autres Etats nous suivraient. Il n’en est rien ! Le désarmement ne peut être en soi un objectif : il doit d’abord améliorer les conditions de la sécurité internationale.
    Sur ces questions, la France mobilisera les partenaires européens les plus concernés, afin de poser les bases d’une stratégie internationale commune que nous pourrons proposer dans toutes les enceintes où l’Europe est active.
    Et la France, puissance nucléaire reconnue par le Traité de Non- Prolifération, membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, prendra ses responsabilités, en particulier en matière de désarmement nucléaire, comme elle l’a toujours fait.
    Dans la recherche de la paix, la France est attachée à la logique d’un désarmement qui serve la sécurité et la stabilité mondiale. Et elle a, à cet égard, un bilan unique au monde, conforme à ses responsabilités comme à ses intérêts, ayant démantelé de façon irréversible sa composante nucléaire terrestre, ses installations d’essais nucléaires, ses installations de production de matières fissiles pour les armes, et réduit la taille de son arsenal, aujourd’hui inférieure à 300 armes nucléaires. Toutes ces décisions sont cohérentes avec notre refus de toute course aux armements et le maintien du format de notre dissuasion nucléaire à un niveau de stricte suffisance.
    Ce bilan exemplaire donne à la France la légitimité pour réclamer aux autres puissances nucléaires des gestes concrets en direction d’un désarmement global, progressif, crédible et vérifiable.
    En matière de désarmement nucléaire, j’appelle ainsi tous les Etats à nous rejoindre autour d’un agenda simple, en application de l’article VI du TNP, autour de quatre points que nous connaissons :
    (i)    Le respect strict de la norme centrale que constitue le traité de non-prolifération nucléaire et la préservation de sa primauté à l’occasion de son 50ème anniversaire en 2020. Le TNP est le traité le plus universel au monde. Il est le seul traité à permettre de prévenir la guerre nucléaire tout en apportant à chacun les bénéfices des usages pacifiques de l’énergie nucléaire.
    (ii)    L’enclenchement à la Conférence du Désarmement de la négociation d’un traité d’interdiction de la production de matières fissiles pour les armes, ainsi que la préservation et l’universalisation du traité d’interdiction complète des essais nucléaires. Nous y sommes engagés.
    (iii)    La poursuite des travaux sur la vérification du désarmement nucléaire, que nous portons notamment avec l’Allemagne, car tout accord de désarmement n’est rien s’il ne peut pas être vérifié de façon robuste.
    (iv)    Enfin, le lancement de travaux concrets pour la réduction des risques stratégiques, car l’escalade non contrôlée d’un conflit local en guerre majeure est l’un des scénarios les plus préoccupants aujourd’hui, qu’une série de mesures simples et de bon sens pourrait efficacement conjurer.

    J’entends par ailleurs les appels à la « trilatéralisation » ou à la multilatéralisation des accords de maîtrise ou de réduction des arsenaux nucléaires.
    Les traités bilatéraux russo-américains correspondent à une histoire – celle de la Guerre froide - mais aussi à une réalité toujours actuelle, celle de la taille considérable des arsenaux encore détenus par Moscou et Washington, sans commune mesure avec ceux des autres Etats dotés d’armes nucléaires. A cet égard, il est essentiel que le traité New Start soit prolongé au-delà de 2021. 
    Mais après l’effondrement du traité FNI, la France souhaite, pour sa part, que des discussions élargies soient enclenchées, dans lesquelles l’Europe doit faire entendre sa voix et s’assurer que ses intérêts seront bien pris en compte dans une négociation sur un nouvel instrument à même d’assurer la stabilité stratégique sur notre continent. Soyons clair, si une négociation et un traité plus large sont possibles, nous les souhaitons. S’il est bloqué par certains, nous ne saurions rester à l’arrêt. Et les Européens doivent être parties prenantes et signataires du prochain traité car il s’agit de notre sol et d’une discussion qui ne doit pas passer par-dessus notre tête. 
    La France, au titre de ses responsabilités propres, est également prête à participer à des discussions qui rassembleraient les cinq Etats dotés d’armes nucléaires au sens du TNP, sur les priorités du désarmement nucléaire, le renforcement de la confiance et de la transparence sur les arsenaux et les stratégies nucléaires de chacun. Cette discussion devra viser à renforcer la stabilité entre Etats dotés et à réduire les risques d’escalade involontaire en cas de conflit.
    *
    Cette ambition de la France, puissance d’équilibre, au service de la paix et de la sécurité, ne saurait par ailleurs être mise en œuvre sans un réseau dense d’amitiés, de partenariats stratégiques et d’alliances, et une capacité diplomatique globale, car nos responsabilités et nos intérêts de sécurité sont mondiaux. C’est pour moi le deuxième pilier, que j’évoquais à l’instant, sur lequel je veux rapidement revenir.
    La France oui, est insérée dans un réseau de relations résultant de l’histoire et de la géographie. Dans ce cadre, elle continuera à développer et à approfondir des partenariats stratégiques sur tous les continents.
    Elle prend d’ailleurs aujourd’hui sa part dans toutes les grandes coalitions au Levant comme en Afrique. Mais nous avons aussi bâti ces dernières années des structures régionales nouvelles. Au Sahel, elle lutte avec détermination contre le terrorisme grâce à l’opération Barkhane avec ses partenaires internationaux et africains du G5. Le sommet de Pau le 13 janvier dernier a permis de clarifier le cadre de nos opérations et de confirmer l’engagement de chacun. C’est pour cela que j’ai décidé d’envoyer 600 soldats supplémentaires pour renforcer l’engagement de la France au service de la paix et de la sécurité dans cette région. C’est une véritable coalition que nous avons bâtie à Pau, dont l’armature sont la force Barkhane et le partenariat avec le G5 Sahel. Mais nous allons progressivement engager les puissances amies pour la sécurité collective de la région. Nous sommes au cœur de cette coalition nouvelle. Elle est stratégique pour l’Afrique, comme pour notre sécurité. 
    Puissance riveraine de l’Indo-Pacifique, la France entretient aussi des liens privilégiés avec l’Australie, l’Inde et le Japon pour préserver les souverainetés et la liberté de navigation dans cet espace géographique. Elle fait vivre au quotidien ses coopérations de défense, sa solidarité avec ses partenaires du golfe arabo- persique, méditerranéens ou du sud-est asiatique. Cet axe Indo-Pacifique que nous avons, ces deux dernières années, posé, expliqué, développé, consacre notre géographie, la réalité d’engagements militaires multiples que nous prenons depuis plusieurs années, des exercices inédits que nous conduisons dans la région, mais aussi une lecture du monde qu’il nous faut avoir. Nous sommes aussi une puissance Indo-Pacifique, avec des ressortissants, des bases, des intérêts. Notre capacité à assurer cette liberté dans la région, à défendre nos intérêts, à protéger les grands axes énergétiques et technologiques passe aussi par ce nouvel axe et ces nouvelles coopérations. 
    Il est évident qu’au cœur de ce réseau mondial, l’ensemble de nos partenaires européens et nos alliés nord-américains ont une place toute particulière sur laquelle je reviendrai.
    Je veux enfin, quand je parle de ses alliances et de ses partenariats stratégiques, souligner notre responsabilité dans le cadre commun qui est le nôtre, celui des Nations unies, et le rôle primordial des opérations de maintien de la paix.

    *
    Le troisième pilier de notre stratégie, en complément de la maîtrise des armements et des réseaux d’alliances, de partenariats et de relations diplomatiques, c’est l’ensemble des ambitions concrètes que nous voulons donner à la politique de sécurité et de défense de l’Europe.
    Pour longtemps encore, l’Europe, en matière de défense, ne pourra tirer sa force que des armées nationales. C’est une certitude et le redressement des budgets et des capacités de ces armées nationales doit être la priorité.
    En revanche, nous avons commencé, entre Européens, à élaborer concrètement les outils qui nous permettent de faire émerger une conscience commune, de défendre des intérêts partagés, et d’agir de façon autonome et solidaire chaque fois que cela sera nécessaire. Cette voie, c’est celle de la construction d’une liberté d’action européenne qui complète et renforce les souverainetés nationales.
    Il faut à cet égard dissiper ici un malentendu : la question pour les Européens n’est pas de savoir s’ils doivent se défendre avec ou sans Washington, ni de savoir si la sécurité des Etats-Unis se joue en Asie ou sur notre continent. La France participe naturellement à la communauté des nations alliées riveraines de l’océan Atlantique, dont elle partage les valeurs, les principes et les idéaux. Elle est fidèle à ses engagements dans l’Alliance atlantique, qui assure depuis 70 ans la stabilité et la sécurité collective de ses membres et de l’Europe. Et à ce titre, j’entends parfois beaucoup de bruit. Mais je préfère regarder les faits : la France est un acteur militaire crédible, qui est présent au combat sur le terrain et qui paie le prix du sang. Elle l’a prouvé récemment au Sahel, une fois encore. La France est un allié fiable et solidaire, y compris dans les coups durs. Elle l’a prouvé encore récemment en Syrie et en Irak. La France, enfin, est convaincue que la sécurité à long terme de l’Europe passe par une alliance forte avec les Etats- Unis. Je l’ai redit lors du sommet de l’OTAN à Londres, et la France en fait chaque jour l’expérience dans ses opérations.
    Mais notre sécurité passe aussi, inévitablement, par une plus grande capacité d’action autonome des Européens. Que le dire, l’assumer, le porter suscitent tant de réactions, tant de doutes, me surprend vraiment. Pour reprendre les mots du général de Gaulle, « aucune alliance ne peut être dissociée de l’effort entrepris par chacun de ses membres, pour son compte, à ses frais et en fonction des intérêts qui lui sont propres ». Oui, les vraies questions pour les Européens sont au fond plutôt les questions qu’ils doivent s’adresser à eux-mêmes, plutôt qu’aux Américains : pourquoi ont-ils diminué à ce point leur effort de défense depuis les années 90 ? Pourquoi ne sont-ils plus prêts à inscrire la défense parmi leurs priorités budgétaires et à faire pour cela les sacrifices nécessaires, alors même que les risques s’accumulent ? Pourquoi avons-nous aujourd’hui des débats si compliqués sur les montants à allouer au Fonds européen de défense que nous venons de créer – parce que c’est une question accessoire, dont d’autres se chargeraient pour nous ? Pourquoi y a-t-il de tels écarts entre les budgets et les capacités de défense des Etats européens, alors que les menaces auxquelles nous sommes exposés nous sont très largement communes ?
    Toutes ces questions, ce sont des questions à nous poser à nous, Européens. L’Europe doit se mettre en situation de pouvoir davantage garantir sa sécurité et agir dans son voisinage. Cet objectif d’action autonome, l’Union européenne se l’est, d’ailleurs, déjà fixé à elle-même. Imaginez, c’était au Conseil européen de Cologne, en…1999 ! Il est, aujourd’hui comme il y a vingt ans, parfaitement compatible avec le souhait que les Européens se réengagent et soient plus crédibles et efficaces dans l’OTAN. Ce rééquilibrage est d’ailleurs souhaité par les Etats-Unis.
    C’est pourquoi, les Européens doivent aujourd’hui assumer davantage cette Europe de la défense, ce pilier européen au sein de l’OTAN. Et je l’assume pleinement, sans état d’âme ! Je vous le dis très clairement : je considère que l’une de mes responsabilités est bien que cela ne reste pas lettre morte, comme ce fut le cas après 1999. L’OTAN et l’Europe de la défense sont les deux piliers de la sécurité collective européenne. Assumons-le ! Regardons les choses en face, entendons les Etats-Unis d’Amérique qui nous disent : « Dépensez pour votre sécurité davantage, je ne serai plus dans la durée votre garant de dernier ressort, votre protecteur. » Prenons nos responsabilités, enfin ! 

    Mais la liberté d’action européenne, la défense et la sécurité de l’Europe, ne peuvent reposer sur une approche uniquement militaire.
    Pour construire l’Europe de demain, nos normes ne peuvent être sous contrôle américain, nos infrastructures, nos ports et aéroports sous capitaux chinois et nos réseaux numériques sous pression russe.
    Il nous faut, au niveau européen, maîtriser nos infrastructures maritimes, énergétiques et numériques. Là aussi, nous nous sommes beaucoup trompés. Nous avons fini par penser, dans les années 90 et 2000, que l’Europe était devenue un gros marché, confortable, théâtre d’influence et de prédation à tout-va. Nous nous sommes même abandonnés entre européens, poussant tant de pays du Sud de notre Union Européenne, à laisser des investisseurs prendre ce que nous ne savions pas acheter, ce que nous poussions à privatiser, quand bien même, ces infrastructures étaient stratégiques. 
    Funeste erreur ! Nous devons pour ces infrastructures critiques, retrouver, au niveau européen, une vraie politique de souveraineté ! 
    C’est le cas pour les infrastructures 5G, le cloud, décisif pour le stockage des données, les systèmes d’exploitation, les réseaux de câbles sous-marins, systèmes névralgiques de notre économie mondialisée. Il nous faut au niveau européen, aussi, maitriser notre accès à l’espace et décider nous-mêmes des standards qui s’imposent à nos entreprises.
    Cette politique de normes, cette politique d’infrastructures stratégiques, est essentielle. Et elle l’est pour notre sécurité collective, notre capacité à agir.  Nous vivons dans le monde de l’interopérabilité, avec des équipements de plus en plus numérisés. Dépenser ce que nous dépensons pour avoir des équipements parfaits et remettre les infrastructures de connexion, entre nos équipements et nos pays, à d’autres, sans garantie, serait quand même une étrange naïveté.  Vous me permettrez de ne pas vouloir y participer. 
    La liberté d’action européenne passe par cette souveraineté économique et numérique. Les intérêts européens, qu’eux seuls sont à même de définir, doivent être entendus. C’est à l’Europe de définir le cadre de régulation qu’elle s’impose, car il s’agit à la fois de protéger les libertés individuelles, les données économiques de nos entreprises, au cœur de notre souveraineté, et notre capacité concrète opérationnelle à agir aussi de manière autonome. 
    Il nous faut également conforter l’indépendance technologique de l’Europe et sa capacité à anticiper les prochaines ruptures stratégiques. Il nous faut pour cela une base industrielle de défense autonome et compétitive, un effort résolu et massif d’innovation, la maîtrise de nos technologies de sécurité et la maitrise de nos exportations de défense.
    Tout cela aujourd’hui suppose un aggiornamento de l’approche européenne, de ces approches économiques et budgétaires pour que chacun en tire les conséquences. Nous ne sommes plus dans le monde des années 90 ! 
    La bonne utilisation de ces outils de souveraineté commune nécessite, d’abord et avant tout, bien évidemment des investissements, une politique industrielle, des standards de souveraineté, beaucoup plus forte et ambitieuse mais aussi la construction d’une culture stratégique partagée, car notre incapacité à penser ensemble nos intérêts souverains et à agir ensemble de façon convaincante met chaque jour en cause notre crédibilité en tant qu’Européens. Elle offre aux autres puissances la possibilité de nous diviser, de nous affaiblir.
    La construction de cette culture stratégique européenne partagée, c’est ce à quoi s’emploie la France, sur la base des importants progrès accomplis depuis, un peu plus de deux ans, et qui rendent, je le crois, d’ores et déjà, plus tangible la vision arrêtée en 1999 : le Fonds européen de défense, la coopération renforcée mais aussi l’Initiative européenne d’intervention que nous avons proposée, portée, voulue et qui se déploie. 
    Mesdames et messieurs,
    Pour que la France soit à la hauteur de son ambition européenne, à la hauteur aussi de son histoire, elle doit rester souveraine ou décider elle- même, sans les subir, les transferts de souveraineté qu’elle consentirait, tout comme les coopérations contraignantes dans lesquelles elle s’engagerait. Et c’est le quatrième pilier de la stratégie que je veux pour notre pays : une véritable souveraineté française.
    Cette volonté de souveraineté nationale n’est absolument pas incompatible avec notre volonté de développer les capacités européennes, je dirais même que c’est un prérequis indispensable. On coopère mieux quand on peut décider souverainement de coopérer. 
    Fondement de toute communauté politique, la défense est au cœur de notre souveraineté.
    Notre stratégie de défense se définit donc, d’abord et avant tout, par sa capacité à protéger nos concitoyens, à contribuer à la sécurité et à la paix de l’Europe et de ses approches.
    Mais elle ne s’y limite pas. Elle doit également nous donner la capacité de défendre nos intérêts souverains partout dans le monde, en lien avec notre géographie des outremers et avec la densité de nos partenariats stratégiques. Elle doit nous permettre d’assumer nos responsabilités dans le maintien de la paix et de la sécurité internationale. Elle doit nous mettre à l’abri d’un chantage, et ainsi préserver notre autonomie de décision. Elle doit nous permettre de tenir notre rang et notre influence parmi les nations. Elle doit, en somme, nous garantir la maitrise de notre destin.
    Au lendemain de la guerre froide, une vision idéaliste a accrédité l’idée que le monde était devenu moins dangereux et a conduit à réduire progressivement la part de notre richesse nationale consacrée à la défense. C’était, au fond, l’époque des dividendes de la Paix.
    Ce choix, cette réorganisation des priorités budgétaires, pouvait sembler justifié alors que des arsenaux considérables avaient été accumulés de part et d’autre du rideau de fer. Mais la grande erreur a sans doute été, en Europe uniquement, de le prolonger au cours des vingt dernières années, voire de l’accélérer pendant la crise financière, alors que d’autres puissances, majeures ou régionales, maintenaient voire renforçaient leurs efforts de défense.
    Au fond, les dix dernières années ont conduit à un décalage profond. Les européens ont continué de réduire, de réduire, de réduire, quand d’autres ont cessé de le faire, voire ont réinvesti, accélérant les mutations technologiques, accélérant leurs capacités propres. 
    Le format et les capacités de nos armées ont été directement impactés. Celles-ci étaient pourtant sollicitées, au même moment, de manière croissante, dans des opérations régionales de gestion de crise, toujours plus variées et plus éloignées. La nécessité de dimensionner les outils de défense en fonction de défis bien supérieurs, « de haut du spectre », était alors souvent oubliée.
    Ce double effet de ciseau a conduit à un décalage croissant entre le niveau de nos capacités militaires et la réalité de l’évolution de l’environnement international tel que je viens de vous le décrire.
    C’est pourquoi, afin d’arrêter la lente érosion de nos capacités militaires et de les adapter à ce nouvel environnement stratégique, j’ai décidé qu’un effort budgétaire inédit serait accompli dans le domaine de la défense. C’est un effort majeur et durable, je l’assume pleinement devant la Nation. 
    Je vous le redis, très clairement, aujourd’hui. J’entends, parfois, je suis étonné de cela, des doutes, des remises en question, des désirs de révision. Soyons clairs, les sujets dont nous parlons sont trop stratégiques et importants. Il faut que les mots prononcés soient suivis d’actes en conformité et que la durée soit au rendez-vous, car nous parlons là de programmes de long-terme. Ce sur quoi j’ai engagé notre nation sera tenu dans la durée avec force. Que nul ne perde d’énergie à chercher à le revisiter. 
    Mais le budget n’est qu’un indicateur de l’effort consenti. Pour la défense, comme pour les autres domaines de l’action publique, ce n’est pas en priorité le prisme budgétaire qui doit nous guider. Car cet effort n’est rien s’il ne se met pas au service d’une vision stratégique.
    Ce qui doit nous guider, c’est bien la réalité des menaces d’aujourd’hui et de demain pour la France et les Français, pour l’Europe et les Européens. C’est le juste équilibre à conserver entre gestion du court terme et prise en compte du temps long. C’est l’anticipation des menaces à venir et l’adaptation continue aux nouveaux modes de conflictualités. C’est ce que nous voulons préserver en national et ce que nous choisissons librement de faire en coopération avec nos partenaires.
    Pour répondre à ces exigences, il faut à la France un outil de défense complet, moderne, puissant, équilibré, mis en œuvre par des armées réactives et tournées vers l’avenir.
    Nous pouvons être fiers de nos armées. Notre outil de défense doit en effet nous permettre de relever trois grands défis :
    • Il s’agit tout d’abord, naturellement, de protéger nos concitoyens, notre territoire, ses approches aériennes et maritimes, contre tous les types de menaces et d’agression. C’est le fondement premier de notre existence en tant que nation et l’essence même de notre souveraineté. Au quotidien, cet objectif réunit le soldat de l’opération Sentinelle, la frégate de surveillance et la patrouille de défense aérienne. En surplomb, dans le cadre de la posture permanente de dissuasion, la veille silencieuse des équipages de nos SNLE et des forces aériennes stratégiques garantit chaque jour la protection du territoire et de la population et, au-delà, celle de nos intérêts vitaux.
      Responsable devant la Nation de la sécurité de notre pays et de son avenir, j’ai la responsabilité de protéger la France et les Français contre toute menace d’origine étatique contre nos intérêts vitaux, d’où qu’elle vienne et quelle qu’en soit la forme.
      Cette responsabilité ultime, au cœur de la fonction présidentielle, je l’assume chaque jour avec la plus grande détermination. Elle s’exerce par la dissuasion nucléaire. Cet exercice de la dissuasion, tout comme la transparence et la confiance que nous devons à la communauté internationale en tant qu« Etat doté » au sens du TNP – nécessite une doctrine strictement défensive, claire et prévisible, dont je veux ici rappeler les principaux fondements.
      Si d’aventure un dirigeant d’Etat venait à mésestimer l’attachement viscéral de la France à sa liberté et envisageait de s’en prendre à nos intérêts vitaux, quels qu’ils soient, il doit savoir que nos forces nucléaires sont capables d’infliger des dommages absolument inacceptables sur ses centres de pouvoir, c’est-à-dire sur ses centres névralgiques, politiques, économiques, militaires.
      Nos forces nucléaires ont été configurées pour cela avec la flexibilité et la réactivité nécessaires. En cas de méprise sur la détermination de la France à préserver ses intérêts vitaux, un avertissement nucléaire, unique et non renouvelable, pourrait être délivré à un agresseur étatique pour signifier clairement que le conflit vient de changer de nature et rétablir la dissuasion.
      Dans ce cadre, la France s’appuie au quotidien sur les deux composantes de ses forces nucléaires, qui sont complémentaires. J’ai pris et je continuerai à prendre les décisions nécessaires au maintien de leur crédibilité opérationnelle dans la durée, au niveau de stricte suffisance requis par l’environnement international.
    • Mais notre territoire, comme celui de l’Europe, n’est pas isolé du monde. C’est à mes yeux, le deuxième défi sur lequel je voulais revenir. En effet, nous vivons au rythme des crises qui agitent notre environnement direct. Nous subissons les conséquences de ces crises qui troublent des régions ou des mers plus lointaines, rendues toujours plus proches par les flux économiques et les échanges humains. Pour défendre nos intérêts de sécurité, nous devons donc relever le deuxième défi que représentent, d’une part la faillite des Etats qui laisse des sociétés entières en proie à la violence et aux bandes armées, et d’autre part, le désordre qui gagne les espaces communs, qu’ils soient océaniques, exo- atmosphériques ou cyber.
      C’est pourquoi, dans le respect du droit international et de nos responsabilités de membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations unies, nos armées contribuent chaque jour, par le stationnement de nos forces de présence et de nos forces de souveraineté outre-mer comme par nos opérations extérieures, à la prévention des crises et à la stabilisation des régions où progresse le chaos.
      J’ai souhaité également que la France renforce ses capacités dans les nouveaux champs de confrontation. Au-delà du renseignement, de la cyberdéfense pour laquelle un investissement est en cours dans la durée, la défense spatiale sera renforcée et réorganisée au sein d’un nouveau commandement spatial rattaché à l’armée de l’air. Quant à l’intelligence artificielle, elle est l’une des priorités de la nouvelle Agence d’Innovation de la Défense.
      Terrain d’expression de la rivalité stratégique des Etats, certaines crises régionales représentent aujourd’hui autant d’hypothèses crédibles, mais pas exclusives, dans lesquelles nous pourrions, pour la première fois depuis longtemps, devoir relever un troisième défi, celui d’avoir à affronter directement, dans une escalade non maitrisée, une puissance hostile, éventuellement dotée de l’arme nucléaire ou alliée à une puissance possédant des armes de destruction massive.
    • Ce troisième défi, c’est le résultat très concret des transformations de la menace que j’évoquais tout à l’heure.  La prise d’un gage territorial, la déstabilisation d’un de nos alliés ou partenaires stratégiques, la remise en cause de fondements entiers du droit international ne sont plus seulement des scénarios du passé. Ils pourraient, demain, justifier l’engagement aux côtés de nos alliés de nos forces terrestres, navales ou aériennes dans un conflit majeur pour défendre la sécurité collective, le respect du droit international et la paix.
      A cet égard, notre stratégie de défense est un tout cohérent : forces conventionnelles et forces nucléaires s’y épaulent en permanence. Dès lors que nos intérêts vitaux sont susceptibles d’être menacés, la manœuvre militaire conventionnelle peut s’inscrire dans l’exercice de la dissuasion. La présence de forces conventionnelles robustes permet alors d’éviter une surprise stratégique, d’empêcher la création rapide d’un fait accompli ou de tester au plus tôt la détermination de l’adversaire, en le forçant à dévoiler de facto ses véritables intentions. Dans cette stratégie, notre force de dissuasion nucléaire demeure, en ultime recours, la clé de voûte de notre sécurité et la garantie de nos intérêts vitaux. Aujourd’hui comme hier, elle garantit notre indépendance, notre liberté d’appréciation, de décision et d’action. Elle interdit à l’adversaire de miser sur le succès de l’escalade, de l’intimidation ou du chantage.
    En tant que chef de l’Etat, je suis le garant du temps long, parce que ma responsabilité de chef des armées est de prémunir notre Nation des menaces, en fixant l’horizon à plusieurs dizaines d’années.
    La dissuasion nucléaire a joué un rôle fondamental dans la préservation de la paix et de la sécurité internationale, notamment en Europe. Je suis intimement persuadé que notre stratégie de dissuasion conserve toutes ses vertus stabilisatrices, et demeure un atout particulièrement précieux dans le monde de compétition des puissances, de désinhibition des comportements et d’érosion des normes qui aujourd’hui se dessine sous nos yeux.
    La stratégie nucléaire de la France, dont je rappelais tout à l’heure les bases doctrinales, vise fondamentalement à empêcher la guerre.
    Nos forces nucléaires ne sont dirigées contre aucun pays et la France a toujours refusé que l’arme nucléaire puisse être considérée comme une arme de bataille. Je réaffirme ici que la France ne s’engagera jamais dans une bataille nucléaire ou une quelconque riposte graduée.
    Par ailleurs, nos forces nucléaires jouent un rôle dissuasif propre, notamment en Europe. Elles renforcent la sécurité de l’Europe par leur existence même et à cet égard ont une dimension authentiquement européenne.
    Sur ce point, notre indépendance de décision est pleinement compatible avec une solidarité inébranlable à l’égard de nos partenaires européens. Notre engagement pour leur sécurité et leur défense est l’expression naturelle de notre solidarité toujours plus étroite. Soyons clairs : les intérêts vitaux de la France ont désormais une dimension européenne.
    Dans cet esprit, je souhaite que se développe un dialogue stratégique avec nos partenaires européens qui y sont prêts sur le rôle de la dissuasion nucléaire française dans notre sécurité collective.

    Les partenaires européens qui souhaitent s’engager sur cette voie pourront être associés aux exercices des forces françaises de dissuasion. Ce dialogue stratégique et ces échanges participeront naturellement au développement d’une véritable culture stratégique entre Européens.
    Nos forces nucléaires évidemment contribuent également de manière significative au renforcement global de la dissuasion de l’Alliance atlantique, aux côtés des forces britanniques et américaines. La France ne participe pas aux mécanismes de planification nucléaire de l’Alliance et n’y participera pas plus à l’avenir. Mais elle continuera à nourrir la réflexion de niveau politique visant à renforcer la culture nucléaire de l’Alliance.
    Seules puissances nucléaires européennes, la France et le Royaume-Uni ont dès 1995 affirmé clairement qu’ils n’imaginaient pas de situation dans laquelle les intérêts vitaux de l’un des deux pays pourraient être menacés sans que les intérêts vitaux de l’autre ne le soient aussi.
    Je veux aujourd’hui réaffirmer solennellement ce constat. Le haut niveau de confiance mutuelle, consacré par les traités de Lancaster House de 2010, dont nous célébrons cette année le dixième anniversaire, se traduit au quotidien dans une coopération inédite sur les sujets nucléaires. Nous la poursuivrons avec détermination et le Brexit n’y change rien.
    Mesdames et Messieurs,
    Avant de conclure, je voudrais prendre encore quelques instants pour approfondir devant vous la réflexion sur le sens de la stratégie de dissuasion dans le monde d’aujourd’hui.
    Il faut tout d’abord, sur ce sujet, reconnaître l’existence d’un débat éthique autour des armes nucléaires, qui n’est pas nouveau et auquel le Pape François a très récemment contribué lors de son déplacement à Hiroshima.

    Il y a aussi un débat juridique et stratégique : face à un environnement international dégradé, certains, y compris en Europe, se sont engagés récemment dans une approche prohibitionniste, fondée en grande partie sur un impératif absolu et un raisonnement stratégique simple : pour supprimer la peur, pour supprimer la guerre, il suffirait de supprimer les armes nucléaires !
    Je respecte très profondément les considérations qui se sont exprimées. Mais pour sa part, la France, Etat doté, qui porte la responsabilité du maintien de la paix et de la sécurité internationales, ne partage qu’en partie cette vision de la réalité de notre monde. Je souhaite vous exposer ma vision des équilibres sur lesquels repose le Traité de Non- Prolifération et les raisonnements éthiques qu’il convient d’appliquer pour préserver la paix.
    L’objectif ultime d’élimination complète des armes nucléaires dans le cadre du désarmement général et complet figure dans le préambule du TNP. Mais dans la réalité de notre monde, les avancées vers cet objectif ne peuvent être que progressives, et fondées sur une perception réaliste du contexte stratégique.
    Faute de disposer d’une recette pour faire disparaître rapidement les armes nucléaires de notre monde, les promoteurs de l’abolition s’attaquent au fond à la légitimité de la dissuasion nucléaire et avant tout, disons-le, là où cela est le plus facile, c’est-à-dire dans nos démocraties européennes.
    Or j’estime que le choix n’est pas entre d’une part un absolu moral sans lien avec les réalités stratégiques, et d’autre part un retour cynique au seul rapport de forces sans le droit.
    Pour ma part, je ne tomberai pas dans le piège de cette fausse alternative. Elle est déstabilisante pour l’architecture de sécurité internationale et n’est pas à la hauteur des ambitions que porte la France pour la paix, le multilatéralisme et le droit.

    Ma responsabilité est d’assurer la sécurité de notre pays, dans le respect de ses engagements internationaux, en particulier ceux du TNP.
    Mais cela ne signifie pas pour autant que la France renonce aux questionnements éthiques s’agissant de l’arme nucléaire. Une démocratie doit se poser la question des finalités de sa politique de dissuasion nucléaire, porteuse de dilemmes moraux et de paradoxes.
    Il faut pour cela saisir la dissuasion dans la totalité de ses aspects, ce qui suppose de la replacer dans un cadre politique plus large, relatif à notre vision de l’ordre mondial.
    L’arme nucléaire a fait pénétrer en 1945 l’humanité dans un nouvel âge, en lui donnant au fond les moyens de sa propre destruction et en lui faisant prendre ainsi conscience de l’unité de son destin. Sa diffusion a été limitée en 1968 par le traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, photographie en quelque sorte du monde nucléaire de l’époque – il constate l’existence de cinq Etats dotés d’armes – et qui, à de rares exceptions près, a tenu. Ce faisant, la détention de l’arme nucléaire confère aux responsables politiques des pays concernés une responsabilité d’une ampleur morale sans précédent dans l’histoire. S’agissant de la France, j’assume pleinement cette responsabilité.
    Nous n’avons pas d’autre choix que de nous confronter à l’imperfection du monde et d’affronter, avec réalisme et honnêteté, les problèmes qu’il nous pose.
    Je ne peux ainsi donner à la France comme objectif moral le désarmement des démocraties face à des puissances voire des dictatures qui, elles, conserveraient ou développeraient leurs armes nucléaires.
    Un désarmement nucléaire unilatéral équivaudrait pour un Etat doté comme le nôtre à s’exposer et à exposer ses partenaires à la violence et au chantage, ou à s’en remettre à d’autres pour assurer sa sécurité.
    Je refuse cette perspective. Et ne soyons pas naïfs : un décrochage de la France, dont l’arsenal ne peut en aucun cas être comparé à celui des Etats-Unis ou de la Russie, n’aurait pas le moindre effet d’entraînement sur les autres puissances nucléaires.
    Dans le même esprit, la France n’adhérera pas à un traité d’interdiction des armes nucléaires. Ce traité ne créera aucune obligation nouvelle pour la France, ni pour l'Etat, ni pour les acteurs publics ou privés sur son territoire.
    Le désarmement n’a en réalité de sens que s’il s’inscrit dans un processus historique de limitation de la violence.
    La stratégie de dissuasion y contribue déjà, même de façon paradoxale. Dans la dissuasion telle que la France la pratique, c’est bien la possibilité de dommages inacceptables pour un adversaire potentiel qui, sans même que la menace en soit proférée, restreint la violence effective.
    Reconnaissons cependant que cette rationalité dissuasive ne suffit pas à fonder la paix, au sens plein du terme, c’est-à-dire un état qui ne soit pas une simple inhibition de la violence, mais bien une véritable coopération et une concorde entre tous.
    Notre objectif doit être d’œuvrer à l’instauration d’un ordre international différent, avec un gouvernement du monde efficace capable d’établir le droit et de le faire respecter.
    Cet objectif de transformation de l’ordre international n’est pas seulement un idéal. Il dessine dès à présent un chemin politique et stratégique qui doit nous permettre de progresser concrètement.
    Pour ce faire, il est indispensable de circonscrire le rôle de la dissuasion aux circonstances extrêmes de légitime défense.
    Les armes nucléaires ne doivent pas être conçues comme des outils d’intimidation, de coercition ou de déstabilisation. Elles doivent rester des instruments de dissuasion à des fins d’empêchement de la guerre.
    La doctrine nucléaire de la France s’inscrit strictement dans ce cadre.
    J’appelle les dirigeants des autres puissances nucléaires à faire preuve de la même transparence dans leur doctrine de dissuasion et à renoncer à toute tentation d’instrumentalisation de cette stratégie à des fins coercitives ou d’intimidation.
    Voici, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire aujourd’hui sur la place de la France dans le monde, sur son ambition européenne, sur sa stratégie de défense et de dissuasion.
    Regardons notre avenir avec lucidité et détermination.

    Lucidité, parce que nous ne pouvons faire comme si la mondialisation et les progrès technologiques ne bouleversaient pas les modèles issus du passé. Plus que jamais notre réflexion stratégique doit s’adapter aux soubresauts de notre environnement, tout en s’inscrivant dans le temps long. Ayons le courage de regarder le monde tel qu’il est, tel qu’il va évoluer. Il n’y a pas de fatalité, mais il peut y avoir des erreurs historiques à ne pas vouloir le regarder.
    Détermination également : détermination à rester la France, la France fière de son Histoire, la France fière de ses valeurs et respectueuse de ses engagements. La France farouchement attachée à rester maitresse de son destin, au sein d’une Europe refondée pour le bien commun.
    Vive la République et vive la France !


    Ungaria ultimilor 30 ani din perspectiva unui ungur socialist nationalist

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    Interview with Gyula Thürmer, chairman of Munkáspárt (Hungarian communist party): “With Kádár gone, Soros arrived.”
    Gyula Thürmer, having completed his studies and worked for the Communist Hungary’s diplomatic services in Moscow, was a close associate of János Kádár, dealing essentially with international relations. He then became an advisor to Károly Grósz, who succeeded Kádár at the head of the party in 1988. During the period of regime change, Thürmer was at the head of Magyar Szocialista Munkáspárt (MSzMP – the Hungarian Socialist Workers Party), the party that governed Hungary between 1956 and 1989. Presided over by Gyula Thürmer since 1989, the Magyar Szocialista Munkáspárt changed its name to Munkáspárt (Workers’ Party) in 1993 and then to Magyar Kommunista Munkáspárt from 2005. In 2013, following the ban on the use of references relating to the totalitarian regimes of the 20th century, the party’s name changed once more to become Magyar Munkáspárt. The Munkáspárt secured substantial scores in the 1990s, peaking at 4% of votes casted, before suffering a split in 2006 and then disappearing in political oblivion (never earning more than 1% of the vote thereafter). Along a national communist political line, the Munkáspárt was the only left-wing party that supported the government’s position against migrant quotas during the October 2016. In this interview granted to TV Libertés and the Visegrád Post, Gyula Thürmer recalls this decisive period of Hungarian history and shares his thoughts on the current situation in Hungary and his support for some of Viktor Orbán’s policies.
    Yann Caspar:Mr. Thürmer, if my information is correct, you met János Kádár for the last time in February 1989. At that time he was no longer in power, so Károly Grósz and Miklós Németh played a big role. You were then the senior advisor to Károly Grósz. Could you briefly report on this meeting and, perhaps more importantly, explain to us in what political context it took place?
    Gyula Thürmer: We have to go back thirty years. All this happened at the end of the 1980s. In 1985, János Kádár (1912-1989), who was already an elderly politician, thought that a change was necessary and was looking for a successor. It is very difficult to find a successor in a system that is strongly linked to a single person, and Kádár did not succeed right away. Finally, in 1988 he decided to entrust this role to Prime Minister Károly Grósz. A party congress was held: Kádár gave up his functions and was appointed party chairman, and Károly Grósz was elected Secretary General. In this situation, it seemed that the power was being shared by two people: János Kádár was the President of the party, and Károly Grósz the General Secretary. It seemed possible to keep the ideas alive on which Kádár was hanging. János Kádár was clearly a supporter of socialism. He wanted a more modern, slightly different socialism than he had practiced up to that point. Everything that happened after that was a degradation of socialism. János Kádár was no longer a political actor. All the power was already in the hands of Secretary General Károly Grósz and Prime Minister Miklós Németh. It was from this moment that the dismantling of the system called socialism began.
    While socialism had been a one-party system, it was necessary to quickly pass a law that would allow the creation of parties. While in socialism the economy was designed and managed by the Plan Office, it was necessary to enable businesses to be set up and market laws applied. While we had been on a bad footing with South Korea up to that point, we had to quickly recognize them and enter into relations both with this country and with Israel. While we had previously purchased only Soviet planes, we now had to buy American ones – without considering the cost or consequences of that decision. While the party had previously taken a leading role in the army, it was necessary to make the decision to remove the party from the army so that it no longer played a political role there. That’s what I call the dismantling of socialism.
    That’s what the Hungarian leadership under Károly Grósz was heading towards. Personally, Károly Grósz may not have been convinced that this was the correct course, but, like all the other leaders, he was not strong enough to oppose it. He had to submit to the direction of events, and he was not the only one in the socialist world to do so. János Kádár, who was already a sick man, sensed that something was wrong. This meeting that you mentioned took place one evening. Kádár liked to come in the evening.
    Yann Caspar:At the party headquarters?
    Gyula Thürmer: Yes, at the headquarters of the Hungarian Socialist Workers’ Party (MSzMP). I was consulting some files in the Secretariat of Károly Grósz when János Kádár suddenly arrived. I had a historical personality in front of me, and although we had worked together for a long time, it had been a relationship between an elderly man and a young employee.
    I put myself at his disposal, in a military style: “At your orders, Comrade Kádár!” He asked me, “Could you ask Comrade Grósz to receive me?” This was really shocking because he was such a historic figure that he did not need to make any requests. Of course he was allowed in and they started talking. Then Grósz called me and said, “Come on, Comrade Kádár would like you to be there, too.” I noticed that Kádár was upset. I saw him crying twice in my life, and this was the second time. He felt that the regime was coming to an end. And he said, “I would have wanted to talk to the Chinese, they are building socialism in a different way than we did, but go talk with them, take the events in hand, or otherwise we are going to have problems.” That was the moment when he put an end to his presence . His condition then worsened and, as we know, he died the same year (in July 1989-Ed).
    Yann P. Caspar and Gyula Thürmer at the party’s headquarters in Budapest. October 2019. Photo: Visegrád Post
    Yann Caspar:Contrary to Kádár’s request, the Hungarian leaders did not establish contact with the Chinese but rather with the Americans. In a book published in 2009 (Az elsikkasztott ország [The Embezzled Country], Korona Press], you wrote that the center of regime change was the US embassy in Budapest, which was then as now located at Freedom Square. Could you talk about the role the Americans played in 1989?
    Gyula Thürmer: You mentioned China. China was new territory for the then Hungarian leadership. It is important to know that since the 1960s, Hungary had been on bad footing with China, precisely because the Soviet Union was on bad footing with China. That is why no Hungarian politician traveled to China until the end of the 1970s. However, circumstances and the economy forced Hungary to seek contact with China. The majority of the Hungarian leadership saw China as a large market that would enable us to get rich, conduct trade, and thus solve all our problems. Kádár was the only one who understood that China had a different political structure and that a more modern version of socialism was possible. Unfortunately, this was removed from the agenda.
    Now, the role of the Americans. Socialism would not have failed in Hungary. It would still be alive today, and we would continue to feel comfortable in it, if the West had not played a decisive role. Of course, in Hungary there were people who felt that what they received from socialism was not enough. They could have hundreds of thousands of forints, even one or two million, but they could not be billionaires. Those who wanted to be billionaires wanted regime change, as they thought the current regime was preventing them from getting richer. There were people who basically had a liberal mindset and thought that this socialist model was not good and did not fit anymore; they wanted to go in the direction of what had been successful in the West . . .
    It is at this moment that we started talking about European cooperation and about being part of the common European house. Nobody talked about replacing socialism with capitalism. Everyone said that we were part of Europe; that the market economy, democracy, and freedom would come; and that trade would be possible. And people believed in it. Those who had not been able to travel to Austria or Germany every year now could now do so, and they were delighted – like a cat biting his own tail – that they could visit their families. Such was the general situation.
    Thirty years after these events, of course everyone says that he participated in the regime change. But that’s not what happened. There was an opposition, circles of intellectuals, some of whom were more conservative and some more liberal. From among the first group came József Antall, who headed the Hungarian Democratic Forum (MDF). From the second group came the Alliance of Free Democrats (SZDSZ), and Fidesz also belonged to this tendency for a while. These people hated each other. They were like dogs and cats. They would never have talked to each other unless someone had helped them to initiate talks. This person was Mark Palmer, who was then the United States Ambassador to Hungary.
    Yann Caspar:If I’m not mistaken, you let Mark Palmer know you would not switch to the other camp. You told him that during a meeting.
    Gyula Thürmer: I was in a situation in which I had enough to sell. I had information that even the Americans might have needed. They have made attempts to make me. . . It would be an exaggeration to say that they wanted me to become a turncoat, but they wanted me to help them. Today I could be a rich man and be living somewhere in the United States. They might also have shot me – that was another option. Mark Palmer did not mention these things, but his staff gave me signals to that effect. I firmly refused. It would not have been right, and also contrary to my education. I did not go in that direction.
    Mark Palmer still played a role. He brought together the power of the then Hungarian Socialist Workers’ Party, the government, and the opposition. Through the Americans, Imre Pozsgay met for the first time with the opposition at the same table. Prime Minister Miklós Németh played tennis regularly with Mark Palmer. During the tennis games, they talked about . . .
    Yann Caspar:Grósz traveled to Washington in April 1989.
    Gyula Thürmer: Grósz was invited to Washington. I was then his adviser, and I warned him against going there. If the Hungarian Prime Minister – he was still Prime Minister – cannot enter through the front door, then he should not come in through the back door. But they did let him in through the back door and organized a long journey for him across the country; he visited his family and his aunt. That just did not make sense. They also forced him to say things that did not correspond to his thinking. When they asked him what socialism was, he said that it did not matter if state ownership was weaker, if the party did not have a leadership role, and so on. By saying that, he completely weakened his position here in Hungary. The US Embassy played the role of intermediary between the various actors.
    Yann P. Caspar and Gyula Thürmer at the party’s headquarters in Budapest. A portrait of János Kádár can be seen in the background. October 2019. Photo: Visegrád Post
    Yann Caspar:However, one cannot say that the deepening of relations between Hungary and the United States began just a few months before the regime change. Hungary joined the International Monetary Fund (IMF) in 1982. And by the way, Kádárism is thought of by many in the following way: Since Kádár understood the lessons of the events of 1956, from the mid-1960s onwards he implemented reforms towards a market economy. Let’s just take the example of Lajos Fehér’s new economic mechanism, which came into effect in 1968. So my question is: Don’t you think that 1989 is not really the most important date in the regime change? Don’t you think that 1989 is just an official date, but that the crucial decisions bringing Hungary closer to the West had already been made well before 1989?
    Gyula Thürmer: You know, here in Central Europe, socialism arose in poor countries. It did not in France, Germany, or England. It was not what Marx had dreamed of – that socialism would triumph in the most developed capitalist countries – that happened. Socialism was born here, in poverty, in countries that had been crushed and mutilated by the Second World War. Of course, we very quickly tried to give a better life to the people. It worked on many levels, but not on many others.
    That’s when the idea came that if the goal of socialism is to give a better life to the people, and if the West gives us credit, then in this case let’s borrow from the West. That’s where borrowing from the IMF, the World Bank, and so on started. The money was not swallowed up or stolen; today it is still in Hungary, in the houses and buildings that were built at the time. This money has been used, but we had to pay it back. As for the repayment, the Western banks started tightening the screws. When we weren’t able to make a repayment, it was necessary to make concessions in the social sphere, such as regarding the conditions for retirement by raising the retirement age . . .
    Yann Caspar:Was all this requested after the change of 1989?
    Gyula Thürmer: They mentioned this even before the regime change. Before, too. Two answers were possible: No or yes. We were going down the road of concessions.
    János Kádár had one or two faults. The first was that he was not an economist; he did not see the consequences this could have. The second is that he believed the liberal economists who surrounded him. The latter made him believe that “it does not matter, Comrade Kádár; we borrow, we repay, no problem.” We started down this slope without being able to stop, nor did Kádár manage to stop it. He wanted to employ methods of the market economy in the interests of improving socialism, as Lenin had done in the 1920s, or as China is doing on a larger scale today, where certain methods of the market economy are applied while the country remains a people’s republic. In 1989, the change in the model was already considered by many to be insufficient. They wanted to change the system. It was no longer a question of correcting socialism, but of throwing it away and replacing it with another system. Take this computer. It’s as if I want to install a different type of software on it. The software of socialism was the planned economy, and that of capitalism was the market economy. That’s what got replaced.
    Yann Caspar:Let’s talk a bit about the regime change. In Hungary, this change was not a process based on a popular uprising or revolt. We cannot speak of revolution, but perhaps of counter-revolution, you will tell us. It was a change brought about by a process of negotiations. However, the people had expectations. You mentioned Vienna, Austria, and those who traveled there. The population aspired to a standard of living similar to that of the West. I do not know if the people were wrong; that’s another question, but that’s what the people were waiting for. It has not happened since. We can even say that what happened in the 1990s was rather a huge step backwards. Take, for example, the fact that in 1996, the per capita income fell to its 1966 level. Following the regime change, Hungary lost one and a half million jobs. What happened? Were people mistaken about the essence of regime change? Or – and this is undoubtedly more interesting, and we will talk about it again – did those who took part in the regime change deceive people? What happened?
    Gyula Thürmer: In Russia in 1917, the workers and peasants won. This also happened in 1945-48 in Hungary and in Eastern Europe. If we look at this from the Western point of view, it means the loss of a significant part of the world. The West had lost markets and resources. It is obvious that the West – the United States, Germany, France –worked to get this part of the world back someday. They made violent attempts in this direction in the 1950s, but it did not work out. Of course, in poor countries, people always want a better situation, It’s natural. Everyone would have liked to live like the Austrians – it was true in 1956, in 1989, and at other times. There are gatherings and moments where people address the drawbacks of a system, their problems, and their worries by taking to the streets to demonstrate. These moments can be used. In 1956, people were driven from outside: They did not only have to take to the streets to express their legitimate concerns, but had to go further and bring the regime down. 1956 led to barricades and bloody shootings. It is often denied that on May 1, 1957 more than 700,000 people gathered in Heroes’ Square in Budapest to show their commitment to socialism. These events, which have been described as a revolution and the struggle for freedom, are not as  simple as that.
    Yann Caspar:János Kádár never talked about Imre Nagy. You could never talk to him about it. You could not talk about Romania or Imre Nagy.
    Gyula Thürmer: He did not talk about it. Obviously, it was a very difficult subject for him, also on the human level. I think that Imre Nagy unnecessarily took on the role of martyrdom. As a minister, he was well aware that the Americans would not intervene, and if the Americans did not enter Hungary, that even the good Lord would be unable to prevent the Soviets from intervening. The Americans had promised it, but they did not come. Their troops were in Germany, but they did not come. Imre Nagy knew it. Because of his responsibility to the country, he should have withdrawn and said, “If someone can do it, let him take my place.” He did not do that. He ran away, declared himself Prime Minister, and played the martyr. János Kádár, who was aware of it, suffered a hard time because of it.
    To get back to your question: The US and the West learned the lessons of  1956, . They had put people to sleep. It’s the same as a major surgical operation: You’re first anesthetized with a little camphor, and then you’re injected with an anesthetic; the nurse even sings you a song, and then they take a kidney from you to sell it. It’s pretty much what happened in Hungary, and the people were not told. In the spring of 1990, we voted and thought that we would have a new system that would preserve what was good in socialism and would include what is good in capitalism. There would still be bananas, we could continue to go to Vienna, you could have Nescafé or new cars, and so on. Of course, that’s not what happened. This anesthesia is still in effect. As soon as the people start waking up, they  are given a new injection. When the Antall government fell in 1994 because it simply could not  carry on in such a manner, Gyula Horn came to wink to the people and told them, “I’ll give you back a little bit of Kádár’s regime.” But in exchange, he sold the country, or what was left of it at that time.
    Yann Caspar:They were the ones who privatized the most between 1994 and 1998 . . .
    Gyula Thürmer: Yes, they are the ones who privatized the most: electricity, production, strategic sectors, everything. All this happened without the people really knowing it, through manipulation. That’s how they managed to avoid the barricades here. There  were no bloody battles.
    Yann Caspar:But still, the parties of regime change did not come from nothing. By the way, many people think that most of the political movements of the post-reunification period could already be felt in the early 1980s within the Hungarian Socialist Workers’ Party. What was János Kádár’s position on this point? In the last years of his reign, he defended National Communism. What does this mean?
    Gyula Thürmer: If, in a country of ten million inhabitants, a party has 870,000 members . . .
    Yann Caspar:But the leaders . . .
    Gyula Thürmer: That means you can find everything in there. There are not so many Communists in this region, nor anywhere else in Hungary. There were therefore many different trends within the party, such as the Social Democrats, who allied with the Communists after the war. Rezső Nyers was the first to say, in March 1988, that Kádár was no longer needed and that they wanted to move forward by creating a “New March Front.” Then came the nationalists such as Pozsgay and Szűrös, and the pragmatists such as Miklós Németh. The latter were the most numerous. Then came the liberal intellectuals, who from the beginning tried to lead us to the West. Kádár’s mistake was not to have noticed this in time or, in any case, was not able to oppose it.
    As for the parties, it is true that they were already in the process of being founded. We already knew Gábor Demszky before he became known. The tactics used at the time were the same then as  ones being used today against the Fidesz government. They held out their cheeks, waiting for the establishment to strike them, hoping to receive a slap. I saw Gábor Demszky take to the streets on March 15, 1989, fighting the police until he was slapped. That would have happened all over the world, but here it was immediately photographed by Radio Free Europe and the BBC, and minutes later, via Vienna, the whole world knew that the government was attacking members of the opposition. It worked in this way, and you know, even if today’s Prime Minister has all my respect, you have to know that if George Soros had not discovered him and taught him this and that, then this small group of students would not even be . . .
    Yann Caspar:When did you first hear about George Soros? At the beginning of the 1980s?
    Gyula Thürmer: I heard of George Soros in many ways. He started to be active here in the 1980s. He came to Hungary and wanted to participate in cultural activities. In the old system, for as long as Kádár was alive, this was out of the question. Through our relations with the Soviets – as you mentioned, I worked at the Hungarian Embassy in Moscow – we knew that Soros’ mission was to advance the US and CIA targets for regime change. So we considered him our enemy. But the Hungarian liberals did not consider him an enemy. When Kádár left, Soros came. He bought the Hungarian intellectuals in five minutes and took them all with him. The saddest thing was that they were people who had grown up here and received their diplomas in Hungary.
    Yann Caspar:You talk at length about Bálint Magyar in your book. Could you say something about it?
    Gyula Thürmer: János Magyar, actually . . .
    Yann Caspar:János Magyar, who used to eat many jam pancakes . . .
    Gyula Thürmer: At that time, he still had that reputation. We met each other at Mihály Fazekas High School. He was a very intelligent and talented boy. We were in the same class in high school. His development is very interesting, and characteristic of Hungary. When the Cultural Revolution started in China in 1966-68, he was the first to go to the Chinese Embassy to receive his Little Red Book. This great Maoist then became a nationalist – for a long time, one of those who went to Transylvania and returned with national feelings – and then he joined the Alliance of Free Democrats (SZDSZ), associating with Demszky and János Kis . . .
    Yann Caspar:And became Minister of Education in the Horn government.
    Gyula Thürmer: Yes, he got the Ministry of Education. So, that’s part of the story of our little Central Europe . . .
    Yann Caspar:Our readers will understand that, around 1968, somebody could be a Maoist before he became a nationalist for a short time, and later become a perfect liberal. In my opinion, János Magyar or Bálint Magyar demonstrate this very well, even in the eyes of Western readers.
    Gyula Thürmer: Exactly.
    Yann Caspar:We talked about the Horn government. Let us move on to your experience of pluralism after 1990. You have often described the creation of the Hungarian Socialist Party (MSZP) in 1989 as treason and a scam. Since 1989, the Hungarian Socialist Party has ruled several times in alliance with a sternly liberal party, the Alliance of Free Democrats. They are the ones who have privatized the most; it’s a fact. What is also a fact is that the Alliance of Free Democrats has disappeared from Hungarian political life, but it has successors which are particularly animated by the capital’s liberals, who look towards the West and the globalist intellectuals. It certainly persists in other forms. The axis of the Hungarian Socialist Party and the Alliance of Free Democrats is still alive today in Hungary on the political chessboard. In my opinion, you were the first politician to understand that regime change would demand casualties. Many think that Viktor Orbán understood this a little later as well. By the way, it also seems that he practices politics by making use of the regime change’s serious mistakes. Maybe that’s why he has a lot of voter support today. In 2010, Viktor Orbán promised a second regime change, which he said would correct the mistakes of the first. What is your opinion on this point?
    Gyula Thürmer: Listen, the term “regime change” is made up of two elements. This means that before 1989, there was a system, socialism, in which money was not the most important factor and the interests of society were in the foreground. Another one has come in place of this system, whose impulse is the struggle for capital and profit. That’s the regime change. Those who talk about regime change today do not want to return to the previous situation. That would mean a return to socialism, and nobody wants that except me. It is something else. In order for the change in 1989 not to be carried out by force, concessions had to be made, one of which was not to destroy the party. János Kádár was not hanged, and Gyula Horn was not imprisoned, but he became party leader and Prime Minister.
    Yann Caspar:Rezső Nyers sat in Parliament until 2010 . . .
    Gyula Thürmer: They went into the other system.
    Yann Caspar:” Revising” their past . . .
    Gyula Thürmer: Yes. They have also been able to enter Parliament, and have obtained a little over 9%. They passed safely through to the other system. They were very smart. Take Gyurcsány [Prime Minister from 2004 to 2009-Ed.], for example, who started as Secretary of the Communist Youth League. They used that moment – when capitalism was already  in place and the new laws enacted, – to make millions and millions.
    In the transition to the new capitalist system, the Hungarian Socialist Party used the situation to seize a lot of money and capital. Those who are talking about a regime change today actually say that you should take these assets back from these people. Let’s ask Gyurcsány where his billions are coming from, and if we can, then let’s get them back. I do not think that it is possible to do so by legal means. It is not possible. There is no revolution in sight yet.
    Viktor Orbán has understood that Hungary had to pay a very high price in order to pursue a secure capitalist path. After all, Hungarian agriculture has been handed over to the EU. If you enter a store in Hungary today, you notice that they sell German milk and other foreign products . . .
    Yann Caspar: And they are worse than those sold in the West . . .
    Gyula Thürmer: Yes, and on the other hand, Hungarian agriculture is collapsing. All at the very moment that demand for food in the East and in China is rising, and we could export various products to them, but we simply cannot do so anymore because these capabilities have been taken away from us. We have sold our markets, our banking system, our factories, and much more.
    Orbán understood that this was not good. What you can take back, you have to take back, because this is part of Hungary’s capital. They felt strong enough to do it. Thus, some factories were nationalized, and companies that had previously been sold to foreigners have been bought back. And then Orbán told the banks and insurance companies that their surplus – which has been substantial over the last three decades –  will now be subject to taxation, in order to give it to the people. He did not do this out of kindness to the people, but to keep them quiet and prevent street protests which would demand a real regime change. Through this method of state capitalism, Orbán has succeeded in stabilizing capitalism in Hungary.
    As far as the 1989 parties are concerned, regime change has actually helped two large groups  to climb into the saddle. There has always been both a liberal and a conservative tendency. In the conservative camp was the Hungarian Democratic Forum (MDF), from which came the first Prime Minister, József Antall. In the liberal camp  was the Alliance of Free Democrats and also Fidesz, which was still part of it at the time. The conservatives also included the Christian Democrats (KDNP) and the Smallholders (FKgP). The Socialists didn’t belonged to  any camp, and thus formed a third one. But in 1994, the Antall government fell. It was clear that if things  carried on, we could have rolled back the regime change – it was still possible then. That’s why Gyula Horn reappeared. The Hungarian Socialist Party was then not only allowed to be represented in Parliament, but was allowed to govern. To do this, they had to pay the price that we still pay today: they allied themselves with the liberals.
    Yann Caspar:Right, the Bokros package [in reference to measures taken by Lajos Bokros, who was Minister of Economic Affairs from 1995 until 1996-Ed.],
    Gyula Thürmer: There was a symbiosis between the Socialist Party and the Alliance of Free Democrats. Symbiosis means that something attaches itself to a body and sucks out all its energy. The Alliance of Free Democrats has always been smaller than the Socialists, and this liberal body, by attaching itself to the Socialist Party’s body, has gradually sucked out everything that could still be called the Left. That’s how the conservative and liberal camps came into being.
    Yann Caspar:It’s also what happened in 2002 between the Socialist Party and the Alliance of Free Democrats . . .
    Gyula Thürmer: Yes, with the difference that the conservatives’ camp was united, because Fidesz had swallowed up all its partners. The Socialist Party had also swallowed up all the liberal or Left-wing entities – except us, of course. But problems were coming, and since the leaders of the Socialist government – Medgyessy [Prime Minister from 2002 to 2004-Ed.] and Gyurcsány – failed to master their tasks, they started to break up.
    Over the last ten years, parties have been created that represent the liberals’ nuances, be it a generational nuance like Momentum or an environmental one like the Greens (LMP). They all come from the same circle. Things are now very likely going in a direction in which someone will make them disappear in order to unite them under the same banner.
    Munkáspárt’s logo. Photo: Visegrád Post
    Yann Caspar:What did you think and feel, and how did you react, when Viktor Orbán delivered his speech in 1989?
    Gyula Thürmer: When this speech was delivered in 1989, I was working alongside the Secretary General of the Hungarian Socialist Workers’ Party, and Viktor Orbán’s intention was clearly to bring down socialism. He wanted to bring down the socialism in which I had grown up, which my father had built, and which I thought was a good society. It is therefore natural that I did not support his ideas. It is another issue to note that twenty years later, he initiated another policy in Hungary and began to think more clearly than his liberal predecessors, and therefore we say that his policy now has something rational. We will not join him, but if he does something good for the people, he must be supported. The Viktor Orbán of 1989 is unacceptable for us, but we can support the Orbán of 2010 and thereafter on many points.
    Yann Caspar:Which points exactly?
    Gyula Thürmer: If they give the people something –  raise wages, lower housing costs – then we say it’s good. Who would not approve of that? But let me add that this is not as much as it should be. If we were in power, we would give more. We would support Fidesz on a number of foreign policy issues. For us, it is essential that Hungary has good relations with Russia. History tells us that if we are at war with Russia, we are the least able to persevere lose and then die . If we go to war for foreign interests, the consequences will also be bad for us. We would support Hungary’s policy of openness to the East. We have to have relations with China, Laos, and Vietnam. And, from a certain point of view, we are pioneers in this area. The Hungarian President is now coming back from Laos, while I was there six or seven years ago, when no Hungarian had ever been there before. We hope that this will also take place with North Korea, where I have already been, and where no Hungarian politician has yet set foot.
    Yann Caspar:Have you been there recently?
    Gyula Thürmer: The last time was last year.
    Yann Caspar:And from this point of view – Orbán opening to the East and Kádár opening a little to the West –  couldn’t we say that the foreign policies of these two leaders are similar?
    Gyula Thürmer: Hungary is in the middle of Europe. Throughout its millennial history, it has always been encircled by two great empires:  be it the Byzantine and Holy Roman empires, Russia and the German Reich, or the Soviet Union and NATO. Hungary has had to maintain its position between the two. Today, it is the European Union and NATO on one side, and on the other, Russia and its allies. I think that the only wise policy for Hungary is to actually chose a e side, because we think that’s it’s good for us, but we also have to share some values with the other side and build bridges. This is what Gyula Andrássy did in the nineteenth century and Gábor Bethlen in the Middle Ages. This is what Kádár did, and now the Orbán government is doing the same thing in its own way.
    Yann Caspar:As I mentioned earlier, Kádár did not really talk about Romania. The Romanian events of 1989 are very different from those that occurred in Hungary during the same year. I have two questions: You were a diplomat, you traveled a lot in this region and in the Soviet Union, and I believe also in the West, in the 1980s. How different was Hungary compared to Poland or Romania? Hungary was nicknamed “the happiest place in the socialist camp.” Moreover, what is happening at present with our Romanian neighbors is undoubtedly still more closely related to the change of 1989. What is your opinion on these points, and why did Kádár not want to talk about Romania?
    Gyula Thürmer: That’s a lot of questions at once. What were the differences in Hungary’s case? In our country, regime change took place through disputes, negotiations, and agreements within one to three months. The elections of 1990 then officially formalized this, and the next day, capitalism was here in Hungary. The same thing happened to the Czechs, where things are always as soft as velvet. The Poles were also quite fast, but this was because Jaruzelski’s attempt to defend socialism failed.
    In countries where socialism was not introduced  in the same way as here, where it was not Soviet tanks that brought it but where the people had more or less fought for socialism, that is not the case. Take Yugoslavia. Why was it necessary to break up Yugoslavia, plunge it into a bloody war, and send Milošević to The Hague? Because this country fought for its independence. It fought against the Germans. Here, socialism, freedom, and independence were linked. Yugoslav socialism was different. There was no state property, but community property. Much was different there, and therefore this social order could not be destroyed so quickly.
    With the Romanians, the situation was also different. In hindsight, Ceauşescu may well be hated, and very few people liked him even at that time, but he understood that if we owed anything to the West, the West would blackmail us. Romania had repaid its debts to the West, even though it cost the country dearly. That’s why Ceauşescu had to be executed. János Kádár was not executed, nor was anyone else here. This is an essential difference. Of course, Cuba and Vietnam were also different, because in those places socialism was also associated with freedom and independence.
    Romania is one of the results of the Treaty of Trianon’s consequences. I think people on the Left can also quietly say that Trianon is a peace treaty. I myself was at the Grand Trianon, and although I did not burst into tears, I stopped for a moment, and it’s still painful for me that there is no commemorative plaque which reminds us that the fate of the Hungarian people, and of the Hungarian nation, was sealed there in an unjust and dishonest way through the great powers’ violence. Unfortunately, during the Second World War, the Hungarian leaders such as Miklós Horthy did not understand what the Romanians understood then and did not withdraw from the war, or certainly not in time, which resulted in Trianon being  ratified. Everything remained as in the 1920s.
    Kádár and his people, who were  convinced internationalist, thought that socialism would provide a solution to this. When the question is not to whether to be Hungarian, French, German, or Romanian, but rather worker or capitalist, then these differences – although they do not disappear – are blurred. There were times when they faded away. Still, it did not really succeed, especially when the Romanian leadership made the mistake of breaking with the 1950s practice of solving domestic problems by fomenting anti-Hungarian feelings. Under Ceauşescu, it was really . . .
    Yann Caspar:National Communism had an ethnical dimension.
    Gyula Thürmer: Exactly.
    Yann Caspar:But Kádár, too, was in favor of National Communism, so what’s the difference? What was the definition?
    Gyula Thürmer: Kádár did not really use that expression. He advocated national characteristics. If Hitler had not used the term National Socialism, then we could use it comfortably, but since he did, we can’t be National Socialists. But we would like to build socialism within a national context. Kádár advocated that because – how can I say this ? In the 1950s, when we went to the tailor’s shop and were asked what clothing we wanted, we said we wanted clothes like those we had seen in the Soviet Union. Everyone was getting clothes and was building a society like the one they had seen in the Soviet Union. Then we realized that there were Hungarian clothes, traditional Hungarian clothes, that the people liked more, because they found them to be more comfortable. So let’s do that. Kádár was committed to this path. The Romanians were even more so, but they went too far. Kádár did not go that far. Of course, the Chinese were the ones who went the furthest and declared that the path taken by the Soviet Union was not the right one.
    But that was not the background of the conflict between Romania and Hungary. The background of this conflict was that the Kádár regime had not been able to improve the fate of the one and a half million Hungarians living in Transylvania. It could not get back Transylvania, and could do absolutely nothing. That’s why these problems were passed over in silence. This led to a strengthening of the nationalist atmosphere. In Hungary, with Pozsgay, Szűrös, and the Hungarian Democratic Forum, the awakening of the nationalist milieu started – which, as we unfortunately had to discover, did not yield much in the way of results.
    The new ruling elite that came to power after 1989 also failed to get Transylvania back. Just as its predecessors, it could not improve the lives of the Hungarians living there. They missed out on great opportunities to do such a move – for example, the war in the Balkans, the entry of Romania into the EU and NATO, regime changes. The Hungarian elite could easily have asked for something in exchange for supporting Romania’s membership. But that’s not what happened, and now politics is different.
    Yann Caspar: Hungary is no longer part of the Eastern bloc, but of the European Union. It joined the EU in 2004 and NATO in 1999, almost twenty years ago. What is your opinion on this? What happened? And what is coming next?
    Gyula Thürmer: First we joined NATO, which did not accept us right away. In Hungary, the regime change took place in 1989, but we were only accepted into NATO nine years later. Two things happened beforehand. First, they gave nine years for the Hungarian political elite to purge all those who had anything to do with the Soviet Union. It was necessary to replace the officer corps, dismiss the generals, recruit new men, and train new officers, and only then could joining be acceptable. By the way, Hungary did not need this. So since there was no Soviet Union anymore, why do it? But in Yugoslavia they failed to settle the regime change without war, and it was no coincidence that Hungary joined NATO in the spring of 1999, because military action was to begin two weeks later.
    Yann Caspar: You met Milošević . . .
    Gyula Thürmer: Yes, it was on April 6, if I remember correctly. I went there in the middle of the war. I met Milošević.  Despite everything that was going on, we managed to achieve a positive result. With a large map on the wall, Milošević pulled the curtain aside and said: “You see, NATO and Hungary want to use ground forces to invade Yugoslavia, and many Serb soldiers will die in Vojvodina and around, as well as many Hungarian soldiers.” Of course, it is not for this reason that NATO did not deploy ground forces, but that also played a role.
    And I am proud of one thing. After meeting Milošević, I went to Wojwodina. The bridges had been bombed and a big rally took place on the only bridge that was still standing. Several tens of thousands of people were there. I gave a speech in Serbian and Hungarian, declaring that not everyone in Hungary wanted the war. I think that this has become an important element in Serbo-Hungarian relations. People then knew that we did not want to wage a war against them – nor today, as a matter of course.
    Yann Caspar:What is your opinion of the European Union?
    Gyula Thürmer: Our accession to the EU was also an inevitable step, NATO being the military and the EU being the political and economic pillars of the system that exists today in Hungary. A system moving towards a market economy and bourgeois democracy cannot exist without these external pillars. The question is the price that must be paid for it. I think Hungary paid a pretty high price for it – not during the negotiations, but before, since Hungarian agriculture had been destroyed even before its accession to the EU. They also destroyed or bought the Hungarian automobile industry, such as the Ikarus company, as well as the Hungarian manufacturing industry before accession. Most of the laws had already been brought up to EU standards prior to our accession. We started to live as if we were already an EU member.
    Viktor Orbán recognizes all of this today. The West has bought our markets, and we have already given them a lot. Since then, a lot of time has passed, and Eastern European capitalism, including Hungarian capitalism, has become stronger, and this is a point we disagree about. The Hungarian leadership does not want to leave the EU. It wants to stay in and get more. There is a Hungarian rhyme which says that “the one who does not march straight away does not get a cake in the evening.” Orbán and his party want to get this cake, even though they do not march with the others or even march in a different direction in some areas.
    Hungary has already lost eight billion euros because of the trade embargo against Russia. Why the hell do we need this embargo? All the more so as Russia has  not been affected by it, given that it continues to be supplied with food – not by the Hungarians, but by others. There are many negative aspects. In the end, we are faced with the fact that the EU is not only exerting economic pressure on Hungary, but also wants us to live like them. But we d don’t want to. I really like Paris, Berlin, and the Western European cities, but life, culture, and traditions are different there. Let us live the way  we want to. But they do not want that. Democracy can also be understood differently. Here the story is different, and we understand the rules of the game differently. I think that one should protect the independence of nations, their culture and their identity. The EU should not go in the direction of a supranational organization, but rather that of an alliance between nations.
    Munkáspárt’s headquarters in Budapest. Photo: Visegrád Post
    Translated from Hungarian by the Visegrád Post.

    Greșelile și urgențele economice ale României

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    Cine este Emanuel Babici și de ce merită citit un dialog cu dînsul?

    Emanuel Babici (n.1943) este una dintre cele mai strălucite minți pe care le-a avut industria românească. Între 1970 și 1990, a fost șeful Secției mecanice și mai apoi director general la IMGB.  A coordonat asimilarea și producerea echipamentelor mecanice pentru fabricile de ciment de mare capacitate din România (Hoghiz, Deva, Medgidia, Câmpulung), a coordonat producția de echipamente pentru oțelarii, cuptoare electrice de 100 t/sj, convertizoare de otel de 160 t/sj, caje pentru laminoare, prese hidraulice de forjare si toata gama de cilindri din otel aliat pentru laminare la cald si la rece, a coordonat programul de fabricație pentru realizarea presei hidraulice de 120 MN. Știe pe de rost centralele de la Turceni și Rovinari.
    Între 1982 și 1989, a condus Centrala Industriala pentru Utilaj Energetic, Metalurgic si Mașini de Ridicat – București, care includea 109.000 angajați în 14 companii. A organizat activitatea de montaj la reactoarele de la Cernavodă și a fost implicat in preluarea licențelor de fabricație de la General Electric SUA si AECL . Între 2007 și 2014, Emanuel Babici a coordonat și realizat în regie proprie, cinci microhidrocentrale cu o putere total instalată de 7,8 MW. (Cornel Nistorescu)
    ————————————————————————————-
    C. Nistorescu: –Spuneți-mi, vă rog, cinci lucruri pe care le-ați făcut și care sunt argumente ca oamenii să vă creadă că știți despre ce vorbiți. Dar pe degete, cinci obiective mari și care sunt argumente pentru că ați niște soluții.
    Emanuel Babici:– Primul argument este că am fost șef de secție la cea mai mare secție din IMGB la vârsta de 29 de ani, că am fost director general la IMGB, la vârsta de 35 de ani, și am ajuns și am coordonat tot programul energetic în perioada ’82-’89, tot ce s-a realizat energetic în România a fost sub coordonarea mea directă.
    Și pot să enumăr: cât am fost șef de secție am asimilat cele mai mari fabrici de ciment din România. Am lucrat efectiv la cele mai complexe utilaje în fabricația de materiale de construcții. Când s-au asimilat fabricile noi pentru Fieni, Hoghiz, Medgidia, eram șef de secție. Când s-a făcut fabricația de turbine, de presă de 12.000 de tone, eram deja inginer-șef. Când s-a dezvoltat în continuare IMGB-ul pentru fabricația de echipament nuclear, eram director general și am negociat cu fírmele General Electric, din Statele Unite, și cu firmele licențiatoare din Canada toată furnitura pentru Cernavodă și am coordonat programul de asimilare a echipamentelor pentru Unitatea I și II Cernavodă. Asta am făcut. Dar, îmi trebuie mai multe degete ca să le spun pe toate.
    C.Nistorescu– Acum, ați aflat că se închide. Șoc nu glumă! Se scufundă în neant o parte importantă din biografia dvs!
    – Am aflat că se închide, surprinzător pentru mine, din considerentul că această platformă industrială era o performanță europeană, mondială, acolo erau preluate licențe de fabricație pentru prăjini de foraj de mare adâncime, pentru prese hidraulice de mare putere, pentru turbine de mare putere – 300 de megawați de la francezi, de la Aston, luată licența în 1970, după aceea, preluată licența de la General Electric pentru turbine de 700. Erau licențe de sute de milioane de dolari. Și, s-au dus!
    C. Nistorescu– De ce credeți că se închide? Totul vine de la privatizare, nu-i așa? Ia spuneți, a fost privatizată corect?

    – La întrebarea asta eu cred că dacă privatizarea era corectă, transparentă și contractele erau publice, puteam formula o părere.
    C. Nistorescu– Nu era mai deștept și mai eficient să o facă pe acțiuni?
    – Eu cred că această fabrică în care poporul român, că nu alții, au suferit ca să facă această investiție, am răbdat de foame efectiv că știm cu toții, generația noastră, ce era atunci ca și constrângere ca să ne plătim datoriile, ca să ne dezvoltăm, păi această fabrică a participat la realizarea Porților de Fier I și II, a participat la realizarea centralelor de la Rovinari și Turceni, cu 4.000 de megawați de turbină. Nu se putea face nici o turbină hidraulică în România dacă nu era IMGB-ul, fiindcă toate axele forjate mari s-au dat la Reșița, de la IMGB. Nu se putea face nici o industrie navală fără IMGB, care avea presă de 6.000 de tone. Toate axele de pe toate navele au fost forjate la IMGB. Ajunsesem să asimilăm arborele cotit pentru cel mai mare motor, de 2.800 de megawați.
    C. Nistorescu– Oamenii nu știu ce sunt acestea.
    – Nu știu oamenii, știu specialiștii. Cei care au nevoie de ele și știu cine și unde se pot face. Și, cu ce preț.
    C. Nistorescu– Economia românească nu mai are nevoie de astea.
    – Economia românească, din păcate, a fost partea cea mai neglijată, din multe considerente.
    C. Nistorescu– Neglijată sau îngropată?
    – Eu zic că neglijată și s-a îngropat singură.
    C. NistorescuSau o competiție cruntă le-a scos din joc?
    -S-a îngropat și singură, pe considerentul că, neavând dezvoltări strategice în România, nu mai aveai ce face. După ce am făcut atîtea, mai puteam construi un Porțile de Fier – Nicopole și multe altele. dar polticienii români n-au mai pornit nici un proiect. Cică nu ne mai trebuie. Uite că ne trebuie, că ne arde buza după energie! Nu s-au mai dezvoltat alte capacități și marile noastre capacități s-au dus!
    C.Nistorescu– Era în plan și la Nicopole? Era în plan la un moment dat?
    – Cred și eu că era în plan. Era în plan să se facă și Portul București cu ocazia asta, deci era un plan de dezvoltare. Nu s-au mai făcut obiective în străinătate. De ce? S-au rupt relațiile interstatale. Noi aveam relații cu Egiptul, cu Irakul, cu China. Am livrat fabrici de ciment la cheie, la cheie în Irak, contract de 400 de milioane de euro. Ai văzut că istoric ne aducem aminte. În Egipt, am făcut fabrici de ciment. Am făcut în Siria fabrici de ciment. Am făcut turbine în Turcia, la Kapulukaya, lan Kîrîkale,am făcut combinate chimice la Kapulukaya în Turcia, în Siria la fel, toate astea au trecut și prin IMGB. Fără IMGB, care dădea toate piesele directoare mari, grele, nu se puteau face.. Cea mai mare performanță a acestui IMGB a fost asimilarea oțelurilor speciale pentru echipamente de motoare și prese. Un oțel care merge la 500 de grade și 300 de atmosfere, care sunt la Turceni, Rovinari, Cernavodă, nu se asimilează de oricine. Acolo a fost o școală venită de la Reșița, dezvoltată cu licențe scumpe.
    C. NistorescuMatale le plângi acum, sau ce faci? De ce plângi?
    – Le plâng, fiindcă acolo era o concentrare de știință. Sunt cel puțin zece licențe pe care vi le-am enumerat care au fost plătite. Numai pe licența de la japonezi, de la Kobe Steel și Japan Steel care să facă rotorii de turbină pentru turbinele de 1.000 de megawați, atenție, noi eram specializați și pe …. apă-apă, sistemul rusesc cu turbine de 1.000 de megawați. Pentru această specializare am făcut pompele la IMGB, pompele de circulație nucleare de 10 megawați. Zece megawați sunt imense. Pentru Koslodui, pentru bulgari, de …
    C. NistorescuStai, stai. Cât a costat licența de la Japan Steel?
    – Numai cea pentru lingouri a costat 32 de milioane de dolari, că în dolari se plătea, 32 de milioane de dolari licența pentru a învăța România să facă lingouri de 400 de tone care, după această licență, s-au forjat vreo 50 de rotooare care s-au livrat la General Electric din SUA.
    C. Nistorescu – Nu mai are rost să facem istorie. E clar că a fost o uzină…
    – O uzină care făcea uzine.
    C. Nistorescu – Care făcea uzine, care a acumulat o experiență, care avea licențe, avea valori și altele și care n-a putut ține oameni și care n-a fost folosită de conducători.
    – Valoarea umană, Cel mai mare capital, s-a dus!
    C. Nistorescu – De unde a început marea greșeală?
    – Greșeala din momentul în care aceste uzine au rămas cu investiții sistate brusc. S-au sistat investiții pe turbine, s-au sistat investiții…
    C. Nistorescu – S-a prăbușit un sistem.
    – Astea au rămas fără aer. Au început să fie susținută pe credite că, nefăcând o privatizare timpurie, la timpul când trebuia, am făcut-o după 12 ani, foarte, foarte târziu, cînd nu prea mai purta interes. Ori se privatiza atunci, pe acțiuni, se dădeau acțiuni publice, mai ales pentru aceste fabrici strategice. Păi, dacă eu privatizez după 12 ani o fabrică și cu 12 ani înainte eu personal am negociat cu Alstom-ul să fac o societate mixtă numai pentru fabricația de turbine, fabrica de turbine unde Alstom-ul a venit și a spus: eu pun 90 de milioane de dolari, asta în 1991, eu pun 90 de milioane de dolari și facem fabrica asta și IMGB-ul rămâne cu 49% acționar, eu ,Alstom cu 51%.
    Această propunere negociată de mine personal a fost respinsă la timpul respectiv de ministrul care conducea, un terchea-berchea, că era unul Constantinescu, și a spus: „Ce să facem noi, ne vindem țara?“Și, după aia, am dat-o după 12 ani, am dat acest IMGB cu 500 de mii de dolari, tot IMGB-ul. Păi ce, eu care am trăit acolo, inginer stagiar, inginer-șef, director tehnic, director general, păi ce să fac acum? Îmi vine, sincer vă spun, când văd aceste anunțuri, să plîng. Domnule, îl închidem! Pe ce, vor să-l închidă? Pe considerentul că s-a făcut un contract care și acum stă la secret? Ce prevedea contractul ăla? Ok, m-a luat Doosan-ul din Coreea de Sud, care s-a retras și de la Craiova, s-a retras și de la Mangalia, acum se retrage și de la IMGB? Ok. Înseamnă că el a avut o priză în statul român și a făcut niște contracte în defavoarea noastră. Un contract de vai și-amar!
    C. NistorescuAm văzut, aseară, o emisiune TV în care se spunea că avea obligații de investiții în materie de protecția mediului și în cazul în care nu le respectă ar pierde IMGB-ul.
    – S-o piardă, să piardă fabrica dacă nu au respectat. Probabil. Eu nu știu, pentru că nu știu contractul. Dar în orice caz. Să zici: eu mă retrag și las ce las, tot ce lucrau pe toată platforma aia. După aia, greșeala mare a fost că s-a divizat acest IMGB. Acest IMGB a fost o platformă integrată. Intra fierul vechi și ieșeau turbine. Intra fierul vechi și ieșeau prese. Intra fierul vechi și ieșeau fabrici de ciment. Un inel de la un cuptor de ciment are o sută de tone greutate. Ori IMGB-ul avea această particularitate de combinat integrat: fier vechi și ieșeau turbinele sau utilajele complexe.
    Se desface IMGB-ul pe o privatizare după ureche, după ureche. Eu nu am vrut să semnez spargerea IMGB-ului. Nu am vrut să o semnez. Au venit unii la mine: „Domnule, să vedeți!…-Plecați de aici“. Și au semnat-o alții. Dar s-a spart IMGB-ul. Unii sunt închiși, o parte din IMGB, toată platforma aia, era fabrica care lucra cu General Electric. E închisă. Este o dramă a economiei romanești! O inconștiență a guvernanților!
    Totuși, după ce s-a spart au venit și au luat: hala de nucleare a luat-o Tender. Opa. De la Kvaerner. Hala de turbine s-a privatizat … hala de mecano-sudate grele a luat-o Romenergo. Și a rămas fabrica asta metalurgică cu două secții mari de prelucrări mecanice pe care a luat-o Kvaerner. Ce a făcut Kvaerner? A luat-o strict pe o perioadă limitată, să facă cele zece turbine pentru China, zece turbine, pentru fiecare turbină o mie de megawați putere, așa se știe în informațiile pe care le avem, deci Kvaerner a făcut o centrală de zece mii de megawați pe Râul Galben în China, după ce a luat IMGB-ul. Făcând toate reperele în IMGB. După ce și-a terminat această investiție și și-a făcut treaba, și-a umplut buzunarele, a început să vîndă, înainte de a pleca și de a o vinde, să vândă mașinile-unelte cheie. S-au vândut mașini de danturat care erau unicat pe economie, care făceau coroanele dințate de la excavatoarele de cărbune din carierele de la Rovinari-Turceni. Cu excavatorul ăla mare se rotește, îl ia cu cupa și așa mai departe. Coroanele dințate aveau un diametru de 11 metri. Și mașina aia a luat-o și a dus-o. Unde? Nu se știe. Păi bine domnule, când fac o privatizare și mai ales că e o privatizare strategică, dau din mână o performanță. Ce garanții am? A cui performanță o primești ? A României! Ce faci cu ea?
    C. NistorescuCine a fost responsabil cu privatizarea IMGB?
    – Responsabili? Ăștia care au fost și cu Faur și cu IMGB-ul și cu Galațiul și cu toți. Cine a fost? A fost la un moment dat Ciorbea, care a venit și a făcut praf toată țara asta, că chinezii au trecut de la comunism la capitalism într-un mod organizat, bine gândit. Noi am zis: „Domnule gata, vă dau undițele, pescuiți!“ Băi, du-te, băi, de aici. Ce cap ai? Ăsta a fost punctul cheie al ruperii industriei românești. Perioada 1997, când a fost inflația care a fost, după aia s-a continuat până prin 2001-2002 că s-au privatizat și pe timpul lui Năstase.
    Năstase zicea: „Asta este o cutie neagră“, despre Galați. „Domnule, nu știu ce e în ea“. Cum poți să spui, domnule, un prim-ministru, să spui așa că e o cutie neagră. Păi mă duc acolo, pun Poliție, procuratură, nu mișcă nimic domnule, nu mai fură nimeni. Eu, ca director general, în IMGB lucrau 10.000 de oameni. Zece mii de oameni. Domnule, îi stăpâneam. După aia, am avut centrala de utilaj energetic, care avea zeci de mii, Reșița, Vulcan, îi stăpâneai domnule. Aveai directori, aveai oameni, aveai profesioniști… Sigur că era o atmosferă, că a stăpâni nu era ușor, dar era de lucru și îi țineai în priză că dădeai de lucru. Noi, am oprit industria, n-o mai facem. Am oprit ailaltă, n-o mai facem. Și a început să nu mai fie de lucru. Societățile au acumulat datorii și s-a bucurat lumea că vin marii investitori să cumpere datoriile acestor fabrici care, la prețurile dinainte de 2000, ce bani erau atunci înainte de stabilizare? Și toate s-au prăpădit pe niște contracte secrete.
    C. Nistorescu– Ok. Hai să nu ne mai întoarcem la o tragedie. Se mai poate face ceva? Ce ar trebui făcut?
    – Eu consider că tot ce a fost industrie românească a fost pilotată de așa manieră încât niciun guvern nu a avut nicio cunoștință ce se întâmplă. Au pus o perdea în față și au spus: „Domnule, descurcați-vă! Ok, ne descurcăm, asta înseamnă economie de piață. Dar Siemens, dar Alstom, dar aceste firme din Europa pe care le-a ajutat statul, s-au implicat statele lor ca să supraviețuiască. Ba mai mult, acum trei ani, a venit General Electric, văzând că Alstom-ul este într-o cădere liberă, și a băgat în Alstom 12 miliarde de dolari. Acum patru ani, a luat divizia de turbine mari de la Alstom și sigur că după doi ani General Electric a căzut de pe bursă. El trece printr-o perioadă grea. Domne, ăștia sunt giganții lumii. Globalizarea lumii s-a făcut pe probleme de producție de echipament energetic pe doi mastodonți mari: General Electric și Siemens. General Electric are 78, 80% și Siemens a rămas cu 20%. Globalizarea asta,c a fost și ea! Acum s-a ajuns la concluzia că a fost o mare greșeală. O mare greșeală. Pe considerentul că cercetarea, ok, e fundamentală la ăia, să facă, să vină cu noutăți, cu noutăți dar n-a mai fost zbaterea și jos. Că veneau idei și de la ăștia mai mici, mai mărunți, sclipitori la minte, să vină și ei cu o îmbunătățire. Avem noi cazuri când la anumite produse pe care le-am luat din Canada am adus noi îmbunătățiri, în România, pentru Cernavodă. Că am făcut fitingurile terminale după niște tehnologii gândite de oamenii noștri, agreate de Canada. Deci lumea, dacă nu gândești pentru investițiile mari strategie legată între ramuri, o fabrică ca IMGB-ul trebuie să fie ajutatată de Guvern, de președintele țării. Păi mergea, cine mergea? Ceaușescu în China și le spunea: „Băi, vă mai dau două fabrici de ciment. Da?“ Semna! „Vă mai dau două turbine“. Două turbine de peste 330 de megawați. S-a semnat. Gata! Contractul de turbine de 330 de megawați l-am semnat în 1989. Eu am negociat cu chinezii. Eu. Și m-a chemat de două ori acolo Ceaușescu, că miniștrii de atunci spuneau că noi cumpărăm din Vest să băgăm în marfă ca să o exportăm în Est.
    Și, în fine, s-a semnat contractul de 309 milioane de franci elvețieni și a fost contractul meu. Și sigur că după Revoluție s-au făcut și s-au pus în funcțiune aceste două grupuri care merg cu o disponibilitate cea mai mare …. de 98%.
    C. NistorescuCe e de făcut acum?
    – Domnule Nistorescu, eu sunt în dialogul acesta cu dumneavoastră, în contextul că ne cunoaștem de câțiva ani buni, mi-am pus și eu întrebarea aceasta. Trebuie să mobilizăm oamenii de bună credință din România și măcar să aibă bunul simț de a realiza că România, pe lângă faptul că a fost decapitată, sau nu decapitată, dezavantajată în mod foarte bine dirijat când au plecat specialiști de mare anvergură și oameni buni meseriași, capitalul de bază al unei țări, cei mai buni au ieșit la pensie, alții ies la pensie, iar golul ăsta care a rămas fără oameni de specialitate, producția asta de echipamente, mi-e teamă că și coreeanul ăsta pleacă și din lipsă de oameni. Acolo era un liceu industrial cu școală profesională. În fiecare an, terminau 300 de oameni. Unii plecau, veneau, deci, domnule, era o muncă. La ora asta, el a închis cu 400 de oameni. Auzi, cu 400 de oameni din 10.000. Să turbezi, nu alta! Deci, nu au mai făcut niciun montaj acolo, numai repere individuale și le-a dat drumul. A lucrat cu motoarele reduse total. Nu știu ce e acolo. Nu m-a chemat nimeni. Și aici e o problemă. Domnule, mai sunt oameni în viață care au făcut ceva. Știu, dau un sfat bun, dar îl dau cu dorința de a se îndrepta lucrurile. Nimeni nu a fost chemat. Niciun ministru al Industriilor din ultimii 15-20 de ani n-a avut curiozitatea să meargă: „Bă, ia să văd, cum s-a privatizat IMGB-ul ăla? Cum merge? Ce putem face?“ Eu le-aș propune la toți ăștia care vor să fie parlamentari și la toți miniștrii și lui Iohannis, să meargă să vadă centrala de la Rovinari sau de la Turceni. Să meargă să vadă cum se face energie electrică din cărbune. Să vadă, să vadă, domnule, că e un complex întreg și este un circuit extraordinar de interesant și complicat. Și să meargă să vadă cum se face tabla la Galați. Nici unul nu știe. Să meargă să vadă cum se forjează pe presa de 12 mii de tone un lingou care, făcut din oțel vidat, că astea sunt tehnologiile de vârf, când torni 400 de tone sau 300 de tone și nu scoți gazele din oțel apar fisuri, defecte, îl arunci. Deci, ca să faci o piesă forjată de 200 de tone, de 300 de tone, în primul rând oțelul ăla trebuie să fie curat, oțelul ăla trebuie să fie vidat, și în timpul procesului de turnare el se videază. Aceste instalații, această tehnologie am luat-o pe bani de la japonezi, eram singurii prin Europa care puteam să facem asta. A venit Doosan-ul, ok…

    C.Nistorescu Au vândut-o, nu mai este acum instalația asta?

    – Nu, e acolo. Păi ei au trăit din asta. Atenție! Ei au trăit din această instalație. Presa de 12.000 de tone până anul trecut a fost … Și a mers și turnătoria că se făceau repere … Doosan-ul pare-se, nu știu, că are o fabrică similară. Deci Doosan-ul are o fabrică similară în Coreea de Sud și cu asta s-a completat. Acolo erau cele mari. Informații noi nu știm. Ce am aflat zilele astea e că IMGB-ul o să se închidă. Ori, trebuie să știe toți cei care sunt implicați și ar trebui să aibă responsabilitatea asta, să ia contractul prima dată, să vedem ce prevede contractul. Știți care ar putea să fie pericolul? În contractul pe care l-a avut Kvaerner, să fi avut niște clauze. Când Kvaerner a predat contractul, alea au dispărut.

    C.Nistorescu– Nu s-au mai obligat să-l respecte. Nu s-a făcut transfer de obligații.

    – Nu știu. Așa cum la Galați, unde am fost implicat și la Galați foarte puternic după Revoluție, să modernizăm Galațiul. După ce l-am modernizat, l-a luat Mittal-ul. După ce l-am modernizat. După ce Galațiul a băgat 200 de milioane de dolari în investițiile de modernizare, după aia s-a vândut Galațiul. Și acum marea performanță să realizeze un milion nouă sute opsprezece tone din nouă milione de tone. Portughezii au crescut de la două milioane la trei milioane șapte sute de tone de oțel că vor să facă… Au crescut la producția de oțel și austriecii. Și noi am scăzut de la nouă milioane la două milioane de tone. Mai mare rușinea!! Foaia de parcurs semnată la aderarea în Uniunea Europeană pe metalurgie trebuia să facem de la șapte milioane de tone în sus. Dar nu am mai ținut cont? Ce foi de parcurs? Dă-le dracului! Ce contracte avem? Dă-le dracului! Și noi ajungem acum să fim în următoarea situație: din punct de vedere energetic consumăm cu 30% mai puțin decât consumam când mergea industria românească. Nu mai mult pe considerentul că au intrat mulți consumatori din ăștia mici. … toți ăștia care fac ace, brice și carice. Dar importăm astăzi în bandă, atenție, 1.200-1.500 de megawați. De ce? Fiindcă la Rovinari și Turceni s-a redus producția de la 2.500, cât făceau ei în bandă pe cărbune, se lucrează cu 1.000 de megawați. 1.500 de megawați e Cernavodă. Nu ai cum să o înlocuiești. După aia cărbunele mergea în bandă, stabilitate. Acum mai bate vântul, nu bate vântul, scoate vântul, tot sistemul merge așa, pulsatoriu, că se uită pe diagramă. Decuplează de afară. Ne lipsesc astăzi centrala III și IV de la Cernavodă. Dacă aia ar fi montată acum, problema ar fi din punct de vedere al echilibrului energetic, mai ales că este o energie curată. Doi, s-a demonstrat, cu unitatea I și II, care este performanța acestei producții de energie. Uitați-vă, ce profit face Cernavodă I și II!

    C.Nistorescu– De ce nu facem III și IV?

    – De tâmpiți ce suntem, domnule. De tâmpiți, o tot ținem cu chinezul, că vine chinezul. Cine finanțează nu contează. Aici trebuie să dezlegi problema. Oricine ar face-o. …da domnule, îți consum energia din România. După părerea mea, faptul că la unitatea III și IV s-a făcut partea de infrastructură, fundații, cupole, tot, tot, identice cu unitatea I și II, păi nu e firesc să-i chemi pe ăia cu care am lucrat la unitatea I și II, adică pe General Electric și să-i spui: „Hai să o facem împreună, vino și tu aici și investește!“. Vai, mă duc în Canada. Asta înseamnă diplomație și cunoștințe. Domnule, era ministrul Andrei Nicolae, îl știți precis, a fost ministru la Comerțul Exterior. Cu el mergeam diplomatic în Canada.

    C. Nistorescu– Nu Ștefan Andrei.

    – Nu Ștefan Andrei. Era un ministru, adjunct de ministru la Comerțul Exterior. Era Mihulecea care era un buldozer total. Mergea în Canada, hai să facem, odată la șase luni ne întâlneam cu firmele din Canada, se legau lucrurile, dovadă că s-au făcut. La ora asta, toată lumea crede că stăm la televizor și urmărim ce se întâmplă politic. Țara asta poate fi echilibrată. Astfel de investiții nu pot fi făcute decât strategic. Uitați-vă, în Ungaria se montează un grup de 1.000 de megawați pe energie nucleară. Cine îl montează? Rușii. Cu credit dat de ruși. Noi eram specializați și noi să facem, însă depindeam de ruși în ceea ce privește combustibilul. Pentru acele reactoare uraniul trebuie să fie îmbogățit iar pentru reactoarele noastre candu, nu. Luăm uraniu natural, îl procesăm noi, din carierele noastre și ăsta a fost motivul pentru care noi ne-am retras din convenția asta și ne-am dus pe CANDU Se știe, nu e niciun secret. Bun. CANDUcare s-a multiplicat în Canada și în lume mult fiindcă a fost un procedeu sigur. Scump că trebuia să utilizezi apă grea. Apă grea, ce batjocură la apă grea. În afară de grandomania mare pe care o avea Ceaușescu înainte: „Domnule, să facem, să facem apă grea că mă ocup eu să o vând“, s-a făcut o supradimensionare de apă grea la Halânga. Și am produs cum nu se așteptau săracii proiectanți să atingă performanțele alea. Am produs capacitate nominală plus. De ce? Pentru că trebuia să punem în funcțiune și numărul III și numărul IV și numărul V, așa era gândită Halânga. Și să mai punem una și la Sibiu, pe Olt. Domnule s-a renunțat la III, IV, V, Oltul, și a rămas apa grea acolo. Și am oprit apa grea. Costurile acum de depozitare la apă grea, nu știu, nu am fost acolo, dar îmi spun unii. Păi, dacă eram eu președintele României mergeam la coreeni, la chinezi: „Hai, măi, să vă dau niște apă grea, hai mă!“ Forul mondial are energie nucleară să văd că este o supraproducție de apă grea în lume? Poate. Dar dacă nu, hai să văd, rezerv eu cât îmi trebuie și merg și vând. Nu am făcut, de cinci ani de zile ne învîrtim pe coadă pentru Cernavodă III și IV. O eroare pe care o să o plătim foarte scump. Să vă mai punctez ceva. De ce o să o plătim foarte scump. Unitatea I în 2025 este obligatorie oprirea ei pentru retubare. Retubarea durează un an, un an și jumătate. Să mai dai afară 750 de megawați din rețeaua națională fără să o ai pe numărul III să o înlocuiești că după aia urmează numărul II să intre în retubare, doi ani. Deci unitatea III și IV este investiția strategică necesară pentru România în regim de urgență din trei considerente. Unu: ai o infrastructură gata, completă. O parte din utilaje sunt făcute, sunt acolo dar, în această conjunctură, lumea crede că montând suplimentar energie eoliană va echilibra sistemul. Nu, alea sunt niște energii care și Europa acum se convinge că trebuie să le depoziteze, trebuie să aibă sisteme de consum de energie eoliană sau solară că se produce hidrogen. Când energia mea nu se consumă măcar produc hidrogen care, dacă ar fi să-l produc din energie produsă din cărbune nu e rentabil și atunci aceste depozitări de …

    Scrisoarea lui Titulescu către Ion Antonescu

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    Scrisoarea transmisă, din Franta, de Nicolae Titulescu generalului Ion Antonescu („conducătorul României” incepând cu 6 septembrie 1940), in care explică atitudinea sa, in calitate de ministru de externe, fată de Germania, Italia si URSS. In august 1936, Titulescu fusese demis din guvern. A incercat să explice politica sa externă intr-un volum ce nu a putut fi publicat decât după 1989, sub egida Fundatiei Europene Titulescu. Tot in 1940 ii transmisese un memorandum secret lui Carol II, in special pe tema relatiilor cu URSS.

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    Sursa:  Arhiva MAE, via Adrian Nastase

    Periscop

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    Valer Simion Cosma
    Consumul (alimente + produse de igienă) din România se bazează într-o mare măsură pe importuri. Majoritatea importurilor se fac cu tirurile și pe mare. În situația de față munca șoferilor de tir este vitală pentru restul societății. De munca lor depinde gradul de aprovizionare a magazinelor, mari și mici. Dar, în același timp, ei sunt și foarte expuși contaminării, pentru că de multe ori umblă dintr-un focar într-altul. Cinste lor pentru riscurile pe care și le asumă în zilele astea (alături de personalul medical, polițiști, jandarmi etc.). Ei merită, în primul rând, aprecierile și mulțumirile noastre, nu cei care înțelegem să ne izolăm, pentru a ne proteja și pentru a proteja pe alții.
    Pe de altă parte, o astfel de situație arată cât de vulnerabilă și fragilă este o țară care nu-și susține producția alimentară internă, în special producătorii mici și medii. Lanțurile scurte de consum ar fi putut limita semnificativ traseele tirurilor și, implicit, gradul de contaminare. Ar fi fost și un mod de securizare psihologică a populației. Că una e să știi că zona în care stai are ferme și centre de producție care pot susține cu hrană orașele și satele, alta e să știi că depinzi într-o mare măsură de hrana adusă de la sute de kilometri distanță, din alte țări.
    Nu mai zic, ce ar fi însemnat o rețea feroviară solidă din perspectiva circulației mărfurilor într-un astfel de context.
    Dar pentru astea e nevoie de viziune, de un stat puternic, că mâna invizibilă a pieței libere are alte urgențe și priorități.

    Pentru asta e nevoie de o viziune care să pună în centru societatea, comunitățile, nu profiturile unei minorități.

    Comments
    • Roman Florin1. Când guvernul voia sa interzică țăranilor sa mai crească porci în gospodărie, stânga a tăcut.
      2. Transportul feroviar e o tema progresist ecologista. Nu are legătură cu dezvoltarea producătorilor locali.
      3. Stânga marxista e anti producători locali. Nu doar ca nu sprijină producătorii de la noi, dar îi jignesc și îi considera poluatori.

      La aceasta retorica ecologista nu vrei sa renunți nici cum.

      • Valer Simion Cosmaboss, te rog eu lasă-mă cu stânga marxistă, sexo-marxistă, bogumilistă și trepanistă și impresiile tale despre ce e și cum e.
      • Roman FlorinDoar vorbesc despre ce faceți voi.
        Ti-am spus, renunțați la acest gen de retorica progresist ecologista și îmi văd de treaba.
        Dar bine, oricum tu și ceilalți scrieți pentru cei din bula voastră. Nu aveți feedback din partea populației. Mesajele voastre nu trec mai departe de acel cerc restrâns în care va învârtiți. Cititorii voștri sunt elitiști.

      • Valer Simion CosmaRoman Florin fă bine și du-te și bate câmpii în altă parte. nu mă mai lua cu ce facem noi (care noi?) și alte tâmpenii care-ți bântuie mintea. Ești deja plictisitor și enervant cu retorica asta
      • Roman FlorinVoi sunteți. Va pot critica și elegant, frumos. Nici nu e nevoie sa va combat pe paginile voastre. O pot face pe a mea sau în grupuri cu o audienta foarte mare ca impactul sa fie ceva mai puternic.
        Când o sa va plângeți ca dreapta va concediază și va reduce salariile, sprijin o sa aveți doar din partea câtorva. Noi ceilalți ne vom amuza .
        Dacă e mai important pentru tine ecologismul, ok. Ecologistii sa te apere pe tine și ceilalți bugetari. Acușica o sa vina criza economica și mama, mama ce val de concedieri vor fi. Ca pe vremea lui Boc.
      • Toll LucianRoman Florin sa știi ca urmăresc oameni ca cel pe pagina căruia comentam nu ca e marxist, stingist sau cum vrei să-i zici. E despre înțelegerea lucrurilor, despre a nu întra în mediocritatea "spiritului epocii" (as zice eu), ceea ce, din fericire, intilnesti prin asemenea locuri. Intilnesti opinii bine legate despre principii dezvoltate greșit.
      • Roman FlorinNu mai mă interesează ce fac marxiștii. Sa fie sănătoși. Am pierdut prea mult timp criticând aceasta mișcare marxista care nu exista nici în marja de eroare.
      • Cristian BanuRoman Florin ca idee, tu l-ai citit pe Marx? Ca par suficient de tânăr ca să fi prins ore de învățământ politic și chiar am dubii că lecturile tale includ Capitalul 😂. Mai degrabă tu reciți niște clișee care au fost la modă acum zeci de ani și pe care până și radicalii neoliberali au început să realizeze că sunt greșite.
      • Roman FlorinCitește-l tu. Nu mă interesează.

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      • Roman FlorinCa recit sau nu, mă privește.

      • Alexandru Bogdan NițuMein Gott! Ce fumezi omule?! Frățiorul meu da' ai luat-o grav pe arătură! Ai inceput să te iei aiurea de oameni în stânga și-n dreapta, ești într-un adevărat delir perpetuu fara noima împotriva unor obsesii de-ale tale și culmea te iei de un om ca Valer care chiar este extrem de echilibrat și de moderat în discurs.
        Păi măi Florine, hai să ți-o spună unu' fără școală, așa ca tine, n-ai nici cea mai vaga ideea despre ce vorbești da'îi dai lecții unuia care a făcut mai multă istorie decât am făcut noi doi școală la un loc ai vreo doi prieteni de-ai noștri.

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      • Roman FlorinNu mă interesează câtă școală a făcut el. Am citit cat sa-mi ajungă pentru aceasta viața. Nu-mi folosește la nimic faptul ca am citit. În schimb ,meciurile astea sunt pline de adrenalina, mă încărca energetic. Cum ziceam mai sus, nu e nevoie sa va combat pe paginile voastre. O pot face pe a mea. Și am și făcut -o după cum bine știi.

      • Ioana BalaşaRoman Florin , să înțeleg că tu ești deopotrivă anti-stângist, anti-progresist și anti-ecologist?

      • Valer Simion CosmaIoana Balaşa e anti-tot!
      • Alexandru Bogdan NițuE inclusiv anti-el.
      • Cristian BanuRoman Florin De scris este clar că știi să scrii. Dar eu am dubii că știi să citești.
      • Roman FlorinIo văd câte kile ai și îmi dau seama ca ești shaormar, bre Cristian.

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      • Roxana MunteanuCe discurs ecologist, frate??? Unde ai vazut dumneata ecologism aici??? Are perfecta dreptate! O tara trebuie sa fie capabila sa supravietuiasca din ce produc micii producatori. Dar exact asta nu se doreste: omul sa nu poata supravietui din ce produce el. Au ajuns la porci. Vor urma gradinile de legume si zarzavat. Asteptati.

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      • Roman Florin Nu te aștepta să militeze pentru ce zici tu acolo.
        Mai devreme sau mai târziu, o sa-mi dați dreptate.
        Marxistii nu ne vor binele. Sunt elitiști, globalisti, ecofascisti, dar unii încă va lăsați păcăliți de ei. Treaba voastră. Marxistii nu fac decât sa exploateze drama unor oameni ca sa ajungă la butoane. Nu vedeți ca vorbesc odată la 10 luni despre muncitorul cu 10 clase din fabrica sau de pe șantier, dar în schimb despre bugetari și alți privilegiați bine educați, vorbesc tot timpul.
        O sa-mi dați dreptate. Parcă văd ca o spuneți : ai avut dreptate, baiete.
        • Roman FlorinMarxistului îi pasa așa de mult de bietul lucrător pe salariul minim, încât susține impozitarea salariului acestuia. Atunci când s-a pus în discuție scutirea de impozitare a celor care lucrează pe salariul minim, stânga a sărit în sus. A spus ca nu se poate așa ceva, ca nu o sa mai fie bani sa susținem creșterea salariilor bugetarilor.

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      • Roman FlorinDiferența dintre ecologistul de stânga și cel de dreapta, e ca ala de dreapta militează pentru scoaterea din uz a mașinilor poluante, iar ala de stânga, ca sa nu își pună în cap toți proletarii deținători de opel, îți spune ca e mai cool sa circuli cu trenul și cu metroul, ca în acest gen de transport public ar trebui sa investim.
      • Laur HertaLa nivel social, in afara serviciilor esentiale evident, cred ca nu mai incape dubiu ca trebuie să ne izolăm, pentru a ne proteja și pentru a proteja pe alții. Si cu cat o facem mai devreme, cu atat mai bine, avem exemplul Italiei in fata, ori ne izolam acum in mod individual, de buna voie, limitand propagarea, ori o facem peste 2 saptamani cu politia si armata pe strazi + o cantitate in plus de morti in tara. In plus, nefacand asta, vom fi un risc in plus in viitorul apropiat si pt personalul medical, polițiști, jandarmi, soferi de tir, etc.
        • Cristina OprisenescuLaur Herta , NIMENI nu ar trebui sa aiba dreptul de a constrange libertatea nimanui ! Nu mai repetati ceea ce cititi pesemne prin media si prin postari ! Sunt postari toate PLATITE de nu stiu cine. .are asemenea interes. Dar am realizat asta abia acum, dupa ce am vazut multe postari deodata ,ale unei persoane pe aceeasi tema - cu propaganda "stau acasa" !
        • Laur HertaCristina Oprisenescu Ok, am inteles, nu o sa mai repet. Imi pare rau 🙁. Dar poate dati dvs si o solutie pt stoparea extinderii epidemiei in Ro., in conditiile in care aveam de-a face cu un popor eminamente needucat + un guvern iresponsabil care nu testeaza masiv populatia pt a elimina din timp sursele de infectie, asteptand testul deceselor inevitabile pt a aplica aceleasi masuri precum Italia insa avand in spate un sistem sanitar lasat in paragina.
        • Cristina OprisenescuLaur Herta , daca as da "solutia" la care ma gandesc ...as parea tare "rea".
          Dar eu cred ca solutia este tocmai neluarea nici unei masuri, la fel cum fac englezii : calmi, flegmatici si pragmatici : "scapa cine poate"...! La ei n-au luat nici o masura ! Oamenii muncesc mai departe, scolile sunt deschise , zburda prin parc , la soare, nu e asta sanatatea insesi - sa fii liber ? Britanicii au lasat populatia sa se imunizeze natural in contact cu virusul ...! Nu chinuie oamenii sa moara inchisi in casa !
        • Laur HertaCristina Oprisenescu 1 - englezii sunt pe-o insula, sunt relativ izolati ca tara. 2 - lor nu le-au intrat in tara in ultime 2 saptamani 40.000 de persoane venite din Italia, care mai de care fentand sistemul pt a nu fi izolati cele 14 zile. 3 - englezii dispun de resurse financiare si medicale iesite din comun, noi suntem la polul opus. 4 - englezii realizasera 26.000 de teste pt a elimina vectorii de contaminare inca din prima faza, in timp ce noi aveam facute 1000. Si lista poate continua. La noi cand va intra virusul in populatia rurala, imbatranita, needucta suficient pt a realiza gravitatea situatiei, in judetele ce nu dispun de spitale ce ar putea sa faca fata, se va muri pe capete. Practic acei oameni vor fi condamnati la moarte si ei vor fi "testele" pt acest guvern de incompetenti.

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        • Cristina OprisenescuLaur Herta , si ...? Si ce sa facem atunci : sa omoram si restul bagand milioane de oameni la inchisoare in casa ? Cat poti tine ca prizonieri , cam 17 milioane de oameni , ca intr-un asediu ??...

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        • Cristina OprisenescuSi masura izolarii, inclusiv a izolarii granitelor nu poate functiona decat pe termen scurt!
          Nu mai vorbesc de adancirea saraciei, a somajului si de spectrul unei recesiuni grave . Mult mai multi oameni vor muri de mizerie si de boli din cauza lipsurilor, decat din pricina corona virus !
          Deci sa lasam selectia naturala sa continue restul...

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        • Mihai CherejiCristina Oprisenescu sunt interese mari la mijloc!
      • Eduard NemethAm fost ieri la cumpărături. 80% din ce am cumpărat sunt lucruri produse în România.
        • Claude KarnoouhEduard Nemeth și eu sunt suveranist.

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      • Cristina OprisenescuChestia asta cu "stau acasa" nu e decat o manipulare, si inca platita bine si sustinuta nu stiu de cine . Sa ne TREZIM mai bine !...
        Cred ca si "faimosul" virus e tot o manipulare , un test la cum raspund oamenii cand isi pierd libertatea, inchisi in case in mod fortat de legi martiale .
        Italienii...au inceput sa cante...in colivii...'
      • Claude KarnoouhDe câte ori cineva chiar de stânga vorbea de suveranitate economică era înjurat de stânga c-ar fi naționalist făcist. Acuma noi toti plătiți alianță stângii cu capitalismul mondialist
        • Roman FlorinMi-a spus cineva despre dvs ca sunteți conservator și ca faceți rău stângii și ca de aia s-au dezis toți de dvs.
        • Claude KarnoouhRoman Florin ce zis astfel de oameni nu-mi pasă. Venind De slugi sorosiani, de pupincuristi à NEC-ului pretins de stânga, de culturnici semi-doct la modă, am pentru ei un dispreț egal cu dispreț pe are l-am pentru burghezia. Această stânga e de fapt o bisericuță de slugi, nu de cum niște intelectuali de stânga în practica reală critică.

        • Valer Simion CosmaClaude Karnoouh cam repede vă aruncați la generalizări neserioase. Știți mai bine ca mine că nu există o stângă, o mișcare, ci grupuscule, în cel mai bun caz tentative de asociere. Și că e cât se poate de diversă. Iar a-i asocia depreciativ pe toți cu NEC-ul și Soros nu face cinste. Mai ales ca autor publicat cîndva în Dilema și la Humanitas. În cazul meu nu m-ați nimerit cu nimic. La NEC am aplicat dat am fost respins (de 3 ori, apoi am renunțat), de la Soros n-am căpătat nimic, deși am aplicat cu ceva ani în urmă la o bursă. Pe de altă parte, a echivala o bursă NEC-Soros cu trădarea, vînzarea conștiinței etc. mi se pare cam simplist și contraproductiv pentru cineva cu cultura și experiența dvs.
        • Roman FlorinPentru oamenii ca dvs nu pot sa am decât respect. Indiferent ce spun unii, sunteți o somitate.
          • Claude KarnoouhValer Simion Cosma nu ești singur intelectual de talent care a fost respins de NEC. Sunt și foarte talentat intelectuali colegi tineri din Cluj au refuzat să cere ceva din NEC.
            Am fost publicat de Humanitas la început datorita părintelui Scrima și în Dilema datorita jocului diverse al lui Pleșu până când m-a dat afară când am criticat Băsescu încă ministrul transporturilor. Cum am plecat din Cluj când Marga m-a bătut la cap cu cursurile mele (și eram detașat oficial din ministerul învățământului francez.
            Știu din interior cum a fonctionat Soros la Cluj. Câți banii s-a furat pentru belșug pur personal, care era în spatele miza ideologică. Nu sunt un naiv din Zalău draga, sunt baiat de businessman, știu bine cântecului celor care dau bani pentru cultura, știu bine scopul lor.

          • Valer Simion CosmaClaude Karnoouh Eu nu mă refer la scopurile celor care bagă bani. Nu-mi fac iluzii, nu-s nici naiv, nici fan Soros sau alți filantropi de gabaritul lui. Eu mă refeream la cei care au beneficiat de burse NEC sau Soros. E cam superficial să fie expediați toți ca niște vînduți, slugi etc. În plus, eu (și mulți alții) nu sunt băiat de businessman, ci de poștaș, așa că nu mi-am permis luxul să nu aplic la burse pe unde s-a putut. Că n-am prins, e altă treabă. M-am descurcat cum am putut, Dar nu-mi permit să-i jignesc la grămadă pe cei care au prins diverse burse.
          • Olga Stefan@claude karnooth nu inteleg cum va permiteti sa ziceti ca cei care au acceptat burse nec sint pupincuristi... marea majoritate sint cercetatori cu simpatii de stinga care prin cercetarea lor critica diferite aspecte a sistemului neoliberal si prezinta aceste rezultate public chiar la nec. este absolut abominabil sa vorbiti cu atita certitudine despre ceva care e evident ca nu stiti nimic. dar v-am mai vazut afisind ignoranta, mai bine va retrageti un pic cu judecatiile astea 'principiate', care de fapt sint valabile numai pt altii.

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          • Claude KarnoouhOlga Stefan cei de stânga care s-au dus la NEC au dat dovadă de toleranță falsă la un focar de reacționați. Dar pentru un pumn de dolari nu vă deranjează să fiu cu pleșu, Liiceanu, Patapievici și alți Mihaieș. Am asistat la NEC la o conferință unde era denunțat școală nietzcheznă franceză în termeni urât, și mici intelectuali de stânga acolo au tăcut de frica de a contraria boieri minți. Și dumneata vrei să-mi dea de gândit că ești De stânga, încă un bla-bla de Dâmbovița

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          • Valer Simion CosmaClaude Karnoouh nu toți sunt pui de boieri sau biznismeni ca să-și permită să refuze burse. În plus, nu am auzit ca boieri sau fii de boieri/biznismeni de stînga să lanseze burse pentru tineri stîngiști care nu-și permit studii/cercetare, ca aceștia să nu fie nevoiți să cerșească banii reacționarilor și filantropilor de tip Soros. Poate dați dvs o bursă, două. Poate dați o mînă de ajutor. Poate știți alți oameni de stînga bogați care vor să ajute tineretul să-și păstreze independența.
          • Olga Stefaneu n-am zis ca sint eu de stinga, nu ma intereseaza aceste titluri stupide, care e cel mai de stinga, tu, ba eu... am vb numai de nec grantees pe care ii cunosc si stiu precis ca sint cercetatori buni. ca ati fost si dumneavoastra la o conferinta cindva, wow, inseamna ca sinteti colaborationist sau enabler, nu?
            • Claude KarnoouhValer Simion Cosma eu când erăm la Cluj catedra mea datorita lui Ciomoș și Codo era plătită de Fondația Soros. Ăsta nu mă deranjat pentru că bani n-au miros, nu mă deranjat până când Marga m-a interzis să-l critic pe Soros și pe politicii reală a fondației.
              Nu e o problemă de a fi băiat de business man sau nu, dacă n-ai bani că să dea la un partid De stânga adevărat, lucrez cum am văzut sute de studenți în studenția mea. Voi vreți cum se zice în franceză untul și banul untului. Vreți mai pe româneste, p... în p... și sufletul în rai. Vreți să aveți mânele albe, problema este că nu aveți mâne. Ăsta l-am scris la o conferință la Budapesta, poți să-l citești pe blogul meu, sau pe argumente și fapte. Nu sunt ca tine draga un înger, am făcut și greșeli politice, dar le reconosc.
            • Claude KarnoouhOlga Stefan am observat, n-am luat bani. Draga Olga, nu știți că cel care plătești dirigează muzică. Trebuie să știți ăsta, este bază sistemul capitalist

            • Valer Simion CosmaClaude Karnoouh care noi? prea ușor aruncați cu „voi vreți”. Eu vorbesc în nume personal, nu-mi permit să vorbesc în numele altora, de stînga sau nu, marxiști, progresiști sau ce or mai fi ei. După cum v-am zis, eu încă nu am halit vreun ban de la Soros sau alții de teapa asta. În proiectele inițiate de mine nu am aplicat la banii lui, pt că nu-mi place omul și, spre deosebire de dvs, chiar dacă cred că banii nu au miros, nu vreau să fiu asociat în vreun fel cu mnealui. În plus, așa cum ziceați mai sus de experiența dvs la UBB pe banii Soros, nu vă gîndiți că or mai fi și alții (inclusiv din rîndul generației mele) care pun problema la fel ca dvs și faptul că accesează bani de la Soros, NEC, Putin, etc. nu implică automat autocenzură sau propagandă? Zic să aveți decența să le dați credit și altora, nu să-i expediați depreciativ și comod într-o categorie, doar pentru că nu sunt de acord cu dvs.

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            • Olga Stefaneste baza oricarui sistem, in special comunist, mai putin capitalist sau demorat, oricare, domnul karnoouth, asta dumneavoastra trebuie sa stiiti. numai regii totalitari aveau clovni sa le spuna adevarul in fata sub acoperirea umorurului....

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            • Claude KarnoouhValer Simion Cosma trebuie totdeauna să te referi celor care dau bani, marele capitaliști au un scop care nu e filantropic dar politic chiar abil politic. Ai auzit cei de așa zisă stânga care au fost la NEC să critice dur Pleșu, Liicheanu, Patapievici. Cine la criticăt Patapievici, Racu, dar n-a papat la NEC.
            • Claude KarnoouhValer Simion Cosma eu dau dar nu la intelectuali, la țigani săraci pentru că n-au mijloace cultural să găsească ceva că să studieze. Dacă nu mă crezi o întrebi pa Doamna Aneta Feldman.
            • Claude KarnoouhValer Simion Cosma catedra era plătită, eu plata venea din universitate, primeam faramituri. Dar eu am plecat când m-au impus prin Marga să-mi schimb cursurile. Am un simț radical despre libertate de gândire critice. Totuși am format câțiva studenți care au rămas fermi pe anumite principi.
              • Olga Stefantoti care dau bani, nu numai 'capitalistii', dau cu un scop,... ce mare descoperire! care regim comunist a dat bani si a permis critica chiar din interior??? in schimb la nec sau soros, da, au fost voci critice... chiar la un eveniment pe care l-am organizat eu, o proiectie de film cu evreii palestinieni care au luptat in razboiul din spania, a fost o critica dura la adresa lui plesu din partea unui spectator.
              • Claude KarnoouhOlga Stefan n-am primit bani din comunism. Siguri bani primiți au fost în afară de salariu meu de prof francez , bani de cercetare din partea ministerul cercetării francez.
                • Claude KarnoouhOlga Stefan bravo pentru film

                  • Valer Simion CosmaClaude Karnoouh numa vedeți că e și Olga bursieră NEC. și tocmai ați jignit-o prin modul în care ați vorbit la grămadă și fără nuanțe/diferențieri despre beneficiarii burselor NEC.

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                  • Olga StefanValer Simion Cosmaah nu sint bursiera... eu am fost curator/cercetator-in-rezidence pe banii unei fundatii elvetiene, nu nec... dar imi jigniti colegii pe care ii respect

                    • Valer Simion CosmaOlga Stefan mea culpa. știam că ai avut ceva cu ei

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                    • Claude KarnoouhValer Simion Cosma na și, filmul a făcut vâlvă, ok dar când asociația de solidaritatea româno-palestiniana a organizat o mică manifestația în solidaritatea Palestinieni omoriți de armata israeliană eram 60 prin care 5 români, un inglez și eu., restul erau palestineni!!!!! nivelul de solidaritate a stângii în România...
                      • Claude KarnoouhCe mă amuză în această discuției este aspect surreazlist. Ca și cum Nec ar fi École normale supérieure ou colegiile bune de Oxford sau Cambridge!

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                      • Raoul WeissPartea înduioșătoare la astfel de cerți stereotipate este naivitatea copilărească cu care se folosește conceptul de „stânga„ (practic ca sinonim pentru „tabăra celor buni„). De fapt, caterinca „stânga„ s-a sfârșit prin anii 60, când CIA a „trecut la stânga„ (prin asimilare în supradoză de foști troțchiști), iar partidele comuniste occidentale la social-democrație (ca și komsomolțî din est, de-altfel – doar mai puțin discret). De atunci există de facto marele guvern central, care se închină la dogma proprietății private ale mijloacelor de producție sociale, iar din stânga a rămas exact elementul la origine străin mișcării muncitorești: elementul iluminist, mistica egalității, feminismul etc.. Dialogul ar fi mai puțin absurd dacă ne-am întreba, pe de o parte, cine e socialist, sau nu, pe de altă parte, cine aderă la agenda societală liberală (fiindcă, în pofida bazaconiilor lui Engels, sunt 2 probleme independente: patriarhatul exista cu muuuult înainte de capitalism, iar capitalismul LGBT există, mersi fain, e sănătos și la fel de nemilos ca cel de școală veche).
                      • Claude KarnoouhRaoul Weiss patriarcat a murit preciz cu capitalismul. Ei vorbesc de patriarcat și nu știe ce este. Pentru ei e arhaismul, dar și sistemele matriarcale sunt arhaice. Ei nu văd că sunt mânat de tecnica.

                    • Nora PavelBăi, ce comentarii.
                      • Ovio Olaruca în orice demență colectivă: ori ești ateu, ori ești mai catolic ca papa
                      • Alexandru Bogdan NițuDelir crunt al unor habarniști.
                      • Roman FlorinTu vrei cu tot dinadinsul sa-ti dedic o postare , Alex. Nu insista pentru ca nu o sa-ti placă ce o sa scriu despre tine.

                    • George Valeriu HenciuDă-l mă de carcakete că deja simt că înnebunesc. Cea mai mare prostie a fost că s-a spus.

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                    • George Valeriu HenciuȘi apropo, cum era cu statul național suveran?
                    • Sebi HalmajanCând spuneți "într-o mare măsură", specificați ca sub 50%

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                    • Cristiana MateiPerfect adevarat, dar daca se închid granițele si accesul pe mare, oare ce se intampla? Suntem captivi in propia tara.
                      • Cristina OprisenescuCristiana Matei , suntem captivi in propria prostie ca acceptam sa fim inchisi in casa si fara nici un drept !

                      • Cristiana MateiCristina Oprisenescu este primul pas spre suprimarea drepturilor, urmeaza altele. Liberă circulație, în desfășurare......asteptam sa vedem ce mai urmeaza.
                      • Cristina OprisenescuCristiana Matei , nu ar trebui sa "asteptam" aceste masuri de suprimare a drepturilor si a libertatii, ci ar trebui sa protestam in strada chiar pentru dreptul nostru fundamental -la Libertate !
                        Viata fara libertate e mai rea decat moartea! Ma si mir - cum de accepta oamenii - ca o turma prostita , sa-I fie luata libertatea, sa iasa din casa numai cu bilet de "voie" de la comandantul politiei sau al armatei care a blocat strada ...! Asta-i viata ? Nici...14 zile nu ati rezista, dar sa stai asa vreo cateva luni ? Si fara hrana adecvata, fara miscare ! Pai te imbolnavesti ! Deci trebuie sa nu fii un "pericol" pentru sanatatea altora, dar sa devii tu un bolnav ! Si bolnav de o crunta depresie a izolarii , pe deasupra !
                        Voi stiti ce vorbiti cand sustineti ca veti sta acasa ?! Cred ca veti incepe sa zgariati, sa pictati cu sange peretii, de nebunia si disperarea izolarii !!
                        Nu e tortura mai crunta decat izolarea !
                        • Roxana MunteanuNumai asa se poate crea premisa perfecta pentru vaccinarea obligatorie: lumea sa fie in ultimul hal de speriata si hartuita, incat sa o ceara si sa mazileasca pe cei ce-o refuza, ca fiind pericole pentru sanatatea publica. E simplu. Si lumea, din ce in ce mai fara Dumnezeu, tremura pentru carcasa pe care o poarta zilnic si renunta de buna voie la toate libertatile, numai sa mai aiba ce pupai a doua zi in oglinda.

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                      • Maria OlteanuLa granita cu Slovenia sunt blocati peste 300 tirist romani de peste 35 de ore. Asigurarile de ieri ca tirurile vor trece au fost gargara. Vom avea o criza alimentara si de produse de igiena, probabil.

                      • Traian BostanUneori am impresia ca domnul Klaude Carnoouh este de fapt un exercițiu de imaginație de-al lui Manolea Septimiu
                        • Manolea Septimiunu me bagatz eu an acest oale eu sant pour fiecare sa creasca purcel balcon unde se poate an fata bloc dormitor sa se descurc
                      • Olguta IanulImaginează-ți cam cât muncesc cei din supermarket-uri zilele astea. Nu vreau să mă gândesc ce s-ar întâmpla dacă și oamenii ăia ar claca. Eu sper ca nebunia asta a cumpărăturilor să se termine într-o zi, două... Că ne contaminăm vrei, nu vrei... cu panică!
                      • Iulia KatenkaDe acord

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                      • Romulus Romica MartonSe poate transporta și cu trenul de marfa
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